La philosophie dans l’académie de CRETEIL
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L’IMAGE / DU SYMBOLE A LA REPRESENTATION
DOSSIER DE TEXTES

La place de l’enluminure dans les manuscrits carolingiens est indissociable de la question des images qui déchirait la chrétienté au 8e siècle. Alors que Rome recourt aux images pour magnifier la Création et la Parole divine, Byzance dénonce l’idolâtrie et récuse officiellement les images. Ce qu’on appelle l’iconoclasme des Byzantins s’érige face à l’iconophilie du pape. Le concile de Nicée tranchera finalement la question en faveur du pape. Entre le refus des images et leur adoration, l’Église franque adopte une position médiane, qui affirme le rôle pédagogique des images.

Ce traité sur les images a été commandé par Charlemagne au théologien Théodulfe d’Orléans pour prendre parti contre le rétablissement de l’adoration des images à Byzance prôné par le pape Hadrien Ier lors du second concile de Nicée (787). Son auteur y expose les vertus pédagogiques des images, qui sont destinées à instruire les fidèles et à fixer en eux la mémoire de l’histoire sainte, mais ne sauraient en aucun cas faire l’objet d’idolâtrie.
source : https://essentiels.bnf.fr/fr/image/7efa9bbf-6867-4d37-8b8f-d8ece0aa6d41-traite-sur-images-dit-libri-carolini

Lettres du pape Grégoire le Grand à l’évêque Sérénus de Marseille (599-600)
On nous a rapporté qu’enflammé d’un zèle inconsidéré, tu avais brisé les images des saints, sous prétexte qu’on ne devait pas les adorer. Et certes, que tu aies interdit qu’elles fussent adorées, nous l’avons tout à fait approuvé, mais que tu les aies brisées, nous le blâmons [...]. Une chose est en effet d’adorer une peinture, une autre d’apprendre par une “histoire” peinte ce qu’il faut adorer. Car ce que l’écrit procure aux gens qui lisent, la peinture les fournit aux incultes qui la regardent : parce que les ignorants y voient ce qu’ils doivent imiter, ceux qui ne savent pas lire y lisent ; c’est pourquoi, surtout chez les païens, la peinture tient lieu de lecture. Tu aurais dû y faire attention, toi qui habite au milieu des païens, de peur d’engendrer le scandale dans ces esprits sauvages, par cette flambée d’un zèle honnête, mais imprudent. Il n’aurait donc pas fallu briser ce qui a été placé dans les églises non pour y être adoré mais seulement pour instruire les esprits des ignorants. Et puisqu’un usage a permis, non sans raison, de peindre les histoires des saints dans des lieux vénérables, sans aucun doute, si tu avais agrémenté ton zèle de discrétion, tu aurais pu obtenir sainement ce que tu désirais et, au lieu de disperser le troupeau rassemblé, tu aurais rassemblé le troupeau dispersé [...].
Il te faut en effet convoquer les fils dispersé de l’Eglise et leur démontrer à l’aide de témoignages scripturaires qu’il n’est permis d’adorer aucune œuvre de main d’homme. [...] Ensuite, tu ajouteras que, voyant devenir des objets d’adoration les images peintes qui avaient été faites pour édifier un peuple sans savoir afin que ceux qui ne savent pas lire, en voyant l’image narrative, apprennent ce qui a été dit, tu as été secoué d’une émotion qui t’a fait ordonner de briser ces images. Puis tu leur diras : « si vous voulez avoir dans l’église des images pour des fins d’enseignement pour lesquelles elles ont été faites anciennement, je permets qu’on en fasse et qu’on en possède sous toutes leurs formes ». Et fais-leur remarquer que ce n’est pas la vision d’une histoire qui se déployait selon le témoignage de la peinture, qui t’avait déplu, mais cette adoration, qui avaient été adressées aux peintures d’une manière inconvenante. Et par ces paroles, en apaisant leurs esprits, rappelle-les à la concorde avec toi. Enfin, si quelqu’un veut faire des images, garde-toi de le lui défendre ; mais évite de toutes les manières qu’on adore les images. Mais que ta fraternité les avertisse avec sollicitude pour qu’à la vision de l’histoire ils ressentent l’ardeur de la componction et qu’ils se prosternent humblement dans l’adoration de la seule Trinité.
Source : Grégoire le Grand, Registrum epistolarum, XI, 10 ; trad. D. Menozzi, Les images, l’Eglise et les arts visuels, Paris, 1991.
1. Pourquoi le pape Grégoire le Grand s’adresse-t-il à l’évêque de Marseille ?
2. Que reproche le pape à Serenus ?
3. D’après Grégoire le Grand, quelles sont les trois fonctions des images sacrées ?
4. Existe-t-il des chrétiens qui pratiquent l’adoration des images pieuses ? Que pouvez-vous en déduire ?


