La philosophie dans l’académie de CRETEIL
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KANT Critique de la faculté de juger Dialectique de la faculté de juger téléologique Paragraphe 76 Remarque

Cette considération, qui mérite amplement d’être développée en détail dans la
philosophie transcendantale, ne peut s’intégrer ici que de façon épisodique, en tant
qu’explication (et non point en tant que preuve de ce qui a été exposé).
La raison est une faculté des principes et, dans sa plus extrême exigence, elle
vise l’inconditionné ; en revanche, l’entendement se tient toujours seulement à son
service, et cela sous une certaine condition qui doit être donnée. Cependant, sans des
concepts de l’entendement, auxquels une réalité objective doit être donnée, la raison
ne peut pas du tout juger objectivement (synthétiquement) et, en tant que raison
théorique, elle ne contient par elle-même aucun principe constitutif, mais
uniquement des principes régulateurs. On est vite convaincu de ceci : là où
l’entendement ne peut suivre, la raison outrepasse ses limites et se manifeste dans
des Idées préalablement fondées (en tant que principes régulateurs), mais non pas
dans des concepts valables objectivement ; mais l’entendement, qui ne peut lui
emboîter le pas, mais qui serait cependant nécessaire pour caractériser des objets,
restreint la validité de ces Idées de la raison simplement au sujet, mais la restreint
toutefois d’une manière étendue à tous les sujets de cette espèce, c’est-à-dire la
restreint à la condition selon laquelle, d’après la nature (humaine) de notre faculté de
connaître ou même, en général, d’après le concept que nous pouvons nous faire de la
faculté de connaître d’un être raisonnable fini, l’on ne puisse, ni ne doive, penser
autrement, sans affirmer pour autant que le fondement d’un tel jugement réside dans
l’objet. Nous allons proposer des exemples, lesquels ont assurément trop
d’importance et présentent également trop de difficultés pour être en l’occurrence
imposés d’emblée au lecteur comme des propositions démontrées, mais lesquels lui
donneront matière à réflexion et pourront servir à expliquer ce qui constitue ici notre
propos proprement dit.
De manière incontournable, l’entendement humain ne peut faire autrement que
de distinguer la possibilité et la réalité des choses. La raison s’en trouve dans le sujet
et dans la nature de ses facultés de connaître. En effet, il n’y aurait aucune
distinction de ce type [402] (entre le possible et le réel) si, pour l’emploi de ces deux
termes, deux éléments tout à fait hétérogènes n’étaient pas requis, l’entendement
pour les concepts et l’intuition sensible pour les objets qui leur correspondent. De
fait, si notre entendement était intuitif, il n’aurait pas d’autres objets que le réel. Les
concepts (qui se rapportent simplement à la possibilité d’un objet) et les intuitions
sensibles (qui nous donnent quelque chose, sans pour autant le faire connaître en tant
qu’objet) disparaîtraient tous deux. Or, toute notre distinction entre le simple
possible et le réel repose sur le fait que le premier signifie uniquement la position de
la représentation d’une chose relativement à notre concept, et en général à la faculté
de penser, tandis que le second signifie la position de la chose en elle-même (en
dehors de ce concept). C’est pourquoi la distinction entre des choses possibles et des
choses réelles est une distinction qui n’a de valeur que simplement subjective pour
l’entendement humain, puisque nous pouvons toujours penser quelque chose, en
dépit du fait que cela n’existe pas, ou nous représenter quelque chose comme donné,
bien que nous n’en ayons encore aucun concept. Ainsi ces propositions : Des choses
peuvent être possibles sans pour autant être réelles ; par suite, l’on ne peut
absolument pas conclure de la simple possibilité à la réalité, sont très justement
valables pour la raison humaine, sans prouver pour cela que cette différence soit
présente dans les choses elles-mêmes. En effet, que cette conclusion ne puisse en
être tirée, par conséquent que ces propositions possèdent certes une valeur
également pour les objets (dans la mesure où, en tant qu’elle est conditionnée par le
sensible, notre faculté de connaître s’occupe également des objets des sens), mais
qu’elles ne possèdent pas de valeur pour les choses en général, c’est là ce qui résulte
clairement de l’incessante exigence de la raison que soit nécessairement
inconditionné le fait d’admettre quelque chose (le fondement originaire) comme
existant, fait dans lequel la possibilité et la réalité ne doivent plus du tout être
distinguées. Il s’agit là d’une Idée pour laquelle notre entendement ne possède
absolument aucun concept, c’est-à-dire qu’il ne peut découvrir aucune manière de se
représenter une telle chose et son mode d’existence. Car, s’il la pense (il peut bien la
penser à sa guise), c’est simplement en tant que possible qu’elle est représentée. En
est-il conscient comme étant donnée dans l’intuition ? alors elle est réelle, sans que,
cette fois, il pense quoi que ce soit de sa possibilité. C’est pourquoi le concept d’un
être absolument nécessaire est sans doute une Idée indispensable de la raison, tandis
que, pour l’entendement humain, c’est un concept problématique, inaccessible.
