La philosophie dans l’académie de CRETEIL
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Travail et mécanique des forces

Questions : à partir de ces vidéos, ainsi que du texte extrait de Multitudes expliquer pourquoi le travail ne se réduit pas au salariat.
Définition du travail

  • Définir le travail avec André Gorz : que cherche à mettre en avant l’auteur ?

    « Ce que nous appelons « travail" est une invention de la modernité. La forme sous laquelle nous
    le connaissons, pratiquons et plaçons au centre de la vie individuelle et sociale, a été inventée,
    puis généralisée avec l’industrialisme. Le « travail », au sens contemporain, ne se confond ni avec
    les besognes, répétées jour après jour, qui sont indispensables à l’entretien et à la reproduction de
    la vie de chacun ; ni avec le labeur, si astreignant soit-il, qu’un individu accomplit pour réaliser
    une tâche dont lui-même ou les siens sont les destinataires et les bénéficiaires ; ni avec ce que
    nous entreprenons de notre chef, sans compter notre temps et notre peine, dans un but qui n’a
    d’importance qu’à nos propres yeux et que nul ne pourrait réaliser à notre place. S’il nous arrive
    de parler de « travail » à propos de ces activités — du « travail ménager », du « travail artistique »,
    du « travail » d’autoproduction — c’est en un sens fondamentalement différent de celui qu’a le
    travail placé par la société au fondement de son existence, à la fois moyen cardinal et but suprême.
    Car la caractéristique essentielle de ce travail-là — celui que nous « avons », « cherchons »,
    « offrons » — est d’être une activité dans la sphère publique, demandée, définie, reconnue utile
    par d’autres et, à ce titre, rémunérée par eux. C’est par le travail rémunéré (et plus
    particulièrement par le travail salarié) que nous appartenons à la sphère publique, acquérons une
    existence et une identité sociales (c’est-à-dire une « profession »), sommes insérés dans un réseau
    de relations et d’échanges où nous nous mesurons aux autres et nous voyons conférés des droits
    sur eux en échange de nos devoirs envers eux. C’est parce que le travail socialement rémunéré et
    déterminé est — même pour celles et ceux qui en cherchent, s’y préparent ou en manquent — le
    facteur de loin le plus important de socialisation que la société industrielle se comprend comme
    une « société de travailleurs » et, à ce titre, se distingue de toutes celles qui l’ont précédée. » André
    Gorz, Métamorphoses du travail. Critique de la raison économique, Gallimard (Folio essais), I, ch. 1
    (« L’invention du travail »), p. 29-30.

Documentaire ARTE : Le Fabuleux Destin des Inventions - La Vapeur qui Révolutionna le Monde

Le concept de travail

Le concept physico-économique de travail se dégage d’une rencontre, un « télescopage historique » (p. 15), entre deux histoires parallèles : celle de la mécanique rationnelle (Galilée, Descartes Leibniz) et celle de la science des machines. Au cœur du débat, qui introduit à la notion physico-économique de travail, la question de la conservation de la force vive. La mécanique rationnelle décrit un mouvement idéal sans frottement où la force vive est égale à la quantité de mouvement, où la physique expérimentale observe un processus dynamique qui lutte contre une résistance et consomme de la force vive. C’est cette résistance vaincue qui fait dire qu’une machine accomplit un travail. Le problème physique apparaît d’emblée solidaire d’une question économique : celle de la mesure du travail des machines et des hommes. Au moment où cette problématique se met en place, l’économie politique naissante tourne le dos aux conceptions physiocratiques de la nature nourricière pour développer avec A. Smith une conception de la production économique autour des notions de division du travail et de valeur-travail. Ce sont les idées de J.-B. Say qui, selon F. Vatin, pèseront le plus sur les ingénieurs (p. 30). Mais c’est dans le cadre du développement d’une économie industrielle associant l’activité des hommes à celle des machines que va s’élaborer le concept de travail dans sa double signification physique et économique. « La mécanique du travail proprement dite est élaborée entre 1815 et 1830 par un petit groupe d’ingénieurs, tous issus de l’École polytechnique, dont les travaux sont très concentrés dans le temps » (p. 31). F. Vatin retient trois textes qu’il commente amplement : un texte de Coulomb, le Mémoire sur la force des hommes, un texte de Navier dans lequel apparaît nettement la préoccupation économique de l’auteur, enfin un texte de Coriolis, inventeur du terme travail dans son sens physique moderne. Le travail : histoire et enjeux du concept À propos de F Vatin, Le travail : Économie et physique, -, PUF, Pillon Thierry

**La force de travail : vie et vitalité

« La force de travail se réalise par sa manifestation extérieure. Elle s’affirme et se constate par le travail, lequel de son côté nécessite une certaine dépense des muscles, des nerfs, du cerveau de l’homme, dépense qui doit être compensée. Plus l’usure est grande, plus grands sont les frais de réparation. Si le propriétaire de la force de travail a travaillé aujourd’hui, il doit pouvoir recommencer demain dans les mêmes conditions de vigueur et de santé. Il faut donc que la somme des moyens de subsistance suffise pour l’entretenir dans son état de vie normal. » (Marx [1867] 1967, p. 133)

Pensée par Marx sur le modèle dynamique de la dépense d’énergie d’un moteur soumis aux lois de l’usure, la force de travail se trouve assujettie à des lois de nature à la fois physique, biologique et mécanique.

Dans les Manuscrits de 1844, Marx montre en quoi l’économie politique, « science de la richesse », est aussi celle du renoncement à la vie :

« D’après [les] calculs [de l’économiste], dit Marx ([1844] 1999, p. 188), la vie la plus indigente possible est la norme universelle valable pour la masse des hommes ; il fait donc de l’ouvrier un être dépourvu de sens et de besoins, comme il fait de son activité une pure abstraction de toute activité. Le moindre luxe chez l’ouvrier lui paraît condamnable et tout ce qui dépasse le besoin le plus abstrait – fût-ce une jouissance passive ou une quelconque manifestation d’activité – lui semble un luxe. L’économie politique, science de la richesse, est donc en même temps science du renoncement, des privations, de l’épargne, et elle réussit réellement à épargner à l’homme même le besoin d’air pur ou de mouvement physique. Cette science de la merveilleuse industrie est en même temps la science de l’ascétisme, et son véritable idéal est l’avare ascétique, mais usurier, et l’esclave ascétique, mais producteur. […] Malgré ses airs laïcs et voluptueux, l’économie est donc une science vraiment morale, la plus morale des sciences. Sa thèse principale, c’est l’abnégation, le renoncement à la vie et à tous les besoins humains. »