La philosophie dans l’académie de CRETEIL
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Sujets BAC La Nature

anneeserielieuauteur
1996ESANTILLESLa liberté individuelle peut et même doit être accordée à tous par la communauté publique. Elle ne met en péril ni la paix intérieure, ni le droit dont dispose la souveraine Puissance ; au contraire, elle ne saurait être supprimée sans mettre en péril la paix intérieure et nuire considérablement à la communauté entière. Pour démontrer ma thèse, je pars du droit de nature en l’individu. Ce droit de nature ne connaît d’autre limite que le désir et la puissance de chacun ; nul, suivant le droit de nature, n’est obligé vivre comme il plaît à un autre, mais chacun assure, en personne, la garantie de sa liberté. Je montre ensuite que nul n’aliène effectivement ce droit, à moins de transférer à un autre sa puissance de se défendre. Par conséquent, une personne à qui tous les autres hommes auraient transféré, en même temps que leur puissance de se défendre, leur droit de vivre à leur gré, détiendrait absolument le droit de nature de tous. Autrement dit, les personnes, disposant de l’autorité souveraine en leurs pays respectifs, jouissent du droit d’accomplir tout ce qui est en leur pouvoir. Elles seules, désormais, sont responsables de l’exercice du droit, comme de la liberté de qui que ce soit, et leur vouloir règle la conduite de tous les particuliers. Néanmoins, nul ne pouvant renoncer au pouvoir de se défendre au point qu’il cesse d’être un homme, j’en déduis que nul ne saurait perdre la totalité de son droit de nature.SPINOZA
1996SANTILLESOn a beau vouloir confondre l’indépendance et la liberté, ces deux choses sont si différentes que même elles s’excluent mutuellement. Quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d’autres, et cela ne s’appelle pas un État libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui ; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre. Quiconque est maître ne peut être libre, et régner c’est obéir. (...)Dans la liberté commune nul n’a le droit de faire ce que la liberté d’un autre lui interdit, et la vraie liberté n’est jamais destructive d’elle-même. Ainsi la liberté sans la justice est une véritable contradiction ; car comme qu’on s’y prenne tout gêne dans l’exécution d’une volonté désordonnée.Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est au-dessus des lois : dans l’état même de nature l’homme n’est libre qu’à la faveur de la loi naturelle qui commande à tous. Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres, il obéit aux lois, mais n’obéit pas aux hommes.ROUSSEAU
1996TECHN.ANTILLESQu’est-ce que le droit ? C’est l’égalité. Dès qu’un contrat enferme quelque inégalité, vous soupçonnez aussitôt que ce contrat viole le droit...Le droit règne là où le petit enfant qui tient son sou dans sa main et regarde avidement les objets étalés, se trouve l’égal de la plus rusée ménagère.On voit bien ici comment l’état de droit s’opposera au libre jeu de la force. Si nous laissons agir les puissances, l’enfant sera certainement trompé ; même si on ne lui prend pas son sou par force brutale, on lui fera croire sans peine qu’il doit échanger un vieux sou contre un centime neuf (1). C’est contre l’inégalité que le droit a été inventé. Et les lois justes sont celles qui s’ingénient à faire que (2) les hommes, les femmes, les enfants, les malades, les ignorants soient tous égaux. Ceux qui disent, contre le droit, que l’inégalité est dans la nature des choses, disent donc des pauvretés.ALAIN
(1) un sou valait 5 centimes(2) "s’ingénient à faire que" : cherchent à obtenir que
QUESTIONS :
1° Quelle est l’idée principale du texte ? Dégagez les étapes de l’argumentation.2° Définissez ce qu’Alain entend par "état de droit".3° Traitez la question suivante sous la forme d’un développement argumenté : Pensez-vous comme l’auteur que la recherche de l’égalité soit à l’origine du droit ?
1996LANTILLESL’amour de l’humanité nous est-il naturel ?
1996SÉTRANGER GROUPE 1Ce ne sont pas les excitations de sa nature qui éveillent en l’homme les passions, ces mouvements désignés par un mot si juste et qui causent de si grands ravages dans ses dispositions primitivement bonnes. Il n’a que de petits besoins, et les soucis qu’ils lui procurent laissent son humeur calme et modérée. Il n’est pauvre (ou ne se croit tel) qu’autant qu’il a peur que les autres hommes puissent le croire pauvre et le mépriser pour cela. L’envie, l’ambition, l’avarice, et les inclinations haineuses qui les suivent, assaillent sa nature, en elle-même modérée, dès qu’il vit au milieu des hommes, et il n’est même pas besoin de supposer ces hommes déjà enfoncés dans le mal, lui donnant de mauvais exemples ; il suffit qu’ils soient là, qu’ils l’entourent dans leurs dispositions morales et qu’ils se rendent mutuellement mauvais.KANT
1996TECHN.ÉTRANGER GROUPE 1C’est la faiblesse de l’homme qui le rend sociable, ce sont nos misères communes qui portent nos coeurs à l’humanité : nous ne lui devrions rien si nous n’étions pas hommes. Tout attachement est un signe d’insuffisance : si chacun de nous n’avait nul besoin des autres, il ne songerait guère à s’unir à eux. Ainsi de notre infirmité même naît notre frêle bonheur. Un être vraiment heureux est un être solitaire. (...).Il suit de là que nous nous attachons à nos semblables moins par le sentiment de leurs plaisirs que par celui de leurs peines ; car nous y voyons bien mieux l’identité de notre nature et les garants de leur attachement pour nous. Si nos besoins communs nous unissent par intérêt, nos misères communes nous unissent par affection. (...).L’imagination nous met à la place du misérable plutôt qu’à celle de l’homme heureux, on sent que l’un de ces états nous touche de plus près que l’autre. La pitié est douce, parce qu’en se mettant à la place de celui qui souffre, on sent pourtant le plaisir de ne pas souffrir comme lui.ROUSSEAU

QUESTIONS :
1° Expliquez quelles sont, pour Rousseau, les causes qui unissent les hommes.2° Expliquez les expressions :a) "Tout attachement est un signe d’insuffisance" ;b) "nos misères communes nous unissent par affection".3° Dans une discussion argumentée et progressive, vous vous demanderez si l’on peut trouver d’autres causes que la faiblesse des hommes à la nécessité de leur union.
1996SÉTRANGER GROUPE 1Quant aux divers sons du langage, c’est la nature qui poussa les hommes à les émettre, et c’est le besoin qui fit naître les noms des choses : à peu près comme nous voyons l’enfant amené, par son incapacité même de s’exprimer avec la langue, à recourir au geste qui lui fait désigner du doigt les objets présents. Chaque être en effet a le sentiment de l’usage qu’il peut faire de ses facultés (...). Ainsi penser qu’alors un homme ait pu donner à chaque chose son nom, et que les autres aient appris de lui les premiers éléments du langage, est vraiment folie. Si celui-ci a pu désigner chaque objet par son nom, émettre les divers sons du langage, pourquoi supposer que d’autres n’auraient pu le faire en même temps que lui ? En outre, si les autres n’avaient pas également usé entre eux la parole, d’où la notion de son utilité lui est-elle venue ? (...).. Enfin qu’y a-t-il de si étrange que le genre humain en possession de la voix et de la langue ait désigné suivant ses impressions diverses les objets par des noms divers ? Les troupeaux privés de la parole et même les espèces sauvages poussent bien des cris différents suivants que la crainte, la douleur ou la joie les pénètrent.LUCRÈCE
1996TECHN.ÉTRANGER GROUPE 1Respecter la nature, est-ce renoncer à la travailler ?
1996ESGROUPEMENTS I-IVChacun a pu remarquer, au sujet des opinions communes, que chacun les subit et que personne ne les forme. Un citoyen, même avisé et énergique quand il n’a à conduire que son propre destin, en vient naturellement et par espèce de sagesse à rechercher quelle est l’opinion dominante au sujet des affaires publiques. "Car se dit-il, comme je n’ai ni la prétention ni le pouvoir de gouverner à moi tout seul, il faut que je m’attende à être conduit ; à faire ce qu’on fera, à penser ce qu’on pensera". Remarquez que tous raisonnent de même, et de bonne foi. Chacun a bien peut-être une opinion ; mais c’est à peine s’il se la formule à lui-même ; il rougit à la seule pensée qu’il pourrait être de son avis.Le voilà donc qui honnêtement écoute les orateurs, lit les journaux, enfin se met à la recherche de cet être fantastique que l’on appelle l’opinion publique. "La question n’est pas de savoir si je veux ou non faire la guerre". Il interroge donc le pays. Et tous les citoyens interrogent le pays, au lieu de s’interroger eux-mêmes.Les gouvernants font de même, et tout aussi naïvement. Car, sentant qu’ils ne peuvent rien tout seuls, ils veulent savoir où ce grand corps va les mener. Et il est vrai que ce grand corps regarde à son tour vers le gouvernement, afin de savoir ce qu’il faut penser et vouloir. Par ce jeu, il n’est point de folle conception qui ne puisse quelque jour s’imposer à tous, sans que personne pourtant l’ait jamais formée de lui-même et par libre réflexion. Bref, les pensées mènent tout, et personne ne pense. D’où il résulte qu’un État formé d’hommes raisonnables peut penser et agir comme un fou. Et ce mal vient originairement de ce que personne n’ose former son opinion par lui-même ni la maintenir énergiquement, en lui d’abord, et devant les autres aussi.ALAIN
1996ESGROUPEMENTS I-IVDe tous les arguments qui nous persuadent que les bêtes sont dénuées de pensées, le principal, à mon avis, est que bien que les unes soient plus parfaites que les autres dans une même espèce, tout de même que chez les hommes, comme on peut voir chez les chevaux et chez les chiens, dont les uns apprennent beaucoup plus aisément que d’autres ce qu’on leur enseigne ; et bien que toutes nous signifient très facilement leurs impulsions naturelles, telles que la colère, la crainte, la faim, ou autres états semblables, par la voix ou par d’autres mouvements du corps, jamais cependant jusqu’à ce jour on n’a pu observer qu’aucun animal en soit venu à ce point de perfection d’user d’un véritable langage c’est-à-dire d’exprimer soit par la voix, soit par les gestes quelque chose qui puisse se rapporter à la seule pensée et non à l’impulsion naturelle. Ce langage est en effet le seul signe certain d’une pensée latente dans le corps ; tous les hommes en usent, même ceux qui sont stupides ou privés d’esprit, ceux auxquels manquent la langue et les organes de la voix, mais aucune bête ne peut en user ; c’est pourquoi il est permis de prendre le langage pour la vraie différence entre les hommes et les bêtes. DESCARTES
1996SGROUPEMENTS I-IVEn fait, le royaume de la liberté commence seulement là où l’on cesse de travailler par nécessité et opportunité imposée de l’extérieur, il se situe donc, par nature, au-delà de la sphère de production matérielle proprement dite. De même que l’homme primitif doit lutter contre la nature pour pourvoir à ses besoins, se maintenir en vie et se reproduire, l’homme civilisé est forcé, lui aussi, de le faire et de le faire quels que soient la structure de la société et le mode de la production. Avec son développement s’étend également le domaine de la nécessité naturelle, parce que les besoins augmentent ; mais en même temps s’élargissent les forces productives pour les satisfaire. En ce domaine, la seule liberté possible est que l’homme social, les producteurs associés règlent rationnellement leurs échanges avec la nature, qu’ils contrôlent ensemble au lieu d’être dominés par sa puissance aveugle et qu’ils accomplissent ces échanges en dépensant le minimum de force et dans les conditions les plus dignes, les plus conformes à leur nature humaine. C’est au-delà que commence le développement des forces humaines comme fin en soi, le véritable royaume de la liberté qui ne peut s’épanouir qu’en fondant sur l’autre royaume, sur l’autre base, celle de la nécessité. MARX
1996TECHN.GROUPEMENTS I-IVL’homme est-il raisonnable par nature ?
1996TECHN.GROUPEMENTS I-IVJ’aime la liberté, rien n’est plus naturel ; je suis né libre, il est permis à chacun d’aimer le gouvernement de son pays et si nous laissons les sujets des Rois dire avec tant de bêtise et d’impertinence du mal des Républiques, pourquoi ne nous laisseraient-ils pas dire avec tant de justice et de raison du mal de la royauté ? Je hais la servitude comme la source de tous les maux du genre humain. Les tyrans et leurs flatteurs crient sans cesse : peuples, portez vos fers sans murmure car le premier des biens est le repos ; ils mentent, c’est la liberté. Dans l’esclavage, il n’y a ni paix ni vertu. Quiconque a d’autres maitres que les lois est un méchant. ROUSSEAU

QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée essentielle du texte en soulignant les raisons de l’indignation de Rousseau.2° Expliquer la phrase suivante : "Je hais la servitude comme la source de tous les maux du genre humain".3° Traitez la question suivante sous la forme d’un développement argumenté : En quoi la loi est-elle bon maître ?
1996ESGROUPEMENTS II-IIIL’homme est libre : sans quoi conseils, exhortations, préceptes, interdictions, récompenses et châtiments seraient vains. Pour mettre en évidence cette liberté, on doit remarquer que certains êtres agissent sans discernement, comme la pierre qui tombe, et il en est ainsi de tous les êtres privés du pouvoir de connaître. D’autres, comme les animaux, agissent par un discernement, mais qui n’est pas libre. En voyant le loup, la brebis juge bon de fuir, mais par un discernement naturel et non libre, car ce discernement est l’expression d’un instinct naturel (...). Il en va de même pour tout discernement chez les animaux.Mais l’homme agit par jugement, car c’est par le pouvoir de connaître qu’il estime devoir fuir ou poursuivre une chose. Et comme un tel jugement n’est pas l’effet d’un instinct naturel, mais un acte qui procède de la raison, l’homme agit par un jugement libre qui le rend capable de diversifier son action. THOMAS D’AQUIN
1996LGROUPEMENTS II-IIISupposez qu’un homme, pourtant doué des plus puissantes facultés de réflexion, soit soudain transporté dans ce monde, il observerait immédiatement, certes, une continuelle succession d’objets, un événement en suivant un autre ; mais il serait incapable de découvrir autre chose. Il serait d’abord incapable, par aucun raisonnement, d’atteindre l’idée de cause et d’effet, car les pouvoirs particuliers qui accomplissent toutes les opérations naturelles n’apparaissent jamais aux sens ; et il n’est pas raisonnable de conclure, uniquement parce qu’un événement en précède un autre dans un seul cas, que l’un est la cause et l’autre l’effet. Leur conjonction peut être arbitraire et accidentelle. Il n’y a pas de raison d’inférer l’existence de l’un de l’apparition de l’autre. En un mot, un tel homme, sans plus d’expérience, ne ferait jamais de conjecture ni de raisonnement sur aucune question de fait ; il ne serait certain de rien d’autre que de ce qui est immédiatement présent à sa mémoire et à ses sens. HUME
1996LGROUPEMENTS II-IIIOn a l’habitude de dire que l’oisiveté est la mère de tous les maux. On recommande le travail pour empêcher le mal. Mais aussi bien la cause redoutée que le moyen recommandé vous convaincront facilement que toute cette réflexion est d’origine plébéienne (1). L’oisiveté, en tant qu’oisiveté, n’est nullement la mère de tous les maux, au contraire, c’est une vie vraiment divine lorsqu’elle ne s’accompagne pas d’ennui. Elle peut faire, il est vrai, qu’on perde sa fortune, etc., toutefois, une nature patricienne (2) ne craint pas ces choses, mais bien de s’ennuyer. Les dieux de l’Olympe ne s’ennuyaient pas, ils vivaient heureux en une oisiveté heureuse. Une beauté féminine qui ne coud pas, ne file pas, ne repasse pas, ne lit pas et ne fait pas de musique est heureuse dans son oisiveté ; car elle ne s’ennuie pas. L’oisiveté donc, loin d’être la mère du mal, est plutôt le vrai bien. L’ennui est la mère de tous les vices, c’est lui qui doit être tenu à l’écart. L’oisiveté n’est pas le mal et on peut dire que quiconque ne le sent pas prouve, par cela même, qu’il ne s’est pas élevé jusqu’aux humanités. Il existe une activité intarissable qui exclut l’homme du monde spirituel et le met au rang des animaux qui, instinctivement, doivent toujours être en mouvement. Il y a des gens qui possèdent le don extraordinaire de transformer tout en affaire, dont toute la vie est affaire, qui tombent amoureux et se marient, écoutent une facétie et admirent un tour d’adresse, et tout avec le même zèle affairé qu’ils portent à leur travail de bureau.KIERKEGAARD
(1) Populaire(2) Aristocratique
1996SGROUPEMENTS II-IIILes coupables qui se disent forcés au crime sont aussi menteurs que méchants : comment ne voient-ils point que la faiblesse dont ils se plaignent est leur propre ouvrage, que leur première dépravation vient de leur volonté, qu’à force de vouloir céder à leurs tentations, ils leur cèdent enfin malgré eux et les rendent irrésistibles ? Sans doute il ne dépend plus d’eux de n’être pas méchants et faibles, mais il dépendit d’eux de ne le pas devenir. O que nous resterions aisément maîtres de nous et de nos passions, même durant cette vie, si, lorsque nos habitudes ne sont point encore acquises, lorsque notre esprit commence à s’ouvrir, nous savions l’occuper des objets qu’il doit connaître pour apprécier ceux qu’il ne connaît pas ; si nous voulions sincèrement nous éclairer, non pour briller aux yeux des autres, mais pour être bons et sages selon la nature, pour nous rendre heureux en pratiquant nos devoirs ! Cette étude nous paraît ennuyeuse et pénible, parce que nous n’y songeons que déjà corrompus par le vice, déjà livrés à nos passions. Nous fixons nos jugements et notre estime avant de connaître le bien et le mal, et puis, rapportant tout à cette fausse mesure, nous ne donnons à rien sa juste valeur.ROUSSEAU
1996SINDEUn homme peut travailler avec autant d’art qu’il le veut à se représenter une action contraire à la loi qu’il se souvient avoir commise, comme une erreur faite sans intention, comme une simple imprévoyance qu’on ne peut jamais entièrement éviter, par conséquent comme quelque chose où il a été entraîné par le torrent de la nécessité naturelle, et à se déclarer ainsi innocent, il trouve cependant que l’avocat qui parle en sa faveur ne peut réduire au silence l’accusateur qui est en lui s’il a conscience qu’au temps où il commettait l’injustice, il était dans son bon sens, c’est -à-dire qu’il avait l’usage de sa liberté. Quoiqu’il s’explique sa faute par quelque mauvaise habitude, qu’il a insensiblement contractée en négligeant de faire attention à lui-même et qui est arrivée à un tel degré de développement qu’il peut considérer la première comme une conséquence naturelle de cette habitude, il ne peut jamais néanmoins ainsi se mettre en sûreté cotre le blâme intérieur et le reproche qu’il se fait à lui-même. C’est là-dessus aussi que se fonde le repentir qui se produit à l’égard d’une action accomplie depuis longtemps, chaque fois que nous nous en souvenons.KANT
1996TECHN.INDELe plus pressant intérêt du chef, de même que son devoir le plus indispensable, est (...) de veiller à l’observation des lois dont il est le ministre (1), et sur lesquelles est fondée toute son autorité. S’il doit les faire observer aux autres, à plus forte raison doit-il les observer lui-même, (lui) qui jouit de toute leur faveur. Car son exemple est de telle force que, quand même le peuple voudrait bien souffrir (2) qu’il s’affranchît du joug de la loi, il devrait se garder de profiter d’une si dangereuse prérogative, que d’autres s’efforceraient bientôt d’usurper à leur tour, et souvent à son préjudice. Au fond, comme tous les engagements de la société sont réciproques par leur nature, il n’est pas possible de se mettre au-dessus de la loi sans renoncer à ses avantages, et personne ne doit rien à quiconque prétend ne rien devoir à personne.ROUSSEAU
(1) "ministre" : (ici, au sens ancien du terme) serviteur.(2) "souffrir" : accepter, supporter.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice et les étapes de l’argumentation de ce texte.2° Expliquez :a) "S’il doit les faire observer aux autres, à plus forte raison doit -il les observer lui- même" ;b) "les engagements de la société sont réciproques par nature"..3° Est-ce seulement par intérêt que le chef doit obéir à la loi ?
1996ESJAPONL’homme est-il libre par nature ?
1996LJAPONConcevoir qu’un fait est la raison d’un autre fait, qu’une vérité procède d’une autre vérité, ce n’est autre chose que saisir des liens de dépendance et de subordination, c’est-à-dire saisir un ordre entre des objets divers, et cette dépendance ne nous frappe, n’est aperçue par nous, que parce que nous avons la faculté de comparer et de préférer un arrangement à une autre, comme plus simple, plus régulier et par conséquent plus parfait ; en d’autres termes, parce que nous avons l’idée de ce qui constitue la perfection de l’ordre, et parce qu’il est de l’essence de notre nature raisonnable de croire que la nature a mis de l’ordre dans les choses, et de nous croire d’autant plus près de la véritable explication des choses, que l’ordre dans lequel nous sommes parvenus à les ranger nous semble mieux satisfaire aux conditions de simplicité, d’unité et d’harmonie qui, selon notre raison, constituent la perfection de l’ordre.COURNOT
1996LLA RÉUNIONIl est donc bien certain que la pitié est un sentiment naturel, qui, modérant dans chaque individu l’amour de soi même, concourt à la conservation mutuelle de toute l’espèce. C’est elle qui nous porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir, c’est elle qui, dans l’état de nature, tient lieu de lois, de moeurs et de vertu, avec cet avantage que nul n’est tenté de désobéir à sa douce voix : c’est elle qui détournera tout sauvage robuste d’enlever à un faible enfant ou à un vieillard infirme sa subsistance acquise avec peine, si lui-même espère pouvoir trouver la sienne ailleurs : c’est elle qui, au lieu de cette maxime sublime de justice raisonnée, Fais à autrui comme tu veux qu’on te fasse, inspire à tous les hommes cette autre maxime de bonté naturelle, bien moins parfaite, mais plus utile peut être que la précédente : Fais ton bien avec le moindre mal d’autrui qu’il est possible. C’est en un mot, dans ce sentiment naturel, plutôt que dans des arguments subtils, qu’il faut chercher la cause de la répugnance que tout homme éprouverait à mal faire, même indépendamment des maximes de l’éducation. Quoiqu’il puisse appartenir à Socrate et aux esprits de sa trempe d’acquérir de la vertu par raison, il y a longtemps que le genre humain ne serait plus si sa conservation n’eût dépendu que des raisonnements de ceux qui le composent.ROUSSEAU
1996TECHN.LA RÉUNIONLa culture est-elle la négation de la nature, ou son accomplissement ?
1996TECHN.MÉTROPOLE + LA RÉUNIONPourquoi l’homme transforme-t-il la nature ?
1996TECHN.MÉTROPOLE + LA RÉUNIONL’être le plus intelligent est celui qui est capable de bien utiliser le plus grand nombre d’outils : or, la main semble bien être non pas un outil, mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres. C’est donc à l’être capable d’acquérir le plus grand nombre de techniques que la nature a donné l’outil de loin le plus utile, la main.Aussi, ceux qui disent que l’homme n’est pas bien constitué et qu’il est le moins bien partagé (1) des animaux (parce que, dit-on, il est sans chaussures, il est nu et n’a pas d’armes pour combattre) sont dans l’erreur. Car les autres animaux n’ont chacun qu’un seul moyen de défense et il ne leur est pas possible de le changer pour un autre. L’homme, au contraire, possède de nombreux moyens de défense, et il lui est toujours loisible (2) d’en changer et même d’avoir l’arme qu’il veut et quand il veut. Car la main devient griffe, serre, corne, ou lance ou épée ou toute autre arme ou outil. Elle peut être tout cela, parce qu’elle est capable de tout saisir et tout tenir.ARISTOTE
(1) "le moins bien partagé" : le moins bien pourvu(2) "il lui est toujours loisible" : il a toujours la possibilité de
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et les principales étapes de l’argumentation.2° Expliquez : "la main semble bien être non pas un outil mais plusieurs".3° Traitez la question suivante sous forme de développement argumenté : la supériorité de l’homme consiste-t-elle dans sa capacité d’acquérir le plus grand nombre de techniques ?
1996ESMÉTROPOLE + LA RÉUNIONQuand les enfants commencent à parler, ils pleurent moins. Ce progrès est naturel : un langage est substitué à l’autre. Sitôt qu’ils peuvent dire qu’ils souffrent avec des paroles, pourquoi le diraient-ils avec des cris, si ce n’est quand la douleur est trop vive pour que la parole puisse l’exprimer ? S’ils continuent alors à pleurer, c’est la faute des gens qui sont autour d’eux. Dès qu’une fois Emile* aura dit : J’ai mal, il faudra des douleurs biens vives pour le forcer de pleurer.Un autre progrès rend aux enfants la plainte moins nécessaire : c’est celui de leurs forces. Pouvant plus par eux-mêmes, ils ont un besoin moins fréquent de recourir à autrui. Avec leur force se développe la connaissance qui les met en état de la diriger. C’est à ce second degré que commence proprement la vie de l’individu ; c’est alors qu’il prend la conscience de lui-même.ROUSSEAU
1996ESNOUVELLE-CALÉDONIEL’état de nature, cette guerre de tous contre tous, a pour conséquence que rien ne peut être injuste. Les notions de droit et de tort, de justice et d’injustice n’ont dans cette situation aucune place. Là où il n’y a pas de pouvoir commun il n’y a pas de loi ; là où il n’y a pas de loi, il n’y a pas d’injustice : force et ruse sont à la guerre les vertus cardinales. Justice et injustice n’appartiennent pas à la liste des facultés naturelles de l’esprit ou du corps ; car dans ce cas elles pourraient se trouver chez un homme qui serait seul au monde (au même titre que ses sens ou ses passions). En réalité la justice et l’injustice sont des qualités qui se rapportent aux hommes en société, non à l’homme solitaire. La même situation de guerre a aussi pour conséquence qu’il n’y existe ni propriété (...) ni distinction du mien et du tien, mais seulement qu’à chacun appartient ce qu’il peut s’approprier et juste aussi longtemps qu’il est capable de le garder.HOBBES
1996SNOUVELLE-CALÉDONIEQuels que soient les immenses services rendus à l’industrie par les théories scientifiques, quoique (...) la puissance soit nécessairement proportionnée à la connaissance, nous ne devons pas oublier que les sciences ont, avant tout, une destination plus directe et plus élevée, celle de satisfaire au besoin fondamental qu’éprouve notre intelligence de connaître les lois des phénomènes. Pour sentir combien ce besoin est profond et impérieux, il suffit de penser un instant aux effets physiologiques de l’étonnement, et de considérer que la sensation la plus terrible que nous puissions éprouver est celle qui se produit toutes les fois qu’un phénomène nous semble s’accomplir contradictoirement aux lois naturelles qui nous sont familières. Ce besoin de disposer les faits dans un ordre que nous puissions concevoir (ce qui est l’objet propre de toutes les théories scientifiques) est tellement inhérent à notre organisation (1) que, si nous ne parvenions pas à la satisfaire par des conceptions positives, nous retournerions inévitablement aux explications théologiques et métaphysiques auxquelles il a primitivement donné naissance.COMTE
(1) synonyme ici de "nature"
1996LPOLYNÉSIEJe pensai que les sciences des livres, au moins celles dont les raisons ne sont que probables, et qui n’ont aucune démonstration, s’étant composées et grossies peu à peu des opinions de plusieurs diverses personnes, ne sont point si approchantes de la vérité que les simples raisonnements que peut faire naturellement un homme de bon sens touchant les choses qui se présentent. Et ainsi je pensai que, pour ce que nous avons tous été enfants avant que d’être hommes, et qu’il nous a fallu longtemps être gouvernés par nos appétits et nos précepteurs, qui étaient souvent contraires les uns aux autres, et qui, ni les uns ni les autres, ne nous conseillaient peut-être pas toujours le meilleur, il est presque impossible que nos jugements soient si purs ni si solides qu’ils auraient été si nous avions eu l’usage entier de notre raison dès le point de notre naissance, et que nous n’eussions jamais été conduits que par elle.DESCARTES
1996SPOLYNÉSIEParmi tous les arts et toutes nos facultés, vous n’en trouverez aucun qui soit capable de se prendre soi-même pour objet d’étude, aucun, par conséquent, qui soit apte à porter sur soi un jugement d’approbation ou de désapprobation. La grammaire, jusqu’où s’étend sa capacité spéculative ? Jusqu’à distinguer les lettres. Et la musique ? Jusqu’à distinguer la mélodie. L’une ou l’autre se prend-elle pour objet d’étude ? Nullement. Mais si tu écris à un ami, le fait que tu dois choisir ces lettres-ci, la grammaire te le dira. Quant à savoir s’il faut oui ou non écrire à cet ami, la grammaire ne te le dira pas. Ainsi pour les mélodies, la musique. Mais faut-il chanter maintenant ou jouer de la lyre, ou ne faut-il ni chanter ni jouer de la lyre, la musique ne te le dira pas. Qui donc le dira ? La faculté qui se prend elle-même aussi bien que tout le reste comme objet d’étude. Quelle est-elle ? La Raison. Seule, en effet, de celles que nous avons reçues, elle est capable d’avoir conscience d’elle-même, de sa nature, de son pouvoir, de la valeur qu’elle apporte en venant en nous, et d’avoir conscience également des autres facultés.ÉPICTÈTE
1996TECHN.POLYNÉSIEL’homme ne peut devenir homme que par l’éducation. Il n’est que ce que l’éducation fait de lui. Il faut remarquer que l’homme n’est éduqué que par des hommes et par des hommes qui ont également été éduqués. C’est pourquoi le manque de discipline et d’instruction (que l’on remarque) chez quelques hommes fait de ceux-ci de mauvais éducateurs pour leurs élèves. Si seulement un être d’une nature supérieure se chargeait de notre éducation, on verrait alors ce que l’on peut faire de l’homme. Mais comme l’éducation d’une part ne fait qu’apprendre certaines choses aux hommes et d’autre part ne fait que développer en eux certaines qualités, il est impossible de savoir jusqu’où vont les dispositions naturelles de l’homme. Si du moins avec l’appui des grands de ce monde et en réunissant les forces de beaucoup d’hommes on faisait une expérience, cela nous donnerait déjà beaucoup de lumières pour savoir jusqu’où il est possible que l’homme s’avance.KANT

QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation.2° Expliquez :a) "l’homme ne peut devenir homme que par l’éducation" ;b) "il est impossible de savoir jusqu’où vont les dispositions naturelles".3° L’homme n’est-il que ce que d’autres hommes ont fait de lui ?
1996TECHN.SPORTIFS HAUT NIVEAUÀ quoi vise l’art, sinon à nous montrer, dans la nature et dans l’esprit, hors de nous et en nous, des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ? Le poète et le romancier qui expriment un état d’âme ne le créent certes pas de toutes pièces, ils ne seraient pas compris de nous si nous n’observions pas en nous, jusqu’à un certain point, ce qu’ils nous disent d’autrui. Au fur et à mesure qu’ils nous parlent, des nuances d’émotions et de pensée nous apparaissent qui pouvaient être représentées en nous depuis longtemps, mais qui demeuraient invisibles : telle l’image photographique qui n’a pas encore été plongée dans le bain où elle se révélera. Le poète est ce révélateur. Mais nulle part la fonction de l’artiste ne se montre aussi clairement que dans celui des arts qui fait la plus large place à l’imitation, je veux dire la peinture. Les grands peintres sont des hommes auxquels remonte une certaine vision des choses qui est devenue ou qui deviendra la vision de tous les hommes.BERGSON

QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice du texte et les étapes de son argumentation.a) Analysez la comparaison qu’établit Bergson entre le rôle du "bain" dans lequel l’image photographique est "plongée" et le rôle de "révélateur" du poète ;b) expliquez : "une certaine vision des choses qui est devenue ou qui deviendra la vision de tous les hommes".3° Créer ou imiter : l’artiste doit-il choisir ?
1997ESÉTRANGER GROUPE 1C’est une erreur de distinguer les passions en permises et défendues, pour se livrer aux premières et se refuser aux autres. Toutes sont bonnes quand on en reste le maître ; toutes sont mauvaises quand on s’y laisse assujettir. Ce qui nous est défendu par la nature, c’est d’étendre nos attachements plus loin que nos forces : ce qui nous est défendu par la raison, c’est de vouloir ce que nous ne pouvons obtenir, ce qui nous est défendu par la conscience n’est pas d’être tentés, mais de nous laisser vaincre aux tentations. Il ne dépend pas de nous d’avoir ou de n’avoir pas de passions, mais il dépend de nous de régner sur elles. Tous sentiments que nous dominons sont légitimes ; tous ceux qui nous dominent sont criminels. Un homme n’est pas coupable d’aimer la femme d’autrui, s’il tient cette passion malheureuse asservie à la loi du devoir ; il est coupable d’aimer sa propre femme au point d’immoler tout à son amour.ROUSSEAU
1997ESÉTRANGER GROUPE 1Pufendorf (1) dit que, tout de même qu’on transfère son bien à autrui par des conventions et des contrats, on peut aussi se dépouiller de sa liberté en faveur de quelqu’un. C’est là, ce me semble, un fort mauvais raisonnement. Car, premièrement, le bien que j’aliène (2) me devient une chose tout à fait étrangère, et dont l’abus m’est indifférent ; mais il importe qu’on n’abuse point de ma liberté, et je ne puis, sans me rendre coupable du mal qu’on me forcera de faire, m’exposer à devenir l’instrument du crime. De plus, le droit de propriété n’étant que de convention et d’institution humaine, tout homme peut à son gré disposer de ce qu’il possède. Mais il n’en est pas de même des dons essentiels de la nature, tels que la vie et la liberté, dont il est permis à chacun de jouir, et dont il est moins douteux qu’on ait droit de se dépouiller : en s’ôtant l’un on dégrade son être, en s’ôtant l’autre on l’anéantit autant qu’il est en soi (3) ; et, comme nul bien temporel (4) ne peut dédommager de l’une et de l’autre, ce serait offenser à la fois la nature et la raison que d’y renoncer, à quelque prix que ce fût.ROUSSEAU
(1) Pufendorf : théoricien du droit(2) aliéner : au sens juridique, donner ou vendre (du latin alienus : qui appartient à un autre, étranger)(3) autant qu’il en soit : entièrement(4) temporel : qui appartient au domaine des choses matérielles (par opposition à ce qui est spirituel)
1997SÉTRANGER GROUPE 1La géométrie est très utile pour rendre l’esprit attentif aux choses dont on veut découvrir les rapports ; mais il faut avouer qu’elle nous est quelquefois occasion d’erreur, parce que nous nous occupons si fort des démonstrations évidentes et agréables que cette science nous fournit, que nous ne considérons pas assez la nature (...).On suppose, par exemple, que les planètes décrivent par leurs mouvements des cercles et des ellipses parfaitement régulières ; ce qui n’est point vrai. On fait bien de le supposer, afin de raisonner, et aussi parce qu’il s’en faut peu que cela ne soit vrai, mais on doit toujours se souvenir que le principe sur lequel on raisonne est une supposition. De même, dans les mécaniques on suppose que les roues et les leviers sont parfaitement durs et semblables à des lignes et à des cercles mathématiques sans pesanteur et sans frottement (...).Il ne faut donc pas s’étonner si on se trompe, puisque l’on veut raisonner sur des principes qui ne sont point exactement connus ; et il ne faut pas s’imaginer que la géométrie soit inutile à cause qu’elle ne nous délivre pas de toutes nos erreurs. Les suppositions établies, elle nous le fait raisonner conséquemment. Nous rendant attentifs à ce que nous considérons, elle nous le fait connaître évidemment. Nous reconnaissons même par elle si nos suppositions sont fausses ; car étant toujours certains que nos raisonnements sont vrais, et l’expérience ne s’accordant point avec eux, nous découvrons que les principes supposés sont faux, mais dans la géométrie et l’arithmétique on ne peut n’en découvrir dans les sciences exactes (1) qui soit un peu difficile.MALEBRANCHE
(1) au XVIIe siècle, sciences de la nature
1997TECHN.ÉTRANGER GROUPE 1Les hommes ne sont naturellement ni rois, ni grands (1), ni courtisans, ni niches ; tous sont nés nus et pauvres, tous sujets aux misères de la vie, aux chagrins, aux maux, aux besoins, aux douleurs de toute espèce, enfin, tous sont condamnés à la mort. Voilà ce qui est vraiment de l’homme ; voilà de quoi nul mortel n’est exempt. Commencez donc par étudier de la nature humaine ce qui en est le plus inséparable, ce qui constitue le mieux de l’humanité. A seize ans l’adolescent sait ce que c’est que souffrir ; car il a souffert lui-même ; mais à peine sait-il que d’autres êtres souffrent aussi, le voir sans le sentir n’est pas le savoir, et, comme je l’ai dit cent fois, l’enfant n’imaginant point ce que sentent les autres ne connaît de maux que les siens : mais quand le premier développement des sens allume en lui le feu de l’imagination, il commence à se sentir dans ses semblables, à s’émouvoir de leurs plaintes et à souffrir de leurs douleurs. C’est alors que le triste tableau de l’humanité souffrante doit porter à son coeur le premier attendrissement qu’il ait jamais éprouvé.ROUSSEAU
(1) grands : nobles
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte en expliquant le lien qui unit les deux paragraphes.2° Expliquez les passages suivants du texte :a) “les hommes ne sont naturellement ni rois, ni grands, ni courtisans, ni riches” ;b) “il commence à se sentir dans ses semblables”.3° La pitié est-elle ce qui caractérise le mieux l’humanité ?
1997TECHN.ÉTRANGER GROUPE 1Peut-on à la fois préserver et dominer la nature ?
1997ESGROUPEMENTS II-IIIL’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l’une a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre, et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels.Mais si l’esprit de commerce unit les nations, il n’unit pas de même les particuliers. Nous voyons que dans les pays où l’on n’est affecté que de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines, et de toutes les vertus morales : les plus petites choses, celles que l’humanité demande, s’y font ou s’y donnent pour de l’argent.L’esprit de commerce produit dans les hommes un certain sentiment de justice exacte, opposé d’un côté au brigandage, et de l’autre à ces vertus morales qui font qu’on ne discute pas toujours ses intérêts avec rigidité, et qu’on peut les négliger pour ceux des autres.MONTESQUIEU
1997TECHN.LA RÉUNIONDire à quelqu’un "sois naturel", est-ce lui donner un bon conseil ?
1997TECHN.LA RÉUNIONCe n’est pas pour tenir l’homme par la crainte et faire qu’il appartienne à un autre, que l’État est institué ; au contraire, c’est pour libérer l’individu de la crainte, pour qu’il vive autant que possible en sécurité, c’est-à-dire conserve aussi bien qu’il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d’exister et d’agir. Non, je le répète, la fin de l’État n’est pas de faire passer les hommes de la condition d’êtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou d’automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s’acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu’eux-mêmes usent d’une raison libre, pour qu’ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu’ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l’État est donc en réalité la liberté.SPINOZA

QUESTIONS :
1° Quelle est l’idée principale du texte ?2° Expliquer :a) “ce n’est pas pour tenir l’homme par la crainte (...) que l’État est institué” ;b) “son droit naturel d’exister et d’agir” ;c) “la fin de l’État”.3° Peut-on concilier le pouvoir de l’État et la liberté individuelle ?
1997ESMÉTROPOLEÀ quoi vise l’art, sinon à nous montrer, dans la nature et dans l’esprit, hors de nous et en nous, des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ? Le poète et le romancier qui expriment un état d’âme ne le créent certes pas de toutes pièces, ils ne seraient pas compris de nous si nous n’observions pas en nous, jusqu’à un certain point, ce qu’ils nous disent d’autrui. Au fur et à mesure qu’ils nous parlent, des nuances d’émotion et de pensée nous apparaissent qui pouvaient être représentées en nous depuis longtemps, mais qui demeuraient invisibles : telle, l’image photographique qui n’a pas encore été plongée dans le bain où elle se révélera. Le poète est ce révélateur. Mais nulle part la fonction de l’artiste ne se montre aussi clairement que dans celui des arts qui fait la plus large place à l’imitation, je veux dire la peinture. Les grands peintres sont des hommes auxquels remonte une certaine vision des choses qui est devenue ou qui deviendra la vision de tous les hommes.BERGSON
1997LMÉTROPOLEDans quels domaines est-il légitime de prendre la nature comme modèle ?
1997SMÉTROPOLECe qui exigeait un génie vraiment supérieur, c’était de chercher et de découvrir dans les phénomènes les plus vulgaires, dans la chute d’une pierre, dans les balancements d’une lampe suspendue, ce que tant de philosophes, tant de docteurs, tant de raisonneurs sur les choses divines et humaines avaient eu sous les yeux depuis des milliers d’années, sans songer qu’il y eût là quelque chose à chercher et à découvrir. De tout temps le genre humain avait senti le besoin de l’observation et de l’expérience, avait vécu d’observations bien ou mal conduites, rattachées tant bien que mal à des théories plus ou moins aventureuses : mais l’expérience précise, numérique, quantitative, et surtout l’expérience indirecte qui utilise les relations mathématiques pour mesurer, à l’aide de grandeurs sur lesquelles nos sens et nos instruments ont prise, d’autres grandeurs insaisissables directement, à cause de leur extrême grandeur ou de leur extrême petitesse, voilà ce dont les plus doctes n’avaient pas l’idée. On ne songeait pas à diriger systématiquement l’expérience, de manière à forcer la Nature à livrer son secret, à dévoiler la loi mathématique, simple et fondamentale, qui se dérobe à la faiblesse de nos sens ou que masque la complication des phénomènes.COURNOT
1997LMÉTROPOLEÀ quoi vise l’art, sinon à nous montrer, dans la nature et dans l’esprit, hors de nous et en nous, des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ? Le poète et le romancier qui expriment un état d’âme ne le créent certes pas de toutes pièces ; ils ne seraient pas compris de nous si nous n’observions pas en nous, jusqu’à un certain point, ce qu’ils nous disent d’autrui. Au fur et à me sure qu’ils nous parlent, des nuances d’émotion et de pensée nous apparaissent qui pouvaient être représentées en nous depuis longtemps, mais qui demeuraient invisibles : telle, l’image photographique qui n’a pas encore été plongée dans le bain où elle se révélera. Le poète est ce révélateur. Mais nulle part la fonction de l’artiste ne se montre aussi clairement que dans celui des arts qui fait la plus large place à l’imitation, je veux dire la peinture. Les grands peintres sont des hommes auxquels remonte une certaine vision des choses qui est devenue ou qui deviendra la vision de tous les hommes.BERGSON
1997ESPOLYNÉSIES’il y a une beauté naturelle, rend-elle l’art inutile ?
1997SPOLYNÉSIECette espérance en des temps meilleurs, sans laquelle jamais un réel désir d’accomplir quelque chose qui aille dans le sens du bien général n’aurait enflammé le coeur humain, a aussi toujours eu une influence sur l’activité des bons esprits. (...) Malgré le triste spectacle non pas tant des maux d’origine naturelle qui pèsent sur le genre humain, que de ceux que les hommes s’infligent à eux mêmes les uns les autres, l’esprit s’éclaire pourtant devant la perspective que l’avenir sera peut-être meilleur, et il le fait certes avec une bienveillance désintéressée, étant donné que nous serons depuis longtemps dans la tombe et ne récolterons pas les fruits de ce nous aurons nous-mêmes en partie semé. Les arguments empiriques déployés contre le succès de ces résolutions inspirées par l’espoir sont ici sans effet. Car la proposition selon laquelle ce qui jusqu’à maintenant n’a pas encore réussi ne doit pour cette raison jamais réussir non plus, ne justifie même pas qu’on abandonne une intention pragmatique (1) ou technique (comme par exemple les voyages aériens avec des ballons aérostatiques), mais encore moins qu’on abandonne une intention morale qui, dès que sa réalisation ne peut pas être démontrée impossible, devient un devoir.KANT
(1) pragmatique est à prendre au sens d’utilitaire
1997TECHN.SPORTIFS HAUT NIVEAUIl existe un préjugé très répandu, d’après lequel l’art a débuté par le simple et le naturel. Ceci peut être vrai dans une certaine mesure, car, par rapport à l’art, le grossier et le sauvage constituent le plus simple ; les vrais débuts, tels que les conçoit l’art, sont tout autre chose. Les débuts simples et naturels, au sens du grossier et du sauvage, n’ont rien à voir avec l’art et la beauté, comme n’ont rien d’artistique les figures simples dessinées par les enfants, par exemple, qui, avec quelques traits informes, tracent une figure humaine, un cheval, etc. La beauté, en tant qu’oeuvre d’art, a besoin, dès ses débuts, d’une technique élaborée, exige de nombreux essais et un long exercice, et le simple, en tant que simplicité du beau, la grandeur idéale, est plutôt un résultat obtenu après de nombreuses médiations qui avaient pour but d’éliminer la variété, les exagérations, les confusions, le malaisé, sans que cette victoire se ressente des travaux préliminaires, du travail de préparation et d’élaboration, de façon que la beauté surgisse dans toute sa liberté, apparaisse comme faite d’une seule coulée.HEGEL

QUESTIONS :
a) Quel préjugé Hegel combat-il dans ce texte ?b) Comment établit-il la distinction entre deux forme de "naturel" ?c) Quelle thèse soutient-il ?2° Expliquez :a) "la beauté, en tant qu’oeuvre d’art, a besoin, dès ses débuts, d’une technique élaborée" ;b) "le simple (...) est plutôt un résultat obtenu après de nombreuses médiations".3° Y a-t-il du naturel dans l’art ?
1998SAMÉRIQUE DU NORDQuand se présente un objet ou un événement naturels, toute notre sagacité et toute notre pénétration sont impuissantes à découvrir ou même à conjecturer sans expérience quel événement en résultera ou à porter nos prévisions au-delà de l’objet immédiatement présent à la mémoire et aux sens. Même après un cas ou une expérience unique où nous avons observé qu’un événement en suivait un autre, nous ne sommes pas autorisés à former une règle générale ou à prédire ce qui arrivera dans des cas analogues ; car on tiendrait justement pour une impardonnable témérité de juger du cours entier de la nature par une expérience isolée, même précise ou certaine. Mais quand une espèce particulière d’événements a toujours, dans tous les cas, été conjointe à une autre, nous n’hésitons pas plus longtemps à prédire l’une à l’apparition de l’autre et à employer ce raisonnement qui peut seul nous apporter la certitude sur une question de fait ou d’existence. Nous appelons alors l’un des objets cause et l’autre effet. Nous supposons qu’il y a une connexion entre eux, et un pouvoir dans l’un qui lui fait infailliblement produire l’autre et le fait agir avec la plus grande certitude et la plus puissante nécessité.HUME
1998ESAMÉRIQUE DU SUDL’arithmétique n’est pas plus que la géométrie une promotion naturelle d’une raison immuable. L’arithmétique n’est pas fondée sur la raison. C’est la doctrine de la raison qui est fondée sur l’arithmétique élémentaire. Avant de savoir compter, je ne savais guère ce qu’était la raison. En général, l’esprit doit se plier aux conditions du savoir. Il doit créer en lui une structure correspondant à la structure du savoir. Il doit se mobiliser autour d’articulations qui correspondent aux dialectiques du savoir. Que serait une fonction sans des occasions de fonctionner ? Que serait une raison sans des occasions de raisonner ? La pédagogie de la raison doit donc profiter de toutes les occasions de raisonner. Elle doit chercher la variété des raisonnements, ou mieux du raisonnement [...]. La raison, encore une fois, doit obéir à la science.BACHELARD
1998ESANTILLESL’homme sauvage, quand il a dîné, est en paix avec toute la nature, et l’ami de tous ses semblables. S’agit-il quelquefois de disputer son repas ? Il n’en vient jamais aux coups sans avoir auparavant comparé la difficulté de vaincre avec celle de trouver ailleurs sa subsistance et comme l’orgueil ne se mêle pas du combat, il se termine par quelques coups de poing. Le vainqueur mange, le vaincu va chercher fortune, et tout est pacifié, mais chez l’homme en société, ce sont bien d’autres affaires ; il s’agit premièrement de pourvoir au nécessaire, et puis au superflu ; ensuite viennent les délices, et puis les immenses richesses, et puis des sujets, et puis des esclaves ; il n’a pas un moment de relâche. Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que moins les besoins sont naturels et pressants, plus les passions augmentent, et, qui pis est, le pouvoir de les satisfaire ; de sorte qu’après de longues prospérités, après avoir englouti bien des trésors et désolé bien des hommes, mon héros finira par tout égorger jusqu’à ce qu’il soit l’unique maître de l’univers. Tel est en abrégé le tableau moral, sinon de la vie humaine, au moins des prétentions secrètes du coeur de tout homme civilisé.ROUSSEAU
1998SANTILLESPour éviter de heurter, je dois faire ici remarquer que, lorsque je nie que la justice soit une vertu naturelle, je fais usage du mot naturel uniquement en tant qu’opposé à artificiel. Dans un autre sens du mot, comme il n’y a pas de principe de l’esprit humain qui soit plus naturel qu’un sens de la vertu, de même il n’y a pas de vertu plus naturelle que la justice. L’espèce humaine est une espèce inventive et quand une invention est évidente et absolument nécessaire, on peut la dire naturelle tout aussi justement qu’on le dit de toute chose qui procède de principes originels immédiatement et sans l’intervention de la pensée et de la réflexion. Bien que les lois de la justice soient artificielles, elles ne sont pas arbitraires. Et elle n’est pas impropre, l’expression qui les appelle des lois de nature, si par naturel nous entendons ce qui est commun à une espèce, ou même si nous en limitons le sens à ce qui est inséparable de l’espèce.HUME
1998TECHN.ANTILLESLa nature nous fournit-elle des outils ?
1998LANTILLESLe corps politique, aussi bien que le corps de l’homme, commence à mourir dès sa naissance et porte en lui-même les causes de sa destruction. Mais l’un et l’autre peut avoir une constitution plus ou moins robuste et propre à le conserver plus ou moins longtemps. La constitution de l’homme est l’ouvrage de la nature, celle de l’État est l’ouvrage de l’art. Il ne dépend pas des hommes de prolonger leur vie, il dépend d’eux de prolonger celle de l’État aussi loin qu’il est possible, en lui donnant la meilleure constitution qu’il puisse avoir. Le mieux constitué finira, mais plus tard qu’un autre, si nul accident imprévu n’amène sa perte avant le temps.Le principe de la vie politique est dans l’autorité souveraine. La puissance législative est le coeur de l’État, la puissance exécutive en est le cerveau, qui donne le mouvement à toutes les parties. Le cerveau peut tomber en paralysie et l’individu vivre encore. Un homme reste imbécile et vit : mais sitôt que le coeur a cessé ses fonctions, l’animal est mort.Ce n’est point par les lois que l’État subsiste, c’est par le pouvoir législatif.ROUSSEAU
1998TECHN.ANTILLESPufendorf (1) dit que, tout de même qu’on transfère son bien à autrui par des conventions et des contrats, on peut aussi se dépouiller de sa liberté en faveur de quelqu’un. C’est là, ce me semble, un fort mauvais raisonnement ; car premièrement le bien que j’aliène (2) me devient une chose tout à fait étrangère, et dont l’abus m’est indifférent, mais il m’importe qu’on n’abuse point de ma liberté, et je ne puis sans me rendre coupable du mal qu’on me forcera de faire, m’exposer à devenir l’instrument du crime. De plus, le droit de propriété n’étant que de convention et d’institution humaine, tout homme peut à son gré disposer de ce qu’il possède : mais il n’en est pas de même des dons essentiels de la nature, tels que la vie et la liberté, dont il est permis à chacun de jouir... En s’ôtant l’une on dégrade son être ; en s’ôtant l’autre on l’anéantit autant qu’il est en soi ; et comme nul bien temporel ne peut dédommager de l’une et de l’autre, ce serait offenser à la fois la nature et la raison que d’y renoncer à quelque prix que ce fût. ROUSSEAU
(1) Juriste du 17e siècle(2) aliéner : donner ou vendre
QUESTIONS :
1° Quelle est l’idée générale de ce texte et quelles sont les étapes de l’argumentation ?a) Expliquez : "le bien que j’aliène me devient une chose tout à fait étrangère et dont l’abus m’est indifférent" ;b) comment "puis-je me rendre coupable du mal" qu’on me forcerait de faire ?c) qu’est-ce qu’"offenser à la fois la nature et la raison" ?3° La liberté est-elle un bien comme un autre ?
1998SÉTRANGER GROUPE 1L’homme est un être raisonnable, et comme tel, c’est dans la science qu’il puise l’aliment, la nourriture qui lui conviennent : mais si étroites sont les bornes de l’entendement humain, que, sous ce rapport, il ne peut espérer que peu de satisfaction, soit de l’étendue, soit de la certitude des connaissances qu’il acquiert. L’homme est un être sociable autant qu’un être raisonnable : mais il ne lui est pas toujours donné d’avoir la jouissance d’une compagnie agréable et amusante ou de conserver lui-même son goût pour la société. L’homme est aussi un être actif ; et cette disposition, autant que les diverses nécessités de la vie humaine, fait de lui l’esclave de ses affaires et de ses occupations ; mais l’esprit demande qu’on lui donne un peu de relâche ; il ne peut rester constamment tendu vers les soucis et le travail. Il semble donc que la nature ait indiqué un genre de vie mixte comme le plus convenable à l’espèce humaine, et qu’elle nous ait en secret exhortés à ne laisser aucun de ces penchants tirer par trop de son côté, au point de nous rendre incapables d’autres occupations et d’autres divertissements. Abandonnez-vous à votre passion pour la science, dit-elle, mais que votre science soit humaine, et qu’elle ait un rapport direct avec l’action et la société. La pensée abstruse (1) et les profondes recherches, je les interdis, et leur réserve de sévères punitions : la morne mélancolie qu’elles mènent à leur suite, l’incertitude sans fin où elles vous plongent, et l’accueil glacé qu’on réserve à vos prétendues découvertes, dès que vous les avez communiquées. Soyez philosophe : mais que toute votre philosophie ne vous empêche pas de rester homme.HUME
(1) abstruse : obscure
1998SJAPONQuand je m’y suis mis quelquefois, à considérer les diverses agitations des hommes, et les périls et les peines où ils s’exposent, dans la cour, dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, s’il savait demeurer chez soi avec plaisir, n’en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d’une place. On n’achètera une charge (1) à l’armée si cher, que parce qu’on trouverait insupportable de ne bouger de la ville ; et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu’on ne peut demeurer chez soi avec plaisir. Mais quand j’ai pensé de plus près, et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près.PASCAL
(1) une charge : une fonction (sous l’Ancien Régime, il fallait acheter le droit d’exercer certaines fonctions)
1998SLA RÉUNIONDans la peinture de portraits, où il s’agit de fixer les traits d’un homme, la ressemblance est certainement un élément très important et, cependant, dans les meilleurs portraits, dans ceux qu’on s’accorde à reconnaître comme les mieux réussis, la ressemblance n’est jamais parfaite, il leur manque toujours quelque chose par rapport au modèle naturel. L’imperfection de cet art tient à ce que ses représentations, malgré les efforts d’exactitude, restent toujours plus abstraites que les objets naturels dans leur existence immédiate.Le plus abstrait, c’est une esquisse, un dessin. Lorsqu’on emploie des couleurs, qu’on prend pour règle la nature, on trouve toujours que quelque chose a été omis, que la représentation, l’imitation n’est pas aussi parfaite que la formation naturelle. Or, ce qui rend ces représentations particulièrement imparfaites, c’est le manque de spiritualité. Lorsque des tableaux de ce genre servent à reproduire des traits humains, ils doivent avoir une expression de spiritualité qui manque d’ailleurs à l’homme naturel, tel qu’il se présente à nous directement, sous son aspect de tous les jours. Or, c’est ce que le naturalisme est incapable de faire, et c’est en cela que se manifeste son impuissance. C’est l’expression de spiritualité qui doit dominer le tout.HEGEL
1998SLIBANY a-t-il une différence de nature entre l’homme et l’animal ?
1998TECHN.MÉTROPOLEOn pose la question de savoir si l’homme est par nature moralement bon ou mauvais. Il n’est ni l’un ni l’autre, car l’homme par nature n’est pas du tout un être moral ; il ne devient un être moral que lorsque sa raison s’élève jusqu’aux concepts du devoir et de la loi. On peut cependant dire qu’il contient en lui-même à l’origine des impulsions menant à tous les vices, car il possède des penchants et des instincts qui le poussent d’un côté, bien que la raison le pousse du côté opposé. Il ne peut donc devenir moralement bon que par la vertu, c’est-à-dire en exerçant une contrainte sur lui-même, bien qu’il puisse être innocent s’il est sans passion.La plupart des vices naissent de ce que l’état de culture fait violence à la nature et cependant notre destination en tant qu’homme est de sortir du pur état de nature où nous ne sommes que des animaux.KANT

