La philosophie dans l’académie de CRETEIL
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ECOUTER... HEIDEGGER

Un entretien télévisé avec Heidegger est diffusé sur ZDF le 24 septembre 1969, à l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire. Cet entretien, réalisé par Richard Wisser (1927-...) à l’époque professeur de philosophie à l’université de Mayence, est présent dans ce documentaire de 1975 qui retrace plus largement le chemin de pensée de Heidegger et son rayonnement international. Le texte intégral de l’entretien de 1969 a d’abord été publié en 1970 aux éditions Alber. La traduction française figure dans les Cahiers de l’Herne Martin Heidegger, p.93-97 (1983). Vous le lirez plus bas. C’est un utile complément à l’entretien au Spiegel qui date de 1966 et qui fut publié quelques jours après la mort de Heidegger en mai 1976.

Si vous souhaitez revoir certaines séquences...

En chemin dans la pensée 1 (8’55)

La mutation du rapport de l’homme à la parole
"Marcher à une étoile, rien d’autre"
3’50 : Jean Beaufret, "Acheminement vers la parole"
7’10 : Fribourg (1912),
8’20 : Marbourg (1926)
Todtnauberg (1922)

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En chemin dans la pensée 2 (6’34)

Etre et Temps
Avec Walter Schulz, professeur à l’université de Tübingen
Joh Baptiste Lotz

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En chemin dans la pensée 3 (7’55)

Avec Otto Friedrich Bollnow
1’55 : le successeur de Husserl
2’52 : 1933
3’20 à 4’55 : François Fédier (sur l’épisode du rectorat)
4’55 : Gajo Petrovic : "une erreur attribuable à une lacune de sa pensée"
6’08 : Heinrich Buhr. Le cours de 1934, "Nature, Histoire, Etat" est remplacé par un cours sur le Logos.

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En chemin dans la pensée 4 (4’58)

1’45 : A propos de Karl Marx et de la transformation du monde (1969)
3’21 : A propos de la religion (1964)

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En chemin dans la pensée 5 (3’52)

L’influence
Avec Gajo Petrovic, professeur à l’université de Zagreb, rédacteur en chef du journal Praxis
Ernest Mays Vallenilla, recteur de l’université de Caracas
le professeur Zuschimuta de l’université de Kyoto et le professeur de Zen Nischitani.

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En chemin dans la pensée 6 (8’41)

1’11 : Heidegger en Grèce, à l’amphithéâtre de Delphes
2’55 : L’Etre a besoin de l’homme
4’52 : « La science ne pense pas » (explication)
6’21 : Le Ge-stell, la Technique. « Je ne suis pas CONTRE la Technique » ; « la Technique est la première apparition d’un processus beaucoup plus profond que j’appelle "l’Ereignis", "l’Evènement". »

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En chemin dans la pensée 7 (3’13)

Le Tournant
"Nul ne sait ce que sera le destin de la pensée"
"Il faut une nouvelle attention au langage"
Le mot de Kleist : « Je m’efface devant quelqu’un qui n’est pas encore là, et je m’incline, à un millénaire de distance, devant son esprit. »

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Entretien du Professeur Richard Wisser avec Martin Heidegger 1969


Heidegger en 1969.
Zoom : cliquez l’image.

L’entretien (VO)



(Texte intégral de l’émission diffusée le 24 septembre 1969 par la deuxième chaîne de télévision allemande, ZDF, à l’occasion du quatre-vingtième anniversaire de Heidegger [1])

Wisser : Monsieur le professeur Heidegger, il y a à notre époque de plus en plus de voix qui s’élèvent — et ces voix deviennent de plus en plus insistantes — pour proclamer que la tâche décisive du présent réside dans une transformation des relations sociales, et pour considérer cette transformation comme le seul point de départ prometteur pour l’avenir.
Quelle est votre position à l’égard d’une telle orientation de ce qu’on appelle « l’esprit du temps » », en ce qui concerne, par exemple, la réforme universitaire ?

