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Sujets Baccalauréat LA RAISON

SUJETS BAC

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anneeserielieusessionauteur
1996ESAMÉRIQUE DU SUDNORMALELes sujets doivent exécuter les ordres reçus et ne reconnaître d’autre droit que celui établi par les proclamations de la souveraine Puissance (1). Peut-être va-t-on prétendre qu’ainsi nous faisons des sujets des esclaves, car une opinion vulgairement répandue nomme esclave celui qui agit sur l’ordre d’un autre, et homme libre celui qui se conduit comme il le veut. Cette manière de voir n’est pas tout à fait conforme à la vérité. En fait, l’individu entraîné par une concupiscence (2) personnelle au point de ne plus rien voir ni faire de ce qu’exige son intérêt authentique, est soumis au pire des esclavages.Au contraire, on devra proclamer libre l’individu qui choisit volontairement de guider sa vie sur la raison. Quant à la conduite déclenchée par un commandement, il faut considérer avant tout, à cet égard, la signification particulière de l’action. A supposer que la fin de l’action serve l’intérêt non de l’agent, mais de celui qui commande l’action, celui qui l’accomplit n’est en effet qu’un esclave, hors d’état de réaliser son intérêt propre. Toutefois dans toute libre République et dans tout État où n’est point pris pour loi suprême le salut de la personne qui donne les ordres, mais celui du peuple entier, l’individu docile à la souveraine Puissance ne doit pas être qualifié d’esclave hors d’état de réaliser son intérêt propre.

SPINOZA

(1) L’autorité politique
(2) Le désir

1996LAMÉRIQUE DU SUDNORMALEPour juger, faut-il seulement apprendre à raisonner ?
1996LANTILLESNORMALELa raison peut-elle rendre raison de tout ?
1996TECHN.ANTILLESNORMALEEst-ce raisonnable d’avoir peur du progrès technique ?
1996TECHN.ANTILLESREMPLACEMENTÊtre raisonnable, est-ce adopter une position modérée ?
1996LÉTRANGER GROUPE 1NORMALEUne énorme tuile, arrachée par le vent, tombe et assomme un passant. Nous disons que c’est un hasard. Le dirions-nous, si la tuile s’était simplement brisée sur le sol ? Peut-être, mais c’est que nous penserions vaguement alors à un homme qui aurait pu se trouver là, ou parce que, pour une raison ou pour une autre, ce point spécial du trottoir nous intéressait particulièrement, de telle sorte que la tuile semble l’avoir choisi pour y tomber. Dans les deux cas, il n’y a de hasard que parce qu’un intérêt humain est en jeu et parce que les choses se sont passées comme si l’homme avait été pris en considération, soit en vue de lui rendre service, soit plutôt avec l’intention de lui nuire. Ne pensez qu’au vent arrachant la tuile, à la tuile tombant sur le trottoir, au choc de la tuile contre le sol : vous ne voyez plus que du mécanisme, le hasard s’évanouit. Pour qu’il intervienne, il faut que, l’effet ayant une signification humaine, cette signification rejaillisse sur la cause et la colore, pour ainsi dire, d’humanité. Le hasard est donc le mécanisme se comportant comme s’il avait une intention.

BERGSON

1996TECHN.ÉTRANGER GROUPE 1NORMALEL’homme peut-il toujours être raisonnable ?
1996LÉTRANGER GROUPE 1REMPLACEMENTNous venons de parler de l’hostilité contre la civilisation, engendrée par la pression que celle-ci exerce, par les renonciations aux instincts qu’elle exige. S’imagine-t-on toutes ses interdictions levées, alors on pourrait s’emparer de toute femme qui vous plairait, sans hésiter, tuer son rival ou quiconque vous barrerait le chemin, ou bien dérober à autrui, sans son assentiment, n’importe lequel de ses biens ; que ce serait donc beau et quelle série de satisfactions nous offrirait alors la vie ! Mais la première difficulté se laisse à la vérité vite découvrir. Mon prochain a exactement les mêmes désirs que moi et il ne me traitera pas avec plus d’égards que je ne le traiterai moi même. Au fond, si les entraves dues à la civilisation étaient brisées, ce n’est qu’un seul homme qui pourrait jouir d’un bonheur illimité, un tyran, un dictateur ayant monopolisé tous les moyens de coercition, et alors lui-même aurait raison de souhaiter que les autres observassent du moins ce commandement culturel : tu ne tueras point.