QUESTIONS :
1° Dégager l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation2° Expliquer ce que signifie :a) "L’homme par nature n’est pas du tout un être moral" ;b) “Il possède des penchants et des instincts qui le poussent d’un côté bien que la raison le pousse du côté opposé” ;c) "L’état de culture fait violence à la nature" ;d) "Innocent" dans le contexte.3° Être moral, est-ce contrarier ou suivre sa nature ?
1998ESMÉTROPOLELa loi étant un commandement, et un commandement consistant dans le fait que celui qui commande exprime ou manifeste sa volonté par oral, par écrit, ou par quelque autre indice adéquat, on comprendra aisément que le commandement de la République n’est loi que pour ceux qui ont le moyen d’en prendre connaissance. Pour les faibles d’esprit, les enfants et les fous, il n’est pas de loi, pas plus que pour les animaux. Ils ne peuvent pas davantage mériter les épithètes de juste ou d’injuste : ils n’ont pas en effet le pouvoir de passer des conventions ni d’en comprendre les conséquences, et par conséquent ils n’ont jamais pris sur eux d’autoriser les actions d’un souverain (1), comme doivent le faire ceux qui se créent une République. Et de même que ceux que la nature ou un accident a privés de la connaissance de la loi en général, tout homme qu’un accident quelconque ne provenant pas de sa faute a privé du moyen de prendre connaissance de quelque loi particulière est excusé s’il ne l’observe pas : à proprement parler, cette loi n’est pas loi pour lui.HOBBES
(1) souverain : le terme "souverain" ne désigne pas ici le monarque, mais le détenteur de l’autorité publique
1998LMÉTROPOLEIl est certain qu’aucune inclination de l’esprit humain n’a à la fois une force suffisante et une orientation appropriée pour contrebalancer l’amour du gain et changer les hommes en membres convenables de la société, en faisant qu’ils s’interdisent les possessions d’autrui. La bienveillance à l’égard de ceux qui nous sont étrangers est trop faible pour cette fin ; quant aux autres passions, elles attisent plutôt cette avidité, quand nous observons que plus étendues sont nos possessions, plus grande est notre capacité de satisfaire tous nos appétits. Il n’y a, par conséquent, aucune passion susceptible de contrôler le penchant intéressé, si ce n’est ce penchant lui-même, par une modification de son orientation. Or, la moindre réflexion doit nécessairement donner lieu à cette modification, puisqu’il est évident que la passion est beaucoup mieux satisfaite quand on la réfrène que lorsqu’on la laisse libre, et qu’en maintenant la société, nous favorisons beaucoup plus l’acquisition de possessions qu’en nous précipitant dans la condition de solitude et d’abandon qui est la conséquence inévitable de la violence et d’une licence universelle. Par conséquent, la question portant sur la méchanceté ou sur la bonté de la nature humaine n’entre pas du tout en ligne de compte dans cette autre question portant sur l’origine de la société, ni non plus il n’y a à considérer autre chose que les degrés de sagacité ou de folie des hommes. Car, que l’on estime vicieuse ou vertueuse la passion de l’intérêt personnel, c’est du pareil au même, puisque c’est elle-même, seule, qui le réfrène : de sorte que, si elle est vertueuse, les hommes deviennent sociaux grâce à leur vertu ; si elle est vicieuse, leur vice a le même effet.HUME
1998LNOUVELLE-CALÉDONIELes hommes sont ainsi faits qu’ils ne supportent rien plus malaisément que de voir les opinions qu’ils croient vraies tenues pour criminelles [...], par où il arrive qu’ils en viennent à détester les lois, à tout oser contre les magistrats, à juger non pas honteux, mais très beau, d’émouvoir des séditions pour une telle cause et de tenter quelle entreprise violente que ce soit. Puis donc que telle est la nature humaine, il est évident que les lois concernant les opinions menacent non les criminels, mais les hommes de caractère indépendant, qu’elles sont faites moins pour contenir les méchants que pour irriter les plus honnêtes, et qu’elles ne peuvent être maintenues en conséquence sans grand danger pour l’État. Ajoutons que de telles lois condamnant des opinions sont du tout inutiles : ceux qui jugent saines les opinions condamnées ne peuvent obéir à ces lois ; à ceux qui au contraire les rejettent comme fausses, ces lois paraîtront conférer un privilège et ils en concevront un tel orgueil que plus tard, même le voulant, les magistrats ne pourraient les abroger.SPINOZA
1998ESPOLYNÉSIELa fin dernière de l’État n’est pas la domination ; ce n’est pas pour tenir l’homme par la crainte et faire qu’il appartienne à un autre que l’État est institué ; au contraire c’est pour libérer l’individu de la crainte, pour qu’il vive autant que possible en sécurité, c’est-à-dire conserve, aussi bien qu’il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d’exister et d’agir. Non, je le répète, la fin de l’État n’est pas de faire passer les hommes de la condition d’êtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou d’automates, mais au contraire, il est institué pour que leur âme et leur corps s’acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu’eux-mêmes usent d’une Raison libre, pour qu’ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu’ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l’État est donc en réalité la liberté.SPINOZA
1998SPOLYNÉSIEIl est, décidément, indispensable aux hommes de se donner des lois et de vivre conformément à ces lois ; autrement, il n’y aucune différence entre eux et les animaux qui, sous tous les rapports, sont les plus sauvages. Et voici quelle en est la raison : il n’y a absolument pas d’homme qui naisse avec une aptitude naturelle, aussi bien à discerner par la pensée ce qui est avantageux pour l’humanité en vue de l’organisation politique, que, une fois cela discerné, à posséder constamment la possibilité comme la volonté de réaliser dans la pratique ce qui vaut le mieux. En premier lieu, il est difficile en effet de reconnaître la nécessité, pour un art politique vrai, de se préoccuper, non pas de l’intérêt individuel, mais de l’intérêt commun, car l’intérêt commun fait la cohésion des États, tandis que l’intérêt individuel les désagrège brutalement ; difficile en outre de reconnaître que l’avantage, à la fois de l’intérêt commun et de l’intérêt individuel, de tous les deux ensemble, est que l’on mette en belle condition ce qui est d’intérêt commun, plutôt que ce qui est d’intérêt individuel. En second lieu, à supposer que, d’aventure, on ait acquis dans les conditions scientifiques voulues la connaissance de cette nécessité naturelle ; à supposer, en outre de cela, que dans l’État, on soit investi d’une souveraineté absolue et qui n’ait point de comptes à rendre, il ne serait jamais possible que l’on demeurât toujours fidèle à cette conviction, c’est-à-dire que, tout au long de la vie, on entretînt à la place maîtresse l’intérêt commun, et l’intérêt individuel en état de subordination à l’égard de l’intérêt commun.PLATON
1998ESPOLYNÉSIEL’homme est-il par nature un être religieux ?
1999ESAMÉRIQUE DU NORDLe coeur de l’homme est toujours droit sur tout ce qui ne se rapporte pas personnellement à lui. Dans les querelles dont nous sommes purement spectateurs, nous prenons à l’instant le parti de la justice, et il n’y a point d’acte de méchanceté qui ne nous donne une vive indignation, tant que nous n’en tirons aucun profit ; mais quand notre intérêt s’y mêle, bientôt nos sentiments se corrompent ; et c’est alors seulement que nous préférons le mal qui nous est utile, au bien que nous fait aimer la nature. N’est-ce pas un effet nécessaire de la constitution des choses, que le méchant tire un double avantage, de son injustice, et de la probité d’autrui ? Quel traité plus avantageux pourrait-il faire que d’obliger le monde entier d’être juste, excepté lui seul ; en sorte que chacun lui rendît fidèlement ce qui lui est dû, et qu’il ne rendît ce qu’il doit à personne ? Il aime la vertu, sans doute, mais il l’aime dans les autres, parce qu’il espère en profiter ; il n’en veut point pour lui, parce qu’elle lui serait coûteuse.ROUSSEAU
1999LAMÉRIQUE DU SUDConcernant la partie des créatures qui est vivante, bien que dépourvue de raison, un traitement violent et en même temps cruel des animaux est opposé au devoir de l’homme envers lui-même, parce qu’ainsi la sympathie à l’égard de leurs souffrances se trouve émoussée en l’homme et que cela affaiblit et peu à peu anéantit une disposition naturelle très profitable à la moralité dans la relation avec les autres hommes. Cela est vrai quand bien même, dans ce qui est permis à l’homme, s’inscrit le fait de tuer rapidement (d’une manière qui évite de les torturer) les animaux, ou encore de les astreindre à un travail (ce à quoi, il est vrai, les hommes eux aussi doivent se soumettre), à condition simplement qu’il n’excède pas leurs forces ; à l’inverse, il faut avoir en horreur les expériences physiques qui les martyrisent pour le simple bénéfice de la spéculation, alors que, même sans elles, le but pourrait être atteint. Même la reconnaissance pour les services longtemps rendus par un vieux cheval ou un vieux chien (comme s’ils étaient des personnes de la maison) appartient indirectement aux devoirs de l’homme, à savoir au devoir conçu en considération de ces animaux, mais cette reconnaissance, envisagée directement, n’est jamais qu’un devoir de l’homme envers lui-même.KANT
1999ESANTILLESIl est manifeste (...) que la cité fait partie des choses naturelles, et que l’homme est par nature un animal politique, et que celui qui est hors cité, naturellement bien sûr et non par le hasard des circonstances, est soit un être dégradé soit un être surhumain, et il est comme celui qui est décrié en ces termes par Homère : "sans famille, sans loi, sans maison". Car un tel homme est du même coup naturellement passionné de guerre, étant comme un pion isolé dans un jeu. C’est pourquoi il est évident que l’homme est un animal politique plus que n’importe quelle abeille et que n’importe quel animal grégaire. Car, comme nous le disons, la nature ne fait rien en vain ; or seul parmi les animaux l’homme a un langage. Certes la voix est le signe du douloureux et de l’agréable, aussi la rencontre-t-on chez les animaux ; leur nature, en effet, est parvenue jusqu’au point d’éprouver la sensation du douloureux et de l’agréable et de se les signifier mutuellement. Mais le langage existe en vue de manifester l’avantageux et le nuisible, et par suite aussi le juste et l’injuste. Il n’y a en effet qu’une chose qui soit propre aux hommes par rapport aux autres animaux : le fait que seuls ils aient la perception du bien, du mal, du juste, de l’injuste et des autres notions de ce genre. Or avoir de telles notions en commun c’est ce qui fait une famille et une cité.ARISTOTE
1999SANTILLESIl faut donc qu’une oeuvre d’art soit faite, terminée, et solide. Et cela va jusqu’au détail, comme on verra, puisque ce qui n’est pas pris dans la masse ne peut pas orner. C’est pourquoi l’improvisation sans règles n’est jamais belle ; c’est l’art de l’orateur qui parvient à fixer un simple récit dans la masse de son discours. Disons qu’aucune conception n’est oeuvre. Et c’est l’occasion d’avertir tout artiste qu’il perd son temps à chercher parmi les simples possibles quel serait le plus beau ; car aucun possible n’est beau ; le réel seul est beau. Faites donc et jugez ensuite. Telle est la première condition en tout art, comme la parenté des mots artiste et artisan le fait bien entendre ; mais une réflexion suivie sur la nature de l’imagination conduit bien plus sûrement à cette importante idée, d’après laquelle toute méditation sans objet réel est nécessairement stérile. Pense ton oeuvre, oui, certes ; mais on ne pense que ce qui est : fais donc ton oeuvre.ALAIN
1999SANTILLESA vrai dire, certains de ces êtres (1) n’offrent pas un aspect agréable ; mais la connaissance du plan de la Nature en eux réserve à ceux qui peuvent saisir les causes, ceux qui ont le naturel philosophique, des jouissances inexprimables. En vérité, il serait déraisonnable et absurde que nous trouvions du plaisir à contempler les images de ces êtres, parce que nous y saisissons en même temps le talent du sculpteur et du peintre, et que, les examinant en eux-mêmes, dans leur organisation par la Nature, nous n’éprouvions pas une joie plus grande encore de cette contemplation, au moins si nous pouvons saisir l’enchaînement des causes. Il ne faut donc pas céder à une répugnance enfantine et nous détourner de l’étude du moindre de ces animaux. En toutes les parties de la Nature il y a des merveilles ; on dit qu’Héraclite, à des visiteurs étrangers qui, l’ayant trouvé se chauffant au feu de sa cuisine, hésitaient à entrer, fit cette remarque : "Entrez, il y a des dieux aussi dans la cuisine". Eh bien, de même, entrons sans dégoût dans l’étude de chaque espèce animale : en chacune, il y a de la nature et de la beauté.ARISTOTE
(1) : il s’agit des êtres vivants
1999TECHN.ANTILLESQuel but l’homme poursuit-il en imitant la nature ? Celui de s’éprouver lui-même, de montrer son habileté et de se réjouir d’avoir fabriqué quelque chose ayant une apparence naturelle. (...) Mais cette joie et cette admiration de soi-même ne tardent pas à tourner en ennui et mécontentement, et cela d’autant lus vite et plus facilement que l’imitation reproduit plus fidèlement le modèle naturel. Il y a des portraits dont on a dit assez spirituellement qu’ils sont ressemblants jusqu’à la nausée. D’une façon générale, la joie que procure une imitation réussie ne peut être qu’une joie très relative, car dans l’imitation de la nature le contenu, la matière sont des données qu’on a que la peine d’utiliser. L’homme devrait éprouver une joie plus grande en produisant quelque chose qui soit bien de lui, quelque chose qui lui soit particulier et dont il puisse dire qu’il est sien. Tout outil technique, un navire par exemple ou, plus particulièrement, un instrument scientifique doit lui procurer plus de joie, parce que c’est sa propre oeuvre, et non une imitation. Le plus mauvais outil technique a plus de valeur à ses yeux ; il peut être fier d’avoir inventé le marteau, le clou, parce que ce sont des inventions originales, et non imitées. L’homme montre mieux son habileté dans des productions surgissant de l’esprit qu’en imitant la nature.HEGEL

QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice et les étapes de l’argumentation.2° Expliquez les deux propositions suivantesa) " cette joie et cette admiration de soi-même ne tardent pas à tourner en ennui et mécontentement."b) " L’homme devrait éprouver une joie plus grande en produisant quelque chose qui soit bien de lui".3° Pourquoi les productions qui surgissent de l’esprit humain ont-elles plus de valeur que les oeuvres qui imitent la nature ?
1999SINDELa plupart des inventions humaines sont sujettes au changement. Elles dépendent de l’humeur et du caprice, sont à la mode pour un temps et sombrent ensuite dans l’oubli. On peut sans doute craindre qu’il faille placer la justice sur le même plan si l’on accorde qu’elle est une invention humaine. Mais les deux cas sont largement différents. L’intérêt sur lequel la justice se fonde est le plus grand que l’on puisse imaginer et il s’étend à tous les lieux et tous les temps ; il n’est pas possible qu’une autre invention puisse le servir ; c’est un intérêt évident, qui se révèle dès la toute première formation de la société : toutes ces causes font que les règles de justice sont constantes et immuables, au moins aussi immuables que la nature humaine.HUME
1999SJAPONTous ces particuliers mercenaires, que le peuple appelle sophistes et regarde comme ses rivaux, n’enseignent pas d’autres maximes que celles que le peuple lui-même professe dans les assemblées, et c’est là ce qu’ils appellent sagesse. On dirait un homme qui, après avoir observé les mouvements instinctifs et les appétits d’un animal grand et robuste, par où il faut l’approcher et par où le toucher, quand et pourquoi il s’irrite ou s’apaise, quels cris il a coutume de pousser en chaque occasion, et quel ton de voix l’adoucit ou l’effarouche, après avoir appris tout cela par une longue expérience, l’appellerait sagesse, et l’ayant systématisé en une sorte d’art, se mettrait à l’enseigner, bien qu’il ne sache vraiment ce qui, de ces habitudes et de ces appétits, est beau ou laid, bon ou mauvais, juste ou injuste ; se conformant dans l’emploi de ces termes aux instincts du grand animal ; appelant bon ce qui le réjouit, et mauvais ce qui l’importune, sans pouvoir légitimer autrement ces qualifications ; nommant juste et beau le nécessaire, parce qu’il n’a pas vu et n’est point capable de montrer aux autres combien la nature du nécessaire diffère, en réalité, de celle du bon. Un tel homme, par Zeus ! ne te semblerait-il pas un étrange éducateur ?PLATON
1999LJAPONRien n’est plus certain : les hommes sont en grande part gouvernés par l’intérêt, et même lorsqu’ils portent leur préoccupation au-delà d’eux-mêmes, cela ne va pas très loin ; dans la vie courante, il ne leur est pas habituel de regarder plus loin que leurs amis et leurs relations les plus proches. Il n’est pas moins certain qu’il leur est impossible de servir leur intérêt d’une manière aussi efficace qu’au moyen d’une observance universelle et inflexible des règles de justice, qui seules leur permettent de maintenir la société et de s’empêcher de tomber dans cette condition misérable et sauvage que l’on représente couramment comme l’état de nature. De même que l’intérêt qu’ont tous les hommes à soutenir l’édifice de la société et à observer les règles de justice est grand, de même il est tangible et manifeste, y compris pour ceux qui sont les plus primitifs et les moins cultivés de la race humaine, et il est presque impossible que celui qui a fait l’expérience de la société se méprenne sur ce point.HUME
1999TECHN.MÉTROPOLELe seul qui fait sa volonté est celui qui n’a pas besoin pour la faire de mettre les bras d’un autre au bout des siens (1) : d’où il suit que le premier de tous les biens n’est pas l’autorité mais la liberté. L’homme vraiment libre ne veut que ce qu’il peut et fait ce qu’il lui plaît. (...)La société a fait l’homme plus faible, non seulement en lui ôtant le droit qu’il avait sur ses propres forces, mais surtout en les lui rendant insuffisantes. Voilà pourquoi ses désirs se multiplient avec sa faiblesse, et voilà ce qui fait celle de l’enfance comparée à l’âge d’homme. Si l’homme est un être fort et si l’enfant est un être faible, ce n’est pas parce que le premier a plus de force absolue que le second, mais c’est parce que le premier peut naturellement se suffire à lui-même et que l’autre ne le peut.ROUSSEAU
(1) Par "mettre les bras d’un autre au bout des siens", il faut entendre : "solliciter l’aide d’autrui"
QUESTIONS :
1° Dégager l’idée générale du texte et les étapes de son argumentation.2° Expliquera) "Le premier de tous les biens n’est pas l’autorité mais la liberté" ;b) "L’homme vraiment libre ne veut que ce qu’il peut et fait ce qu’il lui plaît" ;c) "La société a fait l’homme plus faible".3° Être libre, est-ce ne dépendre que de soi ?
1999ESMÉTROPOLEL’idée essentielle qu’il nous faut noter est que, même si le talent et le génie de l’artiste comportent un moment naturel (1), ce moment n’en demande pas moins essentiellement à être formé et éduqué par la pensée, de même qu’il nécessite une réflexion sur le mode de sa production ainsi qu’un savoir-faire exercé et assuré dans l’exécution. Car l’un des aspects principaux de cette production est malgré tout un travail extérieur, dès lors que l’oeuvre d’art a un côté purement technique qui confine à l’artisanal, surtout en architecture et en sculpture, un peu moins en peinture et en musique, et dans une faible mesure encore en poésie. Pour acquérir en ce domaine un parfait savoir-faire, ce n’est pas l’inspiration qui peut être d’un quelconque secours, mais seulement la réflexion, l’application et une pratique assidue. Or il se trouve qu’un tel savoir-faire est indispensable à l’artiste s’il veut se rendre maître du matériau extérieur et ne pas être gêné par son âpre résistance.HEGEL
(1) moment naturel : don
1999SMÉTROPOLEDans la vie courante, on a coutume, il est vrai, de parler de belles couleurs, d’un beau ciel, d’un beau torrent, et encore de belles fleurs, de beaux animaux et même de beaux hommes. Nous ne voulons pas ici nous embarquer dans la question de savoir dans quelle mesure la qualité de beauté peut être attribuée légitimement à de tels objets et si en général le beau naturel peut être mis en parallèle avec le beau artistique. Mais il est permis de soutenir dès maintenant que le beau artistique est plus élevé que le beau dans la nature. Car la beauté artistique est la beauté (...) née de l’esprit. Or autant l’esprit et ses créations sont plus élevés que la nature et ses manifestations, autant le beau artistique est lui aussi plus élevé que la beauté de la nature. Même, abstraction faite du contenu, une mauvaise idée, comme il nous en passe par la tête, est plus élevée que n’importe quel produit naturel ; car en une telle idée sont présents toujours l’esprit et la liberté.HEGEL
1999STI AAMÉTROPOLELes premiers mouvements naturels de l’homme étant de se mesurer avec tout ce qui l’environne, et d’éprouver dans chaque objet qu’il aperçoit toutes les qualités sensibles qui peuvent se rapporter à lui, sa première étude est une sorte de physique expérimentale relative à sa propre conservation, et dont on le détourne par des études spéculatives (1) avant qu’il ait reconnu sa place ici-bas. Tandis que ses organes délicats et flexibles peuvent s’ajuster aux corps sur lesquels ils doivent agir, tandis que ses sens encore purs sont exempts d’illusion, c’est le temps d’exercer les uns et les autres aux fonctions qui leur sont propres ; c’est le temps d’apprendre à connaître les rapports sensibles que les choses ont avec nous. Comme tout ce qui entre dans l’entendement (2) y vient par les sens, la première raison de l’homme est une raison sensitive ; c’est elle qui sert de base à la raison intellectuelle : nos premiers maîtres de philosophie sont nos pieds, nos mains, nos yeux. Substituer des livres à tout cela, ce n’est pas nous apprendre à raisonner, c’est nous apprendre à nous servir de la raison d’autrui ; c’est nous apprendre à beaucoup croire, et à ne jamais rien savoir.ROUSSEAU
(1) études spéculatives : qui ne s’appuient sur aucune expérience sensible(2) entendement : ici, faculté de raisonner
QUESTIONS :
1° Dégager la thèse du texte et son argumentation.a) Pourquoi la perception de l’enfant constitue-t-elle, selon Rousseau, une forme de "physique expérimentale relative à sa propre conservation" ?b) Expliquez la distinction entre "raison sensitive" et "raison intellectuelle".3° La perception suffit-elle à fonder un savoir ?
1999ESPOLYNÉSIELe problème d’une constitution, fût-ce pour un peuple de démons (qu’on me pardonne ce qu’il y a de choquant dans l’expression) n’est pas impossible à résoudre, pourvu que ce peuple soit doué d’entendement : "une multitude d’êtres raisonnables souhaitent tous pour leur conservation des lois universelles, quoique chacun d’eux ait un penchant secret à s’en excepter soi-même. Il s’agit de leur donner une constitution qui enchaîne tellement leurs passions personnelles l’une par l’autre, que, dans leur conduite extérieure, l’effet en soit aussi insensible que s’ils n’avaient pas du tout ces dispositions hostiles". Pourquoi ce problème serait-il insoluble ? Il n’exige pas qu’on obtienne l’effet désiré d’une réforme morale des hommes. Il demande uniquement comment on pourrait tirer parti du mécanisme de la nature, pour diriger tellement la contrariété des intérêts personnels, que tous les individus, qui composent un peuple, se contraignissent eux-mêmes les uns les autres à se ranger sous le pouvoir coercitif d’une législation, et amenassent ainsi un état pacifique de législation.KANT
1999SPOLYNÉSIES’écoulant dans le lit assuré du bon sens, la philosophie naturelle (1) produit au mieux une rhétorique de vérités triviales. Lui reproche-t-on l’insignifiance de ce qu’elle présente, elle assure en réplique que le sens et le contenu sont présents dans son coeur et doivent être aussi dans le coeur des autres ; elle a en effet, à son avis, prononcé l’ultime parole en parlant de l’innocence du coeur et de la pureté de la conscience morale, à quoi on ne peut rien objecter, et au-delà de quoi on ne peut rien demander. Cependant, ce qu’il fallait faire c’était ne pas laisser le meilleur au fond du coeur, mais le tirer du puits pour l’exposer à la lumière du jour. (...) Puisque le sens commun fait appel au sentiment, son oracle intérieur, il rompt tout contact avec qui n’est pas de son avis, il est ainsi contraint d’expliquer qu’il n’a rien d’autre à dire à celui qui ne trouve pas et ne sent pas en soi-même la même vérité ; en d’autres termes, il foule aux pieds la racine de l’humanité, car la nature de l’humanité, c’est de tendre à l’accord mutuel ; son existence est seulement dans la communauté instituée des consciences.HEGEL
(1) "philosophie naturelle" : façon de penser du sens commun
1999TECHN.POLYNÉSIEOn a rappelé que l’homme avait toujours inventé des machines, que l’antiquité en avait connu de remarquable, que des dispositifs ingénieux furent imaginés bien avant l’éclosion de la science moderne et ensuite, très souvent, indépendamment d’elle : aujourd’hui encore de simples ouvriers, sans culture scientifique, trouvent des perfectionnements auxquels de savants ingénieurs n’avaient pas pensé. L’invention mécanique est un don naturel. Sans doute elle a été limitée dans ses effets tant qu’elle s’est bornée à utiliser des énergies actuelles et, en quelque sorte, visibles : effort musculaire, force du vent ou d’une chute d’eau. La machine n’a donné tout son rendement que du jour où l’on a su mettre à son service, par un simple déclenchement, des énergies potentielles emmagasinées pendant des millions d’années, empruntées au soleil, disposées dans la houille, le pétrole, etc. Mais ce jour fut celui de l’invention de la machine à vapeur, et l’on sait qu’elle n’est pas sortie de considérations théoriques (1). Hâtons-nous d’ajouter que le progrès, d’abord lent, s’est effectué à pas de géant lorsque la science se fut mise de la partie. II n’en est pas moins vrai que l’esprit d’invention mécanique, qui coule dans un lit étroit tant qu’il est laissé à lui-même, qui s’élargit indéfiniment quand il a rencontré la science, en reste distinct et pourrait à la rigueur s’en séparer. Tel, le Rhône entre dans le lac de Genève, paraît y mêler ses eaux, et montre à sa sortie qu’il avait conservé son indépendance.BERGSON
(1) Les premières machines à vapeur furent réalisées vers 1690. La théorie scientifique qui explique leur fonctionnement date, elle, de 1824.
QUESTIONS :
1° Dégager I’idée directrice de ce texte et les étapes de son argumentation.a) Expliquer : "l’invention mécanique est un don naturel" ;b) Que signifie l’image du fleuve à la fin du texte ?3° Les techniques ne sont-elles qu’une application des sciences ?
1999SSPORTIFS HAUT NIVEAULe véritable champ du génie est celui de l’imagination, parce qu’elle est créatrice et qu’elle se trouve moins que d’autres facultés sous la contrainte des règles ; ce qui la rend d’autant plus capable d’originalité. La démarche mécanique de l’enseignement, en forçant à toute heure l’élève à l’imitation, est assurément préjudiciable à la levée de germe du génie, en son originalité. Tout art réclame cependant certaines règles mécaniques fondamentales, celle de l’adéquation de l’oeuvre à l’idée sous-jacente, c’est-à-dire la vérité dans la représentation de l’objet conçu en pensée. Cette exigence doit être apprise avec la rigueur de l’école, elle est à la vérité un effet de l’imitation. Quant à libérer l’imagination de cette contrainte et à laisser le talent hors du banal procéder sans règle et s’exalter jusqu’à contredire la nature, cela pourrait bien donner une folie originale qui ne serait tout de même pas exemplaire, et ne pourrait donc pas non plus être rangée dans le génie.KANT
1999LTUNISIELes animaux peuvent aussi sentir à l’extérieur les objets corporels, grâce à leurs sens, et s’en souvenir après les avoir fixés dans leur mémoire, désirer parmi eux ceux qui leur conviennent et éviter ceux qui leur nuisent. Mais reconnaître ceux-ci, retenir non seulement les souvenirs amassés naturellement, mais aussi ceux confiés volontairement à la mémoire, imprimer à nouveau en elle, par l’évocation et la pensée, ceux qui glissent peu à peu dans l’oubli (car, de même que la pensée se forme sur ce que contient la mémoire, de même ce qui est dans la mémoire est consolidé par la pensée) ; composer des visions imaginaires, en choisissant, et pour ainsi dire en cousant ensemble n’importe quels souvenirs ; voir comment, en ce genre de fictions, on peut distinguer le vraisemblable du vrai, tant dans le domaine spirituel que dans le domaine corporel ; tous ces phénomènes et ceux du même genre, même s’ils concernent et intéressent le sensible, et tout ce que l’âme tire des sens, font quand même appel à la raison, et ne sont pas le partage des bêtes comme le nôtre (1).AUGUSTIN
(1) "ne sont pas le partage des bêtes comme le nôtre" : n’appartiennent pas aux bêtes comme aux hommes.
2000SAMÉRIQUE DU NORDLa volonté étant, de sa nature, très étendue, ce nous est un avantage très grand de pouvoir agir par son moyen, c’est-à-dire librement ; en sorte que nous soyons tellement les maîtres de nos actions, que nous sommes dignes de louange lorsque nous les conduisons bien : car, tout ainsi qu’on ne donne point aux machines qu’on voit se mouvoir en plusieurs façons diverses, aussi justement qu’on saurait désirer, des louanges qui se rapportent véritablement à elles, parce que ces machines ne représentent aucune action qu’elles ne doivent faire par le moyen de leurs ressorts, et qu’on en donne à l’ouvrier qui les a faites, parce qu’il a eu le pouvoir et la volonté de les composer avec tant d’artifice ; de même on doit nous attribuer quelque chose de plus, de ce que nous choisissons ce qui est vrai, lorsque nous le distinguons d’avec le faux, par une détermination de notre volonté, que si nous y étions déterminés et contraints par un principe étranger.DESCARTES
2000SAMÉRIQUE DU SUDSi la nature humaine était constituée de telle sorte que les hommes désirent au plus haut point ce qui leur est le plus utile, aucune science ne serait nécessaire pour instituer la concorde et la bonne foi ; mais comme on constate qu’il en va tout autrement avec les hommes, l’État doit être nécessairement institué de telle sorte que tous, aussi bien les gouvernants que les gouvernés, qu’ils le veuillent ou ne le veuillent pas, accomplissent pourtant ce qui importe au salut commun, c’est-à-dire que tous, spontanément, ou par la force, ou par la nécessité, soient contraints de vivre selon les prescriptions de la Raison ; si les affaires de l’État sont ainsi agencées, il en résultera que rien de ce qui concerne le salut commun ne sera totalement délégué à la bonne foi d’un individu. Personne en effet n’est assez vigilant pour ne pas dormir parfois, et personne n’eut jamais l’âme assez forte et intègre pour n’être pas parfois brisé ou vaincu, précisément quand la plus grande force d’âme eût été nécessaire. Ce serait la pire sottise que d’exiger d’autrui ce que personne ne peut s’imposer à soi-même, d’exiger que l’autre soit plus soucieux d’autrui que de soi, qu’il ne soit pas cupide, ni envieux, ni envieux, ni ambitieux, lui qui, chaque jour, est sollicité par toutes ces passions.SPINOZA
2000TECHN.ANTILLESLa nature fait-elle bien les choses ?
2000LANTILLESSi les hommes étaient ainsi disposés par la nature qu’ils n’eussent de désir que pour ce qu’enseigne la vraie raison, certes la société n’aurait besoin d’aucune loi, il suffirait simplement d’éclairer les hommes par des enseignements moraux pour qu’ils fassent d’eux-mêmes et d’une âme libre ce qui est vraiment utile. Mais tout autre est la disposition de la nature humaine ; tous observent bien leur intérêt, mais ce n’est pas suivant l’enseignement de la droite raison ; c’est le plus souvent entraînés par leur seul appétit de plaisir et les passions de l’âme (qui n’ont aucun égard à l’avenir et ne tiennent compte que d’elles-mêmes) qu’ils désirent quelque objet et le jugent utile. De là vient que nulle société ne peut subsister sans un pouvoir de commandement et une force, et par suite sans des lois qui modèrent et contraignent l’appétit du plaisir et les passions sans frein.SPINOZA
2000SANTILLESLes hommes ne retirent pas d’agrément (mais au contraire un grand déplaisir) de la vie en compagnie, là où il n’existe pas de pouvoir capable de les tenir tous en respect. Car chacun attend que son compagnon l’estime aussi haut qu’il s’apprécie lui-même, et à chaque signe de dédain, ou de mésestime il s’efforce naturellement, dans toute la mesure où il l’ose, d’arracher la reconnaissance d’une valeur plus haute : à ceux qui le dédaignent, en leur nuisant, aux autres, en leur donnant cela en exemple. De la sorte, nous pouvons trouver dans la nature humaine trois causes principales de querelle : premièrement, la rivalité ; deuxièmement, la méfiance, troisièmement, la fierté. La première de ces choses fait prendre l’offensive aux hommes en vue de leur profit. La seconde, en vue de leur sécurité. La troisième, en vue de leur réputation. Dans le premier cas, ils usent de violence pour se rendre maître de la personne d’autres hommes, de leurs femmes, de leurs enfants, de leurs biens. Dans le second cas, pour défendre ces choses. Dans le troisième cas, pour des bagatelles, par exemple pour un mot, un sourire, une opinion qui diffère de la leur, ou quelque autre signe de mésestime, que celle-ci porte directement sur eux-mêmes, ou qu’elle rejaillisse sur eux, étant adressée à leur parenté, à leurs amis, à leur nation, à leur profession, à leur nom.HOBBES
2000TECHN.ANTILLESL’oeuvre d’art vient donc de l’esprit et existe pour l’esprit, et sa supériorité consiste en ce que si le produit naturel est un produit doué de vie, il est périssable, tandis qu’une oeuvre d’art est une oeuvre qui dure. La durée présente un intérêt plus grand. Les événements arrivent, mais, aussitôt arrivés, ils s’évanouissent ; l’oeuvre d’art leur confère de la durée, les représente dans leur vérité impérissable. L’intérêt humain, la valeur spirituelle d’un événement, d’un caractère individuel, d’une action, dans leur évolution et leurs aboutissements, sont saisis par l’oeuvre d’art qui les fait ressortir d’une façon plus pure et transparente que dans la réalité ordinaire, non artistique. C’est pourquoi l’oeuvre d’art est supérieure à tout produit de la nature qui n’a pas effectué ce passage par l’esprit. C’est ainsi que le sentiment et l’idée qui, en peinture, ont inspiré un paysage confère à cette oeuvre de l’esprit un rang plus élevé que celui du paysage tel qu’il existe dans la nature. Tout ce qui est de l’esprit est supérieur à ce qui existe à l’état naturel.HEGEL

QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée générale du texte et les étapes de son argumentation.2° Expliquez l’affirmation suivante : "l’oeuvre d’art leur confère de la durée, les représente dans leur vérité impérissable."3° Quelle différence y a-t-il entre la beauté des choses naturelles et celle des oeuvres d’art ?
2000LÉTRANGER GROUPE 1Bornons-nous (...) à considérer les phénomènes naturels où les causes et les effets s’enchaînent, de l’aveu de tout le monde, d’après une nécessité rigoureuse ; alors il sera certainement vrai de dire que le présent est gros de l’avenir, et de tout l’avenir, en ce sens que toutes les phases subséquentes sont implicitement déterminées par la phase actuelle, sous l’action des lois permanentes ou des décrets éternels auxquels la nature obéit ; mais on ne pourra pas dire sans restriction que le présent est de même gros du passé, car il y a eu dans le passé des phases dont l’état actuel n’offre plus de traces, et auxquelles l’intelligence la plus puissante ne saurait remonter, d’après la connaissance théorique des lois permanentes et l’observation de l’état actuel ; tandis que cela suffirait à une intelligence pourvue de facultés analogues à celles de l’homme, quoique plus puissantes, pour lire dans l’état actuel la série de tous les phénomènes futurs, ou du moins pour embrasser une portion de cette série d’autant plus grande que ses facultés iraient en se perfectionnant davantage. Ainsi, quelque bizarre que l’assertion puisse paraître au premier coup d’oeil, la raison est plus apte à connaître scientifiquement l’avenir que le passé.COURNOT
2000TECHN.ÉTRANGER GROUPE 1Les hommes sont si bien les mêmes, à toutes les époques et en tous les lieux, que l’histoire ne nous indique rien de nouveau ni d’étrange sur ce point. Son principal usage est seulement de nous découvrir les principes constants et universels de la nature humaine en montrant les hommes dans toutes les diverses circonstances et situations, et en nous fournissant des matériaux d’où nous pouvons former nos informations et nous familiariser avec les ressorts (1) réguliers de l’action et de la conduite humaines. Ces récits de guerres, d’intrigues et de révolutions sont autant de recueils d’expériences qui permettent au philosophe politique ou moral de fixer les principes de sa science, de la même manière que le médecin ou le philosophe de la nature se familiarise avec la nature des plantes, des minéraux et des autres objets extérieurs par les expériences qu’il fait sur eux.HUME
(1) ressorts : causes
QUESTIONS
1° Dégagez l’idée générale du texte et son argumentation.2° Expliquez :a) " les principes constants et universels de la nature humaine".b) "fixer les principes de sa science".3° Qu’est-ce que l’histoire nous apprend sur la nature humaine ?
2000TMDGROUPEMENTS I-IVAucune idée, parmi celles qui se réfèrent à l’ordre des faits naturels, ne tient de plus près à la famille des idées religieuses que l’idée de progrès, et n’est plus propre à devenir le principe d’une sorte de foi religieuse, pour ceux qui n’en ont plus d’autre. Elle a, comme la foi religieuse, la vertu de relever les âmes et les caractères. L’idée du progrès indéfini, c’est l’idée d’une perfection suprême, d’une loi qui domine toutes les lois particulières, d’un but éminent auquel tous les êtres doivent concourir dans leur existence passagère. C’est donc au fond, l’idée du divin ; et il ne faut point être surpris si, chaque fois qu’elle est spécieusement (1) invoquée en faveur d’une cause, les esprits les plus élevés, les âmes les plus généreuses se sentent entraînés de ce côté. Il ne faut pas non plus s’étonner que le fanatisme y trouve un aliment, et que la maxime qui tend à corrompre toutes les religions, celle que l’excellence de la fin justifie les moyens, corrompe aussi la religion du progrès.COURNOT
(1) spécieusement : faussement
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice de ce texte et les étapes de son argumentation.2° Expliquez :a) "C’est donc au fond l’idée du divin" ;b) "La maxime qui tend à corrompre toutes les religions, celle que l’excellence de la fin justifie les moyens."3° Parle-t-on correctement lorsque l’on parle de religion du progrès ?
2000SINDELes ruches des abeilles étaient aussi bien mesurées il y a mille ans qu’aujourd’hui, et chacune d’elles forme cet hexagone aussi exactement la première fois que la dernière. Il en est de même de tout ce que les animaux produisent par ce mouvement occulte. La nature les instruit à mesure que la nécessité les presse ; mais cette science fragile se perd avec les besoins qu’ils en ont : comme ils la reçoivent sans étude, ils n’ont pas le bonheur de la conserver ; et toutes les fois qu’elle leur est donnée, elle leur est nouvelle, puisque, la nature n’ayant pour objet que de maintenir les animaux dans un ordre de perfection bornée, elle leur inspire cette science nécessaire, toujours égale de peur qu’ils ne tombent dans le dépérissement, et ne permet pas qu’ils y ajoutent, de peur qu’ils ne passent les limites qu’elle leur a prescrites. Il n’en est pas de même de l’homme, qui n’est produit que pour l’infinité. Il est dans l’ignorance au premier âge de sa vie ; mais il s’instruit sans cesse dans son progrès : car il tire avantage non seulement de sa propre expérience, mais encore de celle de ses prédécesseurs, parce qu’il garde toujours dans sa mémoire les connaissances qu’il s’est une fois acquises, et que celles des anciens lui sont toujours présentes dans les livres qu’ils en ont laissés.PASCAL
2000TECHN.INDELe dernier progrès que fit la raison, achevant d’élever l’homme tout à fait au-dessus de la société animale, ce fut qu’il comprit (obscurément encore) qu’il était proprement la fin de la nature (1), et que rien de ce qui vit sur terre ne pouvait lui disputer ce droit. La première fois qu’il dit au mouton : "la peau que tu portes, ce n’est pas pour toi, mais pour moi que la nature te l’a donnée", qu’il lui retira et s’en revêtit, il découvrit un privilège, qu’il avait, en raison de sa nature, sur tous les animaux. Et il cessa de les considérer comme ses compagnons dans la création, pour les regarder comme des moyens et des instruments mis à la disposition de sa volonté en vu d’atteindre les desseins (2) qu’il se propose. Cette représentation implique (obscurément sans doute) cette contrepartie, à savoir qu’il n’avait pas le droit de traiter un autre homme de cette façon, mais qu’il devait le considérer comme un associé participant sur un pied d’égalité avec lui aux dons de la nature.KANT
(1) la fin : le but(2) Les dessins : les projets
QUESTIONS
1° Dégagez la thèse de l’auteur et les étapes de son argumentation.2° Expliquez :a) "qu’il était proprement la fin de la nature".b) "qu’il n’avait pas le droit de traiter un autre homme de cette façon".3° Doit-on considérer que, dans la nature, les être vivants ne son que des moyens pour l’homme ?
2000ESLA RÉUNIONLa langue est un instrument à penser. Les esprits que nous appelons paresseux, somnolents, inertes, sont vraisemblablement surtout incultes, et en ce sens qu’ils n’ont qu’un petit nombre de mots et d’expressions ; et c’est un trait de vulgarité bien frappant que l’emploi d’un mot à tout faire. Cette pauvreté est encore bien riche, comme les bavardages et les querelles le font voir ; toutefois la précipitation du débit et le retour des mêmes mots montrent bien que ce mécanisme n’est nullement dominé. L’expression "ne pas savoir ce qu’on dit" prend alors tout son sens. On observera ce bavardage dans tous les genres d’ivresse et de délire. Et je ne crois même point qu’il arrive à l’homme de déraisonner par d’autres causes : l’emportement dans le discours fait de la folie avec des lieux communs (1). Aussi est-il vrai que le premier éclair de pensée, en tout homme et en tout enfant, est de trouver un sens à ce qu’il dit. Si étrange que cela soit, nous sommes dominés par la nécessité de parler sans savoir ce que nous allons dire ; et cet état [...] est originaire en chacun ; l’enfant parle naturellement avant de penser, et il est compris des autres bien avant qu’il se comprenne lui-même. Penser c’est donc parler à soi.ALAIN
(1) lieux communs : idées reçues, clichés.
2000LLA RÉUNIONLes philosophes qui ont spéculé sur la signification de la vie et sur la destinée de l’homme n’ont pas assez remarqué que la nature a pris la peine de nous renseigner là-dessus elle-même. Elle nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. Je dis la joie, je ne dis pas le plaisir. Le plaisir n’est qu’un artifice imaginé par la nature pour obtenir de l’être vivant la conservation de la vie ; il n’indique pas la direction où la vie est lancée. Mais la joie annonce toujours que la vie a réussi, qu’elle a gagné du terrain, qu’elle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal. Or, si nous tenons compte de cette indication et si nous suivons cette nouvelle ligne de faits, nous trouvons que partout où il y a joie, il y a création : plus riche, est la création, plus profonde est la joie. La mère qui regarde son enfant est joyeuse, parce qu’elle a conscience de l’avoir créé, physiquement et moralement. Le commerçant qui développe ses affaires, le chef d’usine qui voit prospérer son industrie, est-il joyeux en raison de l’argent qu’il gagne et de la notoriété qu’il acquiert ? Richesse et considération entrent évidemment pour beaucoup dans la satisfaction qu’il ressent, mais elles lui apportent des plaisirs plutôt que de la joie, et ce qu’il goûte de joie vraie est le sentiment d’avoir monté une entreprise qui marche, d’avoir appelé quelque chose à la vie.BERGSON
2000SLA RÉUNIONCeux en qui naturellement la volonté peut le plus aisément vaincre les passions et arrêter les mouvements du corps qui les accompagnent ont sans doute les âmes les plus fortes ; mais il y en a qui ne peuvent éprouver leur force, parce qu’ils ne font jamais combattre leur volonté avec ses propres armes, mais seulement avec celles que lui fournissent quelques passions pour résister à quelques autres. Ce que je nomme ses propres armes sont des jugements fermes et déterminés touchant la connaissance du bien et du mal, suivant lesquels elle a résolu de conduire les actions de sa vie ; et les âmes les plus faibles de toutes sont celles dont la volonté ne se détermine point ainsi à suivre certains jugements, mais se laisse continuellement emporter aux passions présentes, lesquelles, étant souvent contraires les unes aux autres, la tirent tour à tour à leur parti et, l’employant à combattre contre elle-même, mettent l’âme au plus déplorable état qu’elle puisse être. Ainsi, lorsque la peur représente la mort comme un mal extrême et qui ne peut être évité que par la fuite, si l’ambition, d’autre côté, représente l’infamie de cette fuite comme un mal pire que la mort, ces deux passions agitent diversement la volonté, laquelle obéissant tantôt à l’une, tantôt à l’autre, s’oppose continuellement à soi-même, et ainsi rend l’âme esclave et malheureuse.DESCARTES
2000TECHN.LA RÉUNIONLes hommes doivent-ils choisir entre l’exploitation de la nature et sa protection ?
2000LLIBANLe désir de savoir est-il naturel ?
2000ESMÉTROPOLECelui qui renonce à sa liberté et l’échange pour de l’argent agit contre l’humanité. La vie elle-même ne doit être tenue en haute estime que pour autant qu’elle nous permet de vivre comme des hommes, c’est-à-dire non pas en recherchant tous les plaisirs, mais de façon à ne pas déshonorer notre humanité. Nous devons dans notre vie être dignes de notre humanité : tout ce qui nous en rend indignes nous rend incapables de tout et suspend l’homme en nous. Quiconque offre son corps à la malice d’autrui pour en retirer un profit - par exemple en se laissant rouer de coups en échange de quelques bières - renonce du même coup à sa personne, et celui qui le paie pour cela agit de façon aussi méprisable que lui. D’aucune façon ne pouvons-nous, sans sacrifier notre personne, nous abandonner à autrui pour satisfaire son inclination, quand bien même nous pourrions par là sauver de la mort nos parents et nos amis. On peut encore moins le faire pour de l’argent. Si c’est pour satisfaire ses propres inclinations qu’on agit ainsi, cela est peut-être naturel mais n’en contredit pas moins la vertu et la moralité ; si c’est pour l’argent ou pour quelque autre but, on consent alors à se laisser utiliser comme une chose malgré le fait qu’on soit une personne, et on rejette ainsi la valeur de l’humanité.KANT
2000LMÉTROPOLEEst-ce un devoir de respecter la nature ?
2000LMÉTROPOLEOn dit volontiers : ma volonté a été déterminée par ces mobiles, circonstances, excitations et impulsions. La formule implique d’emblée que je me sois ici comporté de façon passive. Mais, en vérité, mon comportement n’a pas été seulement passif ; il a été actif aussi, et de façon essentielle, car c’est ma volonté qui a assumé telles circonstances à titre de mobiles, qui les fait valoir comme mobiles. Il n’est ici aucune place pour la relation de causalité. Les circonstances ne jouent point le rôle de causes et ma volonté n’est pas l’effet de ces circonstances. La relation causale implique que ce qui est contenu dans la cause s’ensuive nécessairement. Mais en tant que réflexion, je puis dépasser toute détermination posée par les circonstances. Dans la mesure où l’homme allègue qu’il a été entraîné par des circonstances, des excitations, etc., il entend par là rejeter, pour ainsi dire, hors de lui-même sa propre conduite, mais ainsi il se réduit tout simplement à l’état d’être non libre ou naturel, alors que sa conduite, en vérité, est toujours sienne, non celle d’un autre ni l’effet de quelque chose qui existe hors de lui. Les circonstances ou mobiles n’ont jamais sur l’homme que le pouvoir qu’il leur accorde lui-même.HEGEL
2000TECHN.MÉTROPOLEOn décrit souvent l’état de nature comme un état parfait de l’homme, en ce qui concerne tant le bonheur que la bonté morale. Il faut d’abord noter que l’innocence est dépourvue, comme telle, de toute valeur morale, dans la mesure où elle est ignorance du mal et tient à l’absence des besoins d’où peut naître la méchanceté. D’autre part, cet état est bien plutôt celui où règnent la violence et l’injustice, précisément parce que les hommes ne s’y considèrent que du seul point de vue de la nature. Or, de ce point de vue là, ils sont inégaux tout à la fois quant aux forces du corps et quant aux dispositions de l’esprit, et c’est par la violence et la ruse qu’ils font valoir l’un contre l’autre leur différence.HEGEL
2000ESMÉTROPOLE + LA RÉUNIONLe penchant de l’instinct est indéterminé. Un sexe est attiré vers l’autre, voilà le mouvement de la nature. Le choix, les préférences, l’attachement personnel sont l’ouvrage des lumières, des préjugés, de l’habitude ; il faut du temps et des connaissances pour nous rendre capables d’amour, on n’aime qu’après avoir jugé, on ne préfère qu’après avoir comparé. Ces jugements se font sans qu’on s’en aperçoive, mais ils n’en sont pas moins réels. Le véritable amour, quoi qu’on en dise, sera toujours honoré des hommes ; car, bien que ses comportements nous égarent, bien qu’il n’exclue pas du coeur qui le sent des qualités odieuses et même qu’il en produise, il en suppose pourtant toujours d’estimables sans lesquelles on serait hors d’état de le sentir. Ce choix qu’on met en opposition avec la raison nous vient d’elle ; on a fait l’amour aveugle parce qu’il a de meilleurs yeux que nous, et qu’il voit des rapports que nous ne pouvons apercevoir. Pour qui n’aurait nulle idée de mérite ni de beauté, toute femme serait également bonne, et la première venue serait toujours la plus aimable. Loin que l’amour vienne de la nature, il est la règle et le frein de ses penchants.ROUSSEAU
2000SMÉTROPOLE + LA RÉUNIONSi (...) les fourmis, par exemple, ont un langage, les signes qui composent ce langage doivent être en nombre bien déterminé, et chacun d’eux rester invariablement attaché, une fois l’espèce constituée, à un certain objet ou à une certaine opération. Le signe est adhérent à la chose signifiée. Au contraire, dans une société humaine, la fabrication et l’action sont de forme variable, et, de plus, chaque individu doit apprendre son rôle, n’y étant pas prédestiné par sa structure. Il faut donc un langage qui permette, à tout instant, de passer de ce qu’on sait à ce qu’on ignore. Il faut un langage dont les signes - qui ne peuvent pas être en nombre infini - soient extensibles à une infinité de choses. Cette tendance du signe à se transporter d’un objet à un autre est caractéristique du langage humain. On l’observe chez le petit enfant, du jour où il commence à parler. Tout de suite, et naturellement, il étend le sens des mots qu’il apprend, profitant du rapprochement le plus accidentel ou de la plus lointaine analogie pour détacher et transporter ailleurs le signe qu’on avait attaché devant lui à un objet. "N’importe quoi peut désigner n’importe quoi", tel est le principe latent du langage enfantin. On a eu tort de confondre cette tendance avec la faculté de généraliser. Les animaux eux-mêmes généralisent, et d’ailleurs un signe, fût-il instinctif, représente toujours, plus ou moins, un genre. Ce qui caractérise les signes du langage humain, ce n’est pas tant leur généralité que leur mobilité. Le signe instinctif est un signe adhérent, le signe intelligent est un signe mobile.BERGSON
2000STI AAMÉTROPOLE + LA RÉUNIONTelle est la nature de l’équitable, qui est un correctif de la loi là où elle se montre insuffisante en raison de son caractère général. Tout ne peut être réglé par la loi. En voici la raison : pour certaines choses, on ne peut établir de loi, par conséquent, il faut un décret. En effet, pour tout ce qui est indéterminé, la règle ne peut donner de détermination précise, au contraire de ce qui se passe dans l’architecture à Lesbos (1), avec la règle de plomb ; cette règle, qui ne reste pas rigide, peut épouser les formes de la pierre ; de même les décrets s’adaptent aux circonstances particulières. On voit ainsi clairement ce qu’est l’équitable, que l’équitable est juste et qu’il est supérieur à une certaine sorte de juste. On voit par là avec évidence ce qu’est aussi l’homme équitable : celui qui choisit délibérément une telle attitude et la pratique ; celui qui n’est pas trop pointilleux, au sens péjoratif, sur le juste, mais qui prend moins que son dû tout en ayant la loi de son côté, est un homme équitable, et cette disposition est l’équité, qui est une forme de justice et non une disposition différente.ARISTOTE
(1) la "règle de Lesbos" sert à mesurer les courbes.
QUESTIONS :
a) Quelle est la thèse retenue par Aristote ?b) Comment l’établit-il ?a) En quoi le "caractère général" de la loi appelle-t-il un "correctif" ? Qu’apporte à l’analyse l’image de la règle de plomb ?b) Expliquer : "l’équitable est juste et (...) il est supérieur à une certaine sorte de juste".c) En quoi consiste la pratique de l’homme équitable ?3° Peut-on appliquer la loi de manière injuste ?
2000ESNOUVELLE-CALÉDONIENature et société sont-elles au même titre objet de science ?
2000TECHN.POLYNÉSIEPourquoi, dans la vie de tous les jours, les hommes disent-ils la plupart du temps la vérité ? -Sûrement pas parce qu’un dieu a interdit le mensonge. Mais, premièrement, parce que c’est plus commode ; car le mensonge réclame invention, dissimulation et mémoire. Ensuite, parce qu’il est avantageux, quand tout se présente simplement, de parler sans détours : je veux ceci, j’ai fait cela, et ainsi de suite ; c’est-à-dire parce que les voies de la contrainte et de l’autorité sont plus sûres que celles de la ruse. - Mais s’il arrive qu’un enfant ait été élevé au milieu de complications familiales, il maniera le mensonge tout aussi naturellement et dira toujours involontairement ce qui répond à son intérêt ; sens de la vérité, répugnance pour le mensonge en tant que tel lui sont absolument étrangers, et ainsi donc il ment en toute innocence.NIETZSCHE

QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice du texte et les étapes de son argumentation.2° Expliquez :a) "le mensonge réclame invention, dissimulation et mémoire."b) "les voies de la contrainte et de l’autorité sont plus sûres que celles de la ruse".3° Disons-nous la vérité par respect pour la vérité ?
2000ESPOLYNÉSIEParce que le corps de l’État doit être conduit comme par une seule âme et [parce] que la volonté de la Cité doit être prise pour la volonté de tous, on doit estimer que ce que la Cité a décrété est juste et bon comme si chaque citoyen l’avait décidé. Et c’est pourquoi, même si un sujet considère que les lois de la Cité sont injustes, il est tenu cependant de s’y soumettre. Mais on peut objecter : n’est-il par contraire à la loi de la raison de se soumettre entièrement au jugement d’autrui ? Par conséquent, l’état de société n’est-il pas contraire à la raison ? D’où il suivrait que l’état de société est un état irrationnel et qu’il ne peut être institué que par des hommes privés de raison et pas du tout par ceux qui vivent sous la conduite de la raison. Mais parce que la raison n’enseigne rien qui soit contraire à la nature, une saine raison ne peut commander que chacun relève de son propre droit aussi longtemps que les hommes sont soumis à leur passions Ajoutons que la raison enseigne sans réserve de chercher la paix qu’on ne peut certes obtenir que si les lois communes de la Cité ne sont pas transgressées. C’est pourquoi plus un homme est conduit par la raison, c’est-à-dire, plus il est libre, plus il observera constamment les lois de la cité et suivra les prescriptions des Puissances souveraines dont il est le sujet.SPINOZA
2000LPOLYNÉSIELes hommes sont-ils des êtres à part dans la nature ?
2001ESAMÉRIQUE DU NORDOn a coutume cependant de demander si le souverain est lié par les lois et si en conséquence il peut commettre des fautes. Puisque cependant les mots de loi et de faute ne s’appliquent pas seulement à la législation de la Cité mais aux lois communes de toute la nature, et qu’il y a lieu d’avoir égard avant tout aux règles que pose la raison, nous ne pouvons dire, absolument parlant, que la Cité n’est liée par aucune loi et ne peut commettre de faute. Si, en effet, la Cité n’avait ni lois ni règles, non pas même celles sans lesquelles elle ne serait pas une Cité, il faudrait voir en elle non une chose appartenant à la nature, mais une chimère. La Cité commet donc une faute quand elle agit ou permet d’agir de telle façon que sa propre ruine puisse être la conséquence des actes accomplis : nous dirons alors qu’elle commet une faute dans le sens où les philosophes et aussi les médecins disent que la nature peut fauter, ce qui signifie que la Cité commet une faute quand elle agit contrairement au commandement de la raison. C’est surtout en effet quand elle se conforme au commandement de la raison, que la Cité est maîtresse d’elle-même. Lors donc qu’elle agit contrairement à la raison, et dans la mesure où elle le fait, elle se manque à elle-même et on peut dire qu’elle faute.SPINOZA
2001SAMÉRIQUE DU SUDLes hommes sont la proie d’une si aveugle curiosité qu’ils conduisent souvent leur esprit par des chemins inconnus, et sans aucune raison d’espérer, mais seulement pour courir leur chance d’y trouver par hasard ce qu’ils cherchent ; comme quelqu’un qui brûlerait d’un désir si brutal de découvrir un trésor, qu’il ne cesserait de courir les rues çà et là, cherchant si par hasard il n’en trouverait pas un qu’un voyageur aurait perdu. C’est ainsi que travaillent presque tous les chimistes, la plupart des géomètres, et plus d’un philosophe ; et certes je ne nie point que parfois ils ne vagabondent avec assez de bonne fortune pour trouver quelque vérité ; je n’admets pas pour autant qu’ils en soient plus habiles, mais seulement plus chanceux. Il vaut cependant bien mieux ne jamais songer à chercher la vérité sur quelque objet que ce soit, que le faire sans méthode : car il est très certain que ces recherches désordonnées et ces méditations obscures troublent la lumière naturelle et aveuglent l’esprit ; et tous ceux qui s’habituent ainsi à marcher dans les ténèbres affaiblissent tant leur vue que par la suite ils ne peuvent plus supporter la lumière du jour : l’expérience aussi le confirme, puisque nous voyons très souvent ceux qui ne se sont jamais souciés d’étudier porter des jugements bien plus solides et bien plus clairs sur ce qui se présente à eux, que ceux qui ont passé tout leur temps dans les écoles.DESCARTES
2001STI AAANTILLESCe qui est naturel échappe-t-il à l’histoire ?
2001TECHN.ANTILLESL’animal aussi produit. Il se construit un nid, des habitations, comme l’abeille, le castor, la fourmi, etc. Mais il ne produit que ce dont il a immédiatement besoin pour lui ou pour son petit ; il produit d’une façon unilatérale, tandis que l’homme produit d’une façon universelle ; il ne produit que sous l’emprise du besoin physique immédiat, tandis que l’homme produit même lorsqu’il est libéré de tout besoin physique et ne produit vraiment que lorsqu’il en est vraiment libéré. L’animal ne produit que lui-même, tandis que l’homme reproduit la nature tout entière, le produit de l’animal fait directement partie de son corps physique, tandis que l’homme affronte librement son produit. L’animal ne façonne que selon la mesure et selon les besoins de l’espèce à laquelle il appartient, tandis que l’homme sait produire à la mesure de toute espèce et sait appliquer partout à l’objet la nature qui est la sienne. C’est pourquoi l’homme façonne aussi d’après les lois de la beauté.MARX
1° Dégagez le sens de l’opposition présente dans ce texte.2° Expliquez :a) "il ne produit que ce dont il a immédiatement besoin" ;b) "l’homme affronte librement son produit" ;c) "appliquer partout à l’objet la nature qui est la sienne".3° Toute production humaine est-elle une production libre ?
2001ESANTILLESCette idée de la personnalité qui éveille le respect, qui nous met devant les yeux la sublimité de notre nature (d’après sa détermination), en nous faisant remarquer en même temps le défaut d’accord de notre conduite avec elle, et en abaissant par cela même la présomption, est naturelle, même à la raison humaine la plus commune, et aisément remarquée. Tout homme, même médiocrement honorable, n’a-t-il pas trouvé quelquefois qu’il s’est abstenu d’un mensonge, d’ailleurs inoffensif, par lequel il pouvait ou se tirer lui-même d’une affaire désagréable ou procurer quelque avantage à un ami cher et plein de mérite, pour avoir le droit de ne pas se mépriser en secret à ses propres yeux ? Dans les grands malheurs de la vie, qu’il aurait pu éviter en se mettant au-dessus du devoir, un honnête homme n’est-il pas soutenu par la conscience d’avoir en sa personne maintenu l’humanité dans sa dignité, de l’avoir honorée, de n’avoir pas de raison de rougir de lui-même à ses propres yeux et de craindre le spectacle intérieur de l’examen de conscience ?KANT
2001SANTILLESSi la constitution naturelle des hommes leur faisait désirer avec le plus d’ardeur ce qui tend à leur plus haut intérêt, toute intervention expresse, en vue de faire régner la concorde et la bonne foi, serait superflue. Mais telle n’est pas la pente habituelle de la nature humaine, on le sait. L’État doit donc être organisé nécessairement de manière que tous, gouvernants et gouvernés - qu’ils agissent de bon ou de mauvais gré - n’en mettent pas moins leur conduite au service du salut général. En d’autres termes, il faut que tous, par force et par nécessité si ce n’est spontanément, soient contraints de vivre selon la discipline de la raison. Pour que soit atteint ce résultat, le fonctionnement de l’État sera réglé de telle sorte, qu’aucune affaire important au salut général ne soit jamais confiée à un seul individu, présumé de bonne foi. Car l’homme le plus vigilant est cependant assujetti au sommeil, par intervalles, le plus fort et le plus inébranlable est sujet à faiblir ou à se laisser vaincre, aux moments précis où il aurait besoin de la plus grande énergie.SPINOZA
2001TECHN.ANTILLESLe développement technique met-il l’homme en contradiction avec la nature ?
2001TECHN.ANTILLESIl y a des cas où des hommes, même avec une éducation qui a été profitable à d’autres, montrent cependant dès l’enfance une méchanceté si précoce, et y font des progrès si continus dans leur âge mûr qu’on les prend pour des scélérats (1) de naissance et qu’on les tient, en ce qui concerne leur façon de penser, pour tout à fait incorrigibles ; et toutefois on les juge pour ce qu’ils font et ce qu’ils ne font pas, on leur reproche leurs crimes comme des fautes, bien plus, eux-mêmes (les enfants) trouvent ces reproches tout à fait fondés, exactement comme si en dépit de la nature désespérante du caractère qu’on leur attribue, ils demeuraient aussi responsables que tout autre homme. Cela ne pourrait arriver si nous ne supposions pas que tout ce qui sort du libre choix d’un homme (comme sans doute toute action faite à dessein) a pour fondement une causalité par liberté, qui, dès la plus tendre jeunesse, exprime son caractère dans ses actions.KANT
(1) Scélérat : individu sans moralité
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation.2° Expliquez :a) "on leur reproche leurs crimes comme des fautes"b) "en dépit de la nature désespérante du caractère qu’on leur attribue".3° Le fait de tenir quelqu’un pour responsable prouve-t-il qu’il est libre ?
2001ESÉTRANGER GROUPE 1Quand je vois chacun de nous sans cesse occupé de l’opinion publique étendre pour ainsi dire son existence tout autour de lui sans réserver presque rien dans son propre coeur, je crois voir un petit insecte former de sa substance une grande toile par laquelle seule il paraît sensible tandis qu’on le croirait mort dans son trou. La vanité de l’homme est la toile d’araignée qu’il tend sur tout ce qui l’environne. L’une est aussi solide que l’autre, le moindre fil qu’on touche met l’insecte en mouvement, il mourrait de langueur si l’on laissait la toile tranquille, et si d’un doigt on la déchire il achève de s’épuiser plutôt que de ne la pas refaire à l’instant. Commençons par redevenir nous, par nous concentrer en nous, par circonscrire notre âme des mêmes bornes que la nature a données à notre être, commençons en un mot par nous rassembler où nous sommes, afin qu’en cherchant à nous connaître tout ce qui nous compose vienne à la fois se présenter à nous. Pour moi, je pense que celui qui sait le mieux en quoi consiste le moi humain est le plus près de la sagesse et que comme le premier trait d’un dessin se forme des lignes qui le terminent (1), la première idée de l’homme est de le séparer de tout ce qui n’est pas lui.ROUSSEAU
(1) "qui le terminent" : qui le délimitent.
2001SÉTRANGER GROUPE 1Mais quand nous supposerions l’homme maître absolu de son esprit et de ses idées, il serait encore nécessairement sujet à l’erreur par sa nature. Car l’esprit de l’homme est limité, et tout esprit limité est par sa nature sujet à l’erreur. La raison en est, que les moindres choses ont entre elles une infinité de rapports, et qu’il faut un esprit infini pour les comprendre. Ainsi un esprit limité ne pouvant embrasser ni comprendre tous ces rapports quelque effort qu’il fasse, il est porté à croire que ceux qu’il n’aperçoit pas n’existent point, principalement lorsqu’il ne fait pas d’attention à la faiblesse et à la limitation de son esprit, ce qui lui est fort ordinaire. Ainsi la limitation de l’esprit toute seule, emporte avec soi la capacité de tomber dans l’erreur.Toutefois si les hommes, dans l’état même où ils sont de faiblesse (...), faisaient toujours bon usage de leur liberté, ils ne se tromperaient jamais. Et c’est pour cela que tout homme qui tombe dans l’erreur est blâmé avec justice, et mérite même d’être puni : car il suffit pour ne se point tromper de ne juger que de ce qu’on voit, et de ne faire jamais des jugements entiers, que des choses que l’on est assuré d’avoir examinées dans toutes leurs parties, ce que les hommes peuvent faire. Mais ils aiment mieux s’assujettir à l’erreur, que de s’assujettir à la règle de la vérité : ils veulent décider sans peine et sans examen. Ainsi il ne faut pas s’étonner, s’ils tombent dans un nombre infini d’erreurs, et s’ils font souvent des jugements assez incertains.MALEBRANCHE
2001TECHN.INDEL’universalité du besoin d’art ne tient pas à autre chose qu’au fait que l’homme est un être pensant et doué de conscience. En tant que doué de conscience, l’homme doit se placer en face de ce qu’il est, de ce qu’il est d’une façon générale, et en faire un objet pour soi. Les choses de la nature se contentent d’être, elles sont simples, ne sont qu’une fois, mais l’homme, en tant que conscience, se dédouble : il est une fois, mais il est pour lui-même. Il projette devant lui ce qu’il est ; il se contemple, se représente lui-même. Il faut donc chercher le besoin général qui provoque une oeuvre d’art dans la pensée de l’homme, puisque l’oeuvre d’art est un moyen à l’aide duquel l’homme extériorise ce qu’il est.HEGEL

QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte.2°Expliqueza) "Les choses de la nature se contentent d’être, elles sont simples, ne sont qu’une fois, mais l’homme, en tant que conscience, se dédouble " ;b) "l’oeuvre d’art est un moyen à l’aide duquel l’homme extériorise ce qu’il est".3° Pourrions-nous nous passer d’oeuvres d’art ?
2001LJAPOND’un côté, la destination de chacun dans la société n’étant plus déterminée par aucune maxime généralement respectée, et les institutions pratiques ayant dû se conformer à cette situation des esprits, l’essor des ambitions particulières n’est plus contenu réellement que par la puissance irrégulière et fortuite des circonstances extérieures propres aux divers individus. D’un autre côté, le sentiment social cherchant vainement, soit dans la raison privée, soit dans les préjugés publics, des notions exactes et fixes sur ce qui constitue le bien général dans chaque cas qui se présente, il finit par dégénérer peu à peu en une vague intention philanthropique, incapable d’exercer aucune action réelle sur la conduite de la vie. Par cette double influence, chacun, dans les grands rapports sociaux, est graduellement conduit à se faire centre, et la notion de l’intérêt particulier restant seule bien claire au milieu de tout ce chaos moral, l’égoïsme pur devient naturellement le seul mobile assez énergique pour diriger l’existence active.COMTE
2001SJAPONII y en a qui vont jusqu’à cette absurdité d’expliquer un mot par le mot même. J’en sais qui ont défini la lumière en cette sorte : "La lumière est un mouvement luminaire des corps lumineux" ; comme si on pouvait entendre les mots de luminaire et de lumineux sans celui de lumière.On ne peut entreprendre de définir l’être sans tomber dans cette absurdité : car on ne peut définir un mot sans commencer par celui-ci, c’est, soit qu’on l’exprime ou qu’on le sous-entende. Donc pour définir l’être, il faudrait dire c’est, et ainsi employer le mot défini dans sa définition.On voit assez de là qu’il y a des mots incapables d’être définis ; et si la nature n’avait suppléé à ce défaut par une idée pareille qu’elle a donnée à tous les hommes, toutes nos expressions seraient confuses ; au lieu qu’on en use avec la même assurance et la même certitude que s’ils étaient expliqués d’une manière parfaitement exempte d’équivoques : parce que la nature nous en a elle-même donné sans paroles une intelligence plus nette que celle que l’art nous acquiert par nos explications.PASCAL
2001LLIBANLa grandeur de l’homme est si visible, qu’elle se tire même de sa misère. Car ce qui est nature aux animaux, nous l’appelons misère en l’homme.(...) Car qui se trouve malheureux de n’être pas roi, sinon un roi dépossédé ? Trouvait-on Paul-Émile (1) malheureux de n’être plus consul ? Au contraire, tout le monde trouvait qu’il était heureux de l’avoir été, parce que sa condition n’était pas de l’être toujours. Mais on trouvait Persée si malheureux de n’être plus roi, parce que sa condition était de l’être toujours, qu’on trouvait étrange de ce qu’il supportait la vie. Qui se trouve malheureux de n’avoir qu’une bouche ? et qui ne se trouverait malheureux de n’avoir qu’un oeil ? On ne s’est peut-être jamais avisé de s’affliger de n’avoir pas trois yeux, mais on est inconsolable de n’en point avoir.PASCAL
(1) Paul-Émile est le général qui vainquit Persée, roi de Macédoine.
2001TECHN.MÉTROPOLERenoncer à sa liberté c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs. Il n’y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l’homme, et c’est ôter toute moralité à ses actions que d’ôter toute liberté à sa volonté. Enfin c’est une convention vaine et contradictoire de stipuler (1) d’une part une autorité absolue et de l’autre une obéissance sans bornes. N’est-il pas clair qu’on n’est engagé à rien envers celui dont on a droit de tout exiger, et cette seule condition, sans équivalent, sans échange n’entraîne-t-elle pas la nullité de l’acte ? Car quel droit mon esclave aurait-il contre moi, puisque tout ce qu’il a m’appartient, et que son droit étant le mien, ce droit de moi contre moi-même est un mot qui n’a aucun sens ?ROUSSEAU
(1) stipuler : affirmer
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée générale du texte et la structure de son argumentation.2° Expliquez : "N’est-il pas clair qu’on n’est engagé en rien envers celui dont on a droit de tout exiger ?"3° En quoi toute forme d’esclavage est-elle contraire au droit ?
2001LMÉTROPOLEToutes les actions auxquelles nul ne peut être incité ni par des promesses ni par des menaces, sont en dehors des lois de la Cité. Nul par exemple ne peut se dessaisir de sa faculté de juger ; par quelles promesses ou par quelles menaces un homme pourrait-il être amené à croire que le tout n’est pas plus grand que la partie (...) ou que le corps qu’il voit être fini est un être infini ? D’une manière générale, comment pourrait-il être amené à croire ce qui est contraire à ce qu’il sent ou pense ? De même, par quelles promesses ou par quelles menaces un homme pourrait-il être amené à aimer ce qu’il hait ou à haïr ce qu’il aime ? Et il faut en dire autant de tout ce dont la nature humaine a horreur à ce point qu’elle le juge pire que tous les maux : qu’un homme porte témoignage contre lui-même, se mette lui-même au supplice, tue son père et sa mère, ne s’efforce pas d’éviter la mort, et autres choses semblables, auxquelles ni promesses ni menaces ne peuvent amener personne. Si cependant l’on prétendait que la Cité a le droit ou le pouvoir de commander de telles choses, ce serait à nos yeux comme si l’on disait qu’un homme a le droit d’être insensé ou de délirer.SPINOZA
2001LMÉTROPOLE + LA RÉUNIONDans toutes les créatures qui ne font pas des autres leurs proies et que de violentes passions n’agitent pas, se manifeste un remarquable désir de compagnie, qui les associe les unes les autres. Ce désir est encore plus manifeste chez l’homme : celui-ci est la créature de l’univers qui a le désir le plus ardent d’une société, et il y est adapté par les avantages les plus nombreux. Nous ne pouvons former aucun désir qui ne se réfère pas à la société. La parfaite solitude est peut-être la plus grande punition que nous puissions souffrir. Tout plaisir est languissant quand nous en jouissons hors de toute compagnie, et toute peine devient plus cruelle et plus intolérable. Quelles que soient les autres passions qui nous animent, orgueil, ambition, avarice, curiosité, désir de vengeance, ou luxure, le principe de toutes, c’est la sympathie : elles n’auraient aucune force si nous devions faire entièrement abstraction des pensées et des sentiments d’autrui. Faites que tous les pouvoirs et tous les éléments de la nature s’unissent pour servir un seul homme et pour lui obéir ; faites que le soleil se lève et se couche à son commandement ; que la mer et les fleuves coulent à son gré ; que la terre lui fournisse spontanément ce qui peut lui être utile et agréable : il sera toujours misérable tant que vous ne lui aurez pas donné au moins une personne avec qui il puisse partager son bonheur, et de l’estime et de l’amitié de qui il puisse jouir.HUME
2001SMÉTROPOLE + LA RÉUNIONC’est la faiblesse de l’homme qui le rend sociable : ce sont nos misères communes qui portent nos coeurs à l’humanité, nous ne lui devrions rien si nous n’étions pas hommes. Tout attachement est un signe d’insuffisance : si chacun de nous n’avait nul besoin des autres, il ne songerait guère à s’unir à eux. Ainsi de notre infirmité même naît notre frêle bonheur. Un être vraiment heureux est un être solitaire : Dieu seul jouit d’un bonheur absolu ; mais qui de nous en a l’idée ? Si quelque être imparfait pouvait se suffire à lui-même, de quoi jouirait-il selon nous ? Il serait seul, il serait misérable. Je ne conçois pas que celui qui n’a besoin de rien puisse aimer quelque chose ; je ne conçois pas que celui qui n’aime rien puisse être heureux.Il suit de là que nous nous attachons à nos semblables moins par le sentiment de leurs plaisirs que par celui de leurs peines ; car nous y voyons bien mieux l’identité de notre nature et les garants de leur attachement pour nous. Si nos besoins communs nous unissent par intérêt, nos misères communes nous unissent par affection.ROUSSEAU
2001TECHN.MÉTROPOLE + LA RÉUNIONLe projet de maîtriser la nature est-il raisonnable ?
2001STI AAMÉTROPOLE + LA RÉUNIONIl est impossible de persévérer dans la pratique de la contemplation de quelque ordre de beauté que ce soit, sans être fréquemment obligé de faire des comparaisons entre les divers degrés et genres de perfection, et sans estimer l’importance relative des uns par rapport aux autres. Un homme qui n’a eu aucune possibilité de comparer les différentes sortes de beauté n’a absolument aucune qualification pour donner son opinion sur un objet qui lui est présenté. C’est seulement par comparaison que nous fixons les épithètes de louange, ou de blâme, et apprenons à assigner le juste degré de l’un ou de l’autre. Le plus grossier des barbouillages comporte un certain lustre de couleurs, et une exactitude d’imagination, qui sont en tant que tels, des beautés, et affecteraient de la plus grande admiration l’esprit d’un paysan ou d’un Indien. Les ballades (1) les plus vulgaires ne sont pas entièrement dépourvues d’harmonie, ni de naturel, et personne, si ce n’est un homme familiarisé avec des beautés supérieures, n’énoncerait que leurs rythmes sont désagréables, ou que les histoires qu’elles content sont sans intérêt. Une grande infériorité de beauté donne du déplaisir à une personne accoutumée aux plus grandes perfections dans ce genre, et elle est considérée pour cette raison comme une laideur, de même que nous supposons naturellement que l’objet le plus fini que nous connaissions atteint le summum de la perfection, et qu’il mérite les plus grands applaudissements. Quelqu’un d’accoutumé à voir, à examiner et à peser la valeur des réalisations de diverses sortes qui ont été admirées dans des époques et des nations différentes, est seul habilité à juger des mérites d’une oeuvre qu’on lui présente, et à lui assigner le rang qui lui revient parmi les productions du génie.HUME
(1) La ballade : ici, genre littéraire populaire issu de la chanson à danser.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse de ce texte et analysez la manière dont il est construit.a) Expliquez : "C’est seulement par comparaison que nous fixons les épithètes de louange, ou de blâme, et apprenons à assigner le juste degré de l’un de l’autre".b) Pourquoi reconnaître de la beauté dans "le plus grossier des barbouillages" ou "les ballades les plus vulgaires" n’exclut-il pas qu’il y ait des "beautés supérieures" ?3° Le goût s’éduque-t-il ?
2001TECHN.MÉTROPOLE + LA RÉUNIONQu’est-ce que vivre conformément à la nature ?
2001ESNOUVELLE-CALÉDONIEII n’est pas possible qu’on soit aimé de beaucoup de gens d’une amitié parfaite, pas plus qu’il n’est possible d’aimer beaucoup de personnes à la fois. La véritable amitié est une sorte d’excès en son genre. C’est une affection qui l’emporte sur toutes les autres, et ne s’adresse par sa nature même qu’à un seul individu ; or il n’est pas très facile que plusieurs personnes plaisent à la fois si vivement à la même, pas plus peut-être que ce n’est bon. Il faut aussi s’être éprouvé mutuellement et avoir un parfait accord de caractère, ce qui est toujours fort difficile. Mais on peut bien plaire à une foule de personnes, quand il ne s’agit que d’intérêt et de plaisir ; car il y a toujours beaucoup de gens disposés à ces liaisons et les services qu’on échange ainsi peuvent ne durer qu’un instant. De ces deux sortes d’amitiés, celle qui se produit par le plaisir ressemble davantage à l’amitié véritable, quand les conditions qui la font naître sont les mêmes de part et d’autre, et que les amis se plaisent l’un à l’autre ou se plaisent aux mêmes amusements. C’est là ce qui forme les amitiés des jeunes gens ; car c’est surtout dans celles-là qu’il y a de la libéralité et de la générosité de coeur. Au contraire, l’amitié par intérêt n’est guère digne que de l’âme des marchands.ARISTOTE
2001TECHN.NOUVELLE-CALÉDONIEUne propriété de la raison consiste à pouvoir, avec l’appui de l’imagination, créer artificiellement des désirs, non seulement sans fondements établis sur un instinct naturel, mais même en opposition avec lui ; ces désirs, au début, favorisent peu à peu l’éclosion de tout un essaim de penchants superflus, et qui plus est, contraires à la nature, sous l’appellation de "sensualité" (1). L’occasion de renier l’instinct de la nature n’a eu en soi peut-être que peu d’importance, mais le succès de cette première tentative, le fait de s’être rendu compte que sa raison avait le pouvoir de franchir les bornes dans lesquelles sont maintenus tous les animaux, fut, chez l’homme capital et décisif pour la conduite de sa vie.KANT
(1) sensualité : recherche du plaisir des sens pour lui-même.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice et la structure de ce texte.2° Expliquez :a) "créer artificiellement des désirs" ;b) "sa raison avait le pouvoir de franchir les bornes dans lesquelles sont maintenus tous les animaux".3° En quel sens peut-on dire que la raison affranchit l’homme de la nature ?
2001ESNOUVELLE-CALÉDONIEAinsi on peut bien apprendre tout ce que Newton a exposé dans son oeuvre immortelle, les Principes de la philosophie de la nature, si puissant qu’ait dû être le cerveau nécessaire pour ces découvertes ; en revanche on ne peut apprendre à composer des poèmes d’une manière pleine d’esprit, si précis que puissent être tous les préceptes pour l’art poétique, et si excellents qu’en soient les modèles. La raison en est que Newton pouvait rendre parfaitement clair et déterminé non seulement pour lui-même, mais aussi pour tout autre et pour ses successeurs, tous les moments de la démarche qu’il dut accomplir, depuis les premiers éléments de la géométrie jusqu’à ses découvertes les plus importantes et les plus profondes ; mais aucun Homère ou aucun Wieland (1) ne peut montrer comment ses idées riches de poésie et toutefois en même temps grosses de pensées surgissent et s’assemblent dans son cerveau, parce qu’il ne le sait pas lui-même et aussi ne peut l’enseigner à personne. Dans le domaine scientifique ainsi, le plus remarquable auteur de découvertes ne se distingue que par le degré de l’imitateur et de l’écolier le plus laborieux, tandis qu’il est spécifiquement différent de celui que la nature a doué pour les beaux-arts.KANT
(1) Poète et romancier allemand, contemporain de Kant
2001SPOLYNÉSIELe paradoxe de l’objet d’art c’est que sa signification demeure irréelle, c’est-à-dire hors du monde, et que, cependant, elle peut être la cause et la fin d’activités réelles. Un tableau met en jeu des intérêts économiques ; on l’achète, on le vend. En temps de guerre, on "l’évacue" comme s’il était une personne. À la signature du traité de paix, il peut faire l’objet d`une clause spéciale que le gouvernement vainqueur impose au gouvernement vaincu. Et, sans doute, cela provient de sa valeur, des traditions qui s’y rattachent, etc. ; mais les intérêts particuliers, l’orgueil national, l’appréciation esthétique, tout, finalement, se réfère à une signification première qui est imaginaire. Autrement dit, la réalité d’une société comporte la socialisation de certaines irréalités. Imaginaires en tant qu’elles se rapportent à des événements qui n’ont jamais eu lieu ou à des personnages qui n’ont jamais existé, parfois même à des lois qui ne sont pas celles de notre univers, les oeuvres "reçues" sont réelles en ceci qu’elles provoquent des actions réelles, des sentiments réels et qu’elles définissent le développement historique d’une société.SARTRE
2002SAMÉRIQUE DU NORDLa liberté des sujets ne consiste pas en ce qu’ils soient exempts des lois de l’État, ou que les souverains ne puissent pas établir telles lois que bon leur semble. Mais, parce que tous les mouvements et toutes les actions des particuliers ne peuvent jamais être tellement réglés, ni leur variété si limitée, qu’il n’en demeure presque une infinité qui ne sont ni commandées, ni défendues et que les lois laissent au franc arbitre (1) des hommes, chacun est libre à leur égard. (...) Car les lois n’ont pas été inventées pour empêcher toutes les actions des hommes, mais afin de les conduire, de même que la nature n’a pas donné des bords aux rivières pour en arrêter, mais pour en diriger la course. La mesure de cette liberté doit être prise sur le bien des sujets et sur l’intérêt de l’État (2). C’est pourquoi j’estime que c’est une chose particulièrement contraire au devoir des souverains et de tous ceux qui ont droit de donner des lois, d’en établir plus qu’il n’en est absolument de besoin pour l’intérêt des particuliers, et pour celui de la république.HOBBES
Du Citoyen(1) libre arbitre(2) cette liberté doit être mesurée d’après le bien des sujets et l’intérêt de l’État.
2002SANTILLESLa valeur de la philosophie doit en réalité surtout résider dans son caractère incertain même. Celui qui n’a aucune teinture de philosophie traverse l’existence, prisonnier de préjugés dérivés du sens commun, des croyances habituelles à son temps ou à son pays et de convictions qui ont grandi en lui sans la coopération ni le consentement de la raison.Pour un tel individu, le monde tend à devenir défini, fini, évident ; les objets ordinaires ne font pas naître de questions et les possibilités peu familières sont rejetées avec mépris. Dès que nous commençons à penser conformément à la philosophie, au contraire, nous voyons [...] que même les choses les plus ordinaires de la vie quotidienne posent des problèmes auxquels on ne trouve que des réponses très incomplètes. La philosophie, bien qu’elle ne soit pas en mesure de nous donner avec certitude la réponse aux doutes qui nous assiègent, peut tout de même suggérer des possibilités qui élargissent le champ de notre pensée et délivre celle-ci de la tyrannie de l’habitude. Tout en ébranlant notre certitude concernant la nature de ce qui nous entoure, elle accroît énormément notre connaissance d’une réalité possible et différente ; elle fait disparaître le dogmatisme quelque peu arrogant de ceux qui n’ont jamais parcouru la région du doute libérateur, et elle garde intact notre sentiment d’émerveillement en nous faisant voir les choses familières sous un aspect nouveau.RUSSELL
Problèmes de philosophie
2002TECHN.ÉTRANGER GROUPE 1L’être le plus intelligent est celui qui est capable de bien utiliser le plus grand nombre d’outils : or, la main semble bien être non pas un outil, mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres. C’est donc à l’être capable d’acquérir le plus grand nombre de techniques que la nature a donné l’outil de loin le plus utile, la main.Aussi, ceux qui disent que l’homme n’est pas bien constitué et qu’il est le moins bien pourvu des animaux (parce que, dit-on, il est sans chaussures, il est nu et n’a pas d’armes pour combattre) sont dans l’erreur. Car les autres animaux n’ont qu’un seul moyen de défense et il ne leur est pas possible de changer pour un autre, mais ils sont forcés, pour ainsi dire, de garder leurs chaussures pour dormir et pour faire n’importe quoi d’autre, et ne doivent jamais déposer l’armure qu’ils ont autour de leur corps ni changer l’arme qu’ils ont reçue en partage. L’homme, au contraire, possède de nombreux moyens de défense, et il lui est toujours loisible d’en changer et même d’avoir l’arme qu’il veut et quand il veut. Car la main devient griffe, serre, corne, ou lance ou épée ou tout autre arme ou outil. Elle peut être tout cela, parce qu’elle est capable de tout saisir et de tout tenir.ARISTOTE

QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les étapes du raisonnement.2° Expliqueza) "elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres" ;b) "les autres animaux n’ont qu’un seul moyen de défense et il ne leur est pas possible de changer pour un autre".3° En quoi la technique est-elle révélatrice de l’intelligence humaine ?
2002SINDEParmi les choses qu’on ne rencontre pas dans la nature, mais seulement dans le monde fabriqué par l’homme, on distingue entre objets d’usage et oeuvres d’art ; tous deux possèdent une certaine permanence qui va de la durée ordinaire à une immortalité potentielle dans le cas de l’oeuvre d’art. En tant que tels, ils se distinguent d’une part des produits de consommation, dont la durée au monde excède à peine le temps nécessaire à les préparer, et d’autre part, des produits de l’action, comme les événements, les actes et les mots, tous en eux-mêmes si transitoires qu’ils survivraient à peine à l’heure ou au jour où ils apparaissent au monde, s’ils n’étaient conservés d’abord par la mémoire de l’homme, qui les tisse en récits, et puis par ses facultés de fabrication. Du point de vue de la durée pure, les oeuvres d’art sont clairement supérieures à toutes les autres choses ; comme elles durent plus longtemps au monde que n’importe quoi d’autre, elles sont les plus mondaines des choses. Davantage, elles sont les seules choses à n’avoir aucune fonction dans le processus vital de la société ; à proprement parler, elles ne sont pas fabriquées pour les hommes, mais pour le monde, qui est destiné à survivre à la vie limitée des mortels, au va-et-vient des générations. Non seulement elles ne sont pas consommées comme des biens de consommation, ni usées comme des objets d’usage : mais elles sont délibérément écartées des procès de consommation et d’utilisation, et isolées loin de la sphère des nécessités de la vie humaine.ARENDT
La Crise de la culture
2002TECHN.INDECe qui est naturel est-il normal ?
2002TECHN.INDEL’histoire est pour l’espèce humaine ce que la raison est pour l’individu. Grâce à sa raison, l’homme n’est pas renfermé comme l’animal dans les limites étroites du présent visible ; il connaît encore le passé infiniment plus étendu, source du présent qui s’y rattache : c’est cette connaissance seule qui lui procure une intelligence plus nette du présent et lui permet même de formuler des inductions pour l’avenir (1). L’animal, au contraire, dont la connaissance sans réflexion est bornée à l’intuition, et par suite au présent, erre parmi les hommes, même une fois apprivoisé, ignorant, engourdi, stupide, désarmé et esclave. De même un peuple qui ne connaît pas sa propre histoire est borné au présent de la génération actuelle : il ne comprend ni sa nature, ni sa propre existence, dans l’impossibilité où il est de les rapporter à un passé qui les explique ; il peut moins encore anticiper sur l’avenir. Seule l’histoire donne à un peuple une entière conscience de lui-même. L’histoire peut donc être regardée comme la conscience raisonnée de l’espèce humaine ; elle est à l’humanité ce qu’est à l’individu la conscience soutenue par la raison, réfléchie et cohérente, dont le manque condamne l’animal à rester enfermé dans le champ étroit du présent intuitif.SCHOPENHAUER
(1) Induire pour l’avenir : étendre à l’avenir ce que nous apprend le présent.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation.a) Expliquez pourquoi l’animal est renfermé "dans les limites étroites du présent visible" par opposition à l’homme ;b) Pourquoi l’histoire joue-t-elle, pour un peuple, le même rôle que la "conscience soutenue par la raison pour un individu" ?3° Qu’est-ce que la connaissance de son passé apporte à un peuple ?
2002LJAPONCe qu’est le meilleur régime pour tout État, on le connaît facilement en considérant la fin de la société civile : cette fin n’est rien d’autre que la paix et la sécurité de la vie. Par suite, le meilleur État est celui où les hommes passent leur vie dans la concorde, et dont le Droit n’est jamais transgressé. En effet, il est certain que les séditions, les guerres et le mépris ou la transgression des lois doivent être imputés non tant à la malignité (1) des sujets qu’au mauvais régime de l’État. Les hommes, en effet, ne naissent pas aptes à la vie en société, ils le deviennent. En outre, les passions naturelles des hommes sont partout les mêmes ; si donc dans un corps politique la malignité humaine assure mieux son règne que dans un autre et si on y commet plus de péchés, cela vient certainement de ce qu’un tel corps politique n’a pas assez pourvu à la concorde, n’a pas établi son Droit avec assez de sagesse (...). Car une société civile qui n’a pas éliminé les causes de sédition, où il faut toujours redouter une guerre, et où enfin les lois sont presque toujours violées, ne diffère pas beaucoup de l’état naturel, où chacun vit selon ses inclinations, mais avec un grand péril pour sa vie.SPINOZA
Traité politique(1) malignité : méchanceté.
2002ESLA RÉUNIONNos contemporains sont incessamment travaillés par deux passions ennemies : ils sentent le besoin d’être conduits et l’envie de rester libres. Ne pouvant détruire ni l’un ni l’autre de ces instincts contraires, ils s’efforcent de les satisfaire â la fois tous les deux. Ils imaginent un pouvoir unique, tutélaire, tout-puissant, mais élu par les citoyens. Ils combinent la centralisation et la souveraineté du peuple. Cela leur donne quelque relâche. Ils se consolent d’être en tutelle, en songeant qu’ils ont eux-mêmes choisi leurs tuteurs. Chaque individu souffre (1) qu’on l’attache, parce qu’il voit que ce n’est pas un homme ni une classse, mais le peuple lui-même, qui tient le bout de la chaîne.Dans ce système, les citoyens sortent un moment de la dépendance pour indiquer leur maître, et y rentrent.II y a, de nos jours, beaucoup de gens qui s’accommodent très aisément de cette espèce de compromis entre le despotisme administratif et la souveraineté du peuple, et qui pensent avoir assez garanti la liberté des individus, quand c’est au pouvoir national qu’ils la livrent. Cela ne me suffit point. La nature du maître m’importe bien moins que l’obéissance.TOCQUEVILLE
De la Démocratie en Amérique(1) souffre : supporte.

2002STI AALA RÉUNIONPeut-on parler d’injustices naturelles ?
2002ESLIBANLes sciences de l’homme ont-elles pour modèle les sciences de la nature ?
2002LLIBANBien que la terre et toutes les créatures inférieures appartiennent en commun à tous les hommes, chacun garde la propriété de sa propre personne. Sur celle-ci, nul n’a droit que lui-même. Le travail de son corps et l’ouvrage de ses mains, pouvons-nous dire, sont vraiment à lui. Toutes les fois qu’il fait sortir un objet de l’état où la Nature l’a mis et l’a laissé, il y mêle son travail, il y joint quelque chose qui lui appartient et de ce fait, il se l’approprie. Cet objet, soustrait par lui à l’état commun dans lequel la Nature l’avait placé, se voit adjoindre par ce travail quelque chose qui exclut le droit commun des autres hommes. Sans aucun doute, ce travail appartient à l’ouvrier (1) ; nul autre que l’ouvrier ne saurait avoir de droit sur ce à quoi le travail s’attache, dès 1ors que ce qui reste suffit aux autres en quantité et en qualité.LOCKE
Deuxième Traité du gouvernement civil(1) l’ouvrier : le travailleur
2002ESMÉTROPOLEC’est l’avènement de l’automatisation qui, en quelques décennies, probablement videra les usines et libérera l’humanité de son fardeau le plus ancien et le plus naturel, le fardeau du travail, l’asservissement à la nécessité (...).C’est une société de travailleurs que l’on va délivrer des chaînes du travail, et cette société ne sait plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté. Dans cette société qui est égalitaire, car c’est ainsi que le travail fait vivre ensemble les hommes, il ne reste plus de classe, plus d’aristocratie politique ou spirituelle, qui puisse provoquer une restauration des autres facultés de l’homme. Même les présidents, les rois, les premiers ministres voient dans leurs fonctions des emplois nécessaires à la vie de la société, et parmi les intellectuels il ne reste que quelques solitaires pour considérer ce qu’ils font comme des oeuvres et non comme des moyens de gagner leur vie. Ce que nous avons devant nous, c’est la perspective d’une société de travailleurs sans travail, c’est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire.ARENDT
Condition de l’homme moderne
2002SMÉTROPOLETout ce qui est peut ne pas être. Il n’y a pas de fait dont la négation implique contradiction. L’inexistence d’un être, sans exception, est une idée aussi claire et aussi distincte que son existence. La proposition, qui affirme qu’il n’existe pas, même si elle est fausse, ne se conçoit et ne s’entend pas moins que celle qui affirme qu’il existe. Le cas est différent pour les sciences proprement dites. Toute proposition qui n’est pas vraie y est confuse et inintelligible. La racine cubique de 64 est égale à la moitié de 10, c’est une proposition fausse et l’on ne peut jamais la concevoir distinctement. Mais César n’a jamais existé, ou l’ange Gabriel, ou un être quelconque n’ont jamais existé, ce sont peut-être des propositions fausses, mais on peut pourtant les concevoir parfaitement et elles n’impliquent aucune contradiction.On peut donc seulement prouver l’existence d’un être par des arguments tirés de sa cause ou de son effet ; et ces arguments se fondent entièrement sur l’expérience. Si nous raisonnons a priori, n’importe quoi peut paraître capable de produire n’importe quoi. La chute d’un galet peut, pour autant que nous le sachions, éteindre le soleil ; ou le désir d’un homme gouverner les planètes dans leurs orbites. C’est seulement l’expérience qui nous apprend la nature et les limites de la cause et de l’effet et nous rend capables d’inférer l’existence d’un objet de celle d’un autre.HUME
Enquête sur l’entendement humain
2002TECHN.MÉTROPOLEOn peut dire d’une façon générale qu’en voulant rivaliser avec la nature par l’imitation, l’art restera toujours au-dessous de la nature et pourra être comparé à un ver faisant des efforts pour égaler un éléphant. Il y a des hommes qui savent imiter les trilles (1) du rossignol, et Kant a dit à ce propos que, dès que nous nous apercevons que c’est un homme qui chante ainsi, et non un rossignol, nous trouvons ce chant insipide (2). Nous y voyons un simple artifice, non une libre production de la nature ou une oeuvre d’art. Le chant du rossignol nous réjouit naturellement, parce que nous entendons un animal, dans son inconscience naturelle, émettre des sons qui ressemblent à l’expression de sentiments humains. Ce qui nous réjouit donc ici, c’est l’imitation de l’humain par la nature.HEGEL
(1) trille : répétition très rapide de deux notes de musique.(2) insipide : sans la moindre saveur.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée directrice et la structure du texte.2° Expliquez, pour les distinguer : "libre production de la nature", "oeuvre d’art".3° Expliquez : "ce qui nous réjouit donc ici, c’est l’imitation de l’humain par la nature".4°L’art peut-il rivaliser avec la nature ?
2002LMÉTROPOLEPour ce qui est des vraies vertus, beaucoup d’entre elles ne naissent pas seulement de la connaissance vraie, mais aussi de quelque erreur ou défaut : ainsi, la simplicité d’esprit (1) donne souvent de la bonté, la crainte de la piété, et le désespoir du courage. Et les vertus de ce genre sont différentes entre elles, si bien qu’on leur a donné divers noms. Mais quant à ces vertus pures et parfaites qui découlent de la seule connaissance du bien, elles sont toutes d’une seule et même nature, et peuvent être comprises sous le seul nom de sagesse. Car quiconque a une volonté ferme et constante d’user toujours de sa raison autant que cela est en son pouvoir, et de faire en toutes ses actions ce qu’il, reconnaît être le meilleur, celui-là est véritablement sage, autant que sa nature permet qu’il le soit ; et par cela seul il est juste, courageux, modéré ; et possède toutes les autres vertus, mais tellement jointes entre elles qu’il n’y en a aucune qui surpasse les autres ; c’est pourquoi, bien qu’elles soient beaucoup plus remarquables que celles que le mélange de quelques défauts fait distinguer, toutefois, parce qu’elles sont moins connues du commun des hommes, on n’a pas coutume de leur donner tant de louanges.DESCARTES
Principes de la philosophie(1) la simplicité d’esprit : la naïveté
2002SMÉTROPOLELe droit peut-il être naturel ?
2002STI AAMÉTROPOLEL’art transforme-t-il la nature ou la dévoile-t-il ?
2002STI AAMÉTROPOLEC’est une pensée consolatrice que d’espérer une compensation dis souffrances endurées, et nous l’exigeons de la justice ; il nous faut pourtant nous habituer à ne pas éprouver comme une injustice tout ce qui advient contre notre attente ; il faut que nous nous habituions à nous comprendre dans une plus grande dépendance vis-à-vis de la nature. L’enchevêtrement de nos conditions politiques et civiles ainsi que l’inégalité des modes de vie et des biens de fortune, ont non seulement augmenté la misère en tout genre, mais aussi notre susceptibilité et notre sensibilité. L’irritation, l’impatience accompagnent souvent les souffrances auxquelles notre nature nous expose, ainsi que notre mode de vie qui s’écarte si souvent de celle-ci. Cette impatience provient de ce que nous exigeons que tout se déroule selon nos désirs, et de ce que nous éprouvons nos malheurs comme une injustice.HEGEL

QUESTIONS :
1° Quelle est l’idée directrice du texte ? Comment Hegel en développe-t-il l’analyse ?2° Expliquez :a) "nous comprendre dans une plus grande dépendance vis-à-vis de la nature" ;b) "les souffrances auxquelles notre nature nous expose, ainsi que notre mode de vie".3° Le sentiment d’injustice n’exprime-t-il qu’un désir illusoire ?
2002TECHN.MÉTROPOLEII faut mener les hommes de telle façon qu’ils ne croient pas être menés, mais vivre selon leur libre décret (1) et conformément à leur complexion (2) propre ; il faut donc les tenir par le seul amour de la liberté, le désir d’accroître leur fortune et l’espoir de s’élever aux honneurs. Cependant, les statues, les cortèges triomphaux et les autres excitants à la vertu, sont des marques de servitude plutôt que des marques de liberté. C’est aux esclaves, non aux hommes libres qu’on donne des récompenses pour leur bonne conduite. Je reconnais que les hommes sont très sensibles à ces stimulants, mais si, à l’origine, on décerne les récompenses honorifiques aux grands hommes, plus tard, l’envie croissant, c’est aux paresseux et à ceux que gonfle l’orgueil de leur richesse, à la grande indignation de tous les bons citoyens. En outre, il est évident que l’égalité, dont la perte entraîne nécessairement la ruine de la liberté commune, ne peut être maintenue sitôt que des honneurs extraordinaires sont décernés par une loi de l’État à un homme qui se distingue par son mérite.SPINOZA
(1) leur libre décision.(2) leur nature.
QUESTIONS :
1° Dégagez la thèse du texte et les étapes de son argumentation.2° Expliquez :a) "C’est aux esclaves, non aux hommes libres qu’on donne des récompenses pour leur bonne conduite" ;b) "la ruine de la liberté commune".3° Pourquoi la disparition de l’égalité entre les citoyens conduit-elle à la perte de la liberté ?
2002LNOUVELLE-CALÉDONIEIl me faut voir enfin, s’il est en la puissance de l’homme de trouver ce qu’il cherche, et si cette quête qu’il a employée depuis tant de siècles, l’a enrichi de quelque nouvelle force et de quelque vérité solide. Je crois qu’il me confessera, s’il parle en conscience, que tout l’acquêt (1) qu’il a retiré d’une si longue poursuite, c’est d’avoir appris à reconnaître sa faiblesse. L’ignorance qui était naturellement en nous, nous l’avons, par longue étude, confirmée et avérée. Il est advenu aux gens véritablement savants ce qu’il advient aux épis de blé : ils vont s’élevant et se haussant la tête droite et fière ; mais, quand ils sont pleins et grossis de grain en leur maturité, ils commencent à s’humilier et à baisser les cornes. Pareillement les hommes ayant tout essayé et tout sondé, n’ayant trouvé en cet amas de science et provision de tant de choses diverses rien de massif et ferme, et rien que vanité, ils ont renoncé à leur présomption et reconnu leur condition naturelle.MONTAIGNE
Apologie de Raymond Sebond(1) l’acquis
2002TECHN.NOUVELLE-CALÉDONIELe but final de l’instauration d’un régime politique n’est pas la domination, ni la répression des hommes, ni leur soumission au joug d’un autre. Ce à quoi l’on a visé par un tel système, c’est à libérer l’individu de la crainte - de sorte que chacun vive, autant que possible, en sécurité ; en d’autres termes conserve au plus au point son droit naturel de vivre et d’accomplir une action (sans nuire ni à soi-même ni à autrui). Non, je le répète, le but poursuivi ne saurait être de transformer des hommes raisonnables en bêtes ou en automates ! Ce qu’on a voulu leur donner, c’est, bien plutôt, la pleine latitude de s’acquitter dans une sécurité parfaite des fonctions de leur corps et de leur esprit. Après quoi, ils seront en mesure de raisonner plus librement, ils ne s’affronteront plus avec les armes de la haine, de la colère, de la ruse et ils se traiteront mutuellement sans injustice. Bref, le but de l’organisation en société, c’est la liberté !SPINOZA

QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et la structure du raisonnement.2° Expliquez :a) "le but poursuivi ne saurait être de transformer des hommes raisonnables en bêtes ou en automates !" ;b) "Après quoi, ils seront en mesure de raisonner plus librement".3° La liberté est-elle le principal but de la vie en société ?
2002SPOLYNÉSIE[Croire]. C’est être persuadé de la vérité d’un fait ou d’une proposition ou parce qu’on ne s’est pas donné la peine de l’examen, ou parce qu’on a mal examiné, on parce qu’on a bien examiné. Il n’y a guère que le dernier cas dans lequel l’assentiment puisse être ferme et satisfaisant. Il est aussi rare que difficile d’être content de soi, lorsqu’on n’a fait aucun usage de sa raison, ou lorsque l’usage qu’on en a fait est mauvais. Celui qui croit, sans avoir aucune raison de croire, eût-il rencontré la vérité, se sent toujours coupable d’avoir négligé la prérogative la plus importante de sa nature, et il n’est pas possible qu’il imagine qu’un heureux hasard pallie l’irrégularité de sa conduite. Celui qui se trompe, après avoir employé les facultés de son âme dans toute leur étendue, se rend â lui-même le témoignage d’avoir rempli son devoir de créature raisonnable ; et il serait aussi condamnable de croire sans examen, qu’il le serait de ne pas croire une vérité évidente ou clairement prouvée. On aura donc bien réglé son assentiment et on l’aura placé comme on doit, lorsqu’en quelques cas et sur quelque matière que ce soit, on aura écouté la voix de sa conscience et de sa raison. Si on eût agi autrement, on eût péché contre ses propres lumières, et abusé de facultés qui ne nous ont été données pour aucune autre fin que pour suivre la plus grande probabilité : on ne peut contester ces principes, sans détruire la raison et jeter l’homme dans des perplexités fâcheuses.DIDEROT
Encyclopédie
2002TECHN.POLYNÉSIELe droit peut-il être fondé sur la nature ?
2003SAMÉRIQUE DU SUDRegardez-y de près et vous verrez que le mot liberté est un mot vide de sens ; qu’il n’y a point, et qu’il ne peut y avoir d’êtres libres ; que nous ne sommes que ce qui convient à l’ordre général, à l’organisation, à l’éducation, et à la chaîne des événements. Voilà ce qui dispose de nous invinciblement. On ne conçoit non plus (1) qu’un être agisse sans motif, qu’un des bras d’une balance agisse sans l’action d’un poids ; et le motif nous est toujours extérieur, étranger, attaché ou par une nature ou par une cause quelconque, qui n’est pas nous. Ce qui nous trompe, c’est la prodigieuse variété de nos actions, jointe à l’habitude que nous avons prise tout en naissant de confondre le volontaire avec le libre. Nous avons tant loué, tant repris, nous l’avons été tant de fois, que c’est un préjugé bien vieux que celui de croire que nous et les autres voulons, agissons librement. Mais s’il n’y a point de liberté, il n’y a point d’action qui mérite la louange ou le blâme. Il n’y a ni vice ni vertu, rien dont il faille récompenser ou châtier.DIDEROT
Lettres à Landois(1) non plus : pas davantage
2003LANTILLESChaque homme vise aux mêmes buts, qui sont les honneurs et la richesse ; mais ils emploient pour les atteindre des moyens variés : l’un la prudence, l’autre la fougue ; l’un la violence, l’autre l’astuce ; celui-ci la patience, cet autre la promptitude ; et toutes ces méthodes sont bonnes en soi. Et l’on voit encore de deux prudents l’un réussir et l’autre échouer ; et à l’inverse deux hommes également prospères qui emploient des moyens opposés. Tout s’explique par les seules circonstances qui conviennent ou non à leurs procédés. De là résulte que des façons de faire différentes produisent un même effet, et de deux conduites toutes pareilles l’une atteint son but, l’autre fait fiasco. Ainsi s’explique également le caractère variable du résultat. Voici quelqu’un qui se gouverne avec patience et circonspection ; si les choses tournent d’une manière sa méthode est heureuse, son succès assuré ; si elles changent soudain de sens, il n’en tire que ruine parce qu’il n’a pas su modifier son action. Très peu d’hommes, quelle que soit leur sagesse, savent s’adapter à ce jeu ; ou bien parce qu’ils ne peuvent s’écarter du chemin où les pousse leur nature ; ou bien parce que, ayant toujours prospéré par ce chemin, ils n’arrivent point à se persuader d’en prendre un autre. C’est pourquoi l’homme d’un naturel prudent ne sait pas employer la fougue quand il le faudrait, ce qui cause sa perte. Si tu savais changer de nature quand changent les circonstances, ta fortune ne changerait point.MACHIAVEL
Le Prince.
2003STI AAANTILLESLe grand art des jardins est tenu au style par l’obéissance. Premièrement il respecte la forme de la terre [...] ; et même on peut dire qu’il la rend plus visible par les perspectives, les pentes, les tournants, les escaliers, les grottes. Secondement, il obéit aux arbres, qui sont des êtres de durée, précieux, exigeants, de long travail. II obéit aussi à toutes les plantes, les rangeant selon la hauteur et selon le soleil, les espaçant selon les racines. La symétrie et la règle, les droites, les courbes, les intervalles revenant, marques de l’homme, nous plaisent alors, mais comme des produits de la nature même, de la nature non forcée. Ce point d’heureuse obéissance est le difficile à toucher en tous les arts ; mais l’art des jardins nous instruit peut-être mieux qu’un autre ; car lorsqu’on taille les ifs en forme d’oiseaux ou de personnages, on sent bien alors que l’on perd le beau, et que l’on tombe dans l’ornement arbitraire. Et c’est le difficile, en des arts comme la musique et la peinture, de ne point tailler des ifs en forme de paons.ALAIN

QUESTIONS :
1) Dégagez la thèse de ce texte et faites apparaître les étapes de son argumentation.2) Expliqueza) "il la rend plus visible" ;b) "[les] marques de l’homme nous plaisent alors, mais comme des produits de la nature même" ;c) "on perd le beau, [...] on tombe dans l’ornement arbitraire".3) L’art doit-il obéir à la nature ?
2003TECHN.ANTILLESIl est aisé de voir qu’entre les différences qui distinguent les hommes, plusieurs passent pour naturelles qui sont uniquement l’ouvrage de l’habitude et des divers genres de vie que les hommes adoptent dans la société. Ainsi un tempérament robuste ou délicat, la force ou la faiblesse qui en dépendent, viennent souvent plus de la manière dont on a été élevé que de la constitution primitive des corps. Il en est de même des forces de l’esprit, et non seulement l’éducation met de la différence entre les esprits cultivés, et ceux qui ne le sont pas, mais elle augmente celle qui se trouve entre les premiers à proportion de la culture. Or si l’on compare la diversité prodigieuse d’éducations et de genres de vie qui règne dans les différents ordres de l’état civil (1), avec la simplicité et l’uniformité de la vie animale et sauvage, où tous se nourrissent des mêmes aliments, vivent de la même manière, et font exactement les mêmes choses, on comprendra combien la différence d’homme à homme doit être moindre dans l’état de nature que dans celui de société, et combien l’inégalité naturelle doit augmenter dans l’espèce humaine par l’inégalité d’institution.ROUSSEAU
(1) les différents ordres de l’état civil : les différentes classes de la société.
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée centrale et les articulations du texte.a) Expliquez, en vous appuyant sur des exemples du texte, pourquoi les différences culturelles passent pour naturelles.b) Quel sens a la distinction entre inégalité naturelle et inégalité d’institution ?3° L’éducation augmente-elle inévitablement les inégalités ?
2003LANTILLESLa culture n’est-elle qu’une seconde nature ?
2003TECHN.ANTILLESC’est précisément à cause de ces dangers dont la nature nous menace que nous nous sommes rapprochés et avons créé la civilisation qui, entre autres raisons d’être, doit nous permettre de vivre en commun. À la vérité, la tâche principale de la civilisation, sa raison d’être essentielle est de nous protéger contre la nature. On le sait, elle s’acquitte, sur bien des chapitres, déjà fort bien de cette tâche et plus tard elle s’en acquittera évidemment un jour encore bien mieux. Mais personne ne nourrit l’illusion que la nature soit déjà domptée, et bien peu osent espérer qu’elle soit un jour tout entière soumise à l’homme. Voici les éléments, qui semblent se moquer de tout joug que chercherait à leur imposer l’homme : la terre, qui tremble, qui se fend, qui engloutit l’homme et son oeuvre, l’eau, qui se soulève, et inonde et noie toute chose, la tempête, qui emporte tout devant soi ; voilà les maladies, que nous savons depuis peu seulement être dues aux attaques d’autres êtres vivants, et enfin l’énigme douloureuse de la mort, de la mort à laquelle aucun remède n’a jusqu’ici été trouvé et ne le sera sans doute jamais. Avec ces forces la nature se dresse contre nous, sublime, cruelle, inexorable ; ainsi elle nous rappelle notre faiblesse, notre détresse, auxquelles nous espérions nous soustraire grâce au labeur de notre civilisation. C’est un des rares spectacles nobles et exaltants que les hommes puissent offrir que de les voir, en présence d’une catastrophe due aux éléments, oublier leurs dissensions, les querelles et animosités qui les divisent pour se souvenir de leur grande tâche commune : le maintien de l’humanité face aux forces supérieures de la nature.FREUD

QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée centrale et le mouvement général du texte.2° Expliquez :a) pourquoi le projet de maîtrise de la nature est-il qualifié par Freud d’"illusion" ?b) en quel sens la nature peut-elle être à la fois "sublime" et "cruelle" ?c) pourquoi la lutte contre les catastrophes est-elle qualifiée par Freud de "spectacle noble et exaltant" ?3° La tâche principale de la civilisation est-elle de nous protéger contre la nature ?
2003ESÉTRANGER GROUPE 1Il est impossible de poursuivre dans la pratique de la contemplation de quelque genre de beauté que ce soit sans être fréquemment obligé de faire des comparaisons entre les nombreuses sortes et degrés de réussite, et d’estimer leurs proportions les unes par rapport aux autres. Un homme qui n’a point l’occasion de comparer les différents genres de beauté est bien entendu disqualifié pour émettre une opinion concernant un objet qui lui est présenté. Par la comparaison seule nous déterminons les épithètes relevant de l’éloge ou du blâme et apprenons comment en attribuer le degré approprié à chacun. Le plus indigent des barbouillages exhibe un certain lustre (1) de couleurs et une certaine exactitude de l’imitation qui peuvent passer pour des beautés et entraîne [...] la plus haute admiration. Les plus vulgaires ballades ne sont pas entièrement dépourvues d’harmonie ou de naturel et nul, à moins d’être familiarisé avec des beautés supérieures, ne pourrait déclarer que leurs couplets sont rudes ou leur récit inintéressant. Une beauté très inférieure fait souffrir la personne accoutumée aux plus grandes réussites du genre, et se trouve être pour cette raison qualifiée de laideur de la même façon que l’objet le plus abouti que nous connaissions est naturellement supposé avoir atteint au pinacle (2) de la perfection et devoir recevoir les plus grands éloges. Seul celui qui est accoutumé à voir, à examiner et à soupeser les nombreuses oeuvres admirées, au cours d’époques différentes et au sein de différentes nations peut estimer le mérite d’un ouvrage exposé à sa vue et lui assigner son rang approprié au sein des productions du génie.HUME
De la Norme du goût.(1) éclat.(2) sommet.
2003SÉTRANGER GROUPE 1Il y a un défaut de l’esprit que les Grecs ont désigné sous le nom d’amathia, indocilité (1), c’est-à-dire difficulté d’apprendre et de s’instruire ; cette disposition paraît venir de la fausse opinion où l’on est que l’on connaît déjà la vérité sur l’objet dont il s’agit, car il est certain qu’il y a moins d’inégalité de capacité entre les hommes, que d’inégalité d’évidence entre ce qu’enseignent les mathématiciens et ce qui se trouve dans les autres livres. Si donc les esprits des hommes étaient comme un papier blanc (...), ils seraient également disposés à reconnaître la vérité de tout ce qui leur serait présenté suivant une méthode convenable et par de bons raisonnements ; mais lorsqu’ils ont une fois acquiescé à des opinions fausses et les ont authentiquement enregistrées dans leurs esprits, il est tout aussi impossible de leur parler intelligiblement que d’écrire lisiblement sur un papier déjà barbouillé d’écriture. Ainsi la cause immédiate de l’indocilité est le préjugé, et la cause du préjugé est une opinion fausse de notre propre savoir.HOBBES
De la Nature humaine.(1) anglais indocibility, français indocilité : désigne chez une personne le fait d’être réfractaire à tout enseignement.
2003LINDELa société et l’union entre les hommes se conserveront d’autant mieux qu’on manifestera plus de bienveillance à ceux avec qui on a une union plus étroite. Mais il semble qu’il faut reprendre de plus haut les principes naturels de la communauté et de la société des hommes. Il en est d’abord un que l’on voit dans la société du genre humain pris dans son ensemble. Le lien de cette société, c’est la raison et le langage ; grâce à eux, on s’instruit et l’on enseigne, l’on communique, l’on discute, l’on juge, ce qui rapproche les hommes les uns des autres et les unit dans une sorte de société naturelle ; rien ne les éloigne plus de la nature des bêtes, à qui nous attribuons souvent le courage, aux chevaux par exemple ou aux lions, mais non pas la justice, l’équité ou la bonté ; c’est qu’elles ne possèdent ni raison ni langage. Cette société est largement ouverte ; elle est société des hommes avec les hommes, de tous avec tous ; en elle il faut maintenir communs tous les biens que la nature a produits à l’usage commun de l’homme ; quant à ceux qui sont distribués d’après les lois et le droit civil, qu’on les garde selon ce qui a été décidé par les lois ; quant aux autres, que l’on respecte la maxime du proverbe grec : "Entre amis, tout est commun." [...] Ennius (1) donne un exemple particulier qui peut s’étendre à beaucoup de cas : "L’homme qui indique aimablement son chemin à un voyageur égaré agit comme un flambeau où s’allume un autre flambeau ; il n’éclaire pas moins quand il a allumé l’autre".CICÉRON
Traité des devoirs.(1) Poète Latin.
2003TECHN.INDELe pouvoir que nous avons sur la nature repose-t-il sur la connaissance de ce qu’elle est ?
2003LJAPONAu nombre des choses qui peuvent porter un penseur au désespoir se trouve d’avoir reconnu que l’illogique est nécessaire à l’homme, et qu’il en naît beaucoup de bien. L’illogique tient si solidement au fond des passions, du langage, de l’art, de la religion, et généralement de tout ce qui confère quelque valeur à la vie, que l’on ne saurait l’en arracher sans gâter ces belles choses irréparablement. Ce sont les hommes par trop naïfs qui peuvent seuls croire à la possibilité de transformer la nature humaine en nature purement logique ; mais s’il devait y avoir des degrés pour approcher ce but, que ne faudrait-il pas laisser perdre chemin faisant ! Même l’être le plus raisonnable a de temps en temps besoin de retrouver la nature, c’est-à-dire le fond illogique de sa relation avec toutes choses.NIETZSCHE
Humain, trop humain.
2003LLA RÉUNIONL’homme a-t-il un droit sur la nature ?
2003STI AALA RÉUNIONPeut-on dire de la nature qu’elle est injuste ?
2003STI AALA RÉUNIONIl n’en est pas moins vrai, personne n’en peut douter, qu’il est de beaucoup plus utile aux hommes de vivre suivant les lois et les injonctions (1) certaines de la Raison, lesquelles tendent uniquement [...] à ce qui est réellement utile aux hommes. En outre il n’est personne qui ne désire vivre à l’abri de la crainte autant qu’il se peut, et cela est tout à fait impossible aussi longtemps qu’il est loisible à chacun de faire tout ce qui lui plaît, et qu’il n’a pas reconnu à la Raison plus de droits qu’à la haine et à la colère ; personne en effet ne vit sans angoisse parmi les inimitiés (2), les haines, la colère et les ruses, il n’est personne qui ne tâche en conséquence d’y échapper autant qu’il est en lui. Que l’on considère encore que, s’ils ne s’entraident pas, les hommes vivent très misérablement et que, s’ils ne cultivent pas la Raison, ils restent asservis aux nécessités de la vie [...], et l’on verra très clairement que pour vivre dans la sécurité et le mieux possible, les hommes ont dû nécessairement aspirer à s’unir en un corps et ont fait par là que le droit que chacun avait de nature sur toutes choses, appartînt à la collectivité et fût déterminé non plus par la force et l’appétit de l’individu mais par la puissance et la volonté de tous ensemble.SPINOZA
(1) injonctions : commandements.(2) inimitiés : sentiments hostiles.
2003LLIBANOn ne devrait jamais admettre, selon moi, l’excuse qui consiste à atténuer un acte coupable sous prétexte qu’il est naturel, ou qu’il est inspiré par un sentiment naturel. Il n’a guère été commis de mauvaises actions qui ne soient parfaitement naturelles, et dont les mobiles n’aient été des sentiments parfaitement naturels. Par conséquent, cela ne constitue pas une excuse au regard de la raison, mais il est tout à fait "naturel" que c’en soit une aux yeux d’une foule de gens, car pour eux l’expression signifie qu’ils éprouvent un sentiment semblable à celui du criminel. Quand ils disent d’une chose dont ils ne peuvent nier le caractère condamnable, qu’elle est néanmoins naturelle, ils veulent dire qu’ils peuvent imaginer qu’eux-mêmes soient tentés de la commettre. La plupart des gens éprouvent une indulgence considérable envers toutes les actions dont ils sentent une source possible à l’intérieur d’eux-mêmes, réservant leur rigueur à des actions, peut-être moins mauvaises en réalité, dont ils ne peuvent comprendre en aucune manière qu’on puisse les commettre. Si une action les persuade (souvent sur des bases très contestables) que la personne qui l’a commise ne leur ressemble en rien, il est rare qu’ils mettent beaucoup de soin à examiner quel degré précis de blâme elle mérite, ou même s’il est justifié de porter sur elle une condamnation quelconque. Ils mesurent le degré de culpabilité par la force de leur antipathie, et de là vient que des différences d’opinion et même des différences de goûts ont suscité une aversion morale aussi intense que les crimes les plus atroces. MILL
La Nature.
2003LMÉTROPOLELes noms des choses qui ont la propriété de nous affecter, c’est-à-dire de celles qui nous procurent du plaisir ou du déplaisir, ont, dans la conversation courante des hommes, une signification changeante parce que tous les hommes ne sont pas affectés de la même façon par la même chose, ni le même homme à des moments différents. Étant donné en effet que tous les noms sont donnés pour signifier nos représentations et que toutes nos affections ne sont rien d’autre que des représentations, lorsque nous avons des représentations différentes des mêmes choses, nous ne pouvons pas facilement éviter de leur donner des noms différents. Car même si la nature de ce que nous nous représentons est la même, il reste que la diversité des façons que nous avons de la recueillir, diversité qui est fonction de la différence de constitution de nos corps et des préventions de notre pensée, donne à chaque chose une teinture de nos différentes passions. C’est pourquoi, lorsqu’ils raisonnent, les hommes doivent prendre garde aux mots, lesquels ont aussi, au-delà de la signification de ce que nous imaginons leur être propre, une signification renvoyant à la nature, à la disposition et à l’intérêt de celui qui parle ; tels sont les noms des vertus et des vices : car un homme appelle sagesse ce qu’un autre appelle crainte ; et l’un appelle cruauté ce qu’un autre appelle justice ; l’un prodigalité ce qu’un autre appelle magnificence ; l’un gravité ce qu’un autre appelle stupidité, etc. Il en résulte que de tels noms ne peuvent jamais être les véritables fondements d’aucune espèce de raisonnement. Les métaphores et les figures du discours ne le peuvent pas davantage : mais elles sont moins dangereuses parce qu’elles professent leur caractère changeant, ce que ne font pas les autres noms.HOBBES
Léviathan
2003SMÉTROPOLELa raison [...] énonce en nous son veto irrésistible : Il ne doit y avoir aucune guerre ; ni celle entre toi et moi dans l’état de nature, ni celle entre nous en tant qu’États, qui bien qu’ils se trouvent intérieurement dans un état légal, sont cependant extérieurement (dans leur rapport réciproque) dans un état dépourvu de lois - car ce n’est pas ainsi que chacun doit chercher son droit. Ainsi la question n’est plus de savoir si la paix perpétuelle est quelque chose de réel ou si ce n’est qu’une chimère et si nous ne nous trompons pas dans notre jugement théorique, quand nous admettons le premier cas, mais nous devons agir comme si la chose qui peut-être ne sera pas devait être, et en vue de sa fondation établir la constitution [...] qui nous semble la plus capable d’y mener et de mettre fin à la conduite de la guerre dépourvue de salut vers laquelle tous les États sans exception ont jusqu’à maintenant dirigé leurs préparatifs intérieurs, comme vers leur fin suprême. Et si notre fin, en ce qui concerne sa réalisation, demeure toujours un voeu pieux, nous ne nous trompons certainement pas en admettant la maxime d’y travailler sans relâche, puisqu’elle est un devoir.KANT
Métaphysique des Moeurs, Première partie : Doctrine du droit.
2003STI AAMÉTROPOLELes enfants, grands imitateurs, essayent tous de dessiner : je voudrais que le mien cultivât cet art, non précisément pour l’art même, mais pour se rendre l’oeil juste et la main flexible ; et, en général, il importe fort peu qu’il sache tel ou tel exercice, pourvu qu’il acquière la perspicacité du sens et la bonne habitude du corps qu’on gagne par cet exercice. Je me garderai donc bien de lui donner un maître à dessiner, qui ne lui donnerait à imiter que des imitations, et ne le ferait dessiner que sur des dessins : je veux qu’il n’ait d’autre maître que la nature, ni d’autre modèle que les objets. Je veux qu’il ait sous les yeux l’original même et non pas le papier qui le représente, qu’il crayonne une maison sur une maison, un arbre sur un arbre, un homme sur un homme, afin qu’il s’accoutume à bien observer les corps et leurs apparences, et non pas à prendre des imitations fausses et conventionnelles pour de véritables imitations. Je le détournerai même de rien tracer de mémoire en l’absence des objets, jusqu’à ce que, par des observations fréquentes, leurs figures exactes s’impriment bien dans son imagination ; de peur que, substituant à la vérité des choses des figures bizarres et fantastiques, il ne perde la connaissance des proportions et le goût des beautés de la nature.ROUSSEAU

QUESTIONS :
a) Pourquoi, selon Rousseau, les enfants doivent-ils cultiver l’art du dessin ?b) Quelles sont les étapes de son argumentation ?a) Expliquez : "prendre des imitations fausses et conventionnelles pour de véritables imitations".b) Analysez la distinction entre l’imagination dans laquelle "s’impriment" des "figures exactes" et l’imagination productrice de "figures bizarres et fantastiques".3° Faut-il apprendre à voir ?
2003TECHN.MÉTROPOLERespecter la nature, est-ce renoncer à la transformer ?
2003STI AAMÉTROPOLEL’existence des êtres finis est si pauvre et si bornée que, quand nous ne voyons que ce qui est, nous ne sommes jamais émus. Ce sont les chimères qui ornent les objets réels ; et si l’imagination n’ajoute un charme à ce qui nous frappe, le stérile plaisir qu’on y prend se borne à l’organe, et laisse toujours le coeur froid. La terre, parée des trésors de l’automne, étale une richesse que l’oeil admire mais cette admiration n’est point touchante ; elle vient plus de la réflexion que du sentiment. Au printemps, la campagne presque nue n’est encore couverte de rien, les bois n’offrent point d’ombre, la verdure ne fait que de poindre, et le coeur est touché à son aspect. En voyant renaître ainsi la nature, on se sent ranimer soi-même ; l’image du plaisir nous environne ; ces compagnes de la volupté, ces douces larmes, toujours prêtes à se joindre à tout sentiment délicieux, sont déjà sur le bord de nos paupières ; mais l’aspect des vendanges a beau être animé, vivant, agréable, on le voit toujours d’un oeil sec.Pourquoi cette différence ? C’est qu’au spectacle du printemps l’imagination joint celui des saisons qui le doivent suivre ; à ces tendres bourgeons que l’oeil aperçoit, elle ajoute les fleurs, les fruits, les ombrages, quelquefois les mystères qu’ils peuvent couvrir. Elle réunit en un point des temps qui doivent se succéder, et voit moins les objets comme ils seront que comme elle les désire, parce qu’il dépend d’elle de les choisir. En automne, au contraire, on n’a plus à voir que ce qui est. Si l’on veut arriver au printemps, l’hiver nous arrête, et l’imagination glacée expire sur la neige et sur les frimas.ROUSSEAU
a) Dégagez la thèse de Rousseau et les étapes de son argumentation.b) Précisez les éléments de la comparaison qu’il établit entre l’automne et le printemps.2) Expliqueza) "quand nous ne voyons que ce qui est, nous ne sommes jamais émus" et "[elle] voit moins les objets comme ils seront que comme elle les désire".b) "elle vient plus de la réflexion que du sentiment".3/ Qu’est-ce qui me touche dans ce que je perçois ?
2003ESPOLYNÉSIELes poètes sont des hommes qui refusent d’utiliser le langage. Or, comme c’est dans et par le langage conçu comme une certaine espèce d’instrument que s’opère la recherche de la vérité, il ne faut pas s’imaginer qu’ils visent à discerner le vrai ni à l’exposer. Ils ne songent pas non plus à nommer le monde et, par le fait, ils ne nomment rien du tout, car la nomination implique un perpétuel sacrifice du nom à l’objet nommé : le nom s’y révèle l’inessentiel, en face de la chose qui est essentielle. Ils ne parlent pas ; ils ne se taisent pas non plus : c’est autre chose. En fait, le poète s’est retiré d’un seul coup du langage-instrument ; il a choisi une fois pour toutes l’attitude poétique qui considère les mots comme des choses et non comme des signes. Car l’ambiguïté du signe implique qu’on puisse à son gré le traverser comme une vitre et poursuivre à travers lui la chose signifiée ou tourner son regard vers sa réalité et le considérer comme objet. L’homme qui parle est au-delà des mots, près de l’objet ; le poète est en deçà. Pour le premier, ils sont domestiques ; pour le second, ils restent à l’état sauvage. Pour celui-là, ce sont des conventions utiles, des outils qui s’usent peu à peu et qu’on jette quand ils ne peuvent plus servir ; pour le second, ce sont des choses naturelles qui croissent naturellement sur la terre comme l’herbe et les arbres.SARTRE
Qu’est-ce que la Littérature ?
2003LPOLYNÉSIEChaque mot de notre langue a beau être conventionnel, le langage n’est pas une convention, et il est aussi naturel à l’homme de parler que de marcher. Or, quelle est la fonction primitive du langage ? C’est d’établir une communication en vue d’une coopération. Le langage transmet des ordres ou des avertissements. Il prescrit ou il décrit. Dans le premier cas, c’est l’appel à l’action immédiate ; dans le second, c’est le signalement de la chose ou de quelqu’une de ses propriétés, en vue de l’action future. Mais, dans un cas comme dans l’autre, la fonction est industrielle, commerciale, militaire, toujours sociale. Les choses que le langage décrit ont été découpées dans le réel par la perception humaine en vue du travail humain. Les propriétés qu’il signale sont les appels de la chose à une activité humaine. Le mot sera donc le même, comme nous le disions, quand la démarche suggérée sera la même, et notre esprit attribuera à des choses diverses la même propriété, se les représentera de la même manière, les groupera enfin sous la même idée, partout où la suggestion du même parti à tirer, de la même action à faire, suscitera le même mot. Telles sont les origines du mot et de l’idée.BERGSON
La Pensée et le mouvant.
2003TECHN.POLYNÉSIECe qui est bien et conforme à l’ordre est tel par la nature des choses et indépendamment des conventions humaines. Toute justice vient de Dieu, lui seul en est la source ; mais si nous savions la recevoir de si haut nous n’aurions besoin ni de gouvernement ni de lois. Sans doute il est une justice universelle émanée de la raison seule ; mais cette justice pour être admise entre nous doit être réciproque. A considérer humainement les choses, faute de sanction naturelle les lois de la justice sont vaines parmi les hommes ; elles ne font que le bien du méchant et le mal du juste, quand celui-ci les observe avec tout le monde sans que personne les observe avec lui. Il faut donc des conventions et des lois pour unir les droits aux devoirs et ramener la justice à son objet. Dans l’état de nature, où tout est commun, je ne dois rien à ceux à qui je n’ai rien promis, je ne reconnais pour être à autrui que ce qui m’est inutile. Il n’en est pas ainsi dans l’état civil (1) où tous les droits sont fixés par la loi.ROUSSEAU
(1) état civil : état de société
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée centrale du texte et les étapes de l’argumentation.2° Expliqueza) "il est une justice universelle émanée de la raison seule" ;b) "faute de sanction naturelle les lois de la justice sont vaines parmi les hommes" ;c) "dans l’état civil où tous les droits sont fixés par la loi".3° Faut-il des lois pour que la justice se réalise ?
2003LPOLYNÉSIESitôt que les hommes sont en société, ils perdent le sentiment de leur faiblesse ; l’égalité, qui était entre eux, cesse, et l’état de guerre commence.Chaque société particulière vient à sentir sa force ; ce qui produit un état de guerre de nation à nation. Les particuliers, dans chaque société, commencent à sentir leur force ; ils cherchent à tourner en leur faveur les principaux avantages de cette société ; ce qui fait entre eux un état de guerre.Ces deux sortes d’état de guerre font établir les lois parmi les hommes. Considérés comme habitants d’une si grande planète, qu’il est nécessaire qu’il y ait différents peuples, ils ont des lois dans le rapport que ces peuples ont entre eux ; et c’est le DROIT DES GENS (1) (...).Le droit des gens est naturellement fondé sur ce principe, que les diverses nations doivent se faire, dans la paix, le plus de bien, et, dans la guerre, le moins de mal qu’il est possible, sans nuire à leurs véritables intérêts.L’objet de la guerre, c’est la victoire ; celui de la victoire, la conquête ; celui de la conquête, la conservation. De ce principe et du précédent doivent dériver toutes les lois qui forment le droit des gens.MONTESQUIEU
De l’Esprit des lois.(1) "gens" est pris ici au sens de peuple.
2003SPOLYNÉSIEL’homme est destiné par sa raison à exister en société avec des hommes et à se cultiver, se civiliser, se moraliser, dans cette société, par l’art et les sciences, si grand que puisse être son penchant animal à s’abandonner passivement aux séductions du confort et du bien-vivre qu’il appelle félicité : bien plutôt est-il destiné à se rendre activement digne de l’humanité, en luttant contre les obstacles dont l’accable la grossièreté de sa nature.L’homme doit donc nécessairement être éduqué en vue du bien ; mais celui qui a le devoir de l’éduquer est à son tour un homme qui est encore plongé dans la grossièreté de la nature et doit pourtant produire ce dont lui-même a besoin. De là vient le constant écart de l’être humain par rapport à sa destination, avec toujours des tentatives répétées pour y revenir.KANT
Anthropologie du point de vue pragmatique.
2004SAMÉRIQUE DU NORDY a-t-il des désirs naturels ?
2004ESAMÉRIQUE DU SUDTous les hommes sont sensibles à la nécessité de la justice pour maintenir la paix et l’ordre, et tous les hommes sont sensibles à la nécessité de la paix et de l’ordre pour maintenir la société. En dépit de cette forte et évidente nécessité, telle est cependant la fragilité ou la perversité de notre nature qu’il est impossible aux hommes de rester fidèlement et infailliblement sur le chemin de la justice. Des circonstances extraordinaires se produisent qui amènent un homme à plutôt trouver ses intérêts défendus par la fraude et le vol qu’à être choqué par la fracture que son injustice crée dans l’union sociale. Mais beaucoup plus souvent, il se trouve détourné de ses intérêts supérieurs, importants mais lointains, par l’apparence du présent, ses tentations étant souvent très frivoles. Cette grande faiblesse est incurable dans la nature humaine.Les hommes doivent donc s’ingénier à pallier ce qu’ils ne peuvent guérir. Il leur faut instituer des personnes qu’ils nomment magistrats, dont la fonction spécifique est de promulguer les décrets de l’équité, d’en punir les transgresseurs, de fustiger (1) la fraude et la violence, et de contraindre les hommes, bien que récalcitrants, à suivre leurs intérêts réels et permanents. En un mot, l’obéissance est un nouveau devoir qu’il faut inventer afin de supporter celui de la justice ; et les liens de l’équité doivent être renforcés par ceux de l’assujettissement.HUME
De l’Origine du gouvernement.(1) "Fustiger" signifie dans ce texte "corriger".
2004LAMÉRIQUE DU SUDToute morale est contraire au laisser-aller, c’est une tyrannie qui s’exerce sur la "nature" et aussi sur la "raison" ; ce n’est pas pour autant une objection, à moins qu’on ne veuille décréter au nom de quelque autre morale l’interdiction de toute tyrannie et de toute déraison. L’essentiel de toute morale, ce qui en fait la valeur inestimable c’est qu’elle est une longue contrainte. [...] Il faut se souvenir que c’est toujours par l’effet d’une contrainte que le langage est parvenu à acquérir vigueur et liberté : contrainte métrique, tyrannie de la rime et du rythme. Que de peines se sont données dans toutes les nations les poètes et les orateurs, sans en excepter quelques prosateurs de nos jours, dont l’oreille est d’une exigence inexorable ! [...] Si étrange que cela puisse sembler, tout ce qui existe et a jamais existé sur la terre, en fait de liberté, de finesse, d’audace, de danse et de magistrale assurance, que ce soit dans la pensée proprement dite, dans l’art de gouverner, de parler ou de convaincre, dans les arts ou dans les morales, n’a jamais pu fleurir que sous la tyrannie de ces "lois arbitraires". Et je le dis très sérieusement, selon toute apparence c’est la contrainte qui est la nature ou le naturel, et non pas le laisser-aller. Tout artiste sait par expérience combien il est loin du sentiment du laisser-aller, quand il est dans l’état qui lui est le plus "naturel", l’état d’inspiration, où en pleine liberté il ordonne, dispose, agence et construit. Avec quelle rigueur et quelle précision délicate il obéit justement alors à de multiples lois dont la rigueur et la précision le mettraient au défi de les formuler en concepts ; comparé à ces lois, le concept le plus ferme a quelque chose de flottant, de complexe, d’équivoque. Pour le dire encore une fois, il semble que l’essentiel "au ciel et sur la terre" soit d’obéir longuement et toujours dans le même sens ; il en résulte, il finit toujours par en résulter quelque chose pour quoi il vaut la peine de vivre : vertu, art, musique, danse, raison, spiritualité, quelque chose d’illuminant, de raffiné, de fou, de divin.NIETZSCHE
Par delà Bien et mal.
2004ESANTILLESLa patrie ne peut subsister sans la liberté, ni la liberté sans la vertu, ni la vertu sans les citoyens ; vous aurez tout si vous formez des citoyens ; sans cela vous n’aurez que de méchants esclaves, à commencer par les chefs de l’État. Or former des citoyens n’est pas l’affaire d’un jour ; et pour les avoir hommes, il faut les instruire enfants. Qu’on me dise que quiconque a des hommes à gouverner, ne doit pas chercher hors de leur nature une perfection dont ils ne sont pas susceptibles ; qu’il ne doit pas vouloir détruire en eux les passions, et que l’exécution d’un pareil projet ne serait pas plus désirable que possible. Je conviendrai d’autant mieux de tout cela, qu’un homme qui n’aurait point de passions serait certainement un fort mauvais citoyen : mais il faut convenir aussi que si l’on n’apprend point aux hommes à n’aimer rien, il n’est pas impossible de leur apprendre à aimer un objet plutôt qu’un autre, et ce qui est véritablement beau, plutôt que ce qui est difforme. Si, par exemple, on les exerce assez tôt à ne jamais regarder leur individu que par ses relations avec le corps de l’État, et à n’apercevoir, pour ainsi dire, leur propre existence que comme une partie de la sienne, ils pourront parvenir enfin à s’identifier en quelque sorte avec ce plus grand tout, à se sentir membres de la patrie, à l’aimer de ce sentiment exquis que tout homme isolé n’a que pour soi-même, à élever perpétuellement leur âme à ce grand objet, et à transformer ainsi en une vertu sublime, cette disposition dangereuse d’où naissent tous nos vices.ROUSSEAU
Sur l’Economie politique.
2004ESANTILLESSi, comme je le crois, les sentiments moraux ne sont pas innés, mais acquis, ils n’en sont pas moins, pour cela, naturels. Il est naturel à l’homme de parler, de raisonner, de bâtir des villes, de cultiver le sol, quoique ce soient là des facultés acquises. Les sentiments moraux, à la vérité, ne font pas partie de notre nature, si on entend par là qu’ils devraient être présents chez nous tous, à un degré appréciable quelconque ; fait regrettable, sans doute, et reconnu par ceux qui croient le plus fortement à l’origine transcendante de ces sentiments. Cependant, comme les autres aptitudes acquises, la faculté morale, si elle ne fait pas partie de notre nature, s’y développe naturellement ; comme les autres facultés, elle est capable de prendre naissance spontanément, et, très faible au début, elle peut être portée par la culture à un haut degré de développement. Malheureusement aussi, en recourant autant qu’il est nécessaire aux sanctions extérieures et en utilisant l’influence des premières impressions, on peut la développer dans n’importe quelle direction, ou presque ; en sorte qu’il n’y a guère d’idée, si absurde ou si malfaisante qu’elle soit, qu’on ne puisse imposer à l’esprit humain en lui donnant, par le jeu de ces influences, toute l’autorité de la conscience.MILL
De l’Utilitarisme.
2004SANTILLESLa raison ne voit que ce qu’elle produit elle-même d’après ses propres plans et elle doit prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements, suivant des lois immuables, elle doit obliger la nature à répondre à ces questions et ne pas se laisser conduire pour ainsi dire en laisse par elle ; car autrement, faites au hasard et sans aucun plan tracé d’avance, nos observations ne se rattacheraient point à une loi nécessaire, chose que la raison demande et dont elle a besoin. Il faut donc que la raison se présente à la nature tenant, d’une main, ses principes qui seuls peuvent donner aux phénomènes concordant entre eux l’autorité de la loi, et de l’autre, l’expérimentation qu’elle a imaginée d’après ses principes, pour être instruite par elle, il est vrai, mais non pas comme un écolier qui se laisse dire tout ce qui plaît au maître, mais, au contraire, comme un juge en fonctions qui force les témoins à répondre aux questions qu’il leur pose.KANT
Critique de la raison pure.
2004TECHN.ANTILLESSi nous considérons combien sont petites les différences de force ou de connaissance entre les hommes mûrs, et combien il est facile aux plus faibles, par la force ou l’esprit, ou les deux, de détruire entièrement le pouvoir du plus fort (car il ne faut que peu de force pour ôter la vie à un homme) on peut conclure que les hommes considérés dans le simple état de nature, devraient reconnaître qu’ils sont égaux entre eux ; et que celui qui s’en contente, peut passer pour modéré.D’autre part, si l’on considère la grande différence qui existe entre les hommes, différence qui provient de la diversité de leurs passions, et combien certains sont pleins de vaine gloire et espèrent obtenir préséance et supériorité sur leurs semblables, non seulement quand ils sont égaux en pouvoir, mais aussi quand ils sont inférieurs, il faut obligatoirement reconnaître qu’il doit nécessairement s’ensuivre que ceux qui sont modérés et ne recherchent rien d’autre que l’égalité naturelle, seront inévitablement exposés à la force des autres qui tenteront de les dominer. Et de là inévitablement procédera une méfiance générale en l’espèce humaine et la crainte mutuelle des uns et des autres.HOBBES

