La philosophie dans l’académie de CRETEIL
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L’HUMAIN et SES LIMITES BIBLIOGRAPHIE

L’humain et ses limites

AGAMBEN L’ouvert
SUR LE VIF Jean-Christophe Bailly Association Vacarme | « Vacarme »
2012/1 N° 58 | pages 98 à 118 ISSN 1253-247 ISBN 9782350960654
DOI 10.3917/vaca.058.0098
Article disponible en ligne
https://www.cairn.info/revue-vacarme-2012-1-page-98.htm

Aristote, Ethique à Nicomaque, livres VII et IX.
Aristote, De l’âme ; Les politiques, Livre I.
ARISTOTE

  • Ethique à Nicomaque. Déréglement et lâcheté

15 (1119a - 1119b) Dérèglement et lâcheté. Comparaison avec l’enfance

  • Sortir des limites : l’enfance

Le dérèglement est plus semblable à un état volontaire que la lâcheté, car il a pour cause le plaisir, et la lâcheté la souffrance, deux sentiments dont le premier est objet de choix, et l’autre, objet de répulsion seulement. Or la souffrance met hors de soi l’être qui l’éprouve et détruit sa nature, tandis que le plaisir n’opère rien de pareil. Aussi le dérèglement est-il plus volontaire, et par suite encore, plus répréhensible. En effet, on s’accoutume assez facilement à garder la modération dans les plaisirs, parce que les occasions de ce genre sont nombreuses dans le cours de la vie et que l’exercice de cette habitude n’entraîne aucun danger, à l’inverse de ce qui se passe dans les situations qui inspirent de la crainte. D’autre part, la lâcheté semblerait bien n’être un état volontaire qu’en la distinguant de ses manifestations particulières : en elle-même elle n’est pas une souffrance, mais dans les manifestations particulières dont nous parlons, la souffrance nous met hors de notre assiette au point de nous faire jeter nos armes ou adopter d’autres attitudes honteuses, ce qui donne à nos acte l’apparence d’être accomplis sous la contrainte. Pour l’homme déréglé, c’est l’inverse : ses actions particulières sont volontaires (puisqu’il en a l’appétit et le désir), mais son caractère en général l’est moins, puisque personne ne désire être un homme déréglé.
Nous étendons encore le terme dérèglement aux fautes commises par les enfants, fautes qui présentent une certaine similitude avec ce que nous avons vu. Quant à dire lequel des deux sens tire son nom de l’autre, cela importe peu pour notre présent dessein, mais il est clair que c’est le plus récent qui emprunte son nom au plus ancien. En tout cas, cette extension de sens semble assez judicieuse, car c’est ce qui aspire aux choses honteuses, et dont les appétits prennent un grand développement, qui a besoin d’émondage, et pareille description s’applique principalement aussi bien à l’appétit qu’à l’enfant : les enfants, en effet, vivent aussi sous l’empire de la concupiscence, et c’est surtout chez eux que l’on rencontre le désir de l’agréable. Si donc on ne rend pas l’enfant docile et soumis à l’autorité, il ira fort loin dans cette voie : car dans u être sans raison, le désir de l’agréable est insatiable et s’alimente de tout, et l’exercice même de l’appétit renforce la tendance innée ; et si ces appétits sont grands et forts, ils vont jusqu’à chasser le raisonnement. Aussi doivent-ils être modérés et en petit nombre et n’être jamais en conflit avec la raison. Et c’est là ce que nous appelons un caractère docile et contenu. Et de même que l’enfant doit vivre en se conformant aux prescriptions de son gouverneur, ainsi la partie concupiscible de l’âme doit-elle se conformer à la raison. C’est pourquoi il faut que la partie concupiscible de l’homme modéré soit en harmonie avec la raison, car pour ces deux facultés le bien est le but visé, et l’homme modéré a l’appétit des choses qu’on doit désirer, de la manière dont elles doivent l’être et au moment convenable, ce qui est également la façon dont la raison l’ordonne.

61 Cf. supra, II, 7, 1107b 6-8 (...)

Augustin, La cité de Dieu, Livre XII, XXI-XXIII, éditions du Seuil,
Bergson Essai sur les données immédiates de la conscience , 1888, Chpitre 3, In : Oeuvres, PUF, 1991, pp 108-109.

TEXTE BERGSON contiguïté association limite
Le moi touche au monde extérieur par sa surface et comme cette surface conserve l’empreinte des choses, il associera par contiguïté des termes qu’il aura perçus juxtaposés : c’est à des liaisons de ce genre, liaisons de sensations tout à fait simples et pour ainsi dire impersonnelles, que la théorie associationniste convient. Mais à mesure que l’on creuse au-dessous de cette surface, à mesure que le moi redevient lui-même, à mesure aussi ses états de conscience cessent de se juxtaposer pour se pénétrer, se fondre ensemble, et se teindre chacun de la coloration de tous les autres. Ainsi chacun de nous a sa manière d’aimer et de haïr, et cet amour, cette haine, reflètent sa personnalité tout entière. Cependant le langage désigne ces états par les mêmes mots chez tous les hommes aussi n’a-t-il pu fixer que l’aspect objectif et impersonnel de l’amour, de la haine, et des mille sentiments qui agitent l’âme. Nous jugeons du talent d’un romancier à la puissance avec laquelle il tire du domaine public, où le langage les avait fait descendre, des sentiments et des idées auxquels il essaie de rendre, par une multiplicité de détails qui se juxtaposent, leur primitive et vivante individualité. Mais de même qu’on pourra intercaler indéfiniment des points entre deux positions d’un mobile sans jamais combler l’espace parcouru, ainsi, par cela seul que nous parlons, par cela seul que nous associons des idées les unes aux autres et que ces idées se juxtaposent au lieu de se pénétrer, nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent : la pensée demeure incommensurable avec le langage
Essai sur les données immédiates de la conscience , 1888, Chpitre 3, In : Oeuvres, PUF, 1991, pp 108-109.

Chrétien, De la fatigue, Paris, Minuit.
La voix nue.

