Séminaire A - Pratiques de fausseté : bullshit, foutaises et autres balivernes
« Le bullshit constitue, à l’encontre du mensonge, de la falsification et de l’ironie une nouvelle forme de « pratique de fausseté » caractérisée par le mépris absolu pour les conditions logiques et pragmatiques impliquées par l’énonciation. Il s’agit d’en décrire les formes et les remèdes adéquats. »
Séminaire B - Le langage à l’épreuve de la violence de l’Histoire
« Nous proposons ici une réflexion commune sur l’écriture de la violence de l’Histoire, ses modalités d’expression, et certains des problèmes éthiques et esthétiques qu’elle soulève. »
l’écriture de la violence comme trace de l’Histoire : de la langue allemande dans L’espèce humaine de Robert Antelme (séance 2) ;
l’écriture du détour ou la nécessité de la fiction : dire la faim (séance 3).
Séminaire C - Le langage comme forme symbolique
« Le but est d’explorer la nature du langage, ses fonctions diverses et de savoir s’il peut servir de paradigme pour penser d’autres formes, telles que l’art. Nous nous concentrons volontairement sur des auteurs relevant du même univers de pensée, l’univers des penseurs allemands ayant lu et pris connaissance des théories du signes et du symbole de Kant et de Hegel, mais aussi de Goethe. L’idée commune à ces trois auteurs que sont le linguiste Guillaume de Humboldt, le philosophe Ernst Cassirer et l’historien de l’art Erwin Panofsky est de considérer le langage comme facteur de culture, énergie où se structurent à la fois le sujet et le monde auquel il donne sens. »
« La polémique, en tant qu’expression virulente d’un désaccord dans l’espace public, se trouve souvent discréditée au profit de l’accord. Par contraste, il s’agit ci de réorienter le regard porté sur l’échange polémique en vue d’interroger sa valeur expressive, constructive et subversive. »
« Les processus de traduction posent concrètement un certain nombre de problèmes liés au langage. Nous abordons particulièrement ceux de la compréhension du sens, du contexte culturel et de l’interprétation, à partir de trois situations de traduction spécifiques : du français à la langue des signes française (LSF) et retour ; du chinois au français ; du français (ancien) au français (moderne) par la médiation des langues étrangères (traduction des Essais en anglais par John Florio et en italien par Girolamo Naselli). »
« On s’intéresse aux significations du logos chez Aristote : il analyse le langage à l’articulation d’enjeux sémantiques, épistémiques, communicationnels, éthiques et politiques, autant que poétiques. Y a-t-il une unité de ce que parler veut dire ? »
Vous trouverez également sur le parcours M@gistère ci-dessus mentionné, dans la rubrique du sommaire intitulée CONTINUITEPEDAGOGIQUEPHILOSOPHIE- Enseignement à distance toutes les informations utiles sur le protocole sanitaire et sur le plan de continuité pédagogique prévu pour faire face, le cas échéant à une dégradation de la situation (elles sont reprises, pour certaines, sur la page d’accueil du parcours). En cas d’évolution défavorable et de fermetures de classes ou d’établissements, les ressources qui vous avaient été proposées au printemps dernier concernant la mise en place d’un enseignement de philosophie à distance demeurent à votre disposition dans cette même rubrique. Nous vous recommandons également la consultation, dans la même rubrique du parcours, du dossier Prendre soin des personnes en situation de continuité pédagogique.
Continuité pédagogique en philosophie à l’attention des professeur(e)s : Cette page (https://eduscol.education.fr/cid150468/continuite-pedagogique-en-philosophie.html) vise à rappeler certains principes de base de l’enseignement de la discipline « philosophie » et à présenter quelques options intellectuelles et pédagogiques, mais aussi techniques, permettant d’assurer au mieux une continuité dans le cours. Elle n’a donc pas vocation à se substituer à ce que les académies, les établissements ou les professeurs ont déjà mis en place, mais seulement à accompagner le travail que tous ont déjà engagé.
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Présentation des chapitres. Bibliographie Académie de Créteil L’approche de ces questions s’effectue, pour chaque semestre, en relation privilégiée avec une période distincte dans l’histoire de la culture. Pour la classe terminale, ces périodes sont définies comme suit :
1) du romantisme au XXe siècle ;
2) période contemporaine (XXe-XXIe siècles).
25 septembre 1841.
J’ai commencé à écrire ces Mémoires à la Vallée-aux-Loups le 4 octobre 1811 ; j’achève de les relire en les corrigeant à Paris ce 25 septembre 1841 : voilà donc trente ans, onze mois, vingt-un jours, que je tiens secrètement la plume en composant mes livres publics, au milieu de toutes les révolutions et de toutes les vicissitudes de mon existence. Ma main est lassée : puisse-t-elle ne pas avoir pesé sur mes idées, qui n’ont point fléchi et que je sens vives comme au départ de la course ! À mon travail de trente années j’avais le dessein d’ajouter une conclusion générale : je comptais dire, ainsi que je l’ai souvent mentionné, quel était le monde quand j’y entrai, quel il est quand je le quitte. Mais le sablier est devant moi, j’aperçois la main que les marins croyaient voir jadis sortir des flots à l’heure du naufrage : cette main me fait signe d’abréger ; je vais donc resserrer l’échelle du tableau sans omettre rien d’essentiel.
