La philosophie dans l’académie de CRETEIL
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AUGUSTIN

anneeserielieuauteur
1996SAMÉRIQUE DU SUDComment l’avenir diminue-t-il ? Comment s’épuise-t-il, lui qui n’est pas encore ? Et comment le passé s’accroît-il, lui qui n’est plus, si ce n’est parce que dans l’esprit qui a opéré ainsi, il y a ces trois actions : l’attente, l’attention, le souvenir. Le contenu de l’attente passe par l’attention et devient souvenir. L’avenir n’est pas encore, qui le nie ? Mais il y a déjà dans l’esprit l’attente de l’avenir. Et le passé n’est plus rien, qui le nie ? Mais il y a encore dans l’esprit le souvenir du passé. Et le présent, privé d’étendue, n’est qu’un point fugitif, qui le nie ? Mais elle dure pourtant, l’attention à travers laquelle ce qui advient s’achemine à sa disparition. Ce n’est donc pas l’avenir qui est long, lui qui n’existe pas, mais un long avenir, c’est une longue attente de l’avenir, et il n’y a pas plus de long passé, un long passé, c’est un long souvenir du passé.AUGUSTIN
1996SJAPONPourquoi l’homme veut-il s’affliger en contemplant des aventures tragiques et lamentables, qu’il ne voudrait pas lui-même souffrir ? Et cependant, spectateur, il veut de ce spectacle ressentir l’affliction, et en cette affliction consiste son plaisir. Qu’est-ce là, sinon une pitoyable folie ? Car nous sommes d’autant plus émus que nous sommes moins guéris de ces passions. Quand on souffre soi-même, on nomme ordinairement cela misère, et quand on partage les souffrances d’autrui, pitié. Mais quelle est cette pitié inspirée par les fictions de la scène ? Ce n’est pas à aider autrui que le spectateur est incité, mais seulement à s’affliger, et il aime l’auteur de ces fictions dans la mesure où elles l’affligent. Si le spectacle de ces malheurs antiques ou fabuleux ne l’attriste pas, il se retire avec des paroles de mépris et de critique. S’il éprouve de la tristesse, il demeure là, attentif et joyeux.Ce sont donc les larmes et les impressions douloureuses que nous aimons. Sans doute tout homme cherche la joie. Il ne plaît à personne d’être malheureux, mais on aime éprouver de la pitié, et, comme la pitié ne va pas sans douleur, n’est-ce pas pour cette seule raison que la douleur est aimée ? Ce phénomène a sa source dans l’amitié que les hommes ont les uns pour les autres.AUGUSTIN
Confessions
1997SINDELorsqu’on déclare voir l’avenir, ce que l’on voit, ce ne sont pas les événements eux-mêmes, qui ne sont pas encore, autrement dit qui sont futurs, ce sont leurs causes ou peut-être leurs signes qui les annoncent et qui les uns et les autres existent déjà : ils ne sont pas futurs, mais déjà présents aux voyants et c’est grâce à eux que l’avenir est conçu par l’esprit et prédit. Ces conceptions existent déjà, et ceux qui prédisent l’avenir les voient présentes en eux-mêmes.Je voudrais faire appel à l’éloquence d’un exemple pris entre une foule d’autres. Je regarde l’aurore, j’annonce le proche lever du soleil. Ce que j’ai sous les yeux est présent, ce que j’annonce est futur : non point le soleil qui est déjà, mais son lever qui n’est pas encore. Pourtant si je n’avais pas une image mentale de ce lever même, comme à cet instant où j’en parle, il me serait impossible de le prédire. Mais cette aurore que j’aperçois dans le ciel n’est pas le lever du soleil, bien qu’elle le précède, pas davantage ne l’est l’image que je porte dans mon esprit : seulement toutes les deux sont présentes, je les vois et ainsi je puis dire d’avance ce qui va se passer. L’avenir n’est donc pas encore ; s’il n’est pas encore, il n’est pas et s’il n’est pas, il ne peut absolument pas se voir, mais on peut le prédire d’après les signes présents qui sont déjà et qui se voient.AUGUSTIN
1999SAMÉRIQUE DU NORDIl faut voir en quoi consiste le mensonge. Il ne suffit pas de dire quelque chose de faux pour mentir, si par exemple on croit, ou si on a l’opinion que ce que l’on dit est vrai. Il y a d’ailleurs une différence entre croire et avoir une opinion : parfois, celui qui croit sent qu’il ignore ce qu’il croit, bien qu’il ne doute en rien de la chose qu’il sait ignorer, tant il y croit fermement ; celui qui, en revanche, a une opinion, estime qu’il sait que ce qu’il ne sait pas.Or quiconque énonce un fait que, par croyance ou opinion, il tient pour vrai, même si ce fait est faux, ne ment pas. Il le doit à la foi qu’il a en ses paroles, et qui lui fait dire ce qu’il pense ; il le pense comme il le dit. Bien qu’il ne mente pas, il n’est pas cependant sans faute, s’il croit des choses à ne pas croire, ou s’il estime savoir ce qu’il ignore, quand bien même ce serait vrai. Il prend en effet l’inconnu pour le connu.Est donc menteur celui qui pense quelque chose en son esprit, et qui exprime autre chose dans ses paroles, ou dans tout autre signe.AUGUSTIN