Descartes, Traité de l’homme, GF-Flammarion, 2018 (éd. de D. Antoine-Mahut)
 Sur l’homme union de l’âme et du corps, voir outre la 6ème des Méditations métaphysiques et la correspondance à Elisabeth (notamment celle de mai-juin 1643), la Lettre à Hyperaspistes d’août 41 (Alquié, Vol II, p. 361), lettre à Gibieuf du 19 janvier 1642 (Vol II, p. 909) et la Lettre à Régius de juillet 1645 (Alquié, Vol III, p. 581).
 Sur les animaux : Discours de la méthode, V, La lettre à Pemplius pour Fromondus du 3 oct. 1637 (Alquié, Vol I, p. 785), La lettre à Reneri pour Pollot d’avril-mai 1638 (Alquié, Vol II, p. 54-57), la lettre au marquis de Newcastle du 23 nov. 1646 (Alquié, Vol III, p. 693-696) ; la lettre à Morus du 5 février 1649 (Alquié, Vol III, p. 884-887).

Diderot La lettre sur les aveugles
ARTICLE ENCYCLOPEDIE : Animal
DIDEROT
le continu
++++Texte
On peut donc assûrer sans crainte de trop avancer, que la grande division des productions de la nature en animaux, végétaux, & minéraux, ne contient pas tous les êtres matériels : il existe, comme on vient de le voir, des corps organisés qui ne sont pas compris dans cette division. Nous avons dit que la marche de la nature se fait par des degrés nuancés, & souvent imperceptibles ; aussi passe-t-elle par des nuances insensibles de l’animal au végétal : mais du végétal au minéral le passage est brusque, & cette loi de n’y aller que par nuances paroît se démentir. Cela a fait soupçonner à M. de Buffon, qu’en examinant de près la​ nature, on viendroit à découvrir des êtres intermédiaires, des corps organisés qui sans avoir, par exemple, la puissance de se reproduire comme les animaux & les végétaux, auroient cependant une espece de vie & de mouvement : d’autres êtres qui, sans être des animaux ou des végétaux, pourroient bien entrer dans la constitution des uns & des autres ; & enfin d’autres êtres qui ne seroient que le premier assemblage des molécules organiques.

Feuerbach, L’essence du christianisme, Paris, Maspero, 1982, lire l’introduction (« L’essence de l’homme en général, l’essence de la religion en général »)

Darwin, L’ascendance (traduit par « descendance ») de l’homme et la sélection sexuelle, Lire les 7 premiers chapitres. Téléchargeable gratuitement en ligne : CODE ECUE V32PH5 INTITULE DE L’ECUE HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE ENSEIGNANT(S) SYLVIA GIOCANTI 31 http://classiques.uqac.ca/classiques/darwin_charles_robert/d

Gouhier, L’anti-humanisme au 17ème siècle, Vrin. Ouvrage qui étudie la confrontation entre
l’humanisme et la pensée chrétienne.

G.W. F. HEGEL, La science de la logique Encyclopédie des sciences philosophiques (Éditions de 1827 et 1830), Paris, Librairie Philosophique Vrin, 1986, traduction de Bernard Bourgeois, pp. 163-184 et pp. 283-293.

G.W. F. HEGEL,
La science de la logique

Encyclopédie des sciences philosophiques (Éditions de 1827 et 1830), Paris, Librairie Philosophique Vrin, 1986, traduction de Bernard Bourgeois, pp. 163-184 et pp. 283-293.

++++L’homme et l’animal

§ 2 La philosophie peut tout d’abord être déterminée en général comme une manière pensante de considérer des objets. Mais s’il est exact (et ce sera bien exact) que l’homme se différencie de l’animal par la pensée, tout ce qui est humain est humain en ce que, et seulement en ce qu’il est produit au moyen de la pensée. En tant, cependant, que la philosophie est un mode propre de la pensée, un mode par lequel celle-ci devient connaissance et connaissance qui conçoit, la pensée propre à elle aura aussi un caractère différent de la pensée agissant dans tout ce qui est humain et même produisant l’humanité de ce qui est humain, tout autant qu’elle lui est identique, et qu’en soi il n’y a qu’une pensée. Cette différence se rattache au fait que la teneur essentielle humaine — fondée grâce à la pensée — de la conscience n’apparaît pas tout d’abord dans la forme de la pensée mais comme sentiment, intuition, représentation, -formes qui sont à différencier de la pensée en tant que forme.

C’est un préjugé ancien, une proposition devenue triviale, que l’homme se différencie de l’animal par la pensée ; cela peut paraître trivial, mais il devrait paraître aussi singulier, s’il était besoin de rappeler une telle croyance ancienne. Or cela peut être tenu pour un besoin, étant donné le préjugé de l’époque actuelle qui sépare l’un de l’autre sentiment et pensée de telle sorte qu’ils seraient opposés entre eux, et même si hostiles, que le sentiment, en particulier le sentiment religieux, serait souillé, perverti et même peut-être entièrement anéanti par la pensée, et que la religion et la religiosité n’auraient essentiellement pas dans la pensée leur racine et leur lieu. Lorsqu’on opère une telle séparation, on oublie que l’homme seulement est capable de religion, mais que l’animal n’a aucune religion, pas plus que droit et moralité ne lui appartiennent.

Lorsque cette séparation de la religion d’avec la pensée est affirmée, on évoque habituellement la pensée qui peut être désignée comme réflexion, — la pensée réfléchissante qui a pour contenu et amène à la conscience des pensées en tant que telles. C’est la négligence qu’on apporte à prendre connaissance et à tenir compte de la différence indiquée de façon déterminée par la philosophie concernant la pensée, qui suscite les représentations et les reproches les plus grossiers contre la philosophie. En tant qu’à l’homme seulement appartiennent la religion, le droit et la vie éthique, et cela seulement pour cette raison qu’il est un être pensant, dans ce qui relève de la religion, du droit, de l’éthique — que ce soit un sentiment et une croyance ou une représentation — la pensée en général n’a pas été inactive ; son activité et ses productions y sont présentes et contenues. Mais il y a une différence entre avoir de tels sentiments et représentations déterminés et pénétrés par la pensée, et avoir des pensées sur eux. Les pensées, engendrées par le moyen de la réflexion, sur ces premières manières d’être de la conscience, sont ce sous quoi l’on comprend la réflexion, le raisonnement et des choses de ce genre, ensuite aussi la philosophie.