Louis XIV mourut. Le duc d’Orléans fut régent pendant la minorité de Louis XV. Une guerre avec l’Espagne, suite de la conspiration de Cellamare, éclata : la paix fut rétablie par la chute d’Alberoni. Louis XV atteignit sa majorité le 15 février 1723. Le Régent succomba dix mois après. Il avait communiqué sa gangrène à la France ; il avait assis Dubois dans la chaire de Fénelon, et élevé Law. Le duc de Bourbon devint premier ministre de Louis XV, et il eut pour successeur le cardinal de Fleury dont le génie consistait dans les années[2]. En 1734 éclata la guerre
André Malraux
[Radioscopie Jacques Chancel s'entretient avec André Malraux ->https://www.youtube.com/watch?v=KlotHkckOsE">où mon père fut blessé devant Dantzig. En 1745 se donna la bataille de Fontenoy ; un des moins belliqueux de nos rois nous a fait triompher dans la seule grande bataille rangée que ayons gagnée sur les Anglais, et le vainqueur du monde a ajouté à Waterloo un désastre aux désastres de Crécy, de Poitiers et d’Azincourt. L’église de Waterloo est décorée du nom des officiers anglais tombés en 1815 ; on ne retrouve dans l’église de Fontenoy qu’une pierre avec ces mots : « Ci-devant repose le corps de messire Philippe de Vitry, lequel, âgé de vingt-sept ans, fut tué à la bataille de Fontenoy le 11 de mai 1745. » Aucune marque n’indique le lieu de l’action ; mais on retire de la terre des squelettes avec des balles aplaties dans le crâne. Les Français portent leurs victoires écrites sur leur front.
Plus tard le comte de Gisors, fils du maréchal de Belle-Isle, tomba à Crevelt. En lui s’éteignit le nom et la descendance directe de Fouquet. On était passé de mademoiselle de La Vallière à madame de Châteauroux. Il y a quelque chose de triste à voir des noms arriver à leur fin, de siècles en siècles, de beautés en beautés, de gloire en gloire.
Au mois de juin 1745, le second prétendant des Stuarts avait commencé ses aventures : infortunes dont je fus bercé en attendant que Henri V remplaçât dans l’exil le prétendant anglais.
La fin de ces guerres annonça nos désastres dans nos colonies. La Bourdonnais vengea le pavillon français en Asie ; ses dissensions avec Dupleix depuis la prise de Madras gâtèrent tout. La paix de 1748 suspendit ces malheurs ; en 1755 recommencèrent les hostilités ; elles s’ouvrirent par le tremblement de terre de Lisbonne, où périt le petit-fils de Racine. Sous prétexte de quelques terrains en litige sur la frontière de l’Acadie, l’Angleterre s’empara sans déclaration de guerre de trois cents de nos vaisseaux marchands ; nous perdîmes le Canada : faits immenses par leurs conséquences, sur lesquels surnage la mort de Wolfe et de Montcalm. Dépouillés de nos possessions dans l’Afrique et dans l’Inde, lord Clive entama la conquête du Bengale. Or, pendant ces jours, les querelles du jansénisme avaient lieu ; Damiens avait frappé Louis XV ; La Pologne était partagée, l’expulsion des jésuites exécutée, la cour descendue au Parc-aux-Cerfs. L’auteur du pacte de famille[5] se retire à Chanteloup, tandis que la révolution intellectuelle s’achevait sous Voltaire. La cour plénière de Maupeou fut installée : Louis XV laissa l’échafaud à la favorite qui l’avait dégradé, après avoir envoyé Garat[6] et Sanson à Louis XVI, l’un pour lire, et l’autre pour exécuter la sentence.
Ce dernier monarque s’était marié le 16 mai 1770 à la fille de Marie-Thérèse d’Autriche : on sait ce qu’elle est devenue. Passèrent les ministres Machault, le vieux Maurepas, Turgot l’économiste, Malesherbes aux vertus antiques et aux opinions nouvelles, Saint-Germain qui détruisit la maison du roi et donna une ordonnance funeste ; Calonne et Necker enfin.
Louis XVI rappela les parlements, abolit la corvée, abrogea la torture avant le prononcé du jugement, rendit les droits civils aux protestants, en reconnaissant leur mariage légal. La guerre d’Amérique, en 1779, impolitique pour la France toujours dupe de sa générosité, fut utile à l’espèce humaine ; elle rétablit dans le monde entier l’estime de nos armes et l’honneur de notre pavillon.
La révolution se leva, prête à mettre au jour la génération guerrière que huit siècles d’héroïsme avaient déposée dans ses flancs. Les mérites de Louis XVI ne rachetèrent pas les fautes que ses aïeux lui avaient laissées à expier ; mais c’est sur le mal que tombent les coups de la Providence, jamais sur l’homme : Dieu n’abrège les jours de la vertu sur la terre que pour les allonger dans le ciel. Sous l’astre de 1793, les sources du grand abîme furent rompues ; toutes nos gloires d’autrefois se réunirent ensuite et firent leur dernière explosion dans Bonaparte : il nous les renvoie dans son cercueil.
J’étais né pendant l’accomplissement de ces faits. Deux nouveaux empires, la Prusse et la Russie, m’ont à peine devancé d’un demi-siècle sur la terre ; la Corse est devenue française à l’instant où j’ai paru ; je suis arrivé au monde vingt jours après Bonaparte. Il m’amenait avec lui. J’allais entrer dans la marine en 1783 quand la flotte de Louis XVI surgit à Brest : elle apportait les actes de l’état civil d’une nation éclose sous les ailes de la France. Ma naissance se rattache à la naissance d’un homme et d’un peuple : pâle reflet que j’étais d’une immense lumière.
Ici, j’ai écrit les Martyrs, les Abencerages, l’Itinéraire et Moïse ; que ferai-je maintenant dans les soirées de cet automne ? Ce 4 octobre 1811, anniversaire de ma fête et de mon entrée à Jérusalem[4], me tente à commencer l’histoire de ma vie. L’homme qui ne donne aujourd’hui l’empire du monde à la France que pour la fouler à ses pieds, cet homme, dont j’admire le génie et dont j’abhorre le despotisme, cet homme m’enveloppe de sa tyrannie comme d’une autre solitude ; mais s’il écrase le présent, le passé le brave, et je reste libre dans tout ce qui a précédé sa gloire.