Heidegger : Je ne répondrai qu’à la dernière question ; car celle que vous avez posée d’abord est trop vaste. Et la réponse que je donnerai est celle que j’ai faite, il y a quarante ans, dans ma leçon inaugurale à l’université de Fribourg, en 1929.
Je vous cite un passage de la conférence 
Qu’est-ce que la Métaphysique ? pdf  : « Les domaines des sciences sont très éloignés les uns des autres. Leur façon de traiter leurs objets est radicalement différente. Ces disciplines multiples et dispersées ne doivent aujourd’hui leur cohésion qu’à l’organisation technique des universités et des facultés et ne garde sa signification que grâce à la finalité pratique des disciplines mêmes. Par contre, l’enracinement des sciences dans leur fondement essentiel est bien mort. »
Je pense que cette réponse- devrait suffire.

Wisser : Ce sont des motifs fort différents qui ont mené aux tentatives modernes tendant à aboutir, sur le plan social ou à celui des relations entre individus, à une réorientation des finalités et à une « restructuration » des données de fait. Evidemment, beaucoup de philosophie est en jeu ici, en bien comme en mal.
Voyez-vous une mission sociale de la philosophie ?

Heidegger : Non ! Dans ce sens, on ne peut pas parler d’une mission sociale.
Si l’on veut répondre à cette question, on doit tout d’abord se demander « qu’est­ ce que la société ? » et songer au fait que la société d’aujourd’hui n’est que l’absolu­tisation de la subjectivité moderne, et qu’à partir de là, une philosophie qui a dépassé le point de vue de la subjectivité n’a pas du tout le droit de s’exprimer dans le même ton.
Quant à savoir jusqu’à quel point on peut vraiment parler d’une transformation de la société, c’est une autre question. La question de l’exigence de la transformation du monde nous ramène à une phrase très citée des Thèses sur Feuerbach de Karl Marx. Je voudrais la citer exactement et la lire : « Les philosophes ont seulement interprété le monde de différentes manières ; il s’agit de le transformer. »
En citant cette phrase et en l’appliquant, on perd de vue qu’une transformation du monde présuppose un changement de la représentation du monde et qu’une représentation du monde ne peut être obtenue qu’au moyen d’une interprétation suffisante du monde. Cela signifie que Marx se fonde sur une interprétation bien déterminée du monde pour exiger sa « transformation », et cela démontre que cette phrase est une phrase non fondée. Elle donne l’impression d’être prononcée résolument contre la philosophie, alors que dans la deuxième partie de la phrase l’exigence d’une philosophie est même, tacitement, présupposée.

Wisser : De quelle manière votre philosophie peut-elle agir aujourd’hui à l’égard d’une société concrète avec ses multiples tâches et soucis, ses angoisses et ses espérances ? Ou bien ont-il raison, ceux de vos critiques qui prétendent que Martin Heidegger s’occupe de l’« Etre » avec tant de concentration qu’il a sacrifié la condition humaine, l’être de l’homme en société et en tant que personne ?

Heidegger : Cette critique est un grand malentendu ! Car la question de l’Être et le développement de cette question présupposent même une interprétation de l’être-là, c’est-à-dire une détermination de l’essence de l’homme. Et l’idée qui est la base de ma pensée est précisément que l’Etre ou le pouvoir de manifestation de l’Etre a besoin de l’homme et que, vice-versa, l’homme est homme uniquement dans la mesure où il est dans la manifesteté (Ojfenbarkeit) de l’Etre.
Par là devrait être réglée la question de savoir dans quelle mesure je ne m’occupe que de l’Etre en oubliant l’homme. On ne peut pas poser la question de l’Etre sans poser celle de l’essence de l’homme.

Wisser : Nietzsche a dit un jour que le philosophe était la mauvaise conscience de son temps. Peu importe ce que Nietzsche entendait par là. Mais si l’on considère votre tentative de voir l’histoire philosophique du passé comme une histoire de la déchéance à l’égard de l’Etre, et donc de la « détruire », plus d’un pourrait être tenté d’appeler Martin Heidegger la mauvaise conscience de la philosophie occidentale.
En quoi consiste, à vos yeux, le signe le plus caractéristique, pour ne pas dire le moment le plus caractéristique, de ce que vous appelez l’« oubli de l’Etre » et l’« abandon de l’Etre » ?

