La philosophie dans l’académie de CRETEIL
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La musique selon Hegel

MUSIQUE

L’extériorité réciproque1 immobile était l’élément des arts précédents ; lorsqu’on en vient à l’apparence, un tremblement, un mouvement se forme. Il s’adresse l’ouïe.
L’ouïe et la vue sont des sens idéels. L’apparition du mouvement est disparition immédiate. On pénètre dans l’intériorité. Le son est quelque chose de si intérieur que, si l’on veut en parler avec précision, on doit passer nécessairement à des déterminations techniques. La nature de l’élément lui-même fait que l’on peut indiquer beaucoup moins de choses déterminées en général.

[137a] Une détermination ferme est présente [dans les autres arts] que les peintres et les architectes ne font que dégager. En musique, c’est moins quelque chose de déjà présent qui est produit, qu’une remémoration2 en soi. Dans la sculpture et la peinture, plus l’oeuvre est travaillée, plus l’unité est concentrée. En musique, le développement du thème est un écart par rapport à l’unité. Le thème ne devient pas pour autant plus explicite, sa détermination étant déjà explicitée dès l’origine. La musique possède l’élément de la liberté subjective plus [encore que la peinture] ; l’extrême de ce libre arbitre est l’imagination, dans laquelle des mélodies connues sont entrelacées et amenées dans l’hétérogène. Dans chaque oeuvre musicale est présente cette liberté ; l’exécution demeure cependant toujours orientée vers un point. C’est la vitalité subjective qui se fait ici valoir. Alors que l’étude des formes naturelles constitue l’essentiel de la peinture, la musique ne se trouve pas en face d’une telle étendue de formes.

Le pouvoir spécifique de la musique comprend un aspect
sous lequel sont exprimés un contenu, des sensations :
situations de joie, de douleur , etc.

[Mais] ce contenu en tant que tel n’est pas spécifique à la musique ; il n’est pas présent dans le principe élémentaire, [celui] de la pure intériorité, du moi vide lui-même. Le moi se perçoit lui-même en soi-même. C’est une perception sonore sans représentations ni contenu déterminés. En étant ce mouvement de la pure intériorité, la musique s’empare de cette région. La raison pour laquelle je suis complètement transporté par la musique, c’est que je ne me trouve plus en rapport avec quelque chose d’objectif. Le moi abstrait ici seulement est pris à partie. Il ne reste plus rien face à l’emplissement3 par le contenu. La musique est la pure extériorisation, identique à ce qu’il y a de plus intérieur. Le contenu appartient au pouvoir de la musique, lequel n’est pas seulement la pure sonorité elle-même.
1 Außereinander. 2 Erinnerung. 3 Erfüllung.


Le pouvoir de la musique

C’est pourquoi la musique est utilisée pendant les batailles. L’intériorité est occupée et submergée
harmoniquement. [137b] L’ennui vient lorsque l’on ne connaît rien d’autre que le temps ; alors celui-ci devient long ; on le remplit volontiers avec la musique. Le pouvoir de la musique réside donc dans l’intériorité.

La première chose, en musique, ce sont les déterminations abstraites, ce qui comprend tout d’abord la sonorité4 comme telle. La sonorité est un tremblement, une négation de la subsistance spatiale. Le point unifiant de la subjectivité se fait valoir. La question est de savoir ce qui frémit ; si c’est seulement une colonne d’air à l’intérieur (comme dans les instruments à vents), ou bien une longueur matérielle (instruments à cordes), ou encore le frémissement de surfaces (cloches, harmonica). Les longueurs procurent la meilleure harmonie, le seul agrément durable. On ne peut associer l’harmonica, par exemple, aux autres instruments pour former un concentus. Beaucoup ont les nerfs excités en entendant l’harmonica. La simple longueur est la simple perception. L’extériorisation du point est la ligne. La sonorité large de la surface se montre en revanche inappropriée du point de vue physique aux déterminations de la perception.
Mais l’instrument principal est la voix humaine. Dans les instruments à vent, la colonne d’air vibre avec les instruments. Dans un concerto, il s’agit non pas de faire du bruit, mais de provoquer ce qu’il y a de magique dans la musique grâce à une intervention appropriée. Dans les concertos de Mozart a lieu comme un dialogue musical entre les deux instances. La voix humaine est régie immédiatement par l’âme ; elle possède la particularisation la plus différenciée. La voix italienne, très claire, est ce qu’il y a de plus clair, de plus simple, ce qui se particularise également de façon
déterminée. Dans les voix ou les sons impurs, on entend non seulement le frémissement, mais également le bruit du frottement.