La plupart de mes sentiments sont demeurés au fond de mon âme, ou ne se sont montrés dans mes ouvrages que comme appliqués à des êtres imaginaires. Aujourd’hui que je regrette encore mes chimères sans les poursuivre, je veux remonter le penchant de mes belles années : ces Mémoires seront un temple de la mort élevé à la clarté de mes souvenirs[5].
Jean-Pierre LANGEVIN, Labyrinthes de la mémoire : s’y perdre, souffrir, s’y retrouver– VIDÉO – Dailymotion >VIDÉO – Dossier – PDF Morgane AVELLANEDA, La littérature comme fil d’Ariane : tracer son chemin dans la mémoire – VIDÉO – Dailymotion >VIDÉO – Dossier – PDF
<!— /wp:paragraph - 1974 L’art et l’histoire : Entretiens avec André Malraux Le défaut de véracité et d’exactitude dans ces mémoires n’a de pertinence « qu’autant que l’on tient les Antimémoires pour des Mémoires et le « je » qui s’y exprime pour un je autobiographique », ce qui n’est pas évident dans la mesure où l’auteur s’est inscrit en faux aussi bien contre la tradition de l’autobiographie-confession, à la manière de saint Augustin ou de Rousseau, que contre celle des Mémoires à la manière de Saint-Simon ou du général de Gaulle. Le discours autobiographique de Malraux se situe ailleurs, nous semble-t-il, dans cette zone intermédiaire et que l’on appelle aujourd’hui l’autofiction et qui se caractérise par un discours bivalent, mi-enraciné dans la réalité référentielle et mi-tourné vers la fiction. En assemblant deux discours traditionnellement incompatibles, l’autofiction rend inopérante l’antithèse « vérité / fiction. »
Dès l’avant-propos des Antimémoires, Malraux établit une ligne de partage extrêmement nette entre deux grands modèles de récits de soi : [1] L’individu a pris dans les Mémoires la place que l’on sait, lorsqu’ils sont devenus des Confessions. Celles de saint Augustin ne sont nullement des confessions, et s’achèvent en un traité de métaphysique. Nul ne songerait à nommer confessions les Mémoires de Saint-Simon : quand il parlait de lui, c’est pour être admiré.
Les élèves et les professeurs y ont donc directement accès.
Chacun peut librement s’exercer à partir de ces sujets, toutefois, il est recommandé aux enseignants de ne pas proposer de corrigés de ces exercices et de ne pas s’en servir pour des évaluations en classe. Ces sujets sont en effet réservés à l’examen de fin d’année.
DURAIN Céline,Trame de parcours 1 - Les pouvoirs de la parole
Deux trames de parcours pour les semestres 1 et 2 de la spécialité Humanités, littérature et philosophie, ainsi qu’un choix de textes philosophiques. Ce travail a été réalisé par Céline Durain, professeure de philosophie et responsable de la formation dans l’académie de Nancy-Metz.
Séductions et autorité de la parole, un parcours
Agnès HUGENELL, IA-IPR de Lettres de l’académie de Strasbourg, Claire KOPDA, professeure de Lettres, et Yann MARTIN, IA-IPR de Philosophie Académie de Nancy-Metz
Débat sur la peine de mort
Le premier débat parlementaire connu sur la peine de mort s’est déroulé en 427 avant J. -C., date à laquelle Diodote, faisant valoir que ce châtiment n’avait pas d’effet dissuasif, a réussi à persuader l’Assemblée athénienne en Grèce de revenir sur sa décision d’exécuter tous les adultes mâles de la ville rebelle de Mytilène (Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, livre III, par. 25-50).
1. Lucien, Histoires vraies, voyage sur la Lune I, 22-23 (IIe siècle av. J.-C. ; traduction E. Talbot, 1866).
2. Cyrano de Bergerac, Histoire comique des États et Empires de la Lune et du Soleil, (éd. posthume, 1657-62).
3. Jules Verne, De la Terre à la Lune, fin du chapitre II – le discours de Barbicane (1868).
4. Le Voyage dans la Lune, de Georges Méliès – Affiche du film (1902).
5. A. Ayroles et J.-L. Masbou, De Cape et de Crocs (BD), Tome 6 Luna incognita, Delcourt, 2004.
DURAIN Cécile, Trame de parcours 2 - Les représentations du monde
Deux trames de parcours pour les semestres 1 et 2 de la spécialité Humanités, littérature et philosophie, ainsi qu’un choix de textes philosophiques. Ce travail a été réalisé par Céline Durain, professeure de philosophie et responsable de la formation dans l’académie de Nancy-Metz.
Dossier Les représentations du monde Ac Strasbourg
De la Renaissance aux Lumières Documents présentés par Claire Habig lors des formations académiques mars 2019
Texte 6 : L’Etat laïque donne pleinement sens à la liberté de la foi.
Supposé que tous sans exception soient venus à la foi, la liberté de la foi est encore violée (par la religion d’État) ; car la foi librement acceptée peut être librement perdue et cette liberté humaine de perdre la foi ne tombe point sous le coup du jugement de l’État. Si un seul perdait la foi dans cet État officiellement catholique, du coup sa liberté religieuse se trouverait gênée ; sans contester qu’il aurait toutes chances dans une nation, qui, par hypothèse, n’aurait pas encore le sens de la liberté de se voir traiter en ennemi du corps social.