FREUD

1996ESGROUPEMENTS I-IVNORMALEChacun a pu remarquer, au sujet des opinions communes, que chacun les subit et que personne ne les forme. Un citoyen, même avisé et énergique quand il n’a à conduire que son propre destin, en vient naturellement et par espèce de sagesse à rechercher quelle est l’opinion dominante au sujet des affaires publiques. "Car se dit-il, comme je n’ai ni la prétention ni le pouvoir de gouverner à moi tout seul, il faut que je m’attende à être conduit ; à faire ce qu’on fera, à penser ce qu’on pensera". Remarquez que tous raisonnent de même, et de bonne foi. Chacun a bien peut-être une opinion ; mais c’est à peine s’il se la formule à lui-même ; il rougit à la seule pensée qu’il pourrait être de son avis.Le voilà donc qui honnêtement écoute les orateurs, lit les journaux, enfin se met à la recherche de cet être fantastique que l’on appelle l’opinion publique. "La question n’est pas de savoir si je veux ou non faire la guerre". Il interroge donc le pays. Et tous les citoyens interrogent le pays, au lieu de s’interroger eux-mêmes.Les gouvernants font de même, et tout aussi naïvement. Car, sentant qu’ils ne peuvent rien tout seuls, ils veulent savoir où ce grand corps va les mener. Et il est vrai que ce grand corps regarde à son tour vers le gouvernement, afin de savoir ce qu’il faut penser et vouloir. Par ce jeu, il n’est point de folle conception qui ne puisse quelque jour s’imposer à tous, sans que personne pourtant l’ait jamais formée de lui-même et par libre réflexion. Bref, les pensées mènent tout, et personne ne pense. D’où il résulte qu’un État formé d’hommes raisonnables peut penser et agir comme un fou. Et ce mal vient originairement de ce que personne n’ose former son opinion par lui-même ni la maintenir énergiquement, en lui d’abord, et devant les autres aussi.

ALAIN

1996LGROUPEMENTS I-IVNORMALEToute passion est-elle déraisonnable ?
1996SGROUPEMENTS I-IVNORMALEIl est extrêmement rare que les souveraines Puissances (1) donnent des ordres d’une extrême absurdité, car, dans leur propre intérêt et afin de conserver leur pouvoir, il leur importe avant tout de veiller au bien général et de fonder leur gouvernement sur les critères raisonnables. On sait que le but et le principe de l’organisation en société consistent à soustraire les hommes au règne absurde de la convoitise et à les faire avancer - autant que possible - sur la voie de la raison, de sorte que leur vie s’écoule dans la concorde et la paix. Aussitôt donc que ce principe cesserait d’être mis en oeuvre, tout l’édifice s’écroulerait. Mais seule la souveraine Puissance a la charge d’en assurer le maintien, tandis que les sujets doivent exécuter les ordres reçus et ne reconnaître d’autre droit que celui établi par les proclamations de la souveraine Puissance. Peut-être va-t-on prétendre qu’ainsi nous faisons des sujets des esclaves, car une opinion vulgairement répandue nomme esclave celui qui agit sur l’ordre d’un autre, et homme libre celui qui se conduit comme il veut. Cette manière de voir n’est pas tout à fait conforme à la vérité. En fait, l’individu entraîné par une concupiscence personnelle au point de ne plus rien voir ni faire de ce qu’exige son intérêt authentique, est soumis au pire des esclavages. Au contraire, on devra proclamer libre l’individu qui choisit volontairement de guider sa vie sur la raison.

SPINOZA

(1) les détenteurs de l’autorité politique

1996TECHN.GROUPEMENTS I-IVNORMALEL’homme est-il raisonnable par nature ?
1996TECHN.GROUPEMENTS I-IVNORMALEJ’aime la liberté, rien n’est plus naturel ; je suis né libre, il est permis à chacun d’aimer le gouvernement de son pays et si nous laissons les sujets des Rois dire avec tant de bêtise et d’impertinence du mal des Républiques, pourquoi ne nous laisseraient-ils pas dire avec tant de justice et de raison du mal de la royauté ? Je hais la servitude comme la source de tous les maux du genre humain. Les tyrans et leurs flatteurs crient sans cesse : peuples, portez vos fers sans murmure car le premier des biens est le repos ; ils mentent, c’est la liberté. Dans l’esclavage, il n’y a ni paix ni vertu. Quiconque a d’autres maitres que les lois est un méchant.

ROUSSEAU


QUESTIONS :

1° Dégagez l’idée essentielle du texte en soulignant les raisons de l’indignation de Rousseau.
2° Expliquer la phrase suivante : "Je hais la servitude comme la source de tous les maux du genre humain".
3° Traitez la question suivante sous la forme d’un développement argumenté : En quoi la loi est-elle bon maître ?

1996ESGROUPEMENTS II-IIINORMALEL’homme est libre : sans quoi conseils, exhortations, préceptes, interdictions, récompenses et châtiments seraient vains. Pour mettre en évidence cette liberté, on doit remarquer que certains êtres agissent sans discernement, comme la pierre qui tombe, et il en est ainsi de tous les êtres privés du pouvoir de connaître. D’autres, comme les animaux, agissent par un discernement, mais qui n’est pas libre. En voyant le loup, la brebis juge bon de fuir, mais par un discernement naturel et non libre, car ce discernement est l’expression d’un instinct naturel (...). Il en va de même pour tout discernement chez les animaux.Mais l’homme agit par jugement, car c’est par le pouvoir de connaître qu’il estime devoir fuir ou poursuivre une chose. Et comme un tel jugement n’est pas l’effet d’un instinct naturel, mais un acte qui procède de la raison, l’homme agit par un jugement libre qui le rend capable de diversifier son action.