Il reste encore à examiner la mesure, l’harmonie, le concret de la musique.

[La question est de savoir] dans quelle mesure le moment de la nécessité, la pensée, se montre dans la mesure. La mesure concerne le temps ; alors que la peinture, la sculpture sont dans l’espace, la sonorité est dans le temps. L’extériorité [138a] [est] négative du fait que quelque chose est qui n’est plus. Cela tient au subjectif, à l’intériorité abstraite, à la ponctualité. Une mesure5 doit alors intervenir dans le temps. On a cherché à faire des compositions dépourvues de mesure.


I. Les déterminations
abstraites :
1. La sonorité comme telle

Que le son soit un pur produit de l’esprit, cela s’éclaire par le fait que l’on peut se représenter le son entendu comme quelque chose de spirituel, et même déjà par le simple fait que l’on peut vraiment le produire.

2. La mesure

La mesure musicale6 est le rassemblement du moi en lui-même par opposition à ce déroulement seulement abstrait. En étant, ce qui est n’est pas, mais cette disparition donne une ligne uniforme ; un déroulement sans unité, ininterrompu. L’intériorité de l’être-soi en face de ce déroulement persistant est interruption de ce déroulement, mais en sections égales. La répétition du même est le rassemblement [du moi en lui-même] ; du fait que le même réapparaît, je me souviens
qu’il est déjà mien ; je me rassemble donc ici grâce à des remémorations7

Le même qui se répète est l’identité extérieure d’entendement que nous avons vu dans le domaine de l’architecture. Les unités de l’extériorité sont l’égalité, l’identité. C’est la nécessité de la mesure. Le naturel ne connaît pas la mesure. Même en ce qui concerne la régularité du mouvement des corps célestes, le temps n’est pas uniforme, le mouvement augmente et retarde. L’uniformité est la violence que l’entendement impose à la nature. Ainsi, la montre est une violence ; on oblige là le mouvement à être égal. Dans ce qui doit être égal, il doit aussi y avoir de l’inégal ; c’est pourquoi un son est plus long en mesures que l’autre. Dans cette inégalité, la mesure est l’unité ; une sonorité uniforme ne donne aucune mesure.

Les diverses possibilités de scinder cette unité produit les différentes sortes de mesures et constitue le rythme de la mesure. Le rythme de la mélodie en est complètement distinct. Ainsi, les mots et les pieds donnent-ils, par l’alternance et la concordance, le rythme du vers ; s’ils manquent tous les deux, il n’y a plus de vers. [138b] Ainsi [en est-il] du rythme de la mélodie et du rythme de la mesure : le premier se règle d’après le second. La langue allemande possède un rythme iambique, qui est toujours maintenu, ce qui était très rare chez les anciens. Cela ne se produit pas chez les Italiens, les Français, les Anglais : l’uniformité les ennuie. De la vient que le Messie de Hændel, qui obéit à un rythme iambique dissimulé, plaît mieux aux Allemands qu’aux Anglais, bien que le texte soit anglais à l’origine.

II. L’harmonie
Le deuxième élément de la musique est la détermination du son. Cela concerne l’aspect physique. Ce rapport essentiel de la sonorité constitue l’harmonie. Cette déterminité est la déterminité harmonique. Le son en soi n’est rien, il n’est qu’un rapport à autrui ; cette détermination est une déterminité mécanique. La sonorité est un tremblement du corps élastique. La corde ou la colonne d’air a une certaine longueur, susceptible de vibration ; la longueur selon l’épaisseur et la tension sont les deux éléments essentiels ; une corde longue fait plus de vibrations qu’une corde courte sous des rapports par ailleurs égaux. L’octave est comme 1 : 2, la tierce 4 : 5, la quinte 2 : 3. Ces trois [intervalles] constituent la trinité8 harmonique. 3 : 4 donne la quarte, c’est-à-dire que la plus haute corde représente les trois quarts de la longueur de la corde de la note fondamentale. La seconde a la corde 8 : 9 de la note fondamentale, la corde est donc égale aux huit neuvièmes de la corde.
Lorsque nous entendons le [son] harmonique, c’est là quelque chose de très différent de ces rapports numériques, nous ne nous représentons aucune vibration. Le caractère harmonique du son se trouve donc apparemment rabaissé à quelque chose d’aussi [139a] aride. Mais la connexion [entre les nombres et la sensation] est essentielle. Ce qui est harmonique est une diversité mais également une consonnance9 ; la déterminité simple du sentir est également un rapport, lequel dépend de la nature du concept ; il n’est reconnu que lorsqu’il est su comme relation. [Il faut distinguer] la façon dont la corde est en elle-même, et la façon dont elle apparaît à la sensation. Il y aussi de la rationalité dans l’harmonique, mais qui la plupart du temps n’est pas connue. Le son, pourtant, constitue un rapport en soi entre l’aigu et le grave tout comme la
couleur entre le clair et le sombre. Il y a d’autant plus d’harmonie que les rapports entre les sons sont plus simples.
Une autre différenciation est constituée par les différents modes. Les anciens
possédaient de nombreux modes différents et dont le caractère était essentiel comme le
mode ionien, lydien, dorien, phrygien. Le mode dorien sonne triste, lourd. Les anciens
n’avaient que les huit sons de l’octave, sans les demi-tons. Chacun d’eux pouvait
devenir le fondement et une tierce, quarte, quinte etc. lui revenir. Le do trouve avec le
mi sa tierce, fa est sa quarte. Si mi est le son fondamtental, sol est la tierce, la la quarte.
Seulement, il n’y a qu’un demi-ton de mi à fa ; c’est donc une toute autre modalité de la
progression, qui donne un caractère différent.