Il faut décidément comprendre que le problème, pour être posé sur le plan de la vérité, doit être posé sur le plan de la liberté. Car la vérité dont il s’agit, la vérité de la foi, est telle qu’elle implique essentiellement la liberté de l’acte qui l’accueille. On dit : « L’erreur n’a pas de droit » ; ou encore : « L’idéal est dans l’union des esprits opérée librement » ; il est bien entendu que le catholique a une raison de désirer une société explicitement chrétienne, c’est qu’il pense que sa foi seule apporte la « vérité », qui sauve les âmes et même les sociétés terrestres par surcroît. Mais le catholique a une raison de ne pas vouloir un État confessionnel, c’est son amour de la liberté religieuse, qu’il sait être seulement assurée, juridiquement, par la distinction entre l’Église et l’État ; c’est sa volonté de garder à l’acte de foi son originalité, laquelle est bien exprimée seulement et garantie par l’originalité totale de l’Église, répondant d’en haut à un État qui se borne à exprimer, d’en bas, la liberté ouverte de l’homme.
Joseph VIALATOUX et André LATREILLE, « Christianisme et laïcité », Esprit, octobre 1949, p. 533.
Texte 7 : Ni la séparation du religieux et du politique ni la neutralité de l’État ne suffisent à définir la laïcité. Car la neutralité et la séparation ne sont pas pour la laïcité des buts en soi mais plutôt les moyens qui lui permettent de réaliser ses finalités fondamentales : la liberté, l’égalité, le pluralisme social, le respect des droits de l’homme.
Afin d’offrir une garantie optimale de ces finalités (liberté et égalité), le politique se devait de représenter la totalité des membres de la collectivité nationale. Il ne pouvait y parvenir en imposant à tous une seule conception de la Vérité. Au fil des siècles, la séparation du politique et du religieux et la neutralité de l’État, c’est-à-dire l’impartialité de la gouvernance à l’égard des divers groupes convictionnels de la société civile, ont graduellement été conçues comme les moyens nécessaires à l’établissement du régime de liberté.
Hors de l’orbe religieux, l’État est libre d’élaborer des normes collectives dans l’intérêt général. La puissance politique ne se fait plus le bras séculier d’une institution religieuse pour imposer à l’ensemble de la société ce qui paraît juste et bon selon les dogmes de cette confession. L’autonomie de l’État implique donc la dissociation entre la loi civile et les normes religieuses. (…)
La neutralité est une exigence restrictive que l’État doit s’imposer afin de ne favoriser ni gêner, directement ou indirectement, aucune religion ni aucune famille de pensée. Pour être en mesure de représenter la totalité du peuple, le laos, l’État s’interdit de définir ou de juger ce qu’est une croyance acceptable ou son expression juste, pas plus qu’il n’impose un traitement différencié sur la base de la croyance ou de l’incroyance. L’État renonce à toute compétence théologique qui lui permettrait de « décider de l’interprétation correcte à donner à une croyance religieuse » (José Woehrling, « Quelle place pour la religion dans les institutions publiques ? », in J.-F. Gaudreault-Desbines dir.), Le Droit, la religion, le « raisonnable ». Le fait religieux entre monisme étatique et pluralisme juridique, Montréal, Éd. Thémis, 2009, p. 151.).
Il a néanmoins le devoir de veiller à préserver l’ordre public et la liberté d’autrui, que la manifestation de certaines convictions religieuses ou doctrines philosophiques pourrait compromettre. La neutralité de la puissance politique ne se résume pas à un simple abstentionnisme. L’État doit porter attention aux conséquences civiles et politiques des croyances, quitte à adopter parfois des mesures légales pour limiter certains comportements découlant de ces convictions qui auraient un effet néfaste sur les droits des citoyens.
La neutralité ne signifie pas pour autant que l’État soit « sans valeur », puisque la gouvernance étatique repose sur des valeurs fondamentales comme la démocratie, la tolérance, le respect de la diversité et les droits de l’homme. Il n’existe pas de neutralité absolue. Toutefois, la puissance politique doit se montrer impartiale à l’égard des différentes convictions. L’État est le représentant non de l’une des parties de la société ni de majorités politiques ou circonstancielles, mais bien de l’ensemble de la société.
Jean BAUBÉROT, Micheline MILOT, Laïcités sans frontières, Seuil, 2011, pp. 77-79.
Texte 8 : la laïcité n’est pas la tolérance du fait de son caractère égalitaire
L’historien René Rémond cerne la signification politique de la laïcité à partir de ses contraires, faisant apparaître par contraste le caractère à la fois libéral et égalitaire de la laïcité. Cette méthode d’approche lui permet de distinguer le régime juridique de laïcité de celui de tolérance, tel qu’il a prévalu en Angleterre, par exemple, jusqu’en 1829, qui peut s’accommoder notamment du maintien de l’inégalité entre fidèles des diverses confessions.
Si la laïcité n’a longtemps eu en France qu’un seul adversaire, le cléricalisme de l’Église catholique et sa volonté de régenter la société, elle connaît aujourd’hui, au terme, momentanément provisoire, d’une histoire déjà longue, une pluralité de contraires. La description de leurs contours dessine en creux l’espace qui appartient en propre à la laïcité. (…) La laïcité implique que la religion individuelle échappe à la contrainte politique et au contrôle de la société civile et relève exclusivement du for interne : la foi doit être une affaire personnelle et non pas une affaire d’État, ce qui suppose la reconnaissance d’un minimum de vie privée soustrait à l’autorité. La laïcité a donc pour contraire tout système qui aspire à fondre l’individu dans la collectivité et toutes les théories qui fondent l’unité du corps social et de la nation sur l’unité de pensée et de foi. Elle se trouve ipso facto en contradiction avec plusieurs types de société qui n’admettent pas le partage entre vie privée et vie publique, ni l’exercice d’un jugement critique.