Il est à ce sujet arrivé, et cette méprise a prédominé encore assez souvent, qu’une telle réflexion a été affirmée comme la condition, et même comme l’unique chemin par lequel nous accéderions à la représentation et à la certitude de ce qui est éternel et vrai. Ainsi, par exemple, on a donné les (maintenant plutôt anciennes) preuves métaphysiques de l’être-là de Dieu en disant que ou en faisant comme si c’était essentiellement et uniquement par leur connaissance et la conviction qu’on avait d’elles, que la croyance et la conviction de l’être-là de Dieu pouvaient être produites. Une telle affirmation s’accorderait avec celle selon laquelle nous ne pourrions pas manger avant d’avoir acquis la connaissance des déterminations chimiques, botaniques ou zoologiques des aliments, et selon laquelle nous devrions attendre de digérer que nous ayions achevé l’étude de l’anatomie et de la physiologie. S’il en était ainsi, ces sciences gagneraient en leur domaine, comme la philosophie dans le sien, à vrai dire beaucoup en utilité, et même, leur utilité serait élevée à l’indispensabilité absolue et universelle ; mais bien plutôt, elles toutes, au lieu d’être indispensables, n’existeraient pas du tout.

Heidegger La lettre sur l’humanisme 1946, dans Questions III
traduction : Roger Munier

Heidegger, Lettre sur l’humanisme. Montre quelles sont les limites conceptuelles qui ont
défini "humain" et "humanité", afin de trouver une approche de l’homme qui ne fasse pas de
l’homme le centre de la vie humaine. Définit ainsi un sens de "limites de l’humain" comme ce qui réduit l’humain, comme ce qui fait d’un certain sens d’humain un appauvrissement de
l’homme, afin d’en appeler à une expérience de l’humanité par-delà ces limites.

Hume, Traité de la nature humaine, tome III, parties 1, sections 1 et 2 ; parties 2, sections 1 et
2 ; 3ème partie, section 1
Enquête sur les principes de la morale, sections I, II, V, VI, VIII, IX, appendices 1 et 2.

HUME, Enquête sur l’entendement humain, section IX (« De la raison des animaux »), traduction M. Malherbe, Vrin, 2008

HUME Histoire naturelle de la religion (Vrin, Malherbe 1996), et Dialogues sur la religion naturelle (Vrin, Malherbe, 2005) -

KANT E, Anthropologie d’un point de vue pragmatique, édition G-F Flammarion d’A. Renaut, 1993 _

KANT E. Les opuscules (sur les débuts de l’histoire, la finalité de l’histoire, le concept de race humaine etc..) paru dans différentes éditions de poche sous le titre La philosophie de l’histoire.

Kant, Doctrine de la vertu, trad Delbos, vrin, première partie, livre I, art 7), deuxième partie
art 36.
_Critique de la raison pratique, trad. Ferry, Wismann, Folio-essais, " des mobiles de la raison
pure pratique" ; "Examen critique de l’analytique de la raison pure pratique" ; "De la
suprématie de la raison pure pratique dans sa liaison avec la raison pure spéculative" et
"Méthodologie de la raison pure pratique".
_Critique de la faculté de juger, analytique du sublime ; §62 ; 76 ; 78 ; 83-87 ; 90-91.
Fondement de la métaphysique des mœurs, trad. Delbos, Vrin, section III.

TEXTE KANT
Explication d’une distinction

++++[noir]Kant : borne et limite[/noir]

§57 Prolégomènes
CONCLUSION
sur la destination restreinte de la raison pure
§ LVII.

Après les preuves parfaitement claires que nous avons données plus haut, il serait absurde d’espérer connaître d’un objet autre chose que ce qui tient à l’expérience dont il est susceptible, ou de prétendre à la moindre connaissance d’une chose quelconque dont nous savons qu’elle n’est pas un objet de l’expérience possible, à la détermination de cette chose par ses qualités intrinsèques, d’après ce qu’elle est en soi. Comment en effet vouloir exécuter cette détermination, puisque le temps, l’espace, et toutes les notions intellectuelles, bien plus même, les notions obtenues par une intuition empirique ou une perception dans le monde sensible, n’ont et ne peuvent avoir d’autre usage que de rendre l’expérience possible, et que si nous détachons même des notions intellectuelles pures cette condition, elles ne déterminent absolument aucun objet, et sont sans aucune signification.

Mais il y aurait encore plus d’absurdité à nier toute chose en soi, ou à vouloir donner notre expérience pour l’unique manière possible de connaître les choses, par conséquent notre intuition dans l’espace et le temps, pour la seule intuition possible, et notre entendement discursif pour le prototype de tout entendement possible, et par conséquent à vouloir faire passer des principes de la possibilité de l’expérience pour des conditions générales des choses en soi.

Nos principes qui ne limitent l’usage de la raison qu’à l’expérience possible, pourraient donc être eux-mêmes transcendants, et les bornes de notre raison être données pour les bornes de la possibilité des choses en elles-mêmes, comme les Dialogues de David Hume en peuvent servir d’exemple, si une critique vigilante ne veillait aux limites de notre raison jusque dans ses rapports à l’usage empirique, et ne mettait un terme à ses prétentions.