Le troisième élément est le concret de la musique ; la
mélodie apparaît ici comme la chose principale.

[139b] La sonorité est déterminée par la sensation et la sonorité naturelle de la sensation est l’interjection, l’expression dans un son qui constitue la sensation. Le bruit naturel n’est pas encore de la musique, mais seulement le point de départ de la musique. Celle-ci éveille la sensation. La sensation devient musique lorsque son expression, la sonorité comme telle, est soumise à des rapports déterminés. La mélodie a donc la sensation pour fondement ; le simple son est cultivé
pour former une succession de sons. Un son fondamental demeure, mais tous les autres sons sont liés à lui par l’harmonie en un tout. La mélodie constitue [alors] le beau musical. Dans le mélodique, la passion subjective est l’élément sensible ; elle est la possibilité infinie du mouvement, dans lequel pourtant le retour au même est toujours visible. C’est pourquoi on dit que le mélodique est chantant.

La cantabilité évoque la voix humaine, et la voix humaine relève de l’esprit. [Il en résulte :] une modération des affections et du débordement, du déchaînement de l’arbitraire ; l’exigence de la félicité ; la satisfaction en elle-même. Le mélodique est ainsi la modalité sensible de la satisfaction. L’art doit être la représentation10 dans le médium sensible, [y trouver] là satisfaction. Le chant de l’alouette dans le ciel bleu est un laisser-aller sensible dont on jouit immédiatement. On peut déceler le beau dans la plus grande élévation du recueillement et dans la souffrance de l’âme. Les Italiens possèdent particulièrement [140a] le sens du mélodique. Ce n’est pas la simple beauté de la sensation ou bien le déchirement ; la douleur elle-même est belle, au contraire, et elle reste belle comme la Madeleine pénitente. Dans le burlesque, le gracieux et le charme subsistent : Arlequin, par opposition à Hanswurst. Dans la peinture, on s’achemine vers la caractéristique,
vers ce qui est toujours infiniment plus déterminé. Le simple mouvement de la sensation ne se montre pas satisfait si le caractère de sublimité porte préjudice à la mélodie. Il en résulte une progression du mélodique.

1) Le jeu avec la perception est sans détermination, ce n’est que le laisser-aller d’une sensation générale telle que la tristesse, la douleur, la joie... Seulement, chacune de ces sensations contient une diversité infinie de déterminations ; on s’interrogera sur le contenu de la douleur. La détermination intervient par suite sous forme de passion, d’affection et s’amplifie jusqu’au plus grand déchirement, au détriment de la jouissance de l’âme en elle-même.
2) Intervient le besoin d’une plus grande richesse. La mélodie anime [alors] la progression des sonorités isolées. Chaque moment de cette progression est élevé à une richesse de sons et, de même que les affections sont entraînées dans des entrelacements variés, de même, les sons en viennent à ce que tout se tienne ensemble. Le rétablissement des dissonances procure alors la satisfaction.

