La philosophie dans l’académie de CRETEIL
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Le vraisemblable

Exercice de distinction conceptuelle

Introduction : un film et un reportage

 Analyser ce premier extrait :

L’éloquence selon Jean Rochefort. Mettre en perspective avec le plaisir dont parle plus bas Cicéron.

I. Éristique et sophistique se distinguent en ce sens que si le but fixé est une apparence de savoir en vue d’un gain pécuniaire, l’argument est sophistique ; si l’on vise une apparence de victoire, l’argument est éristique. Ces deux types de fin poussent les interlocuteurs dans les raisonnements apparents. Tous les moyens deviennent bons pour remporter victoire et argent. Cette distinction des intentions entre sophistique et éristique est toutefois très relative, il n’est pas rare de cumuler les deux intentions : remporter la victoire et gagner de l’argent à l’aide d’un savoir apparent.


 Comment Platon présente-t-il Euthydème au début du dialogue du même nom ?
 Quelle comparaison emploie-t-il à son propos ?
 Lire l’article de Garzaniti Justine et en dégager le sens de éristique et sophistique.

 Expliquer la différence avec le dialogue socratique. Pourquoi est-il important de se mettre d’accord ?

II. Les enjeux du débat de Platon avec la rhétorique :
 Dans Phèdre Socrate introduit "le vraisemblable" au coeur de l’art de la rhétorique.

Socrate

On dit, Phèdre, qu’il est juste de plaider même la cause du loup.

Phèdre

Plaide la, toi aussi.

Socrate

Ces rhéteurs disent donc qu’il ne faut pas tant vanter notre méthode, ni remonter si haut par d’aussi longs détours. Ils ajoutent, comme nous le disions au commencement de cet entretien, qu’il est tout à fait inutile pour devenir un habile orateur, de connaître la vérité sur la justice et sur la bonté des choses et des hommes, et de savoir si ces qualités sont naturelles ou acquises. Dans les tribunaux, en effet, on ne s’inquiète absolument pas de dire la vérité, mais de persuader. Or la persuasion relève du vraisemblable, et c’est au vraisemblable, si l’on veut discourir avec art, que l’on doit s’attacher. Il est même des cas où l’on doit se garder d’exposer les faits comme ils se sont passés : c’est quand ils n’ont aucune vraisemblance. Il faut alors, dans l’accusation comme dans la défense, les présenter sous un jour vraisemblable. L’orateur doit donc en tous les cas s’attacher au vraisemblable, et congédier la vérité. [273] La vraisemblance, soutenue d’un bout à l’autre du discours, voilà ce qui constitue tout l’art de la parole.

Phèdre

Tu as bien exposé, Socrate, ce que disent ceux qui se donnent pour maîtres dans l’art de discourir. Je me rappelle, en effet, que nous avons déjà brièvement touché cette question, car elle parait de suprême importance à ces maîtres de l’art.

Socrate

Tu as, à coup sûr, méticuleusement parcouru en tous sens les écrits de Tisias. Que pourtant Tisias nous dise encore si, par vraisemblance, il entend autre chose que ce qui parait être vrai à la foule.

Phèdre

Pourrait-il entendre autre chose ?

Socrate

Ayant découvert, semble-t-il, cette ingénieuse règle d’art, il a écrit que, si un homme faible et courageux est traduit en justice pour avoir frappé un homme fort et lâche, et lui avoir dérobé son manteau ou autre chose, ni le fort ni le faible ne doivent dire la vérité. Le lâche ne doit pas soutenir qu’il a été battu par un seul homme courageux, et le courageux doit essayer de prouver qu’ils étaient tous deux seuls, en recourant à un argument de ce genre : « Comment, fort comme je suis, me serais-je attaqué à un homme aussi faible ? » Le lâche en répliquant n’avouera pas sa lâcheté, mais il aura recours à quelque autre mensonge qui donnera peut-être à son adversaire l’occasion de le confondre. Tout le reste est dans ce genre, et voilà ce qu’ils appellent s’exprimer avec art. N’est-ce pas vrai, Phèdre ?

Phèdre

Sans aucun doute.

Socrate

Ah ! c’était un homme redoutable, semble-t-il, que l’inventeur de cet art de cacher sa pensée, Tisias ou un autre, quel qu’il pût être et quel que fût le nom qu’il était fier de porter ! Mais, ami, ne pourrions-nous pas, oui ou non, dire à cet homme...

Phèdre

Quoi donc ?