Le scepticisme est primitivement sorti de la métaphysique et de sa dialectique indisciplinée. Il a bien pu d’abord, en faveur de l’usage exclusif de la raison, donner pour vain et trompeur tout ce qui le dépasse ; mais peu à peu, lorsqu’on se fut aperçu que ce sont cependant ces mêmes principes a priori dont on se sert dans l’expérience qui, sans qu’on s’en doutât, et comme il le semble, conduisaient avec le même droit plus loin que ne va l’expérience, on se prit à douter des principes mêmes de l’expérience. Point de danger en cela, car le bon sens reconnaîtra toujours bien ses droits ; mais il en est cependant résulté une confusion particulière dans la science, qui ne peut décider jusqu’où et pourquoi on ne peut s’en fier à la raison que dans cette mesure ; mais on ne peut remédier à cette confusion et en garantir le retour à l’avenir qu’en circonscrivant par des principes l’usage de notre raison.

Nous ne pouvons, à la vérité, donner aucune notion déterminée en dehors de toute expérience possible de ce que peuvent être des choses en soi ; mais nous ne sommes cependant pas libres de nous abstenir de toute question à cet égard. L’expérience ne satisfait jamais entièrement la raison ; elle nous renvoie toujours plus loin dans la réponse aux questions, et ne nous donne pas cette solution complète que chacun peut facilement concevoir par la dialectique de la raison pure, qui a par cela même un bon fondement subjectif. Qui peut tolérer que nous passions de la nature de notre âme à la claire conscience du sujet, ainsi qu’à la persuasion que ses phénomènes ne peuvent être expliqués par la matière, sans demander ce qu’est donc l’âme à proprement parler, et si aucune notion expérimentale ne suffit pour cela, sans admettre en tout cas pour cet objet une notion rationnelle (d’un être matériel simple), quoique nous soyons dans l’impuissance absolue d’en prouver la réalité objective ? Qui peut se contenter de la simple connaissance expérimentale dans toutes les questions cosmologiques, de la durée et de l’étendue de l’univers, de la liberté ou de la nécessité, puisque, de quelque manière qu’il nous plaise de commencer, toujours une nouvelle question sur les lois de l’expérience succède à une réponse donnée, question qui demande également une réponse, et qui prouve clairement l’insuffisance de toute espèce d’explication physique pour contenter le raison ? Enfin, qui ne voit dans la contingence et la dépendance perpétuelle de tout ce qu’il ne peut penser et admettre que d’après les principes de l’expérience, l’impossibilité de s’en tenir là, et ne se sent obligé, malgré toute défense de se perdre dans des Idées transcendantes, de chercher cependant repos et satisfaction au-delà de toutes les notions qu’il peut justifier par l’expérience, dans la notion d’un être dont l’idée peut bien n’être pas aperçue quant à la possibilité intrinsèque, quoiqu’elle ne puisse être réfutée, parce qu’elle ne concerne qu’un être de raison, mais sans laquelle la raison ne peut jamais être satisfaite ?

Des limites (dans un être étendu) supposent toujours un espace qui se trouve en dehors d’un certain lieu déterminé et l’enveloppe ; des bornes n’ont besoin de rien de semblable : ce sont de pures négations qui affectent une quantité en tant qu’elle n’a pas d’intégralité absolue. Mais notre raison veut en quelque sorte autour de soi une place pour la connaissance des choses en elles-mêmes, bien qu’elle n’en puisse jamais avoir des notions déterminées, et qu’elle soit réduite à des phénomènes.

Tant que la connaissance de la raison est homogène, aucune limite déterminée ne lui est concevable. En mathématiques, en physique, la raison humaine reconnaît sans doute des bornes, mais elle n’admet pas de limites, en ce sens du moins qu’il y ait en dehors d’elle quelque chose qu’elle ne puisse jamais atteindre, mais non en ce sens qu’elle sera quelque part arrêtée dans son progrès intérieur. L’extension des connaissances en mathématiques, et la possibilité de découvertes toujours nouvelles vont à l’infini. Même chose de la découverte de nouvelles propriétés physiques, de nouvelles forces et de nouvelles lois, par l’expérience continuée et liée par la raison. Mais il faut cependant reconnaître ici des bornes, puisque les mathématiques ne se rapportent qu’à des phénomènes, et que ce qui ne saurait être un objet de l’intuition sensible, comme les notions de la métaphysique et de la morale, et qui est tout à fait en dehors de leur sphère ne peut jamais les y conduire ; mais aussi ce n’est jamais un besoin pour elles. Il n’y a donc pas de progression continue ni d’approximation vers ces sciences, et pour ainsi dire un point ou une ligne de contact. La physique ne nous fera jamais connaître l’intérieur des choses, c’est-à-dire ce qui n’est pas un phénomène, mais qui peut cependant servir de principe suprême d’explication des phénomènes ; elle n’a besoin de cela non plus pour ses explications physiques ; et même si un pareil moyen lui était offert d’ailleurs (par exemple l’influence d’êtres immatériels), elle devrait le refuser et ne point l’introduire dans le cours de ses explications, qu’elle ne doit jamais fonder que sur ce qui peut appartenir à l’expérience comme objet des sens, et qui peut être enchaînée suivant des lois expérimentales avec nos perceptions réelles.

Mais la métaphysique nous conduit, dans les tentatives dialectiques de la raison pure (qui ne sont pas entreprises arbitrairement ou témérairement, mais auxquelles porte la nature même de la raison) à des limites, et les Idées transcendantales, par le fait même qu’on ne peut s’y tenir, et que néanmoins elles ne peuvent jamais être réalisées, servent non seulement à nous montrer les limites de l’usage pur de la raison, mais aussi la manière de les déterminer ; et tel est aussi le but et l’utilité de ces dispositions naturelles de notre raison, qui engendre la métaphysique, comme son enfant de prédilection. Cette procréation, comme toute autre dans le monde, n’est pas due au hasard, mais à un germe primitif, sagement organisé pour cette fin. Car la métaphysique est peut-être plus que toute autre science le fruit de la nature même en nous, dans ses traits essentiels, et ne peut être regardée comme le produit d’un choix arbitraire, ou comme la suite contingente du progrès des expériences (dont elle se sépare entièrement).