THOMAS D’AQUIN

1996LGROUPEMENTS II-IIINORMALESupposez qu’un homme, pourtant doué des plus puissantes facultés de réflexion, soit soudain transporté dans ce monde, il observerait immédiatement, certes, une continuelle succession d’objets, un événement en suivant un autre ; mais il serait incapable de découvrir autre chose. Il serait d’abord incapable, par aucun raisonnement, d’atteindre l’idée de cause et d’effet, car les pouvoirs particuliers qui accomplissent toutes les opérations naturelles n’apparaissent jamais aux sens ; et il n’est pas raisonnable de conclure, uniquement parce qu’un événement en précède un autre dans un seul cas, que l’un est la cause et l’autre l’effet. Leur conjonction peut être arbitraire et accidentelle. Il n’y a pas de raison d’inférer l’existence de l’un de l’apparition de l’autre. En un mot, un tel homme, sans plus d’expérience, ne ferait jamais de conjecture ni de raisonnement sur aucune question de fait ; il ne serait certain de rien d’autre que de ce qui est immédiatement présent à sa mémoire et à ses sens.

HUME

1996TECHN.GROUPEMENTS II-IIINORMALELa conviction d’avoir raison fait-elle obstacle au dialogue ?
1996ESINDENORMALECommunément on tient que la liberté consiste à pouvoir faire impunément tout ce que bon nous semble et que la servitude est une restriction de cette liberté. Mais on le prend fort mal de ce biais-là ; car, à ce compte, il n’y aurait personne libre dans la république, vu que les États doivent maintenir la paix du genre humain par l’autorité souveraine, qui tient la bride à la volonté des personnes privées. Voici quel est mon raisonnement sur cette matière : (...) je dis que la liberté n’est autre chose que l’absence de tous les empêchements qui s’opposent à quelque mouvement ; ainsi l’eau qui est enfermée dans un vase n’est pas libre, à cause que le vase l’empêche de se répandre et, lorsqu’il se rompt, elle recouvre sa liberté. Et de cette sorte une personne jouit de plus ou moins de liberté, suivant l’espace qu’on lui donne ; comme dans une prison étroite, la captivité est bien plus dure qu’en un lieu vaste où les coudées sont plus franches.

HOBBES

1996TECHN.INDENORMALELe plus pressant intérêt du chef, de même que son devoir le plus indispensable, est (...) de veiller à l’observation des lois dont il est le ministre (1), et sur lesquelles est fondée toute son autorité. S’il doit les faire observer aux autres, à plus forte raison doit-il les observer lui-même, (lui) qui jouit de toute leur faveur. Car son exemple est de telle force que, quand même le peuple voudrait bien souffrir (2) qu’il s’affranchît du joug de la loi, il devrait se garder de profiter d’une si dangereuse prérogative, que d’autres s’efforceraient bientôt d’usurper à leur tour, et souvent à son préjudice. Au fond, comme tous les engagements de la société sont réciproques par leur nature, il n’est pas possible de se mettre au-dessus de la loi sans renoncer à ses avantages, et personne ne doit rien à quiconque prétend ne rien devoir à personne.

ROUSSEAU

(1) "ministre" : (ici, au sens ancien du terme) serviteur.
(2) "souffrir" : accepter, supporter.


QUESTIONS :

1° Dégagez l’idée directrice et les étapes de l’argumentation de ce texte.
2° Expliquez :
a) "S’il doit les faire observer aux autres, à plus forte raison doit -il les observer lui- même" ;
b) "les engagements de la société sont réciproques par nature".
.3° Est-ce seulement par intérêt que le chef doit obéir à la loi ?

1996LJAPONNORMALEConcevoir qu’un fait est la raison d’un autre fait, qu’une vérité procède d’une autre vérité, ce n’est autre chose que saisir des liens de dépendance et de subordination, c’est-à-dire saisir un ordre entre des objets divers, et cette dépendance ne nous frappe, n’est aperçue par nous, que parce que nous avons la faculté de comparer et de préférer un arrangement à une autre, comme plus simple, plus régulier et par conséquent plus parfait ; en d’autres termes, parce que nous avons l’idée de ce qui constitue la perfection de l’ordre, et parce qu’il est de l’essence de notre nature raisonnable de croire que la nature a mis de l’ordre dans les choses, et de nous croire d’autant plus près de la véritable explication des choses, que l’ordre dans lequel nous sommes parvenus à les ranger nous semble mieux satisfaire aux conditions de simplicité, d’unité et d’harmonie qui, selon notre raison, constituent la perfection de l’ordre.