Socrate

Ceci : « Tisias, bien avant que tu n’arrives, nous nous trouvions déjà avoir depuis longtemps affirmé que cette vraisemblance s’impose à la foule par sa ressemblance avec la vérité. Nous exposions naguère que celui qui connaît la vérité, sait aussi le mieux, en toutes circonstances, trouver ces ressemblances. Si tu as donc quelque autre chose à dire au sujet de l’art oratoire, nous sommes prêts à t’entendre ; sinon, nous nous en tiendrons aux principes que nous avons posés, et nous dirons que si l’orateur ne sait point dénombrer les différents caractères de ses auditeurs, s’il ne sait point diviser les choses en espèces, s’il est incapable de ramener à une seule idée chaque idée singulière, jamais il ne sera un orateur habile, autant du moins qu’il est possible à l’homme. Jamais d’ailleurs il n’acquerra ce talent sans un immense labeur. Si le sage assume cette peine, ce n’est point tant pour parler aux hommes et traiter avec eux, que pour être en état, dans la mesure où il le peut, de plaire aux dieux par ses paroles, et de leur être agréable en toute sa conduite. [274] Il ne faut pas, Tisias, assurent de plus sages que nous, qu’un homme d’intelligence se soucie, si ce n’est par surcroît, de plaire à des compagnons d’esclavage, mais à des maîtres bons et de bonne origine. Cesse donc de t’étonner si ce circuit est long ; car, non comme tu le crois, c’est pour de grandes choses qu’il faut faire ce détour, et ces très belles choses, comme nos propos l’indiquent, naissent, si on le veut, de l’art de la parole. »

Phèdre

Tu me parais affirmer, Socrate, des choses tout à fait belles, pourvu qu’on soit à même de les atteindre.

Socrate

Mais il est beau de tendre vers la beauté, et de souffrir pour elle ce qu’il peut arriver de souffrir.

Phèdre

Certainement.

Socrate

Mais nous avons suffisamment parlé de ce qui fait, à propos des discours, l’art ou le manque d’art.

Phèdre

Assurément.

Comment comprendre le Mythe de l’attelage ailé du Phèdre à partir de cette définition du "vraisemblable" ?
[rouge]On peut engager un travail autour des mythes utilisés par Platon pour approfondir le sens de la vraisemblance qui s’en dégage.[/rouge]

II. Syllogisme et dialectique selon Aristote


1. En quoi consiste le désaccord entre Platon et Aristote à propos de l’opinion (doxa) ?
2. En quoi les règles syllogistiques se rattachent à la vérité ? A quoi Aristote oppose-t-il la syllogistique ? Lire ces deux textes :
 chercher des exemples d’"endoxes",comme des proverbes ou des "caractères" (La Bruyère par exemple)
 Pourquoi Aristote ne rejette pas les "endoxes" ?

[100a18] Le propos de notre travail [sera de] découvrir une méthode grâce à laquelle d’abord nous pourrons raisonner [à partir] d’endoxes sur tout problème proposé ; [grâce à laquelle] aussi, au moment de soutenir nous-mêmes une raison, nous ne dirons rien de contraire. En premier, bien sûr, on doit dire ce qu’est un raisonnement et par quoi ses espèces se différencient de manière à ce qu’on obtienne le raisonnement dialectique. Car c’est là que nous cherchons, dans le travail que nous nous proposons.
[100a25] Un raisonnement, c’est donc une raison dans laquelle, une fois qu’on a posé quelque chose, autre [chose] que ce qu’on a posé s’ensuit nécessairement à cause de ce qu’on a posé. C’est une démonstration, bien sûr, quand le raisonnement est issu de [principes] vrais et premiers, ou de [principes] de nature à ce qu’on ait obtenu leur propre principe de connaissance par des [principes] premiers et vrais. [100a30] Est raisonnement dialectique celui qui raisonne [à partir] d’endoxes. [100b18] Or est vrai et premier ce qui trouve créance non par autre chose mais par soi-même (car dans les principes scientifiques, il ne faut pas rechercher le pourquoi, mais que chacun des principes soit croyable en lui-même et par lui-même). [Est] endoxal ce à quoi tous s’attendent, ou la plupart, ou les sages, et parmi eux tous, ou la plupart, ou les plus connus et endoxaux. Par ailleurs, est un raisonnement chicanier le [raisonnement issu] de ce qui a tout l’air endoxal mais ne l’est pas, [100b25] et celui qui[, sans l’être,] a l’air issu d’endoxes ou de ce qui a l’air d’endoxes. Car tout ce qui a l’air endoxal n’est pas de ce fait endoxal. En effet, rien de ce qu’on dit [légitimement] endoxal n’a tout à fait manifeste son [aspect de pure] apparence, comme c’est le cas pour les principes des raisons chicanières. C’est sur-le-champ, en effet, et la plupart du temps, [100b30] pour les gens capables d’apercevoir aussi les subtilités, qu’est très évidente en eux la [101a1] nature de la fraude. Le premier, bien sûr, des raisonnements chicaniers dont nous avons parlé, appelons-le aussi un raisonnement ; mais l’autre, [appelons-le] raisonnement chicanier mais non raisonnement, puisqu’il a tout l’air de raisonner, mais ne raisonne pas.

