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L’orateur selon Cicéron

Bibliographie

 Thomas Guard, Université de Franche-Comté ISTA EA 4011
« Cicéron : l’orateur, l’histoire et l’identité romaine », Cahiers des études anciennes [En ligne], XLVI | 2009, mis en ligne le 13 mars 2010, consulté le 02 décembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/etudesanciennes/180
 David Jean-Michel.Maiorum exempla sequi : l’exemplum historique dans les discours judiciaires de Cicéron.
In : Mélanges de l’Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes, tome 92, n°1. 1980. pp. 67-86 ;
doi : https://doi.org/10.3406/mefr.1980.2538
 Dans ses dernières années, la République romaine connaît une grave « crise de la culture » : pratiques, savoirs et valeurs traditionnels, tout ce qui constitue le mos se perd et s’oublie. Il y va du fondement même de l’ordre politique et social, de la norme de la cité, bien plus de son authenticité. Contre le désordre et l’ignorance, Cicéron en appelle à la Raison : celle-ci permettra à la fois d’élaborer une méthode logique universelle, de définir un programme cohérent d’éducation politique et, avant tout, de repenser les notions de tradition et d’autorité ; la liberté de juger est en effet l’indispensable préalable et l’esprit critique s’appliquera au savoir autant qu’aux formes du pouvoir politique.
La démarche de Cicéron n’est pas isolée : réformes politiques et administratives, encyclopédies, compilations techniques et historiques, réflexion philosophique, tout indique le même besoin de maîtriser le monde, de contrôler les connaissances, les conquêtes et les ressources, d’organiser le savoir, la cité, le passé.
Chez Cicéron cette démarche critique conduit à un renforcement du mos : la fête de la Raison s’achève par une véritable « codification de la tradition aristocratique ».

Moatti Claude. Tradition et Raison chez Cicéron : l’émergence de la rationalité politique à la fin de la République romaine. In :
Mélanges de l’École française de Rome. Antiquité, tome 100, n°1. 1988. pp. 385-430 ;
doi : https://doi.org/10.3406/mefr.1988.1597
https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5102_1988_num_100_1_1597

Questions

Pourquoi l’éloquence peut-elle être considérée comme la continuation de la guerre en temps de paix ?
 Comment comprendre une telle attitude humaine ?
 Expliquer comment le discours contribue à policer la violence naturelle des hommes ?
 Expliquer le sens social et politique de l’éloquence.

IV. Et qu’on ne dise pas que les autres arts ont été plus généralement cultivés, ou qu’ils présentent une étude plus agréable, des espérances plus brillantes, de plus magnifiques récompenses ; car sans parler de la Grèce, qui a toujours prétendu à la palme de l’éloquence ; ni d’Athènes, ce berceau de tous les arts, où l’art de la parole prit naissance, et fut porté à sa perfection : dans notre république même, quelle autre étude fut jamais cultivée avec plus d’empressement ? Lorsque Rome eut achevé la conquête du monde et qu’une longue paix eut assuré du loisir aux esprits, tous les jeunes gens qui se sentaient quelque amour pour la gloire tournèrent leurs vues et leurs efforts du côté de l’éloquence. D’abord, ils ne connurent ni règle, ni méthode ; et n’imaginant pas même que l’art de la parole pût avoir des lois, et fût soumis à des principes, ils allèrent jusqu’où ils pouvaient atteindre par le génie et la réflexion. Mais plus tard, lorsqu’ils eurent entendu les orateurs grecs, lorsqu’ils eurent admiré les modèles, et qu’ils se furent formés aux leçons des rhéteurs, les Romains se portèrent à l’étude de l’éloquence avec une incroyable ardeur. Sans cesse animés par l’importance, la variété, la multitude des causes, ils voulaient joindre aux lumières qu’ils puisaient dans leurs études des leçons plus précieuses que tous les préceptes, celles que donne une pratique journalière. Alors, comme aujourd’hui, l’émulation de l’orateur avait en perspective les plus puissants encouragements, le crédit, la fortune, les honneurs. Mille preuves aussi nous attestent que du côté du génie la nature a partagé plus avantageusement notre nation que tous les autres peuples du monde. Qui ne s’étonnera donc devoir que, dans tous les siècles et chez tous les peuples, le nombre des orateurs a toujours été, si restreint ? C’est que l’éloquence, en effet, est quelque chose de plus grand qu’on ne pense, et qu’elle demande une immense réunion d’études et de talents.

Pourquoi l’éloquence n’appartient qu’à peu d’hommes ?


