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DESCARTES

Lettre à Mersenne 27 mai 1630 connaître et comprendre

Au P. Mersenne, 27 mai 1630
Vous me demandez in quo genere causae Deus disposuit aeternas veritates (19). Je vous réponds que c’est in eodem genere causae(20) qu’il a créé toutes choses, c’est-à-dire ut ef iciens et totalis causa(21). Car il est certain qu’il est aussi bien auteur de l’essence comme de l’existence des créatures : or cette essence n’est autre chose que ces vérités éternelles, lesquelles je ne conçois point émaner de Dieu, comme les rayons du soleil ; mais je sais que Dieu est auteur de toutes choses, et que ces vérités sont quelque chose, et par conséquent qu’il en est auteur. Je dis que je le sais, et non pas que je le conçois ni que je le comprends ; car on peut savoir que Dieu est infini et tout-puissant, encore que notre âme étant finie ne le puisse comprendre ni concevoir ; de même que nous pouvons bien toucher avec les mains une montagne, mais non pas l’embrasser comme nous ferions un arbre, ou quelque autre chose que ce soit, qui n’excédât point la grandeur de nos bras : car comprendre, c’est embrasser de la pensée ; mais pour savoir une chose, il suffit de la toucher de la pensée. Vous demandez aussi qui a nécessité Dieu à créer ces vérités ; et je dis qu’il a été aussi libre de faire qu’il ne fût pas vrai que toutes les lignes tirées du centre à la circonférence fussent égales, comme de ne pas créer le monde. Et il est certain que ces vérités ne sont pas plus nécessairement conjointes à son essence que les autres créatures. Vous demandez ce que Dieu a fait pour les produire. Je dis que ex hoc ipso quod illas ab aeterno esse voluerit et intellexerit, illas creavit(22), ou bien (si vous n’attribuez le mot de creavit qu’à l’existence des choses)illas disposuit et fecit(23). Car c’est en Dieu une même chose de vouloir, d’entendre, et de créer, sans que l’un précède l’autre, ne quidemratione(24) .Pour la question an Dei bonitati sit conveniens tontines in aeternum damnare(25), cela est de théologie : c’est pourquoi absolument vous me permettrez, s’il vous plaît, de n’en rien dire ; non pas que les raisons des libertins en ceci aient quelque force, car elles me semblent frivoles et ridicules ; mais parce que je tiens que c’est faire tort aux vérités qui dépendent de la foi, et qui ne peuvent être prouvées par démonstration naturelle, que de les vouloir affermir par des raisons humaines, et probables seulement.
[←19]« Par quel genre de causalité Dieu a formé les vérités éternelles »
[←20]« Par le même genre de causalité ».
[—21]« Comme cause efficiente et totale »
[—22]« Par le fait même qu’il les a de toute éternité voulues et comprises, il les a créées. »
[—23]« Il les a formées et faites ».
[—24]« Pas même dans l’ordre théorique ».
[—25]« S’il convient à la bonté de Dieu de damner les hommes pour l’éternité"