Aristote Topiques, I, 1

Sont des idées admises [endoxa] les opinions partagées par tous les hommes ou par presque tous ou par ceux qui représentent l’opinion éclairée, et pour ces derniers soit par tous, soit par presque tous ou par les plus connus et les mieux admis. (Top., I, 1, 100b21-23)
Sans entrer dans une analyse complète de ces idées, précisons quelques-uns de leurs caractères fondamentaux, précieux dans notre investigation.
Le caractère endoxal des idées admises n’est pas une propriété qui leur appartient de droit, en vertu de leur contenu intrinsèque, mais une propriété qui leur appartient de fait : un énoncé endoxal a des garants réels, assurés par l’adhésion effective de tous ou de la plupart des hommes ou des gens aux opinions éclairées. Ainsi, les idées admises englobent aussi bien celles des hommes aux opinions communes que celles des individus éclairés, qui s’y connaissent dans un domaine quelconque. Rien ne garantit, toutefois, que les savants aient dans le cas présent une opinion éclairée.
Cette nécessité d’une adhésion effective manifeste le fait que le critère principal des endoxa est non pas celui de la véracité de l’opinion, mais celui de son admission. Peu importe que l’endoxon soit vrai ou faux, pourvu qu’il soit accepté, admis par la plupart des gens, ignorants ou qualifiés. D’où le fait que, en philosophie, il faut traiter des choses selon la vérité, en dialectique, il faut s’attacher à l’opinion. (Top., I, 14, 105b30-31) Ce passage met en évidence le fait non pas que l’opinion s’oppose à la vérité, mais qu’en dialectique, on aborde les problèmes avec d’autres critères. L’absence de critère véridique provient notamment de l’indétermination du domaine dialectique. Celle-ci est d’application totalement générale. La finalité propre de la dialectique n’est pas d’atteindre la vérité, mais d’argumenter sur tout sujet et d’éviter les contradictions dans un raisonnement (Top., 1, 1, 100al8-22). Ainsi, sans qu’ils soient nécessairement faux, on ne peut garantir la véracité de ses arguments. La question qui s’ensuit inévitablement est de savoir en quoi la méthode dialectique est utile, voire indispensable, si elle ne permet pas de découvrir le vrai.

Garzaniti Justine (cité)

III. Voici ce qu’écrit Cicéron à propos du vraisemblable. Que donne-t-il à comprendre à propos du vraisemblable dans son rapport à la vérité ?

Mais nous, académiciens, qui nous en tenons aux probabilités, et qui, le vraisemblable étant trouvé, ne pouvons étendre nos vues au delà, nous sommes disposés, et à réfuter les autres sans opiniâtreté, et à souffrir sans émotion que les autres nous réfutent. Que si nos Romains prennent du goût pour la philosophie, nous n’aurons plus besoin des bibliothèques grecques, où l’on est accablé d’une infinité de volumes, parce que cette nation a produit une infinité d’auteurs, qui, pour la plupart, se copient les uns les autres : et il en arrivera de même à nos écrivains, si nous en avons beaucoup qui se tournent de ce côté-là. Portons-y le plus que nous pourrons ceux qui ont fonds de belle littérature, et qui sont en état d’écrire élégamment, solidement, méthodiquement.