COURNOT

1996SJAPONNORMALEPourquoi l’homme veut-il s’affliger en contemplant des aventures tragiques et lamentables, qu’il ne voudrait pas lui-même souffrir ? Et cependant, spectateur, il veut de ce spectacle ressentir l’affliction, et en cette affliction consiste son plaisir. Qu’est-ce là, sinon une pitoyable folie ? Car nous sommes d’autant plus émus que nous sommes moins guéris de ces passions. Quand on souffre soi-même, on nomme ordinairement cela misère, et quand on partage les souffrances d’autrui, pitié. Mais quelle est cette pitié inspirée par les fictions de la scène ? Ce n’est pas à aider autrui que le spectateur est incité, mais seulement à s’affliger, et il aime l’auteur de ces fictions dans la mesure où elles l’affligent. Si le spectacle de ces malheurs antiques ou fabuleux ne l’attriste pas, il se retire avec des paroles de mépris et de critique. S’il éprouve de la tristesse, il demeure là, attentif et joyeux.Ce sont donc les larmes et les impressions douloureuses que nous aimons. Sans doute tout homme cherche la joie. Il ne plaît à personne d’être malheureux, mais on aime éprouver de la pitié, et, comme la pitié ne va pas sans douleur, n’est-ce pas pour cette seule raison que la douleur est aimée ? Ce phénomène a sa source dans l’amitié que les hommes ont les uns pour les autres.

AUGUSTIN
Confessions

1996LLA RÉUNIONNORMALEIl est donc bien certain que la pitié est un sentiment naturel, qui, modérant dans chaque individu l’amour de soi même, concourt à la conservation mutuelle de toute l’espèce. C’est elle qui nous porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir, c’est elle qui, dans l’état de nature, tient lieu de lois, de moeurs et de vertu, avec cet avantage que nul n’est tenté de désobéir à sa douce voix : c’est elle qui détournera tout sauvage robuste d’enlever à un faible enfant ou à un vieillard infirme sa subsistance acquise avec peine, si lui-même espère pouvoir trouver la sienne ailleurs : c’est elle qui, au lieu de cette maxime sublime de justice raisonnée, Fais à autrui comme tu veux qu’on te fasse, inspire à tous les hommes cette autre maxime de bonté naturelle, bien moins parfaite, mais plus utile peut être que la précédente : Fais ton bien avec le moindre mal d’autrui qu’il est possible. C’est en un mot, dans ce sentiment naturel, plutôt que dans des arguments subtils, qu’il faut chercher la cause de la répugnance que tout homme éprouverait à mal faire, même indépendamment des maximes de l’éducation. Quoiqu’il puisse appartenir à Socrate et aux esprits de sa trempe d’acquérir de la vertu par raison, il y a longtemps que le genre humain ne serait plus si sa conservation n’eût dépendu que des raisonnements de ceux qui le composent.

ROUSSEAU

1996TECHN.LA RÉUNIONNORMALEIl semble que [...] le but de celui qui fait des lois soit d’amener les hommes à se conduire moralement. Or n’importe quel homme peut en amener un autre à se conduire moralement. Donc n’importe quel homme [...] peut établir la loi [...]. (Mais à ce raisonnement), il faut répondre qu’une personne privée ne peut efficacement amener les gens à se conduire moralement, elle ne peut que donner des conseils, et si ses conseils ne sont pas entendus, cette personne n’a aucune force contraignante. La loi au contraire doit avoir cette force contraignante, afin d’amener avec efficacité les gens à se conduire moralement. [...] Et ce pouvoir contraignant appartient au peuple (ou personne publique) : c’est à lui d’infliger des peines [...], et c’est donc à lui seul qu’il revient de faire les lois.

THOMAS D’AQUIN


QUESTIONS :

1° Dégagez l’idée directrice et les étapes de l’argumentation de ce texte.
2° Expliquez :
a) "une personne privée... ne peut que donner des conseils" ;
b) "Ce pouvoir contraignant appartient au peuple (ou personne publique)".
3° Quand les élus font des lois, diriez-vous que c’est le peuple lui-même qui les fait ?

1996LNOUVELLE-CALÉDONIENORMALELa première fois qu’un enfant voit un bâton à moitié plongé dans l’eau, il voit un bâton brisé : la sensation est vraie, et elle ne laisserait pas de l’être, quand même nous ne saurions point la raison de cette apparence. Si donc vous lui demandez ce qu’il voit, il dit : un bâton brisé, et il dit vrai, car il est très sûr qu’il a la sensation d’un bâton brisé. Mais quand, trompé par son jugement, il va plus loin, et qu’après avoir affirmé qu’il voit un bâton brisé, il affirme encore que ce qu’il voit est en effet un bâton brisé, alors il dit faux. Pourquoi cela ? parce qu’alors il devient plus actif, et qu’il ne juge plus par inspection, mais par induction, en affirmant ce qu’il ne sent, savoir que le jugement qu’il reçoit par un sens serait confirmé par un autre.Puisque toutes nos erreurs viennent de nos jugements, il est clair que si nous n’avions jamais besoin de juger, nous n’aurions nul besoin d’apprendre ; nous ne serions jamais dans le cas de nous tromper ; nous serions plus heureux de notre ignorance que nous ne pouvons l’être de notre savoir.