La raison, par toutes ses notions et par les lois de l’entendement, qui lui suffisent pour l’usage empirique, par conséquent dans la sphère du monde sensible, n’y trouve cependant aucune satisfaction ; car par des questions qui se reproduisent toujours à l’infini, tout espoir d’y répondre parfaitement lui est ravi. Les idées transcendantales, qui ont pour objet cette perfection, sont des problèmes rationnels de cette espèce. Or, on voit clairement que le monde sensible ne peut contenir cette intégration, pas plus que toutes ces notions qui ne servent qu’à le concevoir, celles d’espace, de temps, et tout ce que nous avons indiqué sous le nom de notions intellectuelles pures. Le monde sensible n’est qu’un enchaînement de phénomènes liés suivant des lois universelles. Il n’a donc pas d’existence en soi, et se rapporte par conséquent d’une manière nécessaire a ce qui contient le principe de ce phénomène, aux êtres qui ne peuvent être connus comme phénomènes, mais comme choses en soi. Dans leur connaissance la raison peut seulement espérer de voir son désir de l’intégralité dans le progrès du conditionné à ses conditions, une fois satisfait.

Nous avons fait voir précédemment (§ 34, 35) des bornes de la raison par rapport à toute connaissance de simples êtres de raison ; maintenant que les idées transcendantales nous ont rendu nécessaire le progrès jusque-là, et qu’elles ne nous ont pour ainsi dire conduit que jusqu’aux confins de l’espace plein (de l’expérience), avec l’espace vide (dont nous ne pouvons rien savoir, les noumènes) nous pouvons déterminer aussi les limites de la raison pure ; car dans toutes limites est aussi quelque chose de positif (par exemple une surface est la limite de l’espace corporel, tout en étant un espace ; une ligne est un espace qui est la limite de la surface ; un point est la limite de la ligne, mais toujours cependant un lieu dans l’espace), quand au contraire de simples bornes ne contiennent que de pures négations. Les bornes indiquées dans les paragraphes cités ne suffisent pas, après avoir trouvé qu’il y a encore en dehors d’elles quelque chose (quoique nous ne devions jamais connaître ce que c’est en soi). Car on se demande maintenant comment notre raison se comporte dans cette liaison de ce que nous connaissons avec ce que nous ne connaissons pas, et que nous ne connaîtrons jamais ? Il y a ici une véritable liaison du connu à quelque chose de parfaitement inconnu (qui le sera toujours), et si en cela l’inconnu ne devait non plus être connu le moins du monde — comme on ne peut l’espérer en réalité —, la notion de cette liaison doit cependant pouvoir être déterminée et élucidée.

Nous devons donc concevoir un être immatériel, un monde intelligible, et un être au-dessus de tous les êtres (purs noumènes), parce que la raison ne rencontre que là, comme en des choses en soi, l’intégration et la satisfaction qu’elle ne peut jamais espérer en dérivant les phénomènes de leurs principes homogènes, et parce que ces principes se rapportent réellement à quelque chose différent d’eux (par conséquent tout à fait hétérogène), puisque des phénomènes supposent toujours une chose en soi, et qui par conséquent est indiquée par là, qu’elle puisse ou non être connue plus intimement.

Mais comme nous ne pouvons jamais connaître ces êtres de raison pour ce qu’ils peuvent être en soi, c’est-à-dire déterminément, quoique nous puissions les admettre par rapport au monde sensible, et qu’ils y doivent être rattachés par la raison, nous pourrons du moins concevoir cette liaison à l’aide de notions qui expriment leur rapport au monde sensible. Car si nous ne concevons l’être de raison que par des notions intellectuelles pures, nous ne pensons par là rien de réellement déterminé, par conséquent notre notion n’a pas de sens. Mais si nous le concevons par des propriétés qui soient prises du monde sensible, ce n’est plus un être de raison, il est pensé comme un des phénomènes, et appartient au monde sensible. Prenons pour exemple la notion de l’être suprême.

La notion constitutive du déisme est une notion toute rationnelle, mais qui ne représente qu’une chose, celle qui contient toute réalité, sans pouvoir en déterminer une seule, parce qu’il faudrait pour cela prendre un exemple du monde sensible, auquel cas je n’aurais jamais affaire qu’à un objet des sens, mais point à quelque chose d’entièrement hétérogène, qui ne peut en aucune façon être un objet des sens. Lui attribuerais-je par exemple l’entendement ! Mais je n’ai d’autre notion d’un entendement que de celui qui ressemble au mien, c’est-à-dire auquel des sens doivent fournir des intuitions, et qui s’applique ainsi à les soumettre aux règles de l’unité de conscience. Mais alors les éléments de ma notion seraient toujours dans le phénomène ; je serais ainsi forcé par l’insuffisance des phénomènes, de m’élever plus haut, de m’adresser à la notion d’un être qui est indépendant des phénomènes, ou qui s’y trouve mêlé comme à des conditions de sa détermination. Mais si je sépare l’entendement de la sensibilité pour avoir un entendement pur, il ne reste plus que la simple forme de la pensée sans aucune intuition, forme qui ne peut me servir à connaître quoi que ce soit de déterminé, par conséquent aucun objet. Il faudrait à cette fin concevoir un autre entendement, qui perçût les objets dont je n’ai pas la moindre notion, parce que l’entendement humain est discursif, et ne peut connaître que par des notions universelles. Même résultat si j’attribue à l’être suprême une volonté, car je n’ai cette notion qu’à la condition de la tirer de mon expérience interne, qui a pour base ma dépendance quant à la satisfaction où je puis être des objets dont l’existence est pour nous un besoin, par conséquent une sensibilité ; ce qui répugne tout à fait à la notion pure de l’être suprême.

