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Dissimuler et simuler

Mazarin et la simulation

Pour le Cardinal Mazarin, les passions gouvernent les hommes. De sorte que la dissimulation et le mensonge se logent au coeur de la politique, où la morale constitue au mieux un masque.

« Aie toujours présents à l’esprit ces cinq préceptes : simule / dissimule / ne te fie à personne / dis du bien de tout le monde / prévois avant d’agir ». Ainsi Mazarin résume-t-il, dans le Bréviaire des politiciens, les qualités de l’homme d’État. Si les maximes sont du Cardinal, la présentation n’est pas de lui. L’ouvrage paraît en latin en 1684.

Nous savons de lui, écrit Umberto Eco dans sa « présentation », ce que le Dumas de Vingt ans après nous a appris. Un personnage odieux, menteur, un simulateur que le Duc de Beaufort nomme « l’illustrissime faquin Mazarin ». Le Cardinal de Retz en dresse un portrait ridicule dans ses Mémoires, voyant en lui l’opposé des valeurs héroïques de la noblesse. Bref, le portrait d’un homme peu fréquentable… à moins que ce ne soient les affaires politiques elles-mêmes qui inspirent un tel dégoût. Le peuple et la noblesse tiennent en haut respect les codes moraux, mais l’un comme l’autre sont emportés dans « une génération perpétuelle de passions », écrira La Rochefoucauld (1613-1680), porteur d’une morale de l’honnête homme à l’opposé de la position de Mazarin. Ainsi écrit-il :

« J’ai passé les dernières années du ministère du cardinal Mazarin dans l’oisiveté que laisse d’ordinaire la disgrâce : pendant ce temps, j’ai écrit ce que j’ai vu des troubles de la Régence » .

La position de Mazarin est assez radicale : l’homme n’est pas grand malgré ses désirs de grandeur. Il est emporté par l’instinct et les plaisirs du corps qui l’entraînent au goût immodéré de l’argent. La morale ne serait que simulation. « Les anciens disaient : contiens-toi et abstiens-toi. Nous disons simule et dissimule ; ou encore : connais-toi toi-même et connais les autres » . Pourquoi ? parce que le peuple a la force de ses pulsions. Entraîné par la force d’inertie, il faut la puissance de l’imagination pour suspendre sa course.

Une politique sans idéal

Le Bréviaire se veut instructif et se refuse à tenir un discours trop général : « C’est à cela que t’aidera la lecture de ce petit ouvrage : à considérer toujours soigneusement en quel lieu et en quelle compagnie tu te trouves et quelles circonstances t’y ont amené. » Il ne s’agit pas non plus de produire un discours vrai sur le meilleur gouvernement. Ni hors des lieux (a-topique), ni hors du temps (a-chronique), le politique est d’un temps et d’un pays. Il n’y a aucune politique qui ne dure si elle ne prend en compte les particularités du lieu et du moment. La seule nécessité est de s’adapter aux contingences de l’histoire, à l’ici et au maintenant, afin de prévoir. Le politique accomplit la rencontre des trois temps - historique, présent, à venir - dans l’instant de la décision et de l’action

Se mettre en scène simulant la morale

Catherine Guillot, dans un article consacré à « Richelieu et le théâtre » explique que « pour appliquer une politique culturelle efficace, Richelieu sait que l’écrivain doit contribuer à orienter l’opinion publique. Aussi, la protection et les pensions par lesquelles il s’attache les auteurs ne vont pas sans contrepartie : bon gré mal gré, les auteurs doivent contribuer à servir la propagande politique. À un mécénat d’État, s’ajoute bien évidemment l’aide apportée par de grands seigneurs, aristocrates et financiers divers également passionnés de théâtre. » Mazarin ne croit pas au pouvoir réformateur de la morale. La conscience est occupée d’elle-même, égoïstement. Il n’y a pas d’âmes bien nées et d’autres vulgaires : juste un jeu mécanique des passions.

L’art de la simulation n’est pas celui, plus baroque, de la dissimulation. Sous le masque de celui qui dissimule, se trouve le vrai. A l’inverse, celui qui simule fait semblant : il n’est que pure apparence. Les affaires politiques supposent de feindre, de renoncer à une quelconque vérité. Dans le monde de Mazarin, rien ne dure. Tout est soumis à l’usure, l’érosion. Le temps fuit, comme chez Héraclite. La permanence n’est pas au coeur du politique. Comment conserver le pouvoir en place ? Réponse de Mazarin : en jouant sur les affects et en développant la passion d’admiration.

La mécanique des passions

D’après Aristote, le vantard est pire que le réticent, car la dissimulation peut être honnête à condition qu’elle ne se permette aucun mensonge et qu’elle soit utilisée dans un but moralement irréprochable. Comme le souligne saint Augustin : « cacher la vérité n’est pas la même chose que proférer le mensonge. En effet, bien que celui qui ment veuille cacher la vérité, tous ceux qui veulent cacher ce qui est vrai, ne mentent pas pour cela. Il arrive souvent que c’est plutôt par le silence que par le mensonge que nous cachons la vérité. » Ainsi la dissimulation cache ou voile la vérité sans la falsifier, elle relève du non-dit, du masque. Par contre, la simulation est une pratique qui ne se passe pas du mensonge, de la falsification, de la feintise.

L’opposition entre les deux notions est également respectée par Torquato Accetto, philosophe italien du 17e siècle qui consacre à la simulation et à la dissimulation son traité Della dissimulazione onesta : « On simule ce qui n’est pas, on dissimule ce qui est. », écrit-il.

Opéra et machineries

Cela expliquer l’introduction en France, par Mazarin, d’un instrument de séduction et de domination, jusqu’alors italien : l’opéra. Et plus précisément les machineries, dont la complexité fascine les spectateurs. Mazarin, qui succède à Richelieu en 1642 à la tête du gouvernement, renouvelle sa protection à Corneille. Celui-ci publie en 1643 un Remerciement à L’Ementissime Cardinal Mazarin :

« Quand j’ai peint un Horace, un Auguste, un Pompée,
Assez heureusement ma muse s’est trompée,
Puisque, sans le savoir, avecque leur portrait
Elle tiroit du tien un admirable trait. »

Il écrit Andromède, un opéra baroque, sur commande du Cardinal. Cette tragédie à machines est représentée en 1650 (pendant la Fronde), avec des décors et machines de l’italien Giuseppe Torelli, dans la salle du Petit Bourbon (située à l’emplacement de la Cour Carrée du Louvre, détruite en 1660). La mécanique est à l’honneur, à défaut de l’honneur. Priorité est donnée à l’illusion.

Pour Umberto Eco, Mazarin nous lègue l’art de manipuler le consensus. C’est-à-dire l’art de plaire à ses ennemis. L’important est de simuler. Madame de Chartres le disait déjà à sa fille, la future Princesse de Clèves : « Si vous jugez sur les apparences en ce lieu-ci, vous serez souvent trompée : ce qui paraît n’est presque jamais la vérité ».