ROUSSEAU

1996ESPOLYNÉSIENORMALEIl me semble que, quelque pénibles que soient les travaux que la société exige, on peut tout faire avec des hommes libres.Ce qui me fait penser ainsi, c’est qu’avant que le christianisme eût aboli en Europe la servitude civile, on regardait les travaux des mines comme si pénibles, qu’on croyait qu’ils ne pouvaient être faits que par des esclaves ou par des criminels. Mais on sait qu’aujourd’hui les hommes qui y sont employés vivent heureux. On a, par de petits privilèges, encouragé cette profession ; on a joint à l’augmentation du travail celle du gain ; et on est parvenu à leur faire aimer leur condition plus que toute autre qu’ils eussent pu prendre.Il n’y a point de travail si pénible qu’on ne puisse proportionner à la force de celui qui le fait, pourvu que ce soit la raison, et non pas l’avarice, qui le règle. On peut, par la commodité des machines que l’art invente ou applique, suppléer au travail forcé qu’ailleurs on fait faire aux esclaves. Les mines des Turcs, dans le banat de Témeswar (1), étaient plus riches que celles de Hongrie, et elles ne produisaient pas autant, parce qu’ils n’imaginaient jamais que les bras de leurs esclaves.Je ne sais si c’est l’esprit ou le coeur qui me dicte cet article-ci. Il n’y a peut-être pas de climat sur la terre où l’on ne pût engager au travail des hommes libres. Parce que les lois étaient mal faites on a trouvé des hommes paresseux : parce que ces hommes étaient paresseux, on les a mis dans l’esclavage.

MONTESQUIEU

(1) Province limitrophe de la Hongrie et de la Turquie

1996LPOLYNÉSIENORMALEJe pensai que les sciences des livres, au moins celles dont les raisons ne sont que probables, et qui n’ont aucune démonstration, s’étant composées et grossies peu à peu des opinions de plusieurs diverses personnes, ne sont point si approchantes de la vérité que les simples raisonnements que peut faire naturellement un homme de bon sens touchant les choses qui se présentent. Et ainsi je pensai que, pour ce que nous avons tous été enfants avant que d’être hommes, et qu’il nous a fallu longtemps être gouvernés par nos appétits et nos précepteurs, qui étaient souvent contraires les uns aux autres, et qui, ni les uns ni les autres, ne nous conseillaient peut-être pas toujours le meilleur, il est presque impossible que nos jugements soient si purs ni si solides qu’ils auraient été si nous avions eu l’usage entier de notre raison dès le point de notre naissance, et que nous n’eussions jamais été conduits que par elle.

DESCARTES

1996SPOLYNÉSIENORMALEParmi tous les arts et toutes nos facultés, vous n’en trouverez aucun qui soit capable de se prendre soi-même pour objet d’étude, aucun, par conséquent, qui soit apte à porter sur soi un jugement d’approbation ou de désapprobation. La grammaire, jusqu’où s’étend sa capacité spéculative ? Jusqu’à distinguer les lettres. Et la musique ? Jusqu’à distinguer la mélodie. L’une ou l’autre se prend-elle pour objet d’étude ? Nullement. Mais si tu écris à un ami, le fait que tu dois choisir ces lettres-ci, la grammaire te le dira. Quant à savoir s’il faut oui ou non écrire à cet ami, la grammaire ne te le dira pas. Ainsi pour les mélodies, la musique. Mais faut-il chanter maintenant ou jouer de la lyre, ou ne faut-il ni chanter ni jouer de la lyre, la musique ne te le dira pas. Qui donc le dira ? La faculté qui se prend elle-même aussi bien que tout le reste comme objet d’étude. Quelle est-elle ? La Raison. Seule, en effet, de celles que nous avons reçues, elle est capable d’avoir conscience d’elle-même, de sa nature, de son pouvoir, de la valeur qu’elle apporte en venant en nous, et d’avoir conscience également des autres facultés.