Heidegger : Tout d’abord je dois corriger un aspect de votre question, lorsque vous parlez de l’« histoire de la déchéance ». Cette expression n’est pas employée dans un sens négatif ! Je ne parle pas d’une histoire de la déchéance, mais seulement du destin (Geschick) de l’Etre dans la mesure où il se retire de plus en plus par rapport à la manifesteté de l’Etre chez les Grecs — jusqu’à ce que l’Etre devienne une simple objectivité pour la science et aujourd’hui un simple fonds de réserve (Bestand) pour la domination technique du monde. Donc : nous nous trouvons non pas dans une histoire de la déchéance, mais dans un retrait de l’Être.
Le signe le plus caractéristique de l’oubli de l’Être — et l’oubli doit toujours être pensé ici à partir du grec, de la lèthè, c’est-à-dire du fait que l’Etre se dérobe, se soustrait — eh bien, le signe le plus caractéristique du destin qui est le nôtre est — pour autant que je puisse seulement l’apercevoir — le fait que la question de l’Etre que je pose n’a pas encore été comprise.

Wisser : Il y a deux choses que vous mettez toujours en cause et dont vous soulignez le caractère problématique : la prétention de la science à la domination et une façon de concevoir la technique, qui ne voit en elle qu’un moyen utile d’arriver plus rapidement au but respectivement souhaité. Précisément à notre époque, où la plupart des hommes attendent tout de la science et où on leur démontre, par des émissions télévisées mondiales, voire extra-terrestres, que l’homme atteint au moyen de la technique ce qu’il se propose à cette époque, vos idées sur la science et sur l’essence de la technique causent des casse-tête à beaucoup de personnes. Qu’entendez-vous en premier lieu lorsque vous affirmez : la science ne pense pas ?

Heidegger : Commençons d’abord par les casse-tête : je trouve qu’ils sont tout à fait salutaires ! Il y a encore trop peu de casse-tête aujourd’hui dans le monde et une grande absence d’idées, qui sont précisément fonction de l’oubli de l’Etre. Et cette phrase : la science ne pense pas, qui a fait tant de bruit lorsque je l’ai prononcée dans le cadre d’une conférence à Fribourg, signifie : la science ne se meut pas dans la dimension de la philosophie. Mais sans le savoir, elle se rattache de cette dimension.
Par exemple : la physique se meut dans l’espace et le temps et le mouvement. La science en tant que science ne peut pas décider de ce qu’est le mouvement, l’espace, le temps. La science ne pense donc pas, elle ne peut même pas penser dans ce sens avec ses méthodes. Je ne peux pas dire, par exemple, avec les méthodes de la physique, ce qu’est la physique. Ce qu’est la physique, je ne peux que le penser à la manière d’une interrogation philosophique. La phrase : la science ne pense pas, n’est pas un reproche, mais c’est une simple constatation de la structure interne de la science : c’est le propre de son essence que, d’une part, elle dépend de ce que la philosophie pense, mais que, d’autre part, elle oublie elle-même et néglige ce qui exige  d’être pensé.

Wisser : Et qu’entendez-vous, en second lieu, quand vous dites qu’un danger plus grand que celui de la bombe atomique est pour l’humanité d’aujourd’hui l’ensemble des lois (Ge-setz) que pose la technique, son « Dis-positif » (Ge-stell), comme vous appelez le trait fondamental de la technique, qui est de dévoiler le réel en tant que fonds de réserve, comme on passe une commande, en d’autres termes : de faire en sorte que tout et chacun puisse être appelé en appuyant sur un bouton ?