Vénération des icônes : distinguer de l’adoration qui est la porte ouverte à l’idolatrie

Textes de Jean Damascène : http://www.kerit.be/pdf/3024512-Oeuvres-de-St-Jean-Damascene.pdf

Le coeur de l’argumentation de Jean Damascène se fonde sur un concept-clé de la religion chrétienne, qui est celui de l’Incarnation. Considérons ce passage :

Comment faire l’icône de l’invisible, dessiner ce qui n’a ni quantité, ni mesure, ni limite, ni forme ? Comment peindre l’incorporel ? Comment figurer le sans-figure ? Que nous est-il ainsi rappelé mystiquement ? C’est ceci : tant que Dieu est invisible, n’en fais pas l’icône, mais dès lors que tu vois l’incorporel devenu homme, fais l’image de la forme humaine ; lorsque l’invisible devient visible dans la chair, peins la ressemblance de l’invisible. Lorsque ce qui n’a ni quantité, ni mesure, ni taille par l’éminence de sa nature, lorsque celui qui étant en forme de Dieu prend la forme d’un esclave et par cette réduction assume la quantité, la mesure et les caractères du corps, dessine alors sur ton panneau et propose à la contemplation celui qui a accepté d’être vu.

[8]

Au début de ce passage, Jean Damascène attaque de front le problème essentiel des iconoclastes :
celui de la possibilité même d’une image de l’Invisible, qui semble être de prime abord un paradoxe. Notre auteur entend résoudre ce paradoxe non pas par la voie du raisonnement mais en s’appuyant sur un fait, ou du moins sur ce qui apparaît comme un fait pour la foi chrétienne, bien qu’un fait mystérieux, à savoir l’incarnation de Jésus. Il nous semble que l’Incarnation ne sert pas ici uniquement de légitimation pour l’icône mais aussi et peut-être même surtout de modèle d’intelligibilité pour l’icône comme image de l’invisible. En effet, puisque l’Incorporel, c’est-à-dire l’Invisible, celui qui n’a ni corps ni forme ni quantité ni qualité, et qui donc par conséquent ne peut être représenté et rendu visible par aucune image, s’est incarné en un corps, en se réduisant à des propriétés matérielles telles que la quantité et la qualité, l’on peut concevoir la possibilité de l’icône comme image de l’invisible, puisqu’elle ne fait en quelque sorte que répéter l’incarnation originaire de Jésus[9]. C’est pourquoi aussi Jean Damascène écrit :

Si c’est l’icône du Dieu invisible que nous faisions, nous serions dans l’erreur […] mais nous n’avons fait rien de tel et il n’y a pour nous point de chute à faire l’image du Dieu qui s’est incarné, s’est montré dans la chair sur la terre, s’est mêlé aux hommes dans son ineffable bonté et assumé de la chair la nature, la densité, la forme et les couleurs.
Ce qui fonde ainsi la légitimité et la possibilité de l’icône est donc le fait qu’elle représente, comme Jean Damascène l’affirme ici, un Dieu incarné. Une ambiguïté surgit cependant dans ce texte : notre auteur affirme en effet que no us ne faisons pas une image du Dieu invisible, ce qui veut dire supprimer par avance le fondement même des arguments des iconoclastes. Pourtant, dans le premier extrait de Jean Damascène que nous venons de considérer, l’incarnation de Dieu n’ôte pas le problème d’une image de l’invisible mais y répond justement, puisque l’image de l’invisible se conçoit à partir de l’Incarnation. Ainsi, il nous semble que dans la pensée de Jean Damascène, l’icône dans son rapport à l’invisible a un statut ambigu, dans la mesure où, à travers l’Incarnation, le rapport de l’icône à l’invisible semble être tantôt possible, tantôt écarté et remplacé par le rapport à l’être incarné en tant que tel. Si Jean Damascène reste ambigu sur ce point, c’est sans doute non sans relation avec le danger de l’idôlatrie à l’égard des icônes, très présent à son époque, et qui fut justement pointé du doigt par les iconoclastes. En effet, l’icône ne saurait se substituer à la présence divine car elle reste avant tout une image. C’est pourquoi les défenseurs des icônes ont pris bien soin de nuancer le rapport aux icônes, qui ne saurait être un rapport d’adoration, mais un rapport de vénération