ÉPICTÈTE

1996TECHN.POLYNÉSIEREMPLACEMENTÀ quoi sert la raison ?
1996ESSPORTIFS HAUT NIVEAUNORMALEUne injustice que l’on a faite à quelqu’un est beaucoup plus lourde à porter qu’une injustice que quelqu’un d’autre vous a faite (non pas précisément pour des raisons morales, il faut le remarquer) ; car, au fond, celui qui agit est toujours celui qui souffre, mais bien entendu seulement quand il est accessible au remords ou bien à la certitude que, par son acte, il aura armé la société contre lui et il se sera lui-même isolé. C’est pourquoi, abstraction faite de tout ce que commandent la religion et la morale, on devrait, rien qu’à cause de son bonheur intérieur, donc pour ne pas perdre son bien-être, se garder de commettre une injustice plus encore que d’en subir une : car dans ce dernier cas, on a la consolation de la bonne conscience, de l’espoir de la vengeance, de la pitié et de l’approbation des hommes justes, et même de la société tout entière, laquelle craint les malfaiteurs.

NIETZSCHE

1996SSPORTIFS HAUT NIVEAUNORMALE- Eh quoi ! La liberté est-elle absence de la raison ?- A Dieu ne plaise ! Folie et liberté ne vont pas ensemble.- Mais je veux que tout arrive suivant mon idée, quelle que soit cette idée.- Tu es fou, tu déraisonnes. Ne sais-tu pas que la liberté est une belle chose, une chose précieuse ? Or, vouloir au petit bonheur que se produise ce qui au petit bonheur m’est venu à l’idée risque non seulement de n’être pas beau, mais d’être même tout ce qu’il y a de plus laid. Voyons, que faisons-nous s’il s’agit d’écrire ? Est-ce que je me propose d’écrire selon ma volonté le nom de Dion ? Non, mais on m’apprend à vouloir l’écrire comme il doit l’être. (...) Sinon, il serait absolument inutile d’apprendre n’importe quoi, si chacun pouvait accommoder ses connaissances à sa volonté. Et ce serait uniquement dans le domaine le plus grave et le plus important, celui de la liberté, qu’il me sera permis de vouloir au petit bonheur ? Nullement, mais s’instruire consiste précisément à apprendre à vouloir chaque chose comme elle arrive.

ÉPICTÈTE

1996TECHN.SPORTIFS HAUT NIVEAUNORMALEÀ quoi vise l’art, sinon à nous montrer, dans la nature et dans l’esprit, hors de nous et en nous, des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ? Le poète et le romancier qui expriment un état d’âme ne le créent certes pas de toutes pièces, ils ne seraient pas compris de nous si nous n’observions pas en nous, jusqu’à un certain point, ce qu’ils nous disent d’autrui. Au fur et à mesure qu’ils nous parlent, des nuances d’émotions et de pensée nous apparaissent qui pouvaient être représentées en nous depuis longtemps, mais qui demeuraient invisibles : telle l’image photographique qui n’a pas encore été plongée dans le bain où elle se révélera. Le poète est ce révélateur. Mais nulle part la fonction de l’artiste ne se montre aussi clairement que dans celui des arts qui fait la plus large place à l’imitation, je veux dire la peinture. Les grands peintres sont des hommes auxquels remonte une certaine vision des choses qui est devenue ou qui deviendra la vision de tous les hommes.

BERGSON


QUESTIONS :

1° Dégagez l’idée directrice du texte et les étapes de son argumentation.

a) Analysez la comparaison qu’établit Bergson entre le rôle du "bain" dans lequel l’image photographique est "plongée" et le rôle de "révélateur" du poète ;
b) expliquez : "une certaine vision des choses qui est devenue ou qui deviendra la vision de tous les hommes".
3° Créer ou imiter : l’artiste doit-il choisir ?

1997ESAMÉRIQUE DU NORDNORMALELes passions, puisqu’elles peuvent se conjuguer avec la réflexion la plus calme, qu’elles ne peuvent donc pas être irréfléchies comme les émotions et que, par conséquent, elles ne sont pas impétueuses (1) et passagères, mais qu’elles s’enracinent et peuvent subsister en même temps que le raisonnement, portent, on le comprend aisément, le plus grand préjudice à la liberté ; si l’émotion est une ivresse, la passion est une maladie, qui exècre toute médication (2), et qui par là est bien pire que tous les mouvements passagers de l’âme ; ceux-ci font naître du moins le propos de s’améliorer, alors que la passion est un ensorcellement qui exclut toute amélioration.

KANT

(1) impétueuses : dont l’impulsion est violente et rapide
(2) exécrer toute médication : haïr, détester, repousser tout remède