Les objections de Hume contre le déisme sont faibles, elles n’atteignent jamais que les arguments, et point du tout la proposition affirmative du Déisme. Mais par rapport au Théisme, qui doit être établi par une détermination plus précise de notre notion, purement transcendante ici, de l’être suprême, elles sont très fortes, et même irréfutables, dans certains cas (en fait, dans tous les cas ordinaires), suivant qu’on forme cette notion. Hume s’attache toujours à ce que, par la simple notion d’un être premier, auquel nous n’attribuons que des prédicats ontologiques (éternité, toute-présence, toute-puissance), nous ne pouvons réellement rien concevoir de déterminé, mais qu’il faut ajouter des propriétés qui peuvent donner la notion in concreto : il ne suffit pas de dire qu’il est une cause, il faut ajouter son mode de causalité, si c’est par entendement et par volonté. Et alors commencent les attaques contre la chose même, contre le Théisme, quand, auparavant, l’auteur n’avait renversé que les arguments du Déisme, ce qui n’était pas bien périlleux. Ses arguments dangereux se rapportent tous à l’anthropomorphisme, qu’il tient pour inséparable du Théisme, et qu’il met en contradiction avec lui-même. Mais si on l’abandonne, c’en est fait aussi du Théisme ; il ne reste plus qu’un Déisme dont on ne peut rien faire, qui nous est inutile, et qui ne peut servir de fondement à la religion ni à la morale. Si cette nécessité de l’anthropomorphisme était certaine, en vain les preuves de l’existence d’un être suprême, quelles qu’elles puissent être, seraient accordées, la notion de cet être ne pourrait cependant jamais être déterminée par nous, sans tomber dans une contradiction.

Si à la défense d’éviter tous les jugements transcendants de la raison pure, nous joignons le précepte en apparence contraire de s’élever jusqu’aux notions qui sont en dehors du champ de l’usage immanent (empirique), nous comprendrons que les deux choses sont compatibles, mais sur les limites de tout usage permis de la raison ; car ces limites appartiennent aussi bien au champ de l’expérience qu’à celui des êtres de raison, et nous apprendrons en même temps par là comment ces idées si remarquables ne servent qu’à la délimitation de la raison humaine, c’est-à-dire d’une part à étendre dans une certaine mesure la connaissance expérimentale, au point que nous n’ayons rien à connaître que le monde, d’autre part cependant à franchir les limites de l’expérience, et à vouloir juger des choses qu’elle ne contient pas, comme choses en soi.

Mais nous restons sur ces limites, si nous restreignons notre jugement au seul rapport que peut avoir le monde à un être dont la notion même est en dehors de toute connaissance dont nous sommes capables dans le monde. Car alors nous n’attribuons à l’être suprême aucune des propriétés en soi par lesquelles nous concevons des objets de l’expérience, et nous évitons par là l’anthropomorphisme dogmatique, mais nous les attribuons cependant à son rapport avec le monde, et nous nous permettons un anthropomorphisme symbolique, qui n’est, en fait, que dans le langage, et non dans l’objet.

Quand je dis que nous sommes forcés de considérer le monde comme s’il était l’œuvre d’une intelligence et d’une volonté suprême, je ne dis en réalité qu’une chose, c’est ce que le rapport qui existe entre une horloge, un navire, un régiment, et un horloger, un constructeur, un colonel, est le même qui existe entre le monde sensible (ou tout ce qui compose le fondement de cet ensemble de phénomènes) et l’inconnu que je ne connais par conséquent pas en lui-même, mais que je connais cependant par rapport à moi, par rapport au monde, dont je fais partie.

++++Explication

« Les limites (dans le cas des êtres étendus) supposent toujours un espace qui se trouve à l’extérieur d’un endroit déterminé, et qui enclot cet endroit ; les bornes n’exigent rien de tel : ce sont des négations affectant une grandeur pour autant qu’elle n’a pas une intégralité absolue. Or notre raison voit, si l’on peut dire, autour d’elle un espace pour la connaissance des choses en elles-mêmes, bien qu’elle ne puisse jamais en avoir de concepts déterminés et qu’elle soit restreinte aux phénomènes(14). »

Ainsi les « bornes » sont de simples négations, alors que les limites sont « quelque chose
de positif, qui appartient aussi bien à ce qui enclot qu’à l’espace situé à l’extérieur d’un ensemble donné(15) ». La limite, elle, marque la fin de quelque chose et le début d’autre chose. Il existe donc bien une limite qui sépare « l’espace vide » des noumènes, dont nous ne pouvons rien savoir, qui constitue le dehors absolu, et « l’espace plein » des phénomènes, réservé au sujet transcendantal.
Mais bien que cette limite qui s’étend entre ces deux espaces soit absolue parce qu’invariable d’un sujet à l’autre, elle n’en reste pas moins relative au sens où elle appartient tout autant aux deux espaces hétérogènes qu’elle sépare et met en contact. Par conséquent, la borne serait une simple séparation fixe alors que la limite serait un espace relationnel.
La distinction conceptuelle entre borne et limite permet à Kant de répondre aux tendances
sceptiques des « idéalistes empiriques » qui consisteraient à prendre les limites de la connaissance pour les bornes de la réalité. Selon Kant, l’idéaliste peut tomber dans ce qu’on pourrait appeler une illusion empirique qui conduit à douter de l’existence des choses en soi du fait que nous ne pouvons avoir une perception immédiate16. Autrement dit, l’illusion empirique idéaliste consiste à considérer qu’au-delà des formes de l’esprit, au-delà de la subjectivité, rien n’existerait ; que tout ne serait que pure phénoménalité, monde de représentations de l’esprit du sujet transcendantal. Or, avec le concept de limite comme point de contact entre deux choses, Kant légitime l’existence d’un dehors absolu et rend sa dignité à la métaphysique en tant que rapport de la raison avec le suprasensible. Ainsi il existe un usage de la raison avec les choses en soi qu’il faut déterminer.

13. Geoffrey Bennington (« De la fiction transcendantale », Passions de la littérature : avec Jacques Derrida, dir. Michel Lisse, Paris, Galilée, 1996) a fait voir que le sens de ces deux termes, et leur distinction, évoluent sensiblement entre la première édition de la Critique et la publication des Prolégomènes. Dans la première édition de la Critique, les bornes sont présentées comme contingentes et synthétiques alors que les limites sont considérées comme nécessaires et analytiques, de sorte que seules les premières seraient franchissables. L’analyse de Bennington vise à montrer que les limites sont tout aussi franchissables, mais seulement dans une certaine mesure. Nous reprenons une partie de ses commentaires, mais pour nous concentrer sur ce qu’est cette limite et ce que signifie son franchissement.
14 Kant, Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science (1783), trad. Louis Guillermit, Paris, Vrin, 1993, p. 164, je souligne.
15 Ibid., p. 177.
16 CRP, p. 376.

