La philosophie dans l’académie de CRETEIL
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La justice ne relève-t-elle que de l’Etat ?

Avertissement : il ne s’agit ici que de pistes de réflexion. D’autres approches, d’autres thèses et arguments sont possibles.

Introduction

Succédant à une justice exercée par les seigneurs et le clergé dans chaque province sous la féodalité, apparaît sous la monarchie la justice royale.
Les Rois de France rendent désormais la justice et assoient progressivement leur autorité judiciaire.
Lors des sacres, l’archevêque de Reims remet la " main de justice ", signe d’équité, et l’épée, glaive de justice. Ainsi, le Roi reçoit de Dieu le pouvoir spirituel et temporel de rendre justice. La justice d’origine divine devient donc l’émanation du roi de France. Le premier devoir du roi à l’égard de ses sujets est de faire à tous bonne et promptejustice à l’image de Saint-Louis, sous un chêne à Vincennes.
Jusqu’au XIIIème siècle, le Roi expédie lui-même les affaires, entouré de conseillers ; c’est l’époque de la "justice retenue", nécessaire au maintien de son autorité.
Puis, les rois successifs déléguent progressivement leur pouvoir judiciaire à des juges spécialement nommés, tout en gardant un droit de regard sur les affaires et en conservant le pouvoir de juger eux-mêmes une affaire déjà entamée ou de l’attribuer à une autre juridiction (droit d’évocation). Les magistrats, conseillers du roi, revêtent alors les habits royaux : l’écarlate étant la couleur de ces habits, les magistrats portent des robes de couleur pourpre et une coiffure appelée mortier, un chapeau de velours rond pour rappeler la couronne. Ainsi apparaît la Cour royale dans sa fonction judiciaire : le parlement royal ou curia regis in parliamento

- Critique de la délégation de la justice : son fondement divin devient problématique. Où trouver le critère de la justice ?

L’Huître et les Plaideurs
Fable n° 9
Livre IX

Un jour deux pèlerins sur le sable rencontrent
Une Huître, que le flot y venait d’apporter :
Ils l’avalent des yeux, du doigt ils se la montrent ;
À l’égard de la dent il fallut contester.
L’un se baissait déjà pour amasser la proie ;
L’autre le pousse, et dit : « Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la joie.
Celui qui le premier a pu l’apercevoir
En sera le gobeur ; l’autre le verra faire.
– Si par là l’on juge l’affaire,
Reprit son compagnon, j’ai l’oeil bon, Dieu merci.
– Je ne l’ai pas mauvais aussi,
Dit l’autre ; et je l’ai vue avant vous, sur ma vie.
– Hé bien ! vous l’avez vue ; et moi je l’ai sentie. »
Pendant tout ce bel incident,
Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge.
Perrin, fort gravement, ouvre l’Huître, et la gruge,
Nos deux messieurs le regardant.
Ce repas fait, il dit d’un ton de président :
« Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille
Sans dépens ; et qu’en paix chacun chez soi s’en aille. »
Mettez ce qu’il en coûte à plaider aujourd’hui ;
Comptez ce qu’il en reste à beaucoup de familles ;
Vous verrez que Perrin tire l’argent à lui,
Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles.

La Fontaine Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe Livre II - Fable 3

Un loup disait que l’on l’avait volé.
Un renard, son voisin, d’assez mauvaise vie,
Pour ce prétendu vol par lui fut appelé.
Devant le singe il fut plaidé,
Non point par avocat, mais par chaque partie,
Thémis n’avait point travaillé
De mémoire de singe à fait plus embrouillé.
Le magistrat suait en son lit de justice.
Après qu’on eut bien contesté,
Répliqué, crié, tempêté,
Le juge, instruit de leur malice,
Leur dit : "Je vous connais de longtemps, mes amis,
Et tous deux vous paierez l’amende ;
Car toi, loup, tu te plains, quoiqu’on ne t’ait rien pris
Et toi, renard, as pris ce que l’on te demande."
Le juge prétendait qu’à tort et à travers
On ne saurait manquer, condamnant un pervers.

La Fontaine, Les animaux malades de la peste Dossier BNF

I. Avant l’Etat la violence et l’insécurité

 Hobbes Léviathan, ch 13
Première partie : De l’homme Chapitre XIII De la condition naturelle des hommes en ce qui concerne leur félicité et leur misère
 Calliclès in Gorgias de Platon : le droit de nature. Pour Calliclès la justice est une invention des faibles.
Le discours introductif de Calliclès et la réponse de Socrate
Gorgias, 481b6-488b1

II. Le désir de justice

 Loi du Talion et vengeance :

Bible Exode 21,23-25 : "Tu paieras vie pour vie, œil pour œil dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure."

Bible Lévitique 24,19-20 : "Si quelqu’un blesse son prochain, il lui sera fait comme il a fait : fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent ; il lui sera fait la même blessure qu’il a faite à son prochain.
Il ne faut jamais oublier de replacer dans leur contexte d’origine les récits bibliques. Ainsi, on découvre par exemple que la loi du talion (où l’on autorise de crever un œil à celui qui a crevé un œil à quelqu’un, d’arracher une dent à celui qui a arraché une dent à quelqu’un,...) est une bonne nouvelle dans un contexte de vengeance où celui qui a subi un tort se venge n’importe comment sur son agresseur (où une dent peut ainsi " valoir " toute la mâchoire de l’agresseur !)."

 La démesure Platon, le mythe de l’anneau de Gygès.
République, II, 359b6-360b2
.

 Justice et mesure : Aristote Ethique à Nicomaque Livre V
 Trois Discours sur la condition des grands Pascal

 La justice sociale et les inégalités sociales : la justice est liée à la question des inégalités.