Circonstanciellement, la laïcité a rencontré comme ses premiers contraires les sociétés européennes d’Ancien Régime qui tenaient presque toutes l’unité de foi pour une condition indispensable de l’unité politique ; presque toutes auraient pu faire leur la devise de la monarchie française : un roi, une foi, une loi. Il était admis comme une évidence que les sujets devaient adhérer à la religion du prince autant par loyalisme que par conviction ; le prince changeait-il de religion, ses sujets devaient le suivre : ce qui se fit au temps de la Réforme. Ceux de ses sujets qui avaient la mauvaise idée d’embrasser une autre confession n’étaient pas seulement non conformistes, c’étaient aussi des dissidents politiques, de mauvais sujets pour tout dire, qui manquaient à leurs devoirs envers le monarque. Ce système de pensée où les principes politiques ont au moins autant de part que la préoccupation de rendre justice à la vérité de la religion a inspiré par exemple la révocation de l’édit de Nantes sous le régime duquel la France avait fait pendant trois quarts de siècle l’expérience d’une certaine pluralité confessionnelle : il explique aussi le concert d’éloges qui salua l’édit de révocation ; les contemporains y ont vu la restauration de l’unité de foi et donc un succès pour la Couronne.
Certes, sous l’influence du mouvement des idées philosophiques et aussi par nécessité de prendre en compte certaines réalités – l’édit de Nantes en étant une illustration – en plusieurs États s’était peu à peu instaurée une certaine liberté de conscience qui entraînait l’acceptation de la pluralité des confessions. Ainsi Voltaire dispense de grands éloges dans ses Lettres philosophiques à l’Angleterre où vivent en paix dix ou vingt confessions différentes. Depuis longtemps les esprits libres qui se refusaient à faire dépendre leurs convictions religieuses de la décision de l’État avaient trouvé refuge aux Provinces-Unies et plus d’un souverain avait vu son intérêt à accueillir dans ses État des minorités religieuses chassées de leur pays. La tolérance, pour désigner cet état d’esprit par son nom, avait introduit dans l’Europe d’Ancien Régime une dose de pluralité et dégagé un espace pour une certaine liberté de conscience.
Mais, si elle y dispose les esprits et aménage un régime intermédiaire, la tolérance n’est pas la laïcité : elle s’accommode du maintien de l’inégalité entre fidèles des diverses confessions. Ceux-là seulement qui adhèrent à l’Église officielle, qui partagent la religion de l’État, sont des sujets à part entière ; les autres restent frappés de certaines incapacités. Ils ne jouissent pas de la plénitude des droits civils et moins encore politiques ; ils restent des minorités, tout au plus tolérées. Et ce, même dans les pays réputés les plus libéraux. Ainsi dans l’Angleterre, dont les publicistes n’avaient pas tort de louer la tolérance, ceux qui n’appartenaient pas à l’Église d’Angleterre étaient privés de la plupart des droits : pas question pour eux d’être électeurs, moins encore éligibles. C’était le cas des dissidents et plus encore des catholiques qui devront attendre quarante ans après la déclaration française des droits de l’homme et du citoyen – proclamant que nul ne pouvait être inquiété même pour ses opinions religieuses – leur émancipation : le terme dit bien ce qu’il en était : jusqu’en 1829 les catholiques étaient mineurs. (…)
La laïcité, c’est aussi l’égalité de tous devant la loi, quelle que soit leur religion ; c’est la neutralisation du fait religieux pour la définition des droits ; il ne doit intervenir ni à l’avantage des uns ni au détriment des autres ; c’est le découplage de l’appartenance religieuse et de l’appartenance politique, la dissociation entre citoyenneté et confessionnalité. Ni l’État ni la société ne doivent prendre en compte les convictions religieuses des individus pour déterminer la mesure de leurs droits et de leurs libertés.
René RÉMOND, « La laïcité et ses contraires », Pouvoirs, n° 75, Seuil, 1995, pp. 7-9.
Texte 9 : les quatre grandes composantes structurelles de la laïcité, chacune s’étant affirmée dans l’histoire avec plus ou moins d’intensité, selon les périodes : l’autonomie du pouvoir politique, la limitation du pouvoir politique, une éthique du respect de la personne, la démocratie.
Tout se passe comme si la laïcité était la synthèse finale de plusieurs composantes qui s’affirment au cours d’une longue histoire où elles évoluent de manière plus ou moins autonome. C’est en ce sens qu’on peut parler de plusieurs genèses de la laïcité. Nous mettons en évidence quatre composantes : la genèse du principe de l’autonomie du pouvoir temporel ; la genèse d’une distinction entre sphère du politique et sphère de la vie religieuse menant à la séparation des religions et de l’État ; la genèse des valeurs fondamentales : de liberté de penser, de conscience avec la tolérance ; enfin la mutation du pouvoir autonome grâce au principe démocratique. Revenant sur l’historique, on pourrait montrer que si l’une des composantes s’affirme au mépris des autres on ne peut pas vraiment parler de laïcité, même si l’existence de cette composante est en elle-même un pas vers la laïcité, un acquis nécessaire. (…)
Dans l’histoire réelle, l’autonomie se développe plus vite que les autres composantes de la laïcité. Ce déséquilibre conduit parfois l’autonomie à se retourner contre la laïcité, lorsque cette affirmation du pouvoir politique dévie en une prise de pouvoir sur la religion, voire en une instrumentalisation. Un exemple de cette dérive est le gallicanisme dans le royaume de France. Celui-ci n’est sûrement pas un progrès vers la laïcité, même s’il manifeste le développement d’une composante nécessaire à la laïcité, l’autonomie du pouvoir politique. Dans le gallicanisme, l’autonomie du politique ne s’accompagne pas d’une limitation du politique par rapport à la sphère religieuse. On peut y discerner un double asservissement. Soumise et instrumentée par le pouvoir pour légitimer son action, la religion en échange bénéficie d’un appui du pouvoir pour conforter son hégémonie sur la société. Il serait faux de voir ici un simple excès de pouvoir de l’Église sur l’État, ou un essor du cléricalisme. Il y a aussi un excès du pouvoir de l’État sur l’Église. S’en tenir aux débordements du cléricalisme, c’est s’interdire une compréhension du gallicanisme dans sa logique qui pervertit à la fois le pouvoir et la religion.