 Quelles sont les qualités nécessaires pour être un bon orateur ?
 Quel rapport y-a-t-il avec le théâtre ?
 Même si cela ne s’apprend pas, il faut des maîtres non "vulgaires". Expliquer.

V. Si donc, malgré la multitude de beaux génies qui s’y sont livrés, malgré l’habileté des maîtres, la variété infinie des causes, et la grandeur des récompenses, un si petit nombre d’hommes s’y sont distingués, n’en cherchons pas la raison ailleurs que dans l’incroyable difficulté de l’art lui-même. L’éloquence exige une foule de connaissances variées, sans quoi il ne reste plus qu’une vaine et futile abondance de mots. Il faut, dans la composition du discours, choisir soigneusement les termes, et en étudier l’arrangement ; il faut connaître à fond toutes les passions que la nature a mises dans le coeur de l’homme, puisque tout l’effet du discours consiste à émouvoir ou à calmer les âmes ; il faut joindre à ces qualités les grâces, l’enjouement, l’élégance d’un homme bien né, la rapidité et la précision dans la réplique ou dans l’attaque, unies à la délicatesse et à l’urbanité. L’orateur doit encore avoir une connaissance approfondie de l’antiquité, afin de s’appuyer au besoin de l’autorité des exemples ; et il ne doit pas négliger l’étude des lois et du droit civil. Parlerai-je de l’action, qui comprend les attitudes, le geste, l’expression des traits, les inflexions si variées de la voix ? Cette seule partie renferme elle-même d’extrêmes difficultés, et l’art frivole du comédien peut nous en donner une idée. Les acteurs passent leur vie à former leur voix, à composer leurs traits et leurs gestes ; et cependant combien il en est peu qui nous paraissent supportables ! Que dirai-je de la mémoire, ce trésor de toutes nos connaissances ? Si elle ne conserve les conceptions de la pensée, si elle ne recueille fidèlement et les idées et les mots, les talents les plus précieux seront perdus pour l’orateur. Cessons donc de nous étonner qu’il y ait si peu d’hommes éloquents, puisque l’éloquence se compose d’une réunion de qualités dont chacune exige les plus pénibles efforts. Exhortons plutôt nos enfants, et ceux dont la gloire et les succès nous sont chers, à bien se pénétrer de la grandeur de ce bel art ; engageons-les à ne pas se contenter de méthodes, d’exercices et de maîtres vulgaires, et à se persuader qu’il leur faut d’autres secours pour atteindre le but où ils aspirent.

Pourquoi l’éloquence ne se limite qu’à quelques champs ?

VI. A mon sens, on ne saurait devenir un orateur parfait, si l’on ne possède tout ce que l’esprit humain a conçu de grand et d’élevé. Cet ensemble de connaissances positives peut seul soutenir et alimenter le discours, qui, s’il n’est appuyé sur des notions précises et solides, ne sera plus qu’un vain et frivole étalage de mots. Ce n’est pas que je veuille trop exiger des orateurs, de ceux de Rome surtout, au milieu de tant d’occupations publiques et de devoirs privés, ni leur imposer la nécessité, de ne rien ignorer, bien que le nom qu’ils portent, et l’art de la parole dont ils font profession, semblent annoncer l’engagement de parler avec agrément et abondance sur tous les sujets qui leur seront proposés. Mais outre que le plus grand nombre trouverait, sans doute, une pareille obligation trop pesante, nous voyons que les Grecs eux-mêmes, si riches non seulement en génie et en savoir, mais encore en studieux loisirs, ont établi les divisions et reconnu les genres. Un seul homme chez eux ne les embrassait pas tous, et dans le partage qu’ils ont fait du domaine de l’éloquence, ils ont réservé à l’orateur les plaidoiries, les causes judiciaires et les harangues délibératives. Je me renfermerai donc dans ces limites, que des esprits éminents ont posées de concert, après un examen sévère et réfléchi ; mais je n’irai pas chercher, dans l’enseignement scolastique dont on occupait notre enfance, une suite de préceptes méthodiques : j’exposerai les principes que discutèrent un jour des orateurs romains, illustres par leur éloquence, par l’élévation de leur rang et la dignité de leur caractère. Je ne dédaigne point, sans doute, ce qu’ont laissé sur ce sujet les rhéteurs grecs ; mais leurs ouvrages sont dans toutes les mains, et en présentant moi-même leurs préceptes, je n’oserais me flatter de leur donner plus d’élégance ou de clarté. Vous me permettrez donc, mon cher Quintus, de préférer à l’autorité des Grecs celle d’orateurs à qui les suffrages de nos concitoyens ont assigné le premier rang dans l’art de bien dire.