Heidegger : Pour ce qui est de la technique, ma définition de l’essence de la technique, qui n’a jusqu’à présent été acceptée nulle part, est — pour le dire en termes concrets — que les sciences modernes de la nature se fondent dans le cadre du développement de l’essence de la technique moderne et non pas l’inverse. Je dois dire tout d’abord que je ne suis pas contre la technique. Je n’ai jamais parlé contre la technique, pas plus que contre ce qu’on appelle le caractère « démoniaque » de la technique. Mais j’essaie de comprendre l’essence de la technique. Lorsque vous évoquez cette idée du danger que représente la bombe atomique et du danger encore plus grand que représente la technique, je songe à ce qui se développe aujourd’hui sous le nom de biophysique, à ce que, dans un temps prévisible, nous serons en mesure de faire l’homme, c’est­ à-dire de le construire dans son essence organique même, tel qu’on en a besoin : des hommes adroits et des maladroits, des intelligents — et des sots. On va en arriver là ! Les possibilités techniques sont aujourd’hui au point et elles ont déjà fait l’objet d’une communication de la part de certains Prix Nobel lors d’une réunion à Lindau — j’en ai déjà parlé dans une conférence prononcée à Messkirch il y a quelques années [2].
Donc : il faut avant tout récuser le malentendu d’après lequel je serais contre la technique.
Dans la technique, à savoir dans son essence, je vois que l’homme est placé sous la coupe d’une puissance qui le pousse à relever ses défis et vis-à-vis de laquelle il n’est plus libre — je vois que quelque chose s’annonce ici, à savoir une relation entre l’Etre et l’homme — et que cette relation, qui se dissimule dans l’essence de la technique, pourrait un jour se dévoiler dans toute sa clarté.
Je ne sais pas si cela arrivera ! Je vois cependant dans l’essence de la technique la première apparition d’un secret beaucoup plus profond que j’appelle Ereignis
 [3] — vous pourrez en déduire qu’il ne saurait absolument pas être question d’une résistance à la technique ou de sa condamnation. Mais il s’agit de comprendre l’essence de la technique et du monde technique. A mon avis cela ne peut se faire tant qu’on se meut, sur le plan philosophique, dans la relation sujet-objet. Cela signifie : l’essence de la technique ne peut pas être comprise à partir du marxisme.

Wisser : Toutes vos réflexions se fondent et débouchent sr la question qui est la question fondamentale de votre philosophie, la question de l’Etre. Vous avez toujours rappelé que vous ne vouliez pas ajouter une nouvelle thèse aux nombreuses thèses existant sur l’Etre. Précisément parce que l’Etre a été défini de manières très différentes, par exemple comme qualité, comme possibilité et réalité, comme vérité, voire comme Dieu, vous posez la question d’une harmonie (Einklang) susceptible d’être comprise : non pas dans le sens d’une super-synthèse, mais comme un questionnement sur le sens de l’Etre.
Dans quelle direction s’oriente, à travers votre pensée, la réponse à la question : Pourquoi y-a-t-il de l’étant, et non pas plutôt rien ?