1999LTUNISIELes animaux peuvent aussi sentir à l’extérieur les objets corporels, grâce à leurs sens, et s’en souvenir après les avoir fixés dans leur mémoire, désirer parmi eux ceux qui leur conviennent et éviter ceux qui leur nuisent. Mais reconnaître ceux-ci, retenir non seulement les souvenirs amassés naturellement, mais aussi ceux confiés volontairement à la mémoire, imprimer à nouveau en elle, par l’évocation et la pensée, ceux qui glissent peu à peu dans l’oubli (car, de même que la pensée se forme sur ce que contient la mémoire, de même ce qui est dans la mémoire est consolidé par la pensée) ; composer des visions imaginaires, en choisissant, et pour ainsi dire en cousant ensemble n’importe quels souvenirs ; voir comment, en ce genre de fictions, on peut distinguer le vraisemblable du vrai, tant dans le domaine spirituel que dans le domaine corporel ; tous ces phénomènes et ceux du même genre, même s’ils concernent et intéressent le sensible, et tout ce que l’âme tire des sens, font quand même appel à la raison, et ne sont pas le partage des bêtes comme le nôtre (1).AUGUSTIN
(1) "ne sont pas le partage des bêtes comme le nôtre" : n’appartiennent pas aux bêtes comme aux hommes.
2000SLIBANQue l’âme ne cherche donc pas à s’atteindre comme une absente, mais qu’elle s’applique à discerner sa présence ! Qu’elle ne cherche pas à se connaître comme si elle était une inconnue pour elle-même, mais qu’elle se distingue de ce qu’elle sait n’être pas elle ! Ce précepte qu’elle reçoit, le Connais-toi toi-même, comment se souciera-t-elle de le mettre en pratique, si elle ne sait ce que signifient le connais et le toi-même ? Dès lors qu’elle comprend ces deux mots, c’est qu’elle se connaît aussi elle-même. Car on ne dit pas à l’âme "Connais-toi toi-même", comme on lui dit "Connais les Chérubins et les Séraphins" (1) : bien qu’ils soient pour nous des absents, nous croyons en eux, parce que la foi nous apprend que ce sont des puissances célestes. On ne lui prescrit pas non plus de se connaître, comme on lui dirait "Connais la volonté de cet homme" : car cette volonté ne nous est pas présente, nous n’en avons ni l’intuition, ni l’intelligence, sinon grâce à la manifestation de signes extérieurs ; encore, ces signes, y croyons-nous plus que nous ne les comprenons ! On ne lui dit pas non plus ces paroles comme on dirait à quelqu’un "Regarde ton visage", ce qui ne se peut faire que dans un miroir. Car notre visage lui aussi échappe à notre vue : il ne se trouve pas là où peut se diriger notre regard. Mais lorsqu’on dit à l’âme "Connais-toi toi-même", dès l’instant qu’elle comprend ces paroles "toi-même" elle se connaît ; cela, pour la simple raison qu’elle est présente à elle-même.AUGUSTIN
(1) Les Chérubins et les Séraphins sont des anges
2005SLA RÉUNIONSi on élimine la justice, que sont en effet les royaumes, sinon du brigandage en grand ? Les bandes de brigands elles-mêmes ne sont-elles pas, en petit, des royaumes ? Car ce sont des groupes d’hommes, où un chef commande, dont un pacte social resserre les liens, où des conventions règlent le partage du butin.Si cette société de crime fait assez de recrues parmi les malfaiteurs pour occuper certaines positions, pour fonder des établissements, pour occuper des cités, pour subjuguer les peuples, alors elle s’arroge plus ouvertement le titre de royaume, que lui confère aux regards de tous, non pas un renoncement quelconque â ses convoitises, mais bien l’impunité qu’elle s’est assurée.Spirituelle et juste fut la réponse que fit à Alexandre le Grand ce pirate tombé en son pouvoir. Le roi lui demandait : "À quoi penses-tu, d’infester ainsi la mer ?- Et toi, répondit-il, avec une audacieuse franchise, à quoi penses-tu, d’infester la terre ? Parce que je n’ai qu’un petit navire, on m’appelle un "bandit" ; toi, comme tu opères avec une grande flotte, on te nomme un "conquérant"".AUGUSTIN
La Cité de Dieu.