Ce qui fonde ainsi la légitimité et la possibilité de l’icône est donc le fait qu’elle représente, comme Jean Damascène l’affirme ici, un Dieu incarné. Une ambiguïté surgit cependant dans ce texte : notre auteur affirme en effet que nous ne faisons pas une image du Dieu invisible, ce qui veut dire supprimer par avance le fondement même des arguments des iconoclastes. Pourtant, dans le premier extrait de Jean Damascène que nous venons de considérer, l’incarnation de Dieu n’ôte pas le problème d’une image de l’invisible mais y répond justement, puisque l’image de l’invisible se conçoit à partir de l’Incarnation[11]. Ainsi, il nous semble que dans la pensée de Jean Damascène, l’icône dans son rapport à l’invisible a un statut ambigu, dans la mesure où, à travers l’Incarnation, le rapport de l’icône à l’invisible semble être tantôt possible, tantôt écarté et remplacé par le rapport à l’être incarné en tant que tel.
Si Jean Damascène reste ambigu sur ce point, c’est sans doute non sans relation avec le danger de l’idôlatrie à l’égard des icônes, très présent à son époque, et qui fut justement pointé du doigt par les iconoclastes. En effet, l’icône ne saurait se substituer à la présence divine car elle reste avant tout une image. C’est pourquoi les défenseurs des icônes ont pris bien soin de nuancer le
rapport aux icônes, qui ne saurait être un rapport d’adoration, mais un rapport de vénération,
comme nous pouvons le lire dans ce fragment de la déclaration finale du deuxième concile de Nicée, ayant eu lieu en 787, et qui fut reprise plus tard par l’Église afin de bien délimiter le sens des icônes :
En effet, plus on regardera fréquemment ces representations imagées, plus ceux qui les
contempleront seront amenés à se souvenir des modèles originaux, à se porter vers eux, à leur
témoigner, en les baisant, une vénération (« proskunesis », adoratio) respectueuse, sans que ce soit une adoration (« latreia », latria) véritable selon notre foi, adoration qui ne convient qu’à Dieu seul. […] l’honneur rendu à une image remonte au modèle original. Quiconque vénère une image, vénère en elle la réalité qui y est représentée.
L’on voit à partir de ce texte que la distinction entre l’adoration et la vénération à l’égard des icônes réside dans le fait que l’on reste conscient à travers la vénération que l’icône reste une image et que son sens ultime réside dans son rapport à ce qu’elle représente, à savoir Dieu et son fils considérés ici comme les modèles originaux de l’icône, appelés aussi prototypes. Ainsi, étant profondément non originaire, l’icône est conçue ici sur le mode du souvenir, bien que nous n’ayons jamais vu Dieu de façon visible. L’on voit donc que l’icône n’est pas un souvenir au premier sens du terme, mais au sens où elle sert à rappeler aux croyants la présence divine.
Toutefois, l’on ne conçoit pas encore pleinement en quoi une icône se distingue d’une simple
peinture
, dans la mesure où une peinture peut aussi représenter l’être divin, les thèmes religieux et jouer aussi un rôle important pour la vie chrétienne. Ainsi, Grégoire de Nysse, en décrivant dans son émouvant Éloge les images relatant la vie du martyre Théodore, que l’on trouve sur son tombeau, décrit l’image religieuse comme un « grand livre » qui est source d’enseignement pour le fidèle. Ici, l’image religieuse est conçue comme un enseignement, comme une langue qui nous enseigne les thèmes religieux. Si une icône peut aussi, en sa qualité d’image, être un enseignement, qu’est-ce qui fait pourtant qu’elle occupe une place unique au sein des images religieuses ? Afin de mieux cerner cette question, nous proposons qu’on la considère d’un autre point de vue : du point de vue de celui qui contemple l’icône, puisqu’il s’agit bien d’un rapport de contemplation, comme l’affirme déjà Saint Jean Damascène mais aussi le concile de Nicée II dans les fragments que nous avons lus. Que veut donc dire contempler une icône ? Tout d’abord, force est de constater que l’icône n’est pas uniquement un objet que l’on regarde et que l’on contemple passivement, du moins pour les croyants. L’icône est aussi, et peut-être même avant tout, un objet devant lequel l’on prie, comme si elle était déjà remplie d’une présence divine. Cela montre que l’icône est perçue d’une certaine façon par les croyants comme une ouverture, comme une fenêtre qui nous fait entrevoir l’invisible. L’icône n’est donc pas perçue comme une simple représentation, mais plutôt comme un tremplin vers quelque chose d’irreprésentable, que les Pères de l’Église appellent aussi en grec aleptos, c’est-à-dire incompréhensible, insaisissable.


