La philosophie dans l’académie de CRETEIL
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Quintilien, Institution oratoire

Institution oratoire [extraits] (Ier s.)


Quintilien, Institution oratoire, II, XIII, Ie après J-C

Personne sans doute n’exigera de moi qu’à l’exemple de la plupart de ceux qui écrivent des traités de rhétorique, je prescrive aux étudiants un certain nombre de lois, inflexibles et immuables : et d’abord l’exorde, et quel il doit être ; ensuite la narration, et quelles sont ses règles ; après la narration, la proposition, ou, selon d’autres, l’excursion ; puis l’ordre dans lequel doit venir chaque question, et autres préceptes que quelques personnes observent à la lettre, comme s’il était défendu de procéder autrement. La rhétorique serait une chose facile et de peu d’importance, si elle se renfermait dans un aussi petit nombre de règles. Mais la plupart de ces règles sont subordonnées à la nature des causes, aux circonstances, à l’occasion, à la nécessité. Aussi la principale qualité d’un orateur est-elle cet esprit de discernement qui lui apprend à se mouvoir différemment, selon les vicissitudes des causes. Supposons, en effet, qu’on prescrive à un général, toutes les fois qu’il aura une armée à ranger en bataille, de placer en tête son avant-garde, d’étendre ses ailes à droite et à gauche, et de protéger celles-ci par la cavalerie. Cette tactique sera peut-être la meilleure, si rien ne s’y oppose : mais n’en devra-t-il pas changer, suivant la nature du terrain, s’il se rencontre une montagne, un fleuve, des collines, des bois, ou quelque autre obstacle ? Il prendra aussi des mesures différentes, selon l’ennemi auquel il aura affaire, selon le danger où il se trouvera ; il combattra tantôt de front, tantôt en pointe ; ici, avec ses auxiliaires ; là, avec ses légions. Quelquefois la feinte lui réussira, et il fera semblant de lâcher pied. De même, c’est la nature de la cause qui déterminera si l’exorde est nécessaire ou superflu ; s’il doit être long ou court ; si dans cet exorde l’orateur doit adresser la parole directement au juge, ou peut quelquefois la détourner de lui par l’emploi de quelque figure ; si la narration doit être resserrée ou étendue, continue ou divisée ; si elle doit être faite suivant l’ordre des faits, ou autrement. L’ordre des questions n’est pas plus invariable. Il peut arriver souvent que, dans la même affaire, une partie ait intérêt à commencer par telle question, et l’autre partie par telle autre. Les préceptes de l’éloquence, en effet, ne sont pas réglés par des lois ou des plébiscites ; c’est le besoin qui les a faits ce qu’ils sont. Je ne nie pas que le plus souvent ils ne soient utiles : autrement, je n’écrirais pas. Mais si c’est cette même utilité qui nous conseille de nous en écarter, nous devons la préférer à l’autorité des maîtres.
Ce que je recommande et ne me lasserai pas de répéter, c’est que l’orateur ait toujours en vue deux choses : la convenance et l’utilité. Souvent l’utilité et quelquefois la convenance exigent qu’on déroge en quelque chose aux règles et aux préceptes. […]. C’est pourquoi ma méthode a toujours été de m’assujettir le moins possible à ces préceptes que les Grecs appellent καθολικὰ, c’est-à-dire universels ou absolus. Car il s’en rencontre rarement d’une
espèce telle, qu’on ne puisse ou les affaiblir en partie, ou les ruiner entièrement. Mais j’en parlerai plus amplement ailleurs. Cependant je ne veux pas que les jeunes gens se croient suffisamment instruits pour avoir étudié un de ces abrégés de rhétorique qui ont cours dans la plupart des écoles, ni qu’ils s’en reposent sur les arrêts des théoriciens. Un travail opiniâtre, une étude assidue, des exercices de toutes sortes, une longue expérience, une connaissance profonde des choses, une rare promptitude de jugement, voilà les conditions de l’éloquence. Sans doute les règles ont leur utilité, mais en tant qu’elles nous enseignent le droit chemin ; et non une ornière, où l’on soit condamné à aller pas à pas, comme ceux qui marchent sur la corde.

Question d’interprétation littéraire : Pour Quintilien, faut-il respecter les quatre moments du discours ?
Question de réflexion philosophique : Un bon discours peut-il tout dire ?