2010LÉTRANGER GROUPE 1Si le futur et le passé existent, je veux savoir où ils sont. Si je n’en suis pas encore capable, je sais du moins que, où qu’ils soient, ils n’y sont ni en tant que futur ni en tant que passé, mais en tant que présents. Car si le futur y est en tant que futur, il n’y est pas encore ; si le passé y est en tant que passé, il n’y est plus. Où donc qu’ils soient, quels qu’ils soient, ils ne sont qu’en tant que présents. Lorsque nous faisons du passé des récits véritables, ce qui vient de notre mémoire, ce ne sont pas les choses elles-mêmes, qui ont cessé d’être, mais des termes conçus à partir des images des choses, lesquelles en traversant nos sens ont gravé dans notre esprit des sortes d’empreintes. Mon enfance, par exemple, qui n’est plus est dans un passé disparu lui aussi ; mais lorsque je l’évoque et la raconte, c’est dans le présent que je vois son image, car cette image est encore dans ma mémoire.La prédiction de l’avenir se fait-elle selon le même mécanisme ? Les événements qui ne sont pas encore, sont-ils représentés à l’avance dans notre esprit par des images déjà existantes ? J’avoue (...) que je l’ignore. Mais ce que je sais, c’est que d’habitude nous préméditons nos actions futures, que cette préméditation appartient au présent, tandis que l’action préméditée n’est pas encore, étant future. Lorsque nous l’aurons entreprise, et que nous nous serons mis à réaliser ce que nous avions prémédité, alors l’action existera, puisqu’elle sera à ce moment non plus future, mais présente.De quelque façon que se produise ce mystérieux pressentiment de l’avenir, on ne peut voir que ce qui est.AUGUSTIN
Les Confessions
2011SPOLYNÉSIEL’âme commande au corps, et elle est immédiatement obéie. L’âme se commande à elle-même, et elle rencontre une résistance. L’âme commande à la main de remuer, et la chose se fait si facilement que c’est à peine si l’on peut distinguer l’ordre de son exécution. Et pourtant l’âme est âme, la main est corps. L’âme commande de vouloir à l’âme, c’est-à-dire à soi-même, et elle n’agit pas. D’où vient ce prodige ? Quelle en est la cause ? Elle lui commande, dis-je, de vouloir ; elle ne commanderait pas si elle ne voulait pas, et ce qu’elle commande ne s’exécute point.C’est qu’elle ne veut pas totalement ; aussi ne commande-t-elle pas totalement. Elle ne commande que dans la mesure où elle veut, et la défaillance de l’exécution est en relation directe avec la défaillance de sa volonté, puisque la volonté appelle à l’être une volonté qui n’est pas autre chose qu’elle-même. Donc elle ne commande pas pleinement : voilà pourquoi son ordre ne s’exécute pas. Si elle se mettait tout entière dans son commandement, elle n’aurait pas besoin de se commander d’être, elle serait déjà. Cette volonté partagée qui veut à moitié, et à moitié ne veut pas, n’est donc nullement un prodige : c’est une maladie de l’âme. La vérité la soulève sans réussir à la redresser complètement, parce que l’habitude pèse sur elle de tout son poids. Il y a donc deux volontés, dont aucune n’est complète, et ce qui manque à l’une, l’autre le possède.AUGUSTIN
Les Confessions.