Mais, étant donné la constitution propre de de nos facultés de connaître, il a toutefois
une valeur pour leur usage, mais, par conséquent, pas pour l’objet, et de ce fait pour
tout être connaissant : en effet, je ne peux présupposer, chez tout être connaissant, la
pensée et l’intuition comme constituant deux conditions distinctes de l’exercice de
ses facultés de connaître, ni par conséquent de la possibilité et de la réalité des
choses [403]. Pour un entendement dans lequel une telle distinction n’interviendrait
pas, cela signifierait : tous les objets que je connais sont (existent) ; et la possibilité
de certains objets, lesquels cependant sont inexistants, c’est-à-dire leur contingence
dès lors qu’ils existeraient, de même aussi que la nécessité qu’il faudrait en
distinguer, ne pourraient pas du tout se manifester dans la représentation d’un tel
être. Ce qui rend toutefois si difficile pour notre entendement qu’il parvienne avec
ses concepts au même résultat que la raison, c’est simplement que ce que la raison
érige en principe comme appartenant à l’objet outrepasse ses limites, en tant
qu’entendement humain (c’est-à-dire est impossible, selon les conditions subjectives
de sa connaissance). En l’occurrence, la maxime vaut toujours selon laquelle,
lorsque la connaissance dépasse les facultés de l’entendement, nous pensons tous les
objets suivant les conditions subjectives de l’exercice de nos facultés,
nécessairement inhérentes à notre nature (c’est-à-dire à la nature humaine) ; et si les
jugements portés de cette manière (et il ne peut en être autrement par rapport aux
concepts transcendants) ne peuvent être des principes constitutifs, qui déterminent
l’objet quant à sa constitution, ils demeurent néanmoins des principes régulateurs,
immanents et sûrs à l’usage, ainsi que conformes au dessein de l’être humain.
De même que la raison, dans la considération théorique de la nature, doit
forcément admettre l’Idée d’une nécessité inconditionnée de son fondement
originaire, de même, dans la considération pratique, dès lors qu’elle est consciente
de son commandement moral, elle présuppose sa propre causalité inconditionnée
(vis-à-vis de la nature), c’est-à-dire la liberté. Mais comme, en l’occurrence, en tant
que devoir, la nécessité objective de l’action est opposée à celle qu’elle aurait, en
tant qu’événement, si son fondement se trouvait dans la nature et non dans la liberté
(c’est-à-dire dans la causalité de la raison), et comme l’action procédant d’une
nécessité morale absolue est considérée physiquement comme tout à fait contingente
(c’est-à-dire que ce qui devrait nécessairement se produire, bien souvent ne se
produit pas), il est clair que si les lois morales doivent être représentées comme des
commandements (et les actions qui s’y conforment comme des devoirs), et que si la
raison n’exprime pas cette nécessité par un être (se produire), mais par un devoirêtre, cela provient uniquement de la constitution subjective de notre faculté pratique.
Les choses ne se produiraient pas de la sorte si la raison, quant à sa causalité, était
considérée indépendamment de la sensibilité (en tant que condition subjective de son
application à des objets de la nature), par conséquent en tant que cause dans un
monde intelligible s’accordant constamment avec la loi morale [404], où il n’y aurait
aucune différence entre devoir et faire, entre une loi pratique énonçant ce qui est
possible par nous et une loi théorique énonçant ce qui est réel par notre
intermédiaire. Or, bien qu’un tel monde intelligible, dans lequel tout serait réel
simplement parce que possible (en tant que bien), et bien que la liberté elle-même,
en tant que condition formelle de ce monde, soit pour nous un concept transcendant
qui n’est pas valable comme principe constitutif propre à déterminer un objet et sa
réalité objective, toutefois cette liberté, en raison de la constitution de notre nature
(en partie sensible) et de notre pouvoir, nous sert pourtant, ainsi qu’à tous les êtres
raisonnables en liaison au monde sensible (pour autant que nous pouvons nous les
représenter en fonction de la nature de notre raison), de principe régulateur
universel, lequel ne détermine pas objectivement la nature de la liberté en tant que
forme de la causalité, mais lequel, avec autant de valeur que s’il en allait réellement
ainsi, érige en commandement pour chacun la règle des actions se conformant à
cette Idée.
De même, dans le cas qui présentement nous occupe, l’on peut admettre qu’entre
le mécanisme de la nature et la technique de la nature, c’est-à-dire la liaison finale
dans celle-ci, nous ne trouverions aucune différence si notre entendement n’était pas
tel qu’il dût aller du général au particulier, de telle sorte que la faculté de juger ne
peut connaître aucune finalité dans ce qui touche le particulier et ne peut par
conséquent porter aucun jugement déterminant sans disposer d’une loi générale sous
laquelle elle puisse le subsumer. Mais comme le particulier, en tant que tel, contient
quelque chose de contingent par rapport au général et que cependant la raison exige
aussi l’unité dans la liaison des lois particulières de la nature, c’est-à-dire la légalité
(laquelle légalité du contingent se nomme finalité), alors que la déduction des lois
particulières à partir des lois générales, eu égard à ce que les premières contiennent
en elles de contingent, est impossible a priori par détermination du concept de
l’objet, le concept de la finalité de la nature dans ses productions devient, pour la
faculté humaine de juger par rapport à la nature, un concept nécessaire, mais non pas
un concept portant sur la détermination des objets eux-mêmes, devient donc un
principe subjectif de la raison pour la faculté de juger, lequel principe, en tant que
régulateur (et non pas constitutif), vaut avec autant de nécessité pour notre faculté de
juger humaine que s’il était un principe objectif