  • Le but de la justice est-il d’établir une réparation et en quel sens ? Lire Rawls (John), Théorie de la justice, 1971. Corriger les contingences, ce qui ne dépend pas de nous, écrit Rawls.

III. La sécurité de l’Etat suppose parfois des entorses à la justice

  • EXERCICES de PROBLEMATISATION
    Développer les thèses. Les présupposés.
    • Lire ces textes et en dégager les implicites qui permettent de comprendre les prises de position des auteurs.

La sûreté : un devoir de l’Etat

++++Thomas Hobbes,

Léviathan, 1651, livre II, § 17

"La cause finale [1], fin ou but des humains (lesquels aiment naturellement la liberté et avoir de l’autorité sur les autres), en s’imposant à eux-mêmes cette restriction (par laquelle on les voit vivre dans des États), est la prévoyance de ce qui assure leur propre préservation et plus de satisfaction dans la vie ; autrement dit de sortir de ce misérable état de guerre qui est, comme on l’a montré, une conséquence nécessaire des passions naturelles qui animent les humains quand il n’y a pas de puissance visible pour les maintenir en respect et pour qu’ils se tiennent à l’exécution de leurs engagements contractuels par peur du châtiment, comme à l’observation de ces lois de nature [2] telles qu’elles sont établies aux chapitres 14 et 15. […]
Le seul moyen d’établir pareille puissance com­mune, capable de défendre les humains contre les invasions des étrangers et les préjudices commis aux uns par les autres et, ainsi, les protéger de telle sorte que, par leur industrie propre et les fruits de la terre, ils puissent se suffire à eux-mêmes et vi­vre satisfaits, est de rassembler [to conferre] toute leur puissance et toute leur force sur un homme ou sur une assemblée d’hommes qui peut, à la majo­rité des voix, ramener toutes leurs volontés à une seule volonté ; ce qui revient à dire : désigner un homme, ou une assemblée d’hommes, pour porter leur personne ; et chacun fait sienne et reconnaît être lui-même l’auteur de toute action accomplie ou causée par celui qui porte leur personne, et rele­vant de ces choses qui concernent la paix com­mune et la sécurité ; par là même, tous et chacun d’eux soumettent leurs volontés à sa volonté, et leurs jugements à son jugement. C’est plus que le consentement ou la concorde ; il s’agit d’une unité réelle de tous en une seule et même personne, faite par convention de chacun avec chacun, de telle manière que c’est comme si chaque individu devait dire à tout individu : j’autorise cet homme ou cette assemblée d’hommes, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et autorises toutes ses actions de la même manière. Cela fait, la mul­titude, ainsi unie en une personne une, est appelée un ÉTAT, en latin CIVITAS. Telle est la génération de ce grand LÉVIATHAN, ou plutôt (pour parler avec plus de déférence) de ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le dieu immortel, notre paix et notre défense."Thomas Hobbes, Léviathan, 1651, livre II, § 17, Traduction Gérard Mairet, Folio essais, p. 281-282 et 287-289.
[1] Celle en vue de laquelle les choses sont faites.
[2] Ici, lois, qui résultent de la nécessité d’assurer son existence dans les meilleurs conditions possibles.

++++Questions

 Le bonheur selon Hobbes est une recherche de puissance. Comment cela est-il formulé dans ce passage ?
 L’Etat est un Dieu mortel. Quelle définition en donne Hobbes ?
 Le bonheur humain réside moins dans la possession durable que dans le processus indéfini de satisfaction des désirs. Expliquer cette représentation humaine du bonheur différente de celle d’Aristote

++++Locke,

Traité sur la tolérance, 1667

"La mission de confiance, le pouvoir et l’autorité qui appartiennent au magistrat ne lui sont accordés que pour qu’il en fasse usage pour le bien, la préservation et la paix de ceux qui sont membres de la société à la tête de laquelle il est placé ; c’est donc cela, et cela seul, qui est et doit être la norme et la mesure sur laquelle il doit se régler pour établir ses lois, pour concevoir et instituer son gouvernement. Car si les hommes pouvaient vivre ensemble dans la paix et la sûreté sans s’unir sous des lois et sans se former en corps de république, ils n’auraient nul besoin de magistrats et de politique ; ceux-ci n’ont été établis dans ce monde que pour préserver les hommes des fraudes et des violences qu’ils peuvent commettre les uns à l’égard des autres, en sorte que c’est la fin pour laquelle on a institué le gouvernement qui doit être l’unique règle de ses actions." Locke, Traité sur la tolérance, 1667, tr. fr. Jean-Fabien Spitz, GF, p. 105.

++++Carl Schmitt,

La notion de politique

"L’État, unité politique et centre de décision, détient et concentre un pouvoir énorme : il a la possibilité de faire la guerre et donc de disposer ouvertement de la vie d’êtres humains. Car le jus belli implique qu’il en soit disposé ainsi ; il représente cette double possibilité, celle d’exiger de ses nationaux qu’ils soient prêts à mourir et à donner la mort, celle de tuer des êtres humains qui se trouvent dans le camp ennemi. Mais la tâche d’un État normal est avant tout de réaliser une pacification complète à l’intérieur des limites de l’État et de son territoire, à faire régner la « tranquillité, la sécurité et l’ordre » et à créer de cette façon la situation normale, qui est la condition nécessaire pour les normes du droit soient reconnues, étant donné que toute norme présuppose une situation normale et qu’il n’est pas de norme qui puisse faire autorité dans une situation totalement anormale par rapport à elle."Carl Schmitt, La notion de politique, 1932, tr. Marie-Louise Steinhauser, Champs Flammarion, 1992, p. 85.

 Machiavel Le Prince. La question de la durée de l’Etat.

 Pascal Fragment Misère n° 9 / 24