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La violence de la guerre peut-elle se raconter ?

Bande dessinéé
 Tardi, chroniqueur de la Grande Guerre
Tout débute en 1974 avec La Véritable Histoire du soldat inconnu, album dans lequel Tardi nous conte l’histoire d’un auteur sans talent qui ne connaîtra pas la gloire pour ses écrits, mais pour avoir eu la malchance de mourir dans la boue le 10 novembre 1918... Pendant 10 ans, Tardi publiera ensuite des chroniques dans la revue À suivre, à partir du numéro de mars 1982. Elles seront mises en forme dans un album édité en 1993, C’était la guerre des tranchées, dédié au grand-père du dessinateur.

Mais la grande œuvre de Tardi est sans doute Putain de guerre !, deux tomes co-signés avec l’historien Jean-Pierre Verney, relatant de manière chronologique la Grande Guerre et ses prolongements, de 1914 à 1919. N’oublions pas au passage les adaptations, comme Voyage au bout de la nuit de Céline ou Varlot soldat de Didier Daeninckx.

Bande dessinée de Tardi : Dernier assaut.

Comment le dessinateur met-il en scène la violence ?

huile sur toile (47,8x68,2cm), 1917. The Museum of Modern Art, New York.

Œuvre exécutée au printemps 1917. Pas de souvenir de combats, ni de scène de front, la toile préfigure ce que seront les bombardements aériens de la Seconde Guerre mondiale avec la destruction des grandes villes
Né Georg Groß le 26 juillet 1893, à Berlin. Mort le 6 juillet 1959, à Berlin.

Peintre allemand, membre important du mouvement Dada et de l’aile gauche du mouvement de la Nouvelle Objectivité.

Admis en 1909 à l’Académie royale des arts de Dresde (Königlichen Kunstakademie Dresden), il entre, en 1912, l’école des Beaux-arts de Berlin (Kunstgewerbeschule) où il est élève de Emil Orlik (1870-1932)

[marron]-* TEXTE / Henri Barbusse : Le feu[/marron]

Y a des lettres de moi que j’ai relues comme si c’était un livre que j’ouvrais. Et pourtant, malgré ça j’ai oublié aussi ma souffrance de la guerre. On est des machines à oublier. Les hommes, c’est des choses qui pensent un peu, et qui, surtout, oublient. Voilà ce qu’on est.

— Ni les autres, ni nous, alors ! Tant de malheur est perdu !

Cette perspective vint s’ajouter à la déchéance de ces créatures comme la nouvelle d’un désastre plus grand, les abaisser encore sur leur grève de déluge.

— Ah ! si on se rappelait ! s’écria l’un.

— Si on s’rappelait, dit l’autre, y aurait plus d’guerre !

Un troisième ajouta magnifiquement :

— Oui, si on s’rappelait, la guerre serait moins inutile qu’elle ne l’est.

Mais tout d’un coup, un des survivants couchés se dressa à genoux, secoua ses bras boueux et d’où tombait la boue, et, noir comme une grande chauve-souris engluée, il cria sourdement :

— Il ne faut plus qu’il y ait de guerre après celle-là !

Dans ce coin bourbeux où, faibles encore et impotents, nous étions assaillis par des souffles de vent qui nous empoignaient si brusquement et si fort que la surface du terrain semblait osciller comme une épave, le cri de l’homme qui avait l’air de vouloir s’envoler éveilla d’autres cris pareils :

— Il ne faut plus qu’il y ait de guerre après celle-là !

Les exclamations sombres, furieuses, de ces hommes enchaînés à la terre, incarnés de terre, montaient et passaient dans le vent comme des coups d’aile :

— Plus de guerre, plus de guerre !

— Oui, assez !

Le silence du permissionnaire

Deux thèmes encore ont été fréquemment rencontrés dans la littérature de la Grande Guerre. Le premier est celui du « silence du permissionnaire », expression empruntée à Jean Paulhan dans Les Fleurs de Tarbes ou la Terreur dans les Lettres (1941). C’est un passage obligé des livres de guerre, puisque la permission donne presque toujours lieu à un fiasco, du moins dans la littérature. Dans beaucoup de témoignages, le meilleur moment de la permission est celui qui précède l’arrivée. La permission est un moment ambivalent, comme en témoigne une lettre d’Alain en 1915 : « Huit jours de permission, c’est comme un homme qui serait pendu deux fois. » Il semble que, dans la littérature, la permission soit presque toujours malheureuse, excepté chez Cendrars qui raconte sa première permission passée au Chabanais en juillet 1915.

À la fois lumineuse et sombre, la « perme » est une obsession omniprésente dans les lettres. La découverte de l’arrière où la vie continue comme avant donne au permissionnaire le sentiment de l’irréalité et parfois l’idée de la mort, comme dans Le Songe de Montherlant. La permission confirme l’incompréhension que la guerre a dressée presque partout, notamment entre les hommes et les femmes, entre le front et l’arrière. En permission, le soldat découvre que sa femme, sa mère et sa sœur se sont émancipées depuis qu’elles l’ont remplacé dans les champs, dans l’usine ou au bureau, et les retrouvailles ne sont jamais faciles. Jules Romains parle d’« une franc-maçonnerie des hommes du front » et de l’« état d’esprit » très antique du guerrier qui l’isole du reste de la société.

Durant la permission, l’expérience du front s’avère encore plus inconcevable que dans les tranchées, parce que son abomination est inénarrable ou honteuse, et la franc-maçonnerie des combattants en sort renforcée. Paulhan qui, dans Le Guerrier appliqué, était déjà sensible à la difficulté de raconter, y revient dans un chapitre des Fleurs de Tarbes, intitulé « L’homme muet », où il interprète le « silence du permissionnaire » de la Grande Guerre à la fois comme un symptôme du mal du langage en général et comme une spécificité de la névrose de guerre ou de l’après-guerre. Il développe une intuition présente chez beaucoup d’écrivains, comme encore Céline dans Voyage au bout de la nuit : « On est retourné chacun dans la guerre. Et puis il s’est passé des choses et encore des choses, qu’il est pas facile de raconter à présent, à cause que ceux d’aujourd’hui ne les comprendraient déjà plus. » Le silence du permissionnaire est la seule réaction possible face au paradoxe de la guerre que représente l’impuissance du témoignage.
Antoine Compagnon

 L’expérience de la guerre au prisme de la folie Article de Marie Derrien, ATER à l’université Savoie Mont Blanc 2017