Lévinas, De l’existence à l’existant, Paris, Vrin
_Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, Paris, Livre de poche. Deux textes sur la finitude.
Assez exemplaire de ce que peuvent être des approches phénoménologiques des limites
entendues comme finitude.

Montaigne, Essais, Gallimard, éditions folio, 2009 (Naya-Reguig-Tarrête), Livre, I, chapitre 23 (« De la coutume et de ne changer aisément une loi reçue »), chap. 31 (« Des Cannibales ») Livre II, chap. 11 (« De la cruauté ») chap. 12 (« Apologie de Raymond Sebond »), Livre III, 6 (« Des coches »)

Pascal, Pensées (éd. Lafuma), frgts 149, 136, 131, 44, 427.

Jean Pic de la Mirandole, De la dignité de l’homme, éditions de l’éclat, 1993

Platon, Gorgias, 480/ 483b-484c / 491d-492d / 504e
 505d / 510b-511a.
_République, livre IX.
_Phédon, 89d sq

PHILEBE

    • Etude du Philèbe par Bernard Suzanne
    • La limite dans Philèbe de Platon Jacques Darriulat[violet]
      La vie de plaisir pur, pour laquelle se prononce le silence de Philèbe, appartient au genre de l’illimité. A l’idéal grec du juste milieu, ou de l’exacte mesure, Philèbe oppose donc l’idéal tout à fait oriental d’une jouissance illimitée (qui implique encore, il est vrai, l’hypothèse opposée d’une douleur illimitée, comme Socrate le lui fait remarquer aussitôt, 28a 1. Ce n’est donc pas de l’illimité que le plaisir doit sa perfection, puisque l’illimité est aussi bien la qualité de la souffrance). Dans l’Éthique à Nicomaque, Aristote cite en exemple Sardanapale, roi de Ninive, pour illustrer une vie de jouissance et de plaisir “bestial” (I, 3, 1095b 22) ; et dans l’Éthique à Eudème, il cite également Sardanapale et Smindyride le Sybarite (« l’homme le plus fastueux et le plus délicat » selon Hérodote VI, 127) en exemple de ceux « qui mènent une vie de jouissance et placent le bonheur dans le plaisir » (I, 5, 1216a 17). Cet idéal de pur plaisir, qu’Aristote dans l’Éthique à Eudème (I, 5, 1216a 1-10) compare à une vie passée à dormir, à la vie des plantes ou des enfants dans le sein de leur mère, est pour un grec un idéal barbare. Cependant, l’éthique “philèbienne” de l’illimité et de la démesure est peut-être présomptueuse : il se peut qu’il y ait un seuil dans le plaisir comme dans la douleur, et l’acceptation par Socrate de la thèse de Philèbe sera plus loin remise en question, quand sera examinée la limite entre sensation consciente et sensation inconsciente : « Qu’il te soit donc accordé que le plaisir est du nombre des illimités » (28a) concède donc momentanément Socrate. Il faut comprendre que le plaisir, comme la douleur, sont susceptibles de plus ou de moins, sans omettre toutefois la possibilité que cette variation s’effectue dans un intervalle fini (les paradoxes de Zénon).

Plotin, Ennéade I-1-7 ; I-1-9 / I-2-3 ; I-2-5 / I-6-6 ; I-6-9 / I-8-4 à I-8-13.
III-7 à 9.
_VI – 7 à 42. (VI-7-17 précise ce qu’est une limite constitutive. De VI-7-30 à la fin, on trouve
des analyses de la contemplation, de la vie purifiée, analyses utiles pour rendre compte de ce
que sont les limites de l’humain, au nombre desquelles on peut compter l’intelligence, le
plaisir ; l’âme… cad les actes les plus élevés de la vie humaine). Une pensée de la
transcendance. penser à l’extrême violence, cela permet de distinguer l’humain de l’individu ; voire de préciser en quel sens la liberté peut être dite humaine – idem pour la ratio

Plutarque, in Œuvres morales, « Que les bêtes usent de raison », « S’il est possible de manger chair » (Paris, POL, 1992), et Gryllos (Paris, Arléa, 2012)

Rousseau, Discours sur les origines et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, GF-Flammarion, 2008 (édition de B. Bachofen et B. Bernardi), partie I.

Hans Staden, Nus, féroces et anthropophages (1547), Paris, éditions Métailié, 2005

REFLECHIR la limite[/bleu]

  • [noir]La limite comme ligne, figure spatiale
  • limite et clôture : la limite de la propriété privée (Rousseau Second Discours IIe p)[/noir]
  • Limite et dérive
    PIGEAUD, Jackie.La limite dans la pensée épicurienne In : La limite : XVIes Entretiens de La Garenne Lemot [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2012 (généré le 07 juin 2022). ISBN : 9782753557499. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.56503.
  • DAVIET-TAYLOR, Françoise. De l’animalité et de l’humanité : perspectives philogéniques et philosophiques In : Bestiaires : Mélanges en l’honneur d’Arlette Bouloumié – Cahier XXXVI [en ligne]. Angers : Presses universitaires de Rennes, 2014 (généré le 14 juillet 2022). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pur/21716> . ISBN : 9782753547841. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.21716.
  • LIMITE ET COMMENSURABILITE- MESURE

DELHOMME, Jeanne.Les limites de la raison. Autour de la question In : Savoir, faire, espérer : Les limites de la raison