2011LPOLYNÉSIETous sans exception, nous voulons être heureux ! Et cela, si nous ne le connaissions pas d’une connaissance déterminée, nous ne le voudrions pas d’une volonté si déterminée.Mais qu’est ceci ? Que l’on demande à deux hommes s’ils veulent être soldats, et il peut se faire que l’un réponde oui, l’autre non ; mais qu’on leur demande s’ils veulent être heureux, et tous les deux aussitôt sans la moindre hésitation disent qu’ils le souhaitent, et même, le seul but que poursuive le premier en voulant être soldat, le seul but que poursuive le second en ne le voulant pas, c’est d’être heureux. Serait-ce donc que l’on prend sa joie, l’un ici, l’autre là ? Oui, tous les hommes s’accordent pour déclarer qu’ils veulent être heureux, comme ils s’accorderaient pour déclarer, si on le leur demandait, qu’ils veulent se réjouir, et c’est la joie elle-même qu’ils appellent vie heureuse. Et même si l’un passe ici, l’autre là pour l’atteindre, il n’y a pourtant qu’un seul but où tous s’efforcent de parvenir : la joie. Et puisque c’est une chose dont personne ne peut se dire sans expérience, on retrouve donc la vie heureuse dans la mémoire, et on la reconnaît dès qu’on entend le mot.AUGUSTIN
Les Confessions
2013LLIBANC’est le signe qui s’apprend par l’objet connu plutôt que l’objet par son signe.Pour mieux comprendre ceci, suppose qu’en ce moment, nous entendions le mot "tête" pour la première fois. Nous ignorons si c’est seulement un simple son de voix ou s’il possède aussi une signification et nous cherchons ce qu’est cette "tête" (...). Si donc, tandis que nous cherchons, on nous montre du doigt l’objet lui-même, nous apprenons en le voyant le sens du signe que nous avions jusque-là entendu, mais non compris. Or, comme dans ce signe, il y a deux éléments, le son et la signification ; le premier n’est pas perçu, certes, au moyen du signe, mais par le fait que le souffle frappe l’air ; quant à la signification, elle ne l’est qu’en voyant la chose signifiée. Car le doigt tendu ne peut signifier rien d’autre que ce vers quoi il est dirigé. Or, il est tendu, non vers le signe, mais vers le membre appelé "tête". Ainsi, ce geste ne peut me faire connaitre ni la chose, que je connaissais déjà, ni le signe vers lequel on ne tend pas le doigt. Mais peu importe ce doigt tendu qui, me semble-t-il, est plutôt le signe de l’action de montrer elle-même que celui des choses qui sont montrées, tout comme la préposition : "voici". On a même l’habitude de tendre le doigt en prononçant cette préposition, de peur qu’un seul signe d’indication ne soit insuffisant !Par là, je cherche surtout à te persuader, si je le puis, qu’au moyen des signes appelés mots, nous n’apprenons rien, car comme je l’ai dit, la valeur du mot, c’est-a-dire la signification cachée dans le son de la voix, nous l’apprenons quand la chose signifiée est déjà connue, plutôt que cette dernière par la signification.AUGUSTIN
Le Maître (389)
2014LINDEQuiconque énonce une chose qu’il croit ou s’imagine être vraie, bien qu’elle soit fausse, ne ment pas. En effet, il a une telle confiance dans son énoncé qu’il ne veut exprimer que ce qu’il a dans l’esprit, et qu’il exprime en effet. Mais bien qu’il ne mente pas, il n’est cependant pas irréprochable, s’il croit ce qu’il ne faut pas croire, ou s’il pense savoir une chose qu’il ignore, quand même elle est vraie, car il tient pour connue une chose inconnue. Ainsi donc mentir, c’est avoir une chose dans l’esprit, et en énoncer une autre soit en paroles, soit en signes quelconques. C’est pourquoi, on dit du menteur qu’il a le coeur double, c’est-à-dire une double pensée : la pensée de la chose qu’il sait vraie et qu’il n’exprime point, et celle de la chose qu’il lui substitue, bien qu’il la sache ou la croie fausse. D’où il résulte qu’on peut, sans mentir, dire une chose fausse, quand on la croit telle qu’on la dit, bien qu’elle ne soit pas telle réellement, et qu’on peut mentir en disant la vérité, quand on croit qu’une chose est fausse, et qu’on l’énonce comme vraie, quoiqu’elle soit réellement telle qu’on l’énonce, car c’est d’après la disposition de l’âme, et non d’après la vérité ou la fausseté des choses mêmes qu’on doit juger que l’homme ment ou ne ment pas. On peut donc dire que celui qui énonce une chose fausse comme vraie, mais qui la croit vraie, se trompe ou est imprudent, mais on ne peut !’appeler menteur, parce qu’il n’a pas le coeur double quand il parle, qu’il n’a pas l’intention de tromper, mais que seulement il se trompe.AUGUSTIN
Du Mensonge (début du Ve siècle)

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