Le déclamatoire fournit à la musique le deuxième mode de satisfaction. [140b] La musique possède un texte ; l’infinie richesse des représentations s’exprime dans les mots. Le sentir est dans la musique, et il parvient à la représentation grâce au texte ; le texte livre une plus grande précision du contenu. La musique, en possédant désormais un contenu déterminé, a la déclamation pour contenu.
Un lied est un tout formé de situations, comme un paysage ; il faut donc également un ton unique. La mélodie plane au dessus des différents vers ; la mélodie ne s’accorde qu’avec le contenu du chant et il ne s’agit alors que de chanter. Si le texte est dominant, alors la musique se fait accompagnement. La musique ancienne particulièrement avait ce caractère. Ce n’est que dans les temps modernes que la musique a acquis son indépendance. Dans le protestantisme, la musique n’intervient pas dans le culte avant le service divin ; les oratorios n’ont pour fin que la musique édifiante. La musique déclamatoire est différente, en revanche, dans le culte catholique, à l’occasion des différentes fêtes.
Ensuite, la musique est surtout dramatique. Les mélanges de la prose et de la musique dans les opérettes, les vaudevilles sont dépourvus d’entendement. Dans l’opéra, nous sommes tirés de la prose et plongé dans un monde artistique plus élevé.
Le mélange n’est justifié que s’il contient une ironie à l’égard de lui-même, s’il se parodie lui-même. Il s’agit toutefois ici que le texte soit compris.

[141a] Il faut dans le texte un contenu véritable, sinon tout
*
l’art du compositeur se perd. Dans la musique mélodique, le
texte peut être indifférent. Un bon texte musical ne doit rien avoir de trivial, de froid,
comme les opérettes de Weisse ; [mais] il ne doit pas non plus être trop chargé de
pensée. Le pathos de Schiller n’est pas approprié pour la composition musicale, c’est
trop écrasant pour la représentation, de même que les pensées de Sophocle, les choeurs
d’Eschyle. Le contenu des temps modernes, le texte de la poésie romantique. Celle-ci
d’un côté devrait être naïve, poésie populaire ; mais il apparaît bientôt qu’elle est une
naïveté précieuse, qui est guindée. Ce ne sont pas des sensations, des représentations
pures, mais des sensations forcées ; des minauderies avec le sentiment, non un
sentiment pénétrant ; ou des passions laides, lesquelles, bien qu’existant [dans la
réalité], ne sont pourtant pas vraies en elles-mêmes, ainsi les créatures diaboliques, la
délectation à des infamies. Ce n’est pas là une sensation véritable et solide. Le contenu

du texte doit être constitué d’une sensation véritable et simple, sans égoïsme, sans auto-
satisfaction. Il faut là une sorte de poésie moyenne, comme l’est la poésie française et

italienne ; ce sont des sensations simples, sans intrusion profonde. Le texte peut être
excellent pour une composition musicale sans l’être en lui-même, tel celui de la Flûte
enchantée. Schikaneder, le directeur d’une troupe d’opéra dans les faubourgs de
Vienne, en a fait le texte. Lui qui est d’ordinaire burlesque, a touché juste ici. Tout
comble l’imagination et réchauffe le coeur. Une poésie qui soit raffinée, mais qui se
tienne dans la sphère moyenne de la poésie. Les textes de Hændel, qu’il a écrits [141b]
lui-même, contiennent de telles représentations religieuses générales. Le contenu est
conduit aussi loin qu’il puisse être favorable à la musique. [De même,] les textes
français de Gluck. Il a mis en musique des poèmes de Métastase. Piccini a eu pour

Reichardt, Schubert ou Mendelssohn pouvaient le pratiquer. Mais c’est bien de cela qu’il s’agit dans ces
lignes.
19 mars

8
librettiste Marmontel, cet excellent poète léger. Les grands compositeurs n’ont pas
choisi de mauvais textes. La traduction est là dangereuse. Même les traductions
excellentes des textes musicaux de Gluck ont déplu à beaucoup.
Le coeur du compositeur doit avoir éprouvé lui-même ce qu’il y a de solide dans la
sensation. Les motifs les plus simples doivent se développer doucement. On recherche
aujourd’hui à produire de l’effet par le contraste des sensations en même temps. Dans la
même musique, la vengeance, les pires passions [sont associées] à la gaieté, à la fête.
C’est naturellement quelque chose de puissant de réunir en nous ces contrastes, mais ils
sont contre l’harmonie du beau, cette façon de nous tirer d’un côté et de l’autre [détruit
la beauté].
Le contraste entre la beauté et la caractéristique dans la peinture était tel que chaque
moment était important, pénétré par l’unité intérieure. Dans la musique, le danger est
plus grand qu’ils se séparent et que l’on en arrive à quelque chose de trop abstrait, de
caractéristique, à tous les extrêmes de ce qui est déterminé, comme la violence, les
mauvaises passions. La situation [créée] par le mouvement continu de la musique ne
permet pas de caractériser très profondément l’individuel pour lui-même. Le jugement
sur la musique est donc très partagé. Il fut difficile à Hændel, directeur d’une troupe
italienne, d’arracher quelque chose qui possédât une grande signification à ses
chanteurs, lesquels préféraient le mélodique. Il abandonna la composition d’opéra et se
tourna vers les oratorios.
La querelle qui opposa la musique de Gluck et celle de Piccini était aussi virulente
que la façon dont on discute aujourd’hui pour ou contre Rossini. La musique est pleine
de sentiment, ce qui contrarie le caractère allemand rigide. Dans la scène de
l’inquisition de la Pie voleuse de Rossini, le juge chante dans le laisser-aller le plus
libre de la mélodie12.