QUESTIONS :
1° En étudiant la structure du raisonnement de l’auteur, dégagez sa thèse.2° Expliquez :a) "les hommes considérés dans le simple état de nature, devraient reconnaître qu’ils sont égaux entre eux" ;b) "la grande différence [...] qui provient de la diversité de leurs passions" ;c) "une méfiance générale en l’espèce humaine et la crainte mutuelle des uns et des autres".3° L’égalité n’est-elle que naturelle ?
2004LÉTRANGER GROUPE 1Bien que le gouvernement soit une invention très profitable et même, dans certaines circonstances, absolument nécessaire à l’espèce humaine, elle n’est pas nécessaire dans toutes les circonstances, et les hommes ne sont pas dans l’impossibilité de maintenir un certain temps la société sans avoir recours à cette invention. Ils sont, c’est vrai, toujours plus enclins à préférer l’intérêt présent à celui qui est distant et éloigné, et il ne leur est pas facile de résister à la tentation d’un bien dont ils peuvent profiter immédiatement, parce qu’ils craignent un mal qui se trouve au loin ; mais cette faiblesse, cependant, se fait moins remarquer quand les possessions et les plaisirs de la vie sont peu nombreux et de peu de valeur, ainsi qu’ils le sont toujours dans l’enfance de la société. Un Indien n’est que peu tenté d’en déposséder un autre de sa hutte ou de lui voler son arc, puisqu’il est déjà pourvu des mêmes avantages ; quant à la plus grande chance qui peut, à la pêche ou à la chasse, aider l’un plus que l’autre, elle n’est qu’accidentelle et temporaire et elle ne tendra que faiblement à troubler la société. Et je suis si loin de penser, avec certains philosophes, que les hommes sont totalement incapables de faire société sans gouvernement, que j’affirme que les premiers rudiments de gouvernement ne résultent pas de querelles entre hommes d’une même société, mais entre hommes de sociétés différentes.HUME
Traité de la nature humaine.
2004SÉTRANGER GROUPE 1Il existe une loi vraie, c’est la droite raison, conforme à la nature, répandue dans tous les êtres, toujours d’accord avec elle-même, non sujette à périr, qui nous appelle impérieusement à remplir notre fonction, nous interdit la fraude et nous en détourne. L’honnête homme n’est jamais sourd à ses commandements et à ses défenses ; ils sont sans actions sur le pervers. A cette loi nul amendement n’est permis, il n’est licite de l’abroger ni en totalité ni en partie. [...] Cette loi n’est pas autre à Athènes, autre à Rome, autre aujourd’hui, autre demain, c’est une seule et même loi éternelle et immuable, qui régit toutes les nations et en tout temps, il y a pour l’enseigner et la prescrire à tous un dieu unique : conception, délibération, mise en vigueur de la loi lui appartiennent également. Qui n’obéit pas à cette loi s’ignore lui-même et, parce qu’il aura méconnu la nature humaine, il subira par cela même le plus grand châtiment, même s’il échappe aux autres supplices.CICÉRON
De la République.
2004TECHN.ÉTRANGER GROUPE 1Il semble, à première vue, que de tous les animaux qui peuplent le globe terrestre, il n’y en ait pas un à l’égard duquel la nature ait usé de plus de cruauté qu’envers l’homme : elle l’a accablé de besoins et de nécessités innombrables et l’a doté de moyens insuffisants pour y subvenir. Chez les autres créatures, ces deux éléments se compensent l’un l’autre. Si nous regardons le lion en tant qu’animal carnivore et vorace, nous aurons tôt fait de découvrir qu’il est très nécessiteux ; mais si nous tournons les yeux vers sa constitution et son tempérament, son agilité, son courage, ses armes et sa force, nous trouverons que ces avantages sont proportionnés à ses besoins. Le mouton et le boeuf sont privés de tous ces avantages, mais leurs appétits sont modérés et leur nourriture est d’une prise facile. Il n’y a que chez l’homme que l’on peut observer à son plus haut degré d’achèvement cette conjonction, qui n’est pas naturelle, de la faiblesse et du besoin.[...] Ce n’est que par la société qu’il est capable de suppléer à ses déficiences et de s’élever à une égalité avec les autres créatures, voire d’acquérir une supériorité sur elles. Par la société, toutes ses infirmités sont compensées et, bien qu’en un tel état ses besoins se multiplient sans cesse, néanmoins ses capacités s’accroissent toujours plus et le laissent, à tous points de vue, plus satisfait et plus heureux qu’il ne pourrait jamais le devenir dans sa condition sauvage et solitaire.HUME

QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation.2° En vous appuyant sur le texte, répondez aux questions suivantes :a) qu’est-ce qui distingue l’homme des autres animaux ?b) pourquoi le mouton et le boeuf ne sont-ils pas désavantagés par rapport au lion ?3° Qu’est-ce que la vie en société apporte à l’homme ?
2004TECHN.INDECe qui est naturel peut-il être mauvais ?
2004ESJAPONUn homme qui se nourrit de glands qu’il ramasse sous un chêne, ou de pommes qu’il cueille sur des arbres, dans un bois, se les approprie certainement par-là. On ne saurait contester que ce dont il se nourrit, en cette occasion, ne lui appartienne légitimement. Je demande donc : Quand est-ce que ces choses qu’il mange commencent à lui appartenir en propre ? Lorsqu’il les digère, ou lorsqu’il les mange, ou lorsqu’il les cuit, ou lorsqu’il les porte chez lui, ou lorsqu’il les cueille ? Il est visible qu’il n’y a rien qui puisse les rendre siennes, que le soin et la peine qu’il prend de les cueillir et de les amasser. Son travail distingue et sépare alors ces fruits des autres biens qui sont communs ; il y ajoute quelque chose de plus que la nature, la mère commune de tous, n’y a mis ; et, par ce moyen, ils deviennent son bien particulier. Dira-t-on qu’il n’a point un droit de cette sorte sur ces glands et sur ces pommes qu’il s’est appropriés, à cause qu’il n’a pas là-dessus le consentement de tous les hommes ? Dira-t-on que c’est un vol, de prendre pour soi, et de s’attribuer uniquement, ce qui appartient à tous en commun ? Si un tel consentement était nécessaire, la personne dont il s’agit, aurait pu mourir de faim, nonobstant (1) l’abondance au milieu de laquelle Dieu l’a mise. Nous voyons que dans les communautés qui ont été formées par accord et par traité, ce qui est laissé en commun serait entièrement inutile, si on ne pouvait en prendre et s’en approprier quelque partie et par quelque voie. Il est certain qu’en ces circonstances on n’a point besoin du consentement de tous les membres de la société. Ainsi, l’herbe que mon cheval mange, les mottes de terre que mon valet a arrachées, et les creux que j’ai faits dans des lieux auxquels j’ai un droit commun avec d’autres, deviennent mon bien et mon héritage propre, sans le consentement de qui que ce soit. Le travail, qui est mien, mettant ces choses hors de l’état commun où elles étaient, les a fixées et me les a appropriées.LOCKE
Traité du gouvernement civil(1) Nonobstant : en dépit de.
2004SJAPONDéjà l’observation a besoin d’un corps de précautions qui conduisent à réfléchir avant de regarder, qui réforment du moins la première vision, de sorte que ce n’est jamais la première observation qui est la bonne. L’observation scientifique est toujours une observation polémique ; elle confirme ou infirme une thèse antérieure, un schéma préalable, un plan d’observation ; elle montre en démontrant ; elle hiérarchise les apparences ; elle transcende l’immédiat ; elle reconstruit le réel après avoir reconstruit ses schémas. Naturellement, dès qu’on passe de l’observation à l’expérimentation, le caractère polémique de la connaissance devient plus net encore. Alors il faut que le phénomène soit trié, filtré, épuré, coulé dans le moule des instruments, produit sur le plan des instruments. Or les instruments ne sont que des théories matérialisées. Il en sort des phénomènes qui portent de toutes parts la marque théorique.BACHELARD
Le nouvel Esprit scientifique.
2004ESLA RÉUNIONSi naturellement, en effet, qu’on fasse son devoir, on peut rencontrer en soi de la résistance ; il est utile de s’y attendre, et de ne pas prendre pour accordé qu’il soit facile de rester bon époux, bon citoyen, travailleur consciencieux, enfin honnête homme. Il y a d’ailleurs une forte part de vérité dans cette opinion ; car s’il est relativement aisé de se maintenir dans le cadre social, encore a-t-il fallu s’y insérer, et l’insertion exige un effort. L’indiscipline naturelle de l’enfant, la nécessité de l’éducation, en sont la preuve. Il n’est que juste de tenir compte à l’individu du consentement virtuellement donné à l’ensemble de ses obligations, même s’il n’a plus à se consulter pour chacune d’elles. Le cavalier n’a qu’à se laisser porter ; encore a-t-il dû se mettre en selle. Ainsi pour l’individu vis-à-vis de la société. En un certain sens il serait faux, et dans tous les sens il serait dangereux, de dire que le devoir peut s’accomplir automatiquement. Erigeons donc en maxime pratique que l’obéissance au devoir est une résistance à soi-même.BERGSON
Les deux Sources de la morale et de la religion.
2004SLA RÉUNIONLa vie est tendance, et l’essence d’une tendance est de se développer en forme de gerbe, créant, par le seul fait de sa croissance, des directions divergentes entre lesquelles se partage son élan. C’est ce que nous observons sur nous-mêmes dans l’évolution de cette tendance spéciale que nous appelons notre caractère. Chacun de nous, en jetant un coup d’oeil rétrospectif sur son histoire, constatera que sa personnalité d’enfant, quoique indivisible, réunissait en elle des personnes diverses qui pouvaient rester fondues ensemble parce qu’elles étaient à l’état naissant : cette indécision pleine de promesses est même un des plus grands charmes de l’enfance. Mais les personnalités qui s’entrepénètrent deviennent incompatibles en grandissant, et comme chacun de nous ne vit qu’une seule vie, force lui est de faire un choix. Nous choisissons en réalité sans cesse, et sans cesse aussi nous abandonnons beaucoup de choses. La route que nous parcourons dans le temps est jonchée des débris de tout ce que nous commencions d’être, de tout ce que nous aurions pu devenir. Mais la nature, qui dispose d’un nombre incalculable de vies, n’est point astreinte à de pareils sacrifices. Elle conserve les diverses tendances qui ont bifurqué en grandissant. Elle crée, avec elles, des séries divergentes d’espèces qui évolueront séparément.BERGSON
L’Évolution créatrice.
2004TECHN.LA RÉUNIONParmi les erreurs qui passent pour des vérités établies et sont devenues des préjugés, nous rencontrons d’abord l’opinion que l’homme est libre naturellement, mais que dans la société, et dans l’État où il entre nécessairement en même temps, il doit restreindre cette liberté naturelle (...) En ce sens on admet un état de nature où l’homme est représenté en possession de ses droits naturels dans l’exercice illimité de sa liberté.Mais la liberté n’est pas comme un état immédiat et naturel, elle doit bien plutôt être acquise et conquise, et certes, grâce à une intervention infinie de l’éducation du savoir et du vouloir. C’est pourquoi l’état de nature est plutôt celui de l’injustice, de la violence, de l’instinct naturel indompté, des actions et des sentiments inhumains. La société et l’État imposent assurément des bornes, limitent ces sentiments informes et ces instincts grossiers (...). Mais cette limitation est la condition même d’où sortira la délivrance ; et l’État comme la société sont les conditions dans lesquelles bien plutôt la liberté se réalise.HEGEL

QUESTIONS
1° Dégagez la thèse du texte et les étapes de son argumentation.2° Expliqueza) "nous rencontrons d’abord l’opinion que l’homme est libre naturellement, mais que dans la société, et dans l’État où il entre nécessairement en même temps, il doit restreindre cette liberté naturelle" ;b) "la liberté n’est pas comme un état immédiat et naturel, elle doit bien plutôt être acquise et conquise".3° Pourquoi la liberté doit-elle être conquise ?
2004ESLIBANIl est extrêmement utile de faire souvent réflexion sur les manières presque infinies dont les hommes sont liés aux objets sensibles ; et un des meilleurs moyens pour se rendre assez savant dans ces choses, c’est de s’étudier et de s’observer soi-même. C’est par l’expérience de ce que nous sentons dans nous-mêmes que nous nous instruisons avec une entière assurance de toutes les inclinations des autres hommes, et que nous connaissons avec quelque certitude une grande partie des passions auxquelles ils sont sujets. Que si (1) nous ajoutons à ces expériences la connaissance des engagements particuliers où ils se trouvent et celle des jugements propres à chacune des passions desquels nous parlerons dans la suite, nous n’aurons peut-être pas tant de difficultés à deviner la plupart de leurs actions que les astronomes en ont à prédire les éclipses. Car encore que les hommes soient libres, il est très rare qu’ils fassent usage de leur liberté contre leurs inclinations naturelles et leurs passions violentes.MALEBRANCHE
La Recherche de la vérité.(1) Que si nous ajoutons : si nous ajoutons
2004LLIBANPeut-on connaître le vivant sans le dénaturer ?
2004LLIBANCe qu’il y a de plus insensé, c’est de croire que tout ce qui est réglé par les institutions ou les lois des peuples est juste. Quoi ! Même les lois des tyrans ? Si les Trente (1) avaient voulu imposer aux Athéniens des lois, et si tous les Athéniens avaient aimé ces lois dictées par des tyrans, devrait-on les tenir pour juste ? Le seul droit est celui qui sert de lien à la société, et une seule loi l’institue : cette loi qui établit selon la droite raison des obligations et des interdictions. Qu’elle soit écrite ou non, celui qui l’ignore est injuste. Mais si la justice est l’obéissance aux lois écrites et aux institutions des peuples et si, comme le disent ceux qui le soutiennent, l’utilité est la mesure de toutes choses, il méprisera et enfreindra les lois, celui qui croira y voir son avantage. Ainsi plus de justice, s’il n’y a pas une nature pour la fonder ; si c’est sur l’utilité qu’on la fonde, une autre utilité la renverse. Si donc le droit ne repose pas sur la nature, toutes les vertus disparaissent.CICÉRON
Des Lois.(1) Nom donné au gouvernement imposé par les Spartiates après la défaite d’Athènes.
2004STI AAMÉTROPOLEPour comprendre comment le sentiment du beau comporte lui-même des degrés, il faudrait le soumettre à une minutieuse analyse. Peut-être la peine qu’on éprouve à le définir tient-elle surtout à ce que l’on considère les beautés de la nature comme antérieures à celles de l’art : les procédés de l’art ne sont plus alors que des moyens par lesquels l’artiste exprime le beau, et l’essence du beau demeure mystérieuse. Mais on pourrait se demander si la nature est belle autrement que par la rencontre heureuse de certains procédés de notre art, et si, en un certain sens, l’art ne procéderait pas de la nature. Sans même aller aussi loin, il semble plus conforme aux règles d’une saine méthode d’étudier d’abord le beau dans les oeuvres où il a été produit par un effort conscient, et de descendre ensuite par transitions insensibles de l’art à la nature, qui est artiste à sa manière.BERGSON

QUESTIONS :
a) quelle est la question examinée par Bergson dans le texte ?b) quelle réponse lui apporte-t-il ? Montrez comment il l’établit.a) expliquez : "les procédés de l’art ne sont plus alors que des moyens par lesquels l’artiste exprime le beau" ;b) expliquez : "si, en un certain sens, l’art ne précèderait pas la nature" ;c) pourquoi semble-t-il "plus conforme aux règles d’une saine méthode d’étudier d’abord le beau dans les oeuvres où il a été produit par un effort conscient" ?3° Est-ce l’art qui nous rend sensibles aux beautés de la nature ?
2004SMÉTROPOLECommunément l’on n’entend pas par loi autre chose qu’un commandement, que les hommes peuvent également exécuter ou négliger, attendu qu’il contient la puissance de l’homme dans des limites déterminées au-delà desquels cette puissance s’étend, et ne commande rien qui dépasse ses forces ; il semble que l’on doive définir la loi comme une règle de vie que l’homme s’impose à lui-même ou impose à d’autres pour une fin quelconque. Toutefois, comme la vraie fin des lois n’apparaît d’ordinaire qu’à un petit nombre et que la plupart des hommes sont à peu près incapables de la percevoir, leur vie étant d’ailleurs fort peu conforme à la Raison, les législateurs ont sagement institué une autre fin bien différente de celle qui suit nécessairement de la nature des lois ; il promettent aux défenseurs des lois ce que le vulgaire (1) aime le plus, tandis qu’ils menacent leurs violateurs de ce qu’ils redoutent le plus. Ils se sont ainsi efforcés de contenir le vulgaire dans la mesure où il est possible de le faire, comme on contient un cheval à l’aide d’un frein. De là cette conséquence qu’on a surtout tenu pour loi une règle de vie prescrite aux hommes par le commandement d’autres hommes, si bien que, suivant le langage courant, ceux qui obéissent aux lois, vivent sous l’empire de la loi et qu’ils semblent être asservis. Il est très vrai que celui qui rend à chacun le sien par crainte du gibet, agit par le commandement d’autrui et est contraint par le mal qu’il redoute ; on ne peut dire qu’il soit juste ; mais celui qui rend à chacun le sien parce qu’il connaît la vraie raison des lois et leur nécessité, agit en constant accord avec lui-même et par son propre décret, non par le décret d’autrui ; il mérite donc être appelé juste.SPINOZA
Traité théologico-politique.
2004SNOUVELLE-CALÉDONIEJe ne vois dans tout animal qu’une machine ingénieuse, à qui la nature a donné des sens pour se remonter elle-même, et pour se garantir, jusqu’à un certain point, de tout ce qui tend à la détruire, ou à la déranger. J’aperçois précisément les mêmes choses dans la machine humaine, avec cette différence que la nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que l’homme concourt aux siennes, en qualité d’agent libre. L’un choisit ou rejette par instinct, et l’autre par un acte de liberté ; ce qui fait que la bête ne peut s’écarter de la règle qui lui est prescrite, même quand il lui serait avantageux de le faire, et que l’homme s’en écarte souvent à son préjudice. C’est ainsi qu’un pigeon mourrait de faim près d’un bassin rempli des meilleures viandes, et un chat sur des tas de fruits, ou de grain, quoique l’un et l’autre pût très bien se nourrir de l’aliment qu’il dédaigne, s’il s’était avisé d’en essayer. C’est ainsi que les hommes dissolus se livrent à des excès, qui leurs causent la fièvre et la mort ; parce que l’esprit déprave les sens, et que la volonté parle encore, quand la nature se tait.ROUSSEAU
Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.
2004TECHN.NOUVELLE-CALÉDONIEAu cours des dernières générations, l’humanité a fait accomplir des progrès extraordinaires aux sciences physiques et naturelles et à leurs applications techniques : elle a assuré sa domination sur la nature d’une manière jusqu’ici inconcevable. Les caractères de ces progrès sont si connus que l’énumération en est superflue. Or, les hommes sont fiers de ces conquêtes, et à bon droit. Ils croient toutefois constater que cette récente maîtrise de l’espace et du temps, cet asservissement des forces de la nature, cette réalisation d’aspirations millénaires, n’ont aucunement élevé la somme de jouissance qu’ils attendent de la vie. Ils n’ont pas le sentiment d’être pour cela devenus plus heureux. On devrait se contenter de conclure que la domination de la nature n’est pas la seule condition du bonheur, pas plus qu’elle n’est le but unique de l’oeuvre civilisatrice, et non que les progrès de la technique sont dénués de valeur pour notre bonheur.FREUD

QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation.a) Qu’est-ce que les hommes attendaient du développement de la technique ? Pourquoi Freud dit-il qu’ils "sont fiers" de ce développement "à bon droit" ?b) En quoi l’attente des hommes est-elle cependant déçue ?3° Que valent les progrès de la technique "pour notre bonheur" ?
2004ESPOLYNÉSIEJe remarque que nos choix sont toujours faits. Nous délibérons après avoir choisi, parce que nous choisissons avant de savoir. Soit un métier : comment le choisit-on ? Avant de le connaître. Où je vois premièrement une alerte négligence, et une sorte d’ivresse de se tromper, comme on dit quelquefois pour les mariages. Mais j’y vois bien aussi une condition naturelle, puisqu’on ne connaît bien un métier qu’après l’avoir fait longtemps. Bref, notre volonté s’attache toujours, si raisonnable qu’elle soit, à sauver ce qu’elle peut d’un choix qui ne fut guère raisonnable. Ainsi nos choix sont toujours derrière nous. Comme le pilote, qui s’arrange du vent et de la vague, après qu’il a choisi de partir. Mais disons aussi que presque tous nous n’ouvrons point le paquet quand nous pourrions. Toujours est-il que chacun autour de nous accuse le destin d’un choix que lui-même a fait. À qui ne pourrions-nous pas dire : "C’est toi qui l’a voulu", ou bien, selon l’esprit de Platon : "C’était dans ton paquet" ?ALAIN
Idées.
2004LPOLYNÉSIEL’inclination, la tendance au bonheur de leur nature est pour les hommes une obligation et une raison de prendre soin de ne pas se tromper de bonheur ni de le manquer ; elles les engagent donc nécessairement à la circonspection, à la délibération et à la prudence dans la conduite des actions particulières qui sont les moyens d’obtenir ce bonheur. Quelle que soit la nécessité déterminant à la poursuite du bonheur authentique, la même nécessité, dotée de la même force, établit la suspension, la délibération et la circonspection envers tout désir qui se présente : le satisfaire, n’est-ce pas interférer avec notre vrai bonheur et nous en détourner ? Ceci me semble être le grand privilège des êtres raisonnables ; et je voudrais qu’on se demande sérieusement si la source et la mise en oeuvre majeures de toute la liberté qu’ont les hommes, qu’ils peuvent acquérir, ou qui peut leur être utile, et dont dépend la tournure de leurs actions, ne résident pas en ce qu’ils peuvent suspendre leurs désirs, et les empêcher de déterminer leur volonté à une action jusqu’à ce qu’ils aient soigneusement et correctement examiné le bien et le mal, autant que l’exige l’importance de la chose. Ceci, nous sommes capables de le faire ; et quand nous l’avons fait, nous avons fait notre devoir, tout ce qui est en notre pouvoir, et tout ce qui est effectivement nécessaire.LOCKE
Essai sur l’entendement humain.
2004SPOLYNÉSIEC’est la société qui trace à l’individu le programme de son existence quotidienne. On ne peut vivre en famille, exercer sa profession, vaquer aux mille soins de la vie journalière, faire ses emplettes, se promener dans la rue ou même rester chez soi, sans obéir à des prescriptions et se plier à des obligations. Un choix s’impose à tout instant ; nous optons naturellement pour ce qui est conforme à la règle. C’est à peine si nous en avons conscience ; nous ne faisons aucun effort. Une route a été tracée par la société ; nous la trouvons ouverte devant nous et nous la suivons ; il faudrait plus d’initiative pour prendre à travers champs. Le devoir, ainsi entendu, s’accomplit presque toujours automatiquement ; et l’obéissance au devoir, si l’on s’en tenait au cas le plus fréquent, se définirait un laisser-aller ou un abandon. D’où vient donc que cette obéissance apparaît au contraire comme un état de tension, et le devoir lui-même comme une chose raide et dure ? C’est évidemment que des cas se présentent où l’obéissance implique un effort sur soi-même. Ces cas sont exceptionnels ; mais on les remarque, parce qu’une conscience intense les accompagne, comme il arrive pour toute hésitation ; à vrai dire, la conscience est cette hésitation même.BERGSON
Les deux Sources de la morale et de la religion.
2004TECHN.POLYNÉSIEL’homme est-il un animal dénaturé ?
2004TECHN.POLYNÉSIESi tout homme avait suffisamment de sagacité (1) pour percevoir à tout moment le puissant intérêt qui l’oblige à l’observance (2) de la justice et de l’équité, et une force de caractère suffisante pour persévérer dans une constante adhésion à un intérêt général et lointain, en résistant aux séductions du plaisir et de l’avantage présents, il n’y aurait jamais eu, dans ce cas, de choses telles que le gouvernement ou la société politique, mais chacun, en suivant sa liberté naturelle, aurait vécu en toute paix et en parfaite harmonie avec tous les autres. Où est le besoin d’une loi positive, là où la justice naturelle est, en soi, un frein suffisant ? Pourquoi créer des magistrats, là où n’apparaissent jamais de désordre ou d’iniquité ? Pourquoi réduire notre liberté naturelle, lorsque, dans tous les cas, son entier exercice se révèle innocent et bénéfique ? Il est évident que, si le gouvernement était totalement inutile, il n’aurait pas lieu d’être, et que l’unique fondement du devoir d’allégeance (3) est l’avantage qu’il procure à la société, en préservant la paix et l’ordre parmi les hommes.HUME
(1) Sagacité : intelligence(2) observance : respect(3) Allégeance : obéissance
QUESTIONS :
1° Quel est le problème posé par Hume dans le texte et quelle thèse soutient-il ?2° Expliquez :a) "persévérer dans une constante adhésion à un intérêt général et lointain" ;b) "en suivant sa liberté naturelle" ;c) "le besoin d’une loi positive".3° L’intérêt est-il le seul fondement du droit