Le principe d’une séparation entre la sphère du temporel et celle du spirituel, ou du religieux, est moins facile à discerner qu’on ne le croit couramment. Car c’est avant tout un principe de limitation de la sphère du pouvoir politique : celui-ci n’a pas à exercer un quelconque pouvoir sur les institutions qui traitent du sens ultime de la vie, et notamment des religions. Il n’y a pas de religion d’État, ni de philosophie d’État. Sur ces questions d’ordre philosophique et religieux, l’État n’a pas à imposer des réponses collectives. Mais, d’un autre côté, la religion n’a pas à s’imposer à un État. La théocratie est illégitime. Précisons : il ne s’agit pas de la séparation entre deux pouvoirs, mais entre le pouvoir politique et les autorités religieuses. Celles-ci n’ont pas un droit légitime à prendre la place du pouvoir, ou à occuper l’État. (…)
La troisième composante du principe de laïcité porte sur les valeurs éthiques : la tolérance, la liberté de conscience, la liberté religieuse. Dans la longue durée où se fait la genèse des composantes de la laïcité, il est possible de distinguer également une difficile émergence des valeurs fondamentales qui feront partie intégrante de la laïcité. (…)
La quatrième composante de la laïcité est la démocratie. D’un point de vue historique, on peut constater qu’en France, c’est avec le passage vers la démocratie que les autres composantes de la laïcité vont évoluer vers une institutionnalisation vigoureuse. 1789 n’aboutit pas, mais le fondement ancestral de la société est définitivement ébranlé. Ensuite, c’est bien avec la mise en place d’une république de plus en plus travaillée par l’esprit de la démocratie que la laïcité va vraiment s’imposer. Ce chemin vers la démocratie mène à son plein aboutissement l’autonomie du politique. Et historiquement, ce mouvement va rencontrer l’opposition d’une Église solidaire de l’ordre ancien, ce qui le pousse à développer l’idée d’une séparation de la sphère du pouvoir politique et celle de la vie spirituelle. La marche vers la séparation est soutenue par la montée de l’esprit démocratique. Enfin, c’est bien dans la démocratie que les valeurs de la laïcité, ces formes de la liberté, trouvent leur pleine reconnaissance. Comment, en effet, vivre la liberté de conscience là où les institutions politiques sont travaillées par l’oppression ? Et un pouvoir non démocratique supporte mal la liberté des religions, leur libre manifestation dans la société.
D’un point de vue conceptuel, il y a une profonde connivence entre le principe démocratique et la laïcité : celle-ci appelle la démocratie, car c’est elle qui renvoie au peuple souverain la pleine responsabilité de sa société sans chercher dans un ailleurs sacré la cause de l’ordre social, c’est elle qui fonde en dernier lieu le principe d’autonomie de manière légitime. C’est pourquoi aussi la démocratie appelle la laïcité, afin d’échapper à une hétéronomie qui fixerait l’ordre social en dehors de la décision de tout le peuple.
Cependant, nous poserons qu’en droit aucune des composantes du principe de laïcité ne peut s’attribuer la position d’une ultime instance par rapport aux autres. Elles se soutiennent réciproquement.
Guy COQ, La laïcité, principe universel, le félin, 2005, pp. 67-79.
La laïcité scolaire
Texte 11 : Paul Ricoeur distingue deux usages de la laïcité. Cette distinction entre deux manifestations de la laïcité permet de mieux situer la laïcité scolaire, dans une position intermédiaire entre l’État et la société
Il y a dans la discussion publique une méconnaissance des différences entre deux usages du terme laïcité ; sous le même mot sont désignés en effet deux pratiques fort différentes : la laïcité de l’État, d’une part, celle de la société civile, d’autre part.
La première se définit par l’abstention. C’est l’un des articles de la Constitution française : l’État ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte. Il s’agit là du négatif de la liberté religieuse dont le prix est que l’État, lui, n’a pas de religion. Cela va même plus loin, cela veut dire que l’État ne « pense » pas, qu’il n’est ni religieux ni athée ; on est en présence d’un agnosticisme institutionnel.
Cette laïcité d’abstention implique, en toute rigueur, qu’il y ait une gestion nationale des cultes, comme il y a un ministère des Postes et des Télécommunications. L’État a notamment une obligation de maintenance à l’égard des édifices religieux, qui sont, depuis la séparation de l’Église et de l’État, la propriété de ce dernier. Ce devoir qu’exerce l’État fait que la séparation des deux instances ne se fait pas dans l’ignorance réciproque, mais par une délimitation rigoureuse de leurs rôles respectifs : une communauté religieuse doit prendre la forme d’une association cultuelle, dont le statut est public, qui obéit à certaines lois quant à la sécurité, quant à l’ordre, quant au respect des autres, etc.
De l’autre côté, il existe une laïcité dynamique, active, polémique, dont l’esprit est lié à celui de discussion publique. Dans une société pluraliste comme la nôtre, les opinions, les convictions, les professions de foi s’expriment et se publient librement. Ici, la laïcité me paraît être définie par la qualité de la discussion publique, c’est-à-dire par la reconnaissance mutuelle du droit de s’exprimer ; mais, plus encore, par l’acceptabilité des arguments de l’autre. Je rattacherais volontiers cela à une notion développée récemment par Rawls : celle de « désaccord raisonnable ». Je pense qu’une société pluraliste repose non seulement sur le « consensus par recoupement », qui est nécessaire à la cohésion sociale, mais sur l’acceptation du fait qu’il y a des différends non solubles. Il y a un art de traiter ceux-ci, par la reconnaissance du caractère raisonnable des partis en présence, de la dignité et du respect des points de vue opposés, de la plausibilité des arguments invoqués de part et d’autre. Dans cette perspective, le maximum de ce que j’ai à demander à autrui, ce n’est pas d’adhérer à ce que je crois vrai, mais de donner ses meilleurs arguments. C’est là que s’applique pleinement l’éthique communicationnelle de Habermas.