Car nous avons déjà une espèce de gens, qui veulent qu’on leur donne le nom de philosophes, et dont les ouvrages latins ne sont pas, dit-on, en petite quantité. J’aurais tort de les mépriser, n’ayant rien lu de leur façon. Puisque eux-mêmes ils se donnent pour écrire sans ordre, sans méthode, sans élégance, sans ornement, je laisse là une lecture qui ne me promet point de plaisir. Quant à leur doctrine, pour peu que l’on ne soit pas tout à fait ignorant, on sait en quoi elle consiste. Ainsi du moment qu’ils ne s’étudient point à plaire, je ne vois pas pourquoi, hors de leur parti, ils auraient des lecteurs. Platon, les autres disciples de Socrate, et leurs successeurs, sont lus de tout le monde : même de ceux qui n’approuvent pas, ou qui du moins n’épousent pas leurs opinions. Mais ni Épicure ni Métrodore ne sont guère qu’entre les mains de leurs sectateurs : et ceux de nos auteurs latins, qui marchent sur leurs traces, n’ont de même pour lecteurs que ceux qui pensent comme eux. Pour moi, sur quelque sujet qu’on écrive, je crois que ce doit être de manière à se faire lire par tous ceux qui ont du goût : et si je n’y réussis point, ce n’est pas qu’il me semble qu’on puisse s’en dispenser. Aussi ai-je toujours aimé la méthode des Péripatéticiens et des Académiciens, qui est de traiter le pour et le contre sur chaque matière ; non seulement, parce que c’est l’unique moyen de voir où se trouve la vraisemblance, mais encore parce qu’il n’y a rien de si propre à nous exercer dans l’art de la parole. Aristote suivit cette méthode le premier, et ses disciples l’ont retenue. Philon, qui a vécu de nos jours, et que j’ai beaucoup entendu, nous enseignait la rhétorique dans un temps, la philosophie dans un autre. J’ai fait, à la prière de mes amis, un semblable partage du loisir que j’ai dans ma maison de Tusculum. Aujourd’hui, comme hier, nous avons donné la matinée à l’art oratoire ; et nous sommes descendus après midi dans l’Académie, où, en nous promenant, nous avons philosophé.

Les Tusculanes II Cicéron


 Quel est le sens de "controverse" ?
 Quelle est la faiblesse de la philosophie quand elle ne pratique pas la controverse ?
 Que manque-t-il à l’inverse à l’éristique quand elle n’est que pure controverse ?
 Renoncer à la vérité au nom du vraisemblable est-ce renoncer à la raison ?

IV. Analyses autour du vraisemblable

 Lecompte Jérôme,« Raison et vraisemblance à l’âge classique. Statut de la rhétorique chez René Rapin et Jean Racine », L’information littéraire, 2008/1 (Vol. 60), p. 58-64.

La seule raison de Descartes ne suffit pas à définir la raison au xviie siècle. La plus représentée, qui mérite mieux à ce titre sa caractérisation comme « classique », n’est pas philosophique au sens moderne. Cela ne veut pourtant pas dire qu’elle ne l’est pas en un certain sens. La notion est au cœur du conflit permanent, depuis Descartes, entre partisans de la nouvelle science et défenseurs de la rhétorique et de la rationalité qu’elle suppose. Cette controverse épistémologique constitue l’objet central de notre thèse. Il s’agissait de reconnaître le statut de la rhétorique dans le parti des Anciens, face à l’émergence de la « méthode ». Force d’inertie ou véritable mouvement éristique ? La question posée, en définitive, était celle de l’impact de la nouvelle raison sur la conception humaniste du savoir : comprendre les causes et les conditions de la résilience du probable à l’âge classique 

 La rhétorique de la vraisemblance. La construction du récit de guerre : Malaparte et Saint-Exupéry
DOI : 10.17457/RIL10_2016.COL
Tania Collani (Université de Haute-Alsace, ILLE)
in RILUNE — Revue des littératures européennes,
n° 10, « Mars et les muses », (Paola Codazzi, Valentina Maini, Jessica Palmieri, Maria
Shakhray eds), 2016, p. 82-105 (version online, www.rilune.org).

Si le récit et le roman de guerre ont été largement étudiés du point de vue de leur poétique, la rhétorique a été davantage appliquée aux contextes extra- et paralittéraire comme à l’analyse de la presse et du discours politique. En situant méthodologiquement la présente réflexion entre rhétorique et poétique, nous nous interrogerons sur l’écart entre la chronique et le roman : quel rapport entre authenticité et fiction dans ce corpus où la composante du témoignage direct constitue l’un des fondements même du genre ? De quelle manière la fiction s’empare-t-elle de la « grande Histoire » collective et de la « petite histoire » vécue par un écrivain-soldat pour en faire un produit littéraire adressé à un public bien précis ? Nous analyserons deux récits/romans écrits et publiés pendant la Deuxième Guerre : Antoine de Saint-Exupéry, Pilote de guerre (1942) et Curzio Malaparte, Kaputt (1944)