[142a] [La sculpture repose en elle-même, on peut lui
associer la musique mélodique.] La musique déclamatoire
peut être comparée à des peintures : il y a là une situation
particulière donnée, mais une distinction est ici présente [entre l’expression et
l’accompagnement musical]. En opposition avec ces deux choses, il y en a encore une
troisième.
Le fondement de la musicalité est l’intériorité de la subjectivité, et celle-ci est pour
soi dépourvue de signification. Le concret suivant est la subjectivité comme telle,
déterminée par aucun contenu, qui peut exercer complètement le droit de son arbitraire,

12 Dans le ms., ce paragraphe se trouve dans la marge, mais il fait manifestement suite au corps du
texte : il ne restait sans doute plus de place à l’étudiant pour noter la fin du cours que cette marge.
20 mars
3. La subjectivité

9
qui peut s’arracher au caractère planant13 de la mélodie et à la détermination par le
contenu déterminé.

Cet arrachement se présente également du point de vue de
l’auditeur. Une oeuvre musicale dramatique a de la sensation,
de la passion, mais aussi par là de la croyance, des actions, des données. Ce qui est
proprement musical, ce sont les sensations, les passions : les actions ne sont traitées que
sous la forme de récitatifs. Dès qu’il est question de se libérer, le public se détache du
contenu et n’écoute plus que la musique. Il ne convient pas de traiter musicalement ce
qui n’est pas propre à la musique. Seuls les Allemands émettent ces exigences, veulent
l’émotion tout du long par l’attention. Les Italiens ne portent aucun intérêt aux
récitatifs, car ceux-ci comportent peu ou presque pas de musique.

Un autre aspect important est la forme de la musique
instrumentale. Là, le compositeur peut montrer son arbitraire.
C’est une musique complètement indépendante, qui tient uniquement au sujet. Cette
musique est une énigme permanente ; à l’auditeur incombe la tâche de lui donner une
signification, ce à quoi il ne parvient jamais. Lorsque cette musique n’est pas pleine
d’esprit, il prend facilement envie à l’auditeur de combler ce laisser-aller14 ; il tombe
dans des rêveries. [142b] Une autre façon de le combler, c’est lorsqu’il se passe
quelque chose pendant la musique, comme dans le service divin. La musique n’est alors
qu’une sonorité d’accompagnement qui se perd. Une telle musique d’église peut
certainement être simple, sans quoi elle gêne le recueillement.

Une troisième forme de subjectivité, qui se constitue pour
elle-même, est celle de l’artiste exécutant. L’artiste exécutant
est lié à la réalité effective de la musique ; Ou bien, tel le rhapsode dans la récitation du
poème épique, l’artiste exécutant est seulement obéissant, souvent complètement
extérieur, mécanique s’il ne fait que réciter sa leçon. Ou bien l’exécution est pleine
d’âme, vivante, de sorte que l’artiste est là tranquille, en tant qu’exécutant ou

compositeur. Souvent il est laissé au chanteur le soin de compléter une partie de l’ornementation. Le laisser-aller mélodique le permet particulièrement. Tel est le cas chez

Rossini, où le mélodique et par là la liberté du chanteur, domine. On a alors présent
devant soi l’acte même de la production artistique. Dans cette présence, toute condition
est abandonnée. Là, le sujet peut interrompre lui-même par sa maîtrise le cours de la
mélodie.
Dans la virtuosité, l’instrument perd le droit d’être un organe extérieur ; il devient
l’organe vivant de l’artiste. La génialité ne se montre pas seulement dans l’extériorité de
la maîtrise, mais également dans l’intériorité. Les oeuvres, lorsqu’elles sont dépourvues

13 Hinschweben. 14 Ergehen.
a) Le public

b) La musique
instrumentale

c) L’artiste exécutant

1 0
d’arbitraire et à leur place, sont magnifiques. Souvent, l’artiste [143a] parvient à tirer de
son instrument quelque chose de complètement différent et produit des sonorités
complètement autres. C’est le sommet le plus élevé de la puissance musicale. Un outil
extérieur devient un organisme complètement animé ; nous avons devant nous l’acte de
composer et de produire de l’imagination géniale. La présence