Concile Quinisexte (in trullo) (692)
Ce concile fut le premier qui aborde le problème de l’art sacré et des images religieuses ; dans les canons consacrés à ce sujet sont exprimés les principes fondamentaux de l’icône sacrée ; ainsi ils revêtent une grande importance pour comprendre ce qu’est une icône sacrée.

Le concile Quinisexte ou deuxième concile In Trullo

Ce concile se déroula en septembre 692 dans la salle In Trullo du palais impérial à Constantinople. Pour cette raison il est appelé parfois second concile In Trullo, le premier étant le troisième concile de Constantinople (6ème concile oecuménique) en 681. On lui a aussi donné le nom de Quinisexte, parce qu’il devait être le complément des cinquième et sixième conciles oecuméniques, qui furent seulement des conciles dogmatiques. Le concile In Trullo est avant tout un concile disciplinaire. Pour cette raison, il est regardé comme une simple continuation du sixième concile par les Orientaux.

Les Latins face au concile Quinisexte

Les latins n’ont jamais reconnu le caractère oecuménique de ce concile, et le pape Saint Serge 1er (687 - 701) refusa de ratifier les canons, d’autant plus que certains de ces canons touchent de très près à l’hérésie (can. 13, 30, 36, 55), car ils mettent Constantinople sur le même pied que Rome. Plus tard, Jean VIII (872 - 882) proposa un arrangement en acceptant tous les canons qui n’étaient pas en opposition avec la foi orthodoxe, avec les bonnes moeurs et les décrets de Rome.

Canon 82 :

Sur quelques peintures on trouve l’agneau montré par le doigt du Précurseur ; cet agneau a été placé là comme type de la grâce, faisant voir d’avance pour nous, à travers la loi, l’Agneau véritable, le Christ notre Dieu. Honorant assurément les figures et les ombres en tant que symboles de la vérité et ébauches données en vue de l’Eglise, nous préférons la grâce et la vérité, en recevant cette vérité comme l’accomplissement de la loi. Nous décidons donc que désormais cet accomplissement soit marqué aux regards de tous dans les peintures, que soit donc érigé à la place de l’agneau antique, sur les icônes, selon son aspect humain, celui qui a ôté le péché du monde, le Christ notre Dieu. Par cela nous comprenons l’élévation de l’humilité de Dieu le Verbe, et nous sommes conduits à nous remémorer son habitation dans la chair, sa passion, sa mort salvatrice et, par là même, la délivrance qui en a résulté pour le monde.

Canon 100 :

"Que le regard des yeux soit droit. Garde ton coeur attentivement (Pr 4, 25), la Sagesse le prescrit. Car aisément les sensations corporelles s’introduisent dans l’âme. Nous prescrivons donc que les peinture trompeuses exposées aux regards et qui corrompent l’intelligence en excitant des plaisirs honteux - que ce soient des tableaux ou tout autres choses analogues - ne soient représentées d’aucune façon et si quelqu’un entreprend d’en faire, qu’il soit excommunié."