++++à lire

Limite est une détermination quantitative qui évoque la borne, le mur, l’interdit, une détermination qualitative dont les harmoniques sont l’impuissance, la précarité, la mort, un terme dans lequel se reconnaît et s’identifie un pouvoir de juger capable de se juger lui-même : un tableau trouve ses limites dans la grandeur de la toile, la fragilité de la matière, la prise en charge par le peintre de l’une et de l’autre ; l’être-fini éprouve les siennes dans la spatialité de son expérience et la temporalité de son existence, la raison s’avoue vaincue par l’Un et le Tout.
Quantitativement cependant, la clarté et la simplicité de la notion ne s’avèrent pas si évidents qu’on puisse les représenter dans l’intuition : la figure tracée au crayon sur une feuille de papier est un contour de perception où se discernent mal l’intérieur et l’extérieur car la même couleur, enveloppée et enveloppante, estompe le trait ; qualitativement, n’est-ce pas avec l’enserrement et le resserrement qu’apparaissent l’achevé et l’identique ? rationnellement, n’est-ce pas dans la clôture que la forme prend forme ? Comme le souligne Platon dans Philèbe, la mesure corrige l’illimité du plus et du moins, apporte ordre et proportion à l’indéfini, inscrit précises relations dans l’indéterminé et prépare la conversion du vrai plaisir en plaisir du vrai ; aussi Heidegger écrit-il : « Borne et limite ne sont pas équivalents. On pense généralement que la limite est l’endroit où quelque chose cesse. Mais pour les Grecs la limite avait nettement le caractère d’un rassemblement, non celui d’une séparation. La limite était ce à partir de quoi, ce en quoi une chose commence, éclôt, comme ce qu’elle est. Celui à qui ce sens du mot limite demeure étranger ne pourra jamais voir dans leur présence un temple grec, une statue grecque, un vase grec ». (Le principe de raison, Paris, Gallimard, 1962, p. 167-168.)
Déterminations quantitatives, qualitatives, réflexives ne sont donc pas exclusives les unes des autres, elles se compénètrent et s’inversent à ce point que, différentes de sens selon la fonction, elles ont le même selon l’appartenance et, réciproquement, différentes selon l’appartenance, elles se rejoignent dans la fonction car, s’il est impossible de cerner sans exclure et d’exclure sans cerner, il l’est aussi de ne pas tenir compte d’une commune adaptation ; appliquées à la raison dans leur complémentarité, ces particularités, rassemblant le contour, le contenu et l’idée, indiquent qu’elle n’a pas plus de chemin à suivre que d’obligation de revenir sur ses pas, pas plus d’expérience d’une frontière infranchissable que le sentiment de ne pas avoir de mouvement pour aller plus loin ; cette imagerie, qui n’a jamais été kantienne, outre qu’elle a pour conséquence la négation de la philosophie, laisse dans l’ombre la possibilité pour l’entendement, enfermé ou non dans ses limites, de s’éduquer par la critique et de se contenir en lui-même pour penser les idées et l’idéal qui dessinent le domaine de toute métaphysique.
« Limite » est donc de significations multiples et équivoques auxquelles s’ajoute la compréhension du peu d’incidence d’une telle notion sur le génitif qui l’accompagne : elle n’accroît pas plus qu’elle ne diminue, elle n’altère pas plus qu’elle ne modifie tel concept ou telle réalité s’il s’agit de tel concept ou de telle réalité : toute détermination est négation mais toute négation est détermination ; limite de..., quel que soit le terme accompagnateur, n’entame pas l’intégrité de celui-ci et les limites de la raison, de quelque manière qu’on les entende, n’abolissent ni le pouvoir ni l’exercice de la « faculté » qui continue d’entreprendre et de réussir car, si elle approche d’un obstacle, elle s’en détourne ou elle cherche ailleurs ; la témérité et la confiance du savant et du philosophe sont assez grandes, assez garanties, pour qu’ils ne s’embarrassent pas d’un statut préalable ou d’une réserve purement logiques.

LIMITE NEGATION-EXCES

suppose une nature double.
Idée d’une nature dédoublée par l’union de l’âme et du corps.

 Cette expérience de l’humain est une expérience de soi, mais à quel titre ? Comme esprit, comme sujet, comme liberté ?
Exemples
 La perversion, la pléonéxia, la méchanceté radicale ; l’abus, l’outrage.
 La vulnérabilité. Le mépris. La dégradation. La haine. Dimension morale et sociale.

 L’extension de l’humain et la pluralité de ses formes : jusqu’où va-t-elle ? Extension qui rend
le concept non-pertinent

Valéry, « Le cimetière marin » (1920), dans Charmes.
Ramuz, La Grande Peur dans la montagne (1926). - Parcours sur Ramuz cndp Paris
Huxley, Le Meilleur des mondes (1932).
Watsuji, Fûdo, le milieu humain (1935).
Saint-Exupéry, Terre des hommes (1939).
Ponge, Le Parti pris des choses (1942).
Site consacré à Francis Ponge ENS Lyon
Barjavel, Ravage (1943). Cassirer, Essai sur l’homme (1944).
Adorno et Horkheimer, Dialectique de la raison (1944).
Borges, Fictions (1944). - Jorge Luis Borges(1899-1986) La bibliothèque e(s)t le labyrinthe par Michel Petroff
Bibliothèque publique et universitaire Ville de Genève
Département des affaires culturelles
Leopold, Almanach d’un comté des sables (1949).
Orwell, 1984 (1949).
Vercors, Les Animaux dénaturés (1952).
Heidegger, La Question de la technique (1954), dans Essais et conférences.
Lévi-Strauss, Tristes tropiques (1955).
Arendt, Condition de l’homme moderne (1958).
Simondon, Du mode d’existence des objets techniques (1958).
Duras, Hiroshima mon amour (1960).
Asimov, Les Robots (1967).
Barjavel, La Nuit des temps (1968).
Dick, Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (1968).
Levinas, Humanisme de l’autre homme (1972).
Jonas, Le Principe Responsabilité (1979).
Maldiney, Penser l’homme et la folie (1991).
Koltès, Quai Ouest (1985).
Bonnefoy, Les Planches courbes (1988).
Murdoch, Le Chevalier vert (1993).
Serres, Petite Poucette (2012).

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