1997SAMÉRIQUE DU NORDNORMALEQue soit vrai tout ce que l’on dit tant aux autres qu’à soi-même, c’est ce qu’il est impossible de garantir dans tous les cas, parce qu’on peut se tromper ; mais que ce soit sincère, c’est ce que l’on peut et doit toujours garantir, parce qu’on s’en rend compte immédiatement. Dans le premier cas, il faut, par un jugement logique de la raison, confronter l’affirmation avec l’objet ; dans le second, à l’instant où l’on constate sa conviction, on confronte devant la conscience l’affirmation avec le sujet. Si l’on pose l’affirmation par rapport à l’objet sans s’être assuré qu’on peut la poser aussi par rapport au sujet, on avance autre chose que ce dont on est convaincu, on ment (...).Les moralistes parlent d’une conscience fausse, mais ils disent une absurdité. Si une pareille conscience existait, personne ne serait plus jamais assuré d’avoir bien agi, puisque le juge en dernier ressort lui-même pourrait se tromper. Il m’arrive sans doute de me tromper dans le jugement qui me fait croire que j’ai raison ; mais ce jugement procède de l’intelligence, et celle-ci se borne, d’une manière exacte ou erronée, à juger objectivement. Mais dans ce sentiment intime : je crois avoir raison, ou : je fais semblant de le croire, je ne puis absolument pas me tromper, puisque ce jugement, ou mieux cette phrase n’est que l’expression de ce sentiment même.

KANT

1997ESANTILLESREMPLACEMENTPour former l’État, une seule chose est nécessaire : que tout le pouvoir de décréter appartienne soit à tous collectivement, soit à quelques-uns, soit à un seul. Puisque, en effet, le libre jugement des hommes est extrêmement divers, que chacun pense être seul à tout savoir et qu’il est impossible que tous soient de la même opinion et parlent d’une seule bouche, ils ne pourraient vivre en paix si l’individu n’avait renoncé à son droit d’agir suivant le seul décret de sa pensée. C’est donc seulement au droit d’agir par son décret qu’il a renoncé, non au droit de raisonner et de juger ; par suite nul à la vérité ne peut, sans danger pour le droit du souverain, agir contre son décret, mais il peut avec une entière liberté se former une opinion et juger et en conséquence aussi parler, pourvu qu’il n’aille pas au delà de la simple parole ou de l’enseignement, et qu’il défende son opinion par la raison seule, non par la ruse, la colère ou la haine, ni dans l’intention de changer quoi que ce soit dans l’État de par l’autorité de son propre décret.

SPINOZA

1997LANTILLESREMPLACEMENTNul être matériel n’est actif par lui-même, et moi je le suis. On a beau me disputer cela, je le sens, et ce sentiment qui me parle est plus fort que la raison qui le combat. J’ai un corps sur lequel les autres agissent et qui agit sur eux ; cette action réciproque n’est pas douteuse ; mais ma volonté est indépendante de mes sens, je consens ou je résiste, je succombe ou je suis vainqueur, et je sens parfaitement en moi-même quand je fais ce que j’ai voulu faire, ou quand je ne fais que céder à mes passions. J’ai toujours la puissance de vouloir, non la force d’exécuter. Quand je me livre aux tentations, j’agis selon l’impulsion des objets externes. Quand je me reproche cette faiblesse, je n’écoute que ma volonté, je suis esclave par mes vices, et libre par mes remords ; le sentiment de ma liberté ne s’efface en moi que quand je me déprave, et que j’empêche enfin la voix de l’âme de s’élever contre la loi du corps. Je ne connais la volonté que par le sentiment de la mienne.

ROUSSEAU

1997ESÉTRANGER GROUPE 1NORMALESuffit-il de bien raisonner pour être raisonnable ?
1997ESÉTRANGER GROUPE 1NORMALEC’est une erreur de distinguer les passions en permises et défendues, pour se livrer aux premières et se refuser aux autres. Toutes sont bonnes quand on en reste le maître ; toutes sont mauvaises quand on s’y laisse assujettir. Ce qui nous est défendu par la nature, c’est d’étendre nos attachements plus loin que nos forces : ce qui nous est défendu par la raison, c’est de vouloir ce que nous ne pouvons obtenir, ce qui nous est défendu par la conscience n’est pas d’être tentés, mais de nous laisser vaincre aux tentations. Il ne dépend pas de nous d’avoir ou de n’avoir pas de passions, mais il dépend de nous de régner sur elles. Tous sentiments que nous dominons sont légitimes ; tous ceux qui nous dominent sont criminels. Un homme n’est pas coupable d’aimer la femme d’autrui, s’il tient cette passion malheureuse asservie à la loi du devoir ; il est coupable d’aimer sa propre femme au point d’immoler tout à son amour.

ROUSSEAU

1997ESÉTRANGER GROUPE 1NORMALEPufendorf (1) dit que, tout de même qu’on transfère son bien à autrui par des conventions et des contrats, on peut aussi se dépouiller de sa liberté en faveur de quelqu’un. C’est là, ce me semble, un fort mauvais raisonnement. Car, premièrement, le bien que j’aliène (2) me devient une chose tout à fait étrangère, et dont l’abus m’est indifférent ; mais il importe qu’on n’abuse point de ma liberté, et je ne puis, sans me rendre coupable du mal qu’on me forcera de faire, m’exposer à devenir l’instrument du crime. De plus, le droit de propriété n’étant que de convention et d’institution humaine, tout homme peut à son gré disposer de ce qu’il possède. Mais il n’en est pas de même des dons essentiels de la nature, tels que la vie et la liberté, dont il est permis à chacun de jouir, et dont il est moins douteux qu’on ait droit de se dépouiller : en s’ôtant l’un on dégrade son être, en s’ôtant l’autre on l’anéantit autant qu’il est en soi (3) ; et, comme nul bien temporel (4) ne peut dédommager de l’une et de l’autre, ce serait offenser à la fois la nature et la raison que d’y renoncer, à quelque prix que ce fût.