Heidegger : Je dois là répondre à deux questions : Premièrement, je dois éclaircir la question de l’Etre. Je crois entrevoir un certain manque de clarté dans la façon dont vous posez la question. L’expression « question de l’Etre » est ambiguë. La question de l’Etre signifie d’abord la question de l’étant en tant qu’étant. Et, dans cette question, on définit ce qu’est l’étant. La réponse à cette question donne la définition de l’Etre.
La question de l’Etre peut cependant aussi être comprise dans le sens suivant : sur quoi se fonde toute réponse à la question sur l’étant, c’est-à-dire sur quoi se fonde en général le dé-cèlement (Unverborgenheit) de l’Etre ? Pour prendre un exemple : les Grecs définissent l’Etre comme la présenteté (Anwesenheit) de ce qui est présent. La notion de présenteté rappelle celle de l’actualité (Gegenwart), l’actualité est un moment du temps, la définition de l’Etre en tant que présenteté se réfère donc au temps.
Si j’essaie maintenant de déterminer la présenteté à partir du temps, et si je cherche, dans l’histoire de la pensée, ce qui a été dit sur le temps, je trouve qu’à partir d’Aristote l’essence du temps est déterminée à partir d’un Etre déjà déterminé. Donc : le concept traditionnel du temps est inutilisable. Et c’est pour ce motif que j’ai essayé de développer, dans Etre et Temps, un nouveau concept du temps et de la temporalité au sens de l’ouverture ek-statique (ekstatische Offenheit).
L’autre question est une question qui a déjà été posée par Leibniz et qui a été reprise par Schelling et que je répète textuellement à la fin de ma conférence Qu’est­-ce que la métaphysique ?, déjà mentionnée.
Mais cette question a chez moi un sens totalement différent. L’idée métaphysique qu’on se fait habituellement de ce qui est demandé dans cette question, signifie : pourquoi, après tout, l’étant est-il et non pas plutôt le néant ? C’est-à-dire : où est la cause (Ursache) ou le fondement (Grund) pour que l’étant existe et non pas le néant ?
Moi, par contre, je demande : pourquoi l’étant existe-t-il et non pas plutôt rien ?
Pourquoi l’étant a-t-il la priorité, pourquoi le rien n’est-il pas pensé comme identique à l’Etre ? C’est-à-dire : pourquoi l’oubli de l’Etre règne-t-il et d’où vient-il ? C’est donc une question tout à fait différente de la question métaphysique. C’est-à-dire : je demande : qu’est-ce que la métaphysique ? Je ne pose pas une question métaphysique, mais je pose la question de l’essence de la métaphysique.
Comme vous voyez, ces questions sont toutes extrêmement difficiles et elles sont, au fond, inaccessibles à la compréhension commune. Elles exigent un long « casse-tête » et une longue expérience et une vraie confrontation avec la grande tradition. L’un des grands dangers de notre pensée est aujourd’hui précisément que la pensée — je l’entends au sens de la pensée philosophique — n’a plus de véritable rapport originaire avec la tradition.

Wisser : De toute évidence, ce qui vous importe c’est avant tout la déconstruction de la subjectivité, et non pas ce qui s’écrit aujourd’hui en lettres majuscules, l’Anthropologique et !’Anthropocentrique, non pas l’idée que l’homme aurait déjà, dans la connaissance qu’il a de lui-même et dans l’action qu’il accomplit, saisi sa propre essence. Vous invitez l’homme à prêter plutôt attention à l’expérience de l’être-là » (Da-sein), où l’homme se reconnaît comme une essence ouverte à l’Etre et l’Etre s’offre à lui comme dé-cèlement (Un-verborgenheit). Toute votre œuvre est consacrée à prouver la nécessité d’une telle transformation de l’être de l’homme à partir de l’expérience de l’être « là ».
Voyez-vous des indices permettant de croire que cette pensée considérée comme nécessaire deviendra réalité ?

Heidegger : Nul ne sait quel sera le destin de la pensée. En 1964, dans une conférence que je n’ai pas prononcée moi-même, mais dont le texte a été lu en traduction française à Paris, j’ai parlé de « la fin de la philosophie et la tâche de la pensée ». Je fais donc une distinction entre la philosophie, c’est-à-dire la métaphysique, et la pensée, telle que je l’entends.
La pensée que, dans cette conférence, je distingue de la philosophie — ce qui se fait surtout quand je tente d’éclairer l’essence de l’ἀλήθεια grecque — cette pensée est, fondamentalement, dans son rapport avec la métaphysique beaucoup plus simple que la philosophie, mais, précisément en raison de sa simplicité, beaucoup plus difficile à accomplir. Et elle exige : un nouveau soin du langage, et non une invention de termes nouveaux, comme j’avais pensé jadis ; bien plutôt un retour au contenu originaire de la langue qui nous est propre, mais qui est en proie à un dépérissement continuel.
Un penseur à venir qui sera peut-être placé devant la tâche d’assumer effectivement cette pensée que j’essaie de préparer, devra s’accommoder d’un mot que Heinrich von Kleist a écrit un jour et qui dit :

« Je m’efface devant quelqu’un qui n’est pas encore là, et je m’incline, à un millénaire de distance, devant son esprit. »

Traduction du service linguistique du ministère des Affaires étrangères de la R.F.A.
(revue et corrigée par Michel Haar).

1ere mise en ligne le 29 février 2008. Version restaurée et complétée.

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