Si je n’ai pas encore parlé de l’école, c’est parce qu’on en arrive toujours trop vite à cette question, sans avoir au préalable pris la précaution de distinguer les deux formes de laïcité : la négative, d’abstention, qui est celle de l’État ; la positive, de confrontation, qui est celle de la société civile. Or ce qui rend très difficile le problème de l’école, c’est que celle-ci se trouve dans une position mitoyenne entre l’État, dont elle est une expression en tant que service public — à cet égard, elle doit comporter l’élément d’abstention qui lui est propre —, et la société qui l’investit de l’une de ses fonctions les plus importantes : l’éducation.
Paul RICOEUR, La critique et la conviction. Entretien avec François Azouvi et Marc de Launay, Hachette/Pluriel, 1995, pp. 194-195.
Aller plus loin : SPITZ, Jean-Fabien. Le pluralisme raisonnable peut-il être exclu des questions de justice ? In : Le pluralisme des valeurs : Entre particulier et universel [en ligne]. Bruxelles : Presses de l’Université Saint-Louis, 2003 (généré le 08 novembre 2020). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pusl/21312>
. ISBN : 9782802803614. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pusl.21312.
Texte 12 : Régime et principe de laïcité
Le régime de laïcité articule le principe de laïcité (ou principe de réserve, d’abstention) dans l’espace participant de l’autorité publique avec le principe de liberté de manifestation dans l’espace civil public et privé (et intime). On peut déduire de là les deux dérives les plus fréquentes qui se présentent sous le terme de « laïcité » : vouloir étendre la liberté dont jouit l’espace civil à la puissance publique (c’est la laïcité adjectivée : positive, plurielle, modérée, raisonnable, ouverte, apaisée…) ; inversement, vouloir durcir l’espace civil en exigeant qu’il applique le principe d’abstention partout (extrémisme laïque). Une grande partie des questions posées récemment deviennent intelligibles à la lumière de cet effet de balancier.
Cette articulation, qui est en même temps une distinction, entre les deux principes formant le régime de laïcité est décisive. Elle éclaircit la difficulté qui accompagne l’opposition fréquemment citée entre « sphère publique » et « sphère privée ». Car, si cette opposition peut avoir un sens précis aux yeux des juristes — par sa référence au droit public et au droit privé —, elle engendre en revanche des confusions tenaces et redoutables dans l’opinion du fait que le terme « public » peut désigner couramment, non seulement le domaine de l’autorité publique (auquel seul s’applique le principe politique de laïcité), mais aussi et plus généralement ce qui est accessible au public. Parallèlement, le terme « privé » peut désigner non seulement ce qui relève du droit privé (et qui inclut nombre d’objets et d’espaces accessibles au public), mais aussi et plus restrictivement ce qui relève de l’intime, à l’abri du regard d’autrui. En brandissant de manière incantatoire l’opposition entre « sphère publique » et « sphère privée », et en combinant implicitement le sens étendu du terme « public » avec le sens restreint du terme « privé », nombre de militants laïques ont accrédité (et certains ont même assumé) l’idée fausse selon laquelle la laïcité réclamerait la neutralisation de tous les lieux accessibles au public et des personnes qui y circulent, et n’accorderait la liberté d’expression qu’à l’espace de l’intimité, ce qui revient à l’abolir. C’est un exemple de dérive extrémiste, qui étend l’application du principe de laïcité au-delà de son champ.
Catherine KINTZLER, Penser la laïcité, Minerve, 2014, p. 38.
Construire le concept de laïcité : plutôt qu’ un principe, un régime pour une vie en commun
La laïcité est ce principe qui permet de Construire le commun, s’arracher à soi,. c’est-à-dire à la nature.
Il est ce qui permet la séparation de soi pour aller vers autrui.
Il y a une mauvaise séparation. C’est celle qui est exclusive. Chercher des exemples.
il y a une autre séparation posée par la République. Res-publica c’est la « chose publique » ? A quoi s’oppose-t-elle ? Que permet-elle ?
Comment construire le « commun » ?
Rousseau dans l’Emile Livre I pose la difficulté de concilier l’homme et le citoyen :
Comment l’enfant, naturellement égocentrique, borné à « l’amour de soi », va-t-il s’ouvrir progressivement à autrui et accéder à l’idée d’humanité ? La réponse de Rousseau décrit le parcours éducatif comme un arrachement à soi qui pourtant construit le moi. C’est d’abord la pitié, cette sympathie naturelle pour la souffrance d’autrui, qui fait sortir l’enfant de lui-même. Elle est la source de toute morale. Pour que l’autre devienne central, il faut aller cependant plus avant.
« Nous naissons faibles, nous avons besoin de forces ; nous naissons dépourvus de tout, nous avons besoin d’assistance ; nous naissons stupides, nous avons besoin de jugement. Tout ce que nous n’avons pas à notre naissance et dont nous avons besoin étant grands, nous est donné par l’éducation. »
Rousseau, LEmile I
Au fondement de la République : la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Lire la déclaration de 1789 et répondre aux questions :
(ces dernières visent à définir la laïcité comme un principe dépassant le simple événement historique)
Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.
En conséquence, l’Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Etre suprême, les droits suivants de l’Homme et du Citoyen.
-* Qu’est-ce qu’une « déclaration solennelle » ? Qu’est-ce qui la distingue d’une simple affirmation ?
Une institution est une convention. Comment ce texte dissocie l’institution de l’arbitraire ?
Art. 1er. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.
-* Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Quel est le sens des deux verbes ? Le temps de l’histoire peut-il remettre en cause ce principe ? Quelle est la différence entre un fait et un principe ?
Expliquer les difficultés que pose la liberté à partir de la lecture de l’art 10. A-t-on le droit de « tout dire », « tout faire » ?
Pourquoi peut-on dire que si toutes les opinions se valent, aucune ne vaut ?
Art. 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi.
-* Cet article 10 précise que toutes les croyances ne sont pas nécessairement religieuses. La laïcité est-elle incompatible avec la religion ? Avec quoi est-elle incompatible ?
Quelle difficulté soulève la pluralité des opinions ? De quoi nous protège cette pluralité ? Qu’est-ce alors que la "liberté d’expression ?
A l’inverse s’il n’ y a qu’une opinion à laquelle tout le monde doit adhérer, est-on encore dans une République ? Que permet ainsi la loi ?
-* Quel est le sens à partir des art 11 et 12 de « la liberté d’expression » ? qu’est-ce qui fonde la nécessité de recourir à la « force publique ». Définir le rapport entre celle-ci et le citoyen.
Quelle est la différence entre la sûreté et la sécurité ?
Alors que la sûreté protège chacun contre l’arbitraire d’une accusation, arrestation ou d’un emprisonnement sans motif légal, la sécurité garantit la protection matérielle et physique des personnes et de leurs biens. Quand la sécurité est menacée par des violences, les États peuvent alors avoir la tentation d’encadrer, voire de réduire certaines libertés individuelles. En France, le Conseil d’Etat a pour fonction de mesurer la légalité d’une mesure de police qui aurait pour conséquence de limiter l’usage d’une liberté publique. Depuis plus d’un siècle, le contenu de ces décisions montre que la liberté doit rester la règle et la mesure de police, l’exception.
Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.
-* A partir de ce qui précède, dire en quoi consiste la liberté de la presse, selon l’article 11.
Art. 12. La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. -* A qui ou à quoi doivent obéir les hommes ? Quelle différence faire entre obéir et se soumettre ?
Quel est le sens de la laïcité dans ce sens ? Pourquoi cette définition ne la réduit pas à n’être qu’un discours anti-religieux ?
à partir de ce travail sur la République des droits de l’homme et du citoyen, rédiger une présentation de la laïciité.
La laïcité contre le fanatisme, Henri PENA-RUIZ, « Pour lutter contre le fanatisme, la laïcité plus que jamais nécessaire », Le Monde, 14 janvier 2015.
Introduction : La modernité souhaite parvenir à une désintrication du religieux et du politique. La tolérance et la laïcité peuvent être considérées comme deux formes de cette désintrication. Elles définissent dans leur opposition l’une à l’autre, et cette opposition est telle qu’elle peut être caractérisée comme un différend théorique insoluble. Il s’invente pourtant des formes modérées de l’une et de l’autre qui nuancent cette opposition de principe. Elles permettent également de comprendre que l’enjeu est double : il ne s’agit pas simplement de séparer les Eglises du pouvoir civil (tolérance civile), il s’agit de les inclure dans le jeu démocratique alors qu’elles ne sont pas intrinsèquement démocratiques (tolérance théologique).
I. Tolérance, laïcité et démocratie
A - Rawls et le pluralisme raisonnable
Rawls inscrit son projet théorique dans la grande tradition de la tolérance libérale, née avec la Réforme protestante. Comment alors organiser l’espace politique de telle sorte qu’il puisse être un espace de tolérance ? Il ne peut l’être, explique Rawls, que s’il se structure indépendamment des doctrines compréhensives, tenues par ceux qui y adhèrent, comme la vérité, religieuse, morale ou philosophique. Il faut donc séparer la politique et la vérité, et organiser la délibération publique sans tenir compte des conceptions du bien qui organisent l’existence des individus. Rawls ne prend donc en compte que la tolérance civile, considérant que la tolérance théologique n’est pas du ressort d’une théorie de la justice.
B - Laïcité républicaine et lien politique
La laïcité républicaine prône une suspension philosophique du réel, il faut faire comme si les individus n’avaient pas de convictions religieuses pour ensuite pouvoir accueillir ces mêmes convictions. La laïcité assume ainsi l’idée d’un homme abstrait, sans qualité, loin du réel social, parce que c’est la condition de la liberté politique. Mais pour lutter contre l’empire de la religion, il faut qu’elle se fasse elle-même spiritualité. Elle oppose une foi laïque aux religions, mais, comme la tolérance libérale, n’agit pas sur les tendances fanatiques des religions.
II. La tolérance et les guerres de religion
Les arguments de la philosophie moderne confrontée à l’intolérance radicale lors des guerres de religion permettent de mesurer les contraintes qui pèsent sur la tolérance théologique. La tolérance peut être comprise comme ayant deux intensités. Une intensité basse (Hobbes) : le souverain ne tolère que les cultes privés et secrets, imposant à tous les citoyens une religion officielle. Une intensité haute (Locke) : chaque Eglise doit être autorisée dans l’Etat non pas parce que c’est un devoir moral, mais parce que la persécution n’est pas rationnelle. Mais ni l’un ni l’autre ne travaillent sur la conviction religieuse, c’est-à-dire sur les passions qui la constituent et peuvent mener au fanatisme. Ce que Rousseau entreprend, considérant qu’on ne peut séparer la tolérance civile et la tolérance théologique.
Conclusion : La religion civile n’est pas une option historique possible, mais elle pose la question, qui reste notre question, du fanatisme et des moyens d’agir sur lui.
La démocratie reconnaît un certain nombre de libertés — de conscience, de culte, d’expression, d’opinion — comme des droits fondamentaux de la personne. L’exercice de ces droits se manifeste dans la vie privée et dans la vie publique, à titre individuel et à titre collectif. Les libertés individuelles et collectives sont le résultat d’une lente conquête et sont parfois remises en question. Comment leur respect et leurs limites permettent-ils l’exercice des droits de l’homme dans notre République