ROUSSEAU

(1) Pufendorf : théoricien du droit
(2) aliéner : au sens juridique, donner ou vendre (du latin alienus : qui appartient à un autre, étranger)
(3) autant qu’il en soit : entièrement
(4) temporel : qui appartient au domaine des choses matérielles (par opposition à ce qui est spirituel)

1997SÉTRANGER GROUPE 1NORMALELa géométrie est très utile pour rendre l’esprit attentif aux choses dont on veut découvrir les rapports ; mais il faut avouer qu’elle nous est quelquefois occasion d’erreur, parce que nous nous occupons si fort des démonstrations évidentes et agréables que cette science nous fournit, que nous ne considérons pas assez la nature (...).On suppose, par exemple, que les planètes décrivent par leurs mouvements des cercles et des ellipses parfaitement régulières ; ce qui n’est point vrai. On fait bien de le supposer, afin de raisonner, et aussi parce qu’il s’en faut peu que cela ne soit vrai, mais on doit toujours se souvenir que le principe sur lequel on raisonne est une supposition. De même, dans les mécaniques on suppose que les roues et les leviers sont parfaitement durs et semblables à des lignes et à des cercles mathématiques sans pesanteur et sans frottement (...).Il ne faut donc pas s’étonner si on se trompe, puisque l’on veut raisonner sur des principes qui ne sont point exactement connus ; et il ne faut pas s’imaginer que la géométrie soit inutile à cause qu’elle ne nous délivre pas de toutes nos erreurs. Les suppositions établies, elle nous le fait raisonner conséquemment. Nous rendant attentifs à ce que nous considérons, elle nous le fait connaître évidemment. Nous reconnaissons même par elle si nos suppositions sont fausses ; car étant toujours certains que nos raisonnements sont vrais, et l’expérience ne s’accordant point avec eux, nous découvrons que les principes supposés sont faux, mais dans la géométrie et l’arithmétique on ne peut n’en découvrir dans les sciences exactes (1) qui soit un peu difficile.

MALEBRANCHE

(1) au XVIIe siècle, sciences de la nature

1997TECHN.GROUPEMENTS I-IVNORMALEN’est-ce pas ce qui fait la souveraineté de la culture musicale : rien ne pénètre davantage au fond de l’âme que le rythme et l’harmonie, rien ne s’attache plus fortement à elle en apportant la beauté ? Elle la rend belle, si du moins elle a été correctement pratiquée ; car, dans le contraire, c’est l’inverse.D’un autre côté, celui qui l’a pratiquée comme il faut est tout particulièrement sensible à l’imperfection des oeuvres mal travaillées ou mal venus ; c’est à bon droit qu’il s’en détourne avec irritation pour accorder son approbation à celles qui sont belles ; y prenant plaisir et les accueillant en son âme, il s’en nourrit et devient homme accompli, c’est à bon droit qu’il dénonce la laideur et la prend en haine, tout jeune encore et avant même d’être capable de raisonner ; et lorsque la raison lui vient, celui qui a reçu une telle culture est tout disposé à lui accorder l’accueil empressé qu’on réserve à un parent proche.

PLATON
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1° Dégagez l’idée directrice et les étapes de l’argumentation de ce texte.
2° Expliquez : "Rien ne pénètre davantage au fond de l’âme que le rythme et l’harmonie” et “Celui qui l’a pratiquée comme il faut est tout particulièrement sensible à l’imperfection des oeuvres mal travaillées".
3° L’art rend-il l’homme meilleur ?

1997TECHN.INDENORMALELa raison a-t-elle besoin de douter ?
1997LJAPONNORMALEIl n’y a donc pas et il ne saurait y avoir de régime politique absolument préférable à tous les autres, il y a seulement des états de civilisation plus perfectionnés les uns que les autres. Les institutions bonnes à une époque peuvent être et sont même le plus souvent mauvaises à une autre, et réciproquement. Ainsi, par exemple, l’esclavage, qui est aujourd’hui une monstruosité, était certainement, à son origine, une très belle institution, puisqu’elle avait pour objet d’empêcher le fort d’égorger le faible ; c’était un intermédiaire inévitable dans le développement général de la civilisation.De même, en sens inverse, la liberté, qui, dans une proportion raisonnable, est si utile à un individu et à un peuple qui ont atteint un certain degré d’instruction et contracté quelques habitudes de prévoyