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Les récits de la Kolyma – Varlam Chalamov

Adorno diagnostiquait l’impossibilité d’écrire des poèmes après Auschwitz, quand pour Chalamov, ce ne peut être que la seule réponse juste si elle se place du côté du document.

**Varlam Chalamov

L’écrivain, poète et journaliste Varlam Chalamov (1907-1982) a passé une grande partie de sa vie dans les goulags, notamment un des plus terribles, celui situé proche du fleuve la Kolyma, à l’extrême Nord-Est de l’URSS où il passa 17 années de sa vie.
L’URSS, dirigée par Staline depuis 1924, connaît un régime dictatorial sans équivalent. Le régime contrôle tout et réprime toute expression de libertés. C’est le règne de l’arbitraire. Il est difficile de connaître le nombre de personnes qui connurent le goulag. Les estimations donnent entre 10 et 18 millions d’internés. Chalamov sera libéré en 1954, après la mort de Staline survenue en 1953.

 Questions autour d’un extrait Ac-Orléans/Tours
 Le langage de l’inhumain

Résister

Le règne de l’homme, agissant ou signifiant, ne cesse pas. Les SS ne peuvent pas muter notre espèce. Ils sont eux-mêmes enfermés dans la même espèce et dans la même histoire. Il ne faut pas que tu sois : une machine énorme a été montée sur cette dérisoire volonté de con. Ils ont brûlé des hommes et il y a des tonnes de cendres, ils peuvent peser par tonnes cette matière neutre. Il ne faut pas que tu sois, mais ils ne peuvent pa s décider, à la place de celui qui sera cendre tout à l’heure, qu’il n’est pas. Ils doivent tenir compte de nous tant que nous vivons, et il dépend encore de nous, de notre acharnement à être, qu’au moment où ils viendront de nous faire mourir ils aient la certitude d’avoir été entièrement volés. Ils ne peuvent pas non plus enrayer l’histoire qui doit faire plus fécondes ces cendres sèches que le gras squelette du Lagerführer1 .

Mais nous ne pouvons pas faire que les SS n’existent pas ou n’aient pas existé.

Ils auront brûlé des enfants, ils l’auront voulu. Nous ne pouvons pas faire qu’ils ne l’aient pas voulu. Ils sont une puissance comme l’homme qui marche sur la route en est une.Et comme nous, car maintenant même, ils ne peuvent pas nous empêcher d’exercer notre pouvoir.

Un matin en effet, il y a un mois de cela – quelques jours après qu’il nous eût dit langsam2 – le Rhénan est venu dans une travée du magasin du sous- sol. Nous étions là, Jacques et moi, à trier les pièces. Il nous a tendu la main. Cela aussi coûtait le lager.

On l’a serrée. Quelqu’un venait, il l’a retirée. C’était évidemment une nécessité pour lui, ce matin-là, de venir nous serrer la main. Il s’est arrangé pour le faire aussitôt après son arrivée à l’usine. Il est venu à nous. Il était sombre, timide. Je sentais son odeur d’homme propre, celle de son costume et cette odeur gênait. Nous étions tout près de lui. Pour tout autre que nous trois, c’était un Allemand qui donnait à des haeftling des indications sur le travail : des yeux morts qui passaient sur une veste rayée, une voix qui commandait des mains captives.

Nous étions devenus des complices. Mais il n’était pas tant venu nous encourager que chercher lui-même une assurance, une confirmation. Il venait partager notre puissance. Les aboiements de milliers de SS ne pouvaient rien, ni tout l’appareil des fours, des chiens, des barbelés, ni la famine, ni les poux, contre ce serrement de main.

Le fond de l’âme SS ne pouvait pas se découvrir mieux que devant nous. Mais de son côté, cet autre Allemand ne s’était peut-être jamais autant senti redonné à lui-même depuis des années qu’en serrant la main à l’un de nous. Et ce geste secret, solitaire, n’avait cependant pas un caractère privé, par opposition à l’action publique, immédiatement historique des SS. Tout rapport humain, d’un Allemand à l’un de nous, était le signe même d’une révolte décidée contre tout l’ordre SS. On ne pouvait pas faire ce que le Rhénan avait fait – c’est-à-dire agir en homme avec l’un de nous – sans par là même se classer historiquement. En nous niant comme hommes, les SS avaient fait de nous des objets historiques qui ne pouvaient plus aucunement être des objets de simples rapports humains.

Robert Antelme, L’Espèce humaine, première partie : Gandersheim, pages 79 à 81, Gallimard, NRF, 1947

Officier subalterne ou sous-officier S.S. exerçant la fonction de chef de camp.

Lentement (d’ordinaire c’est l’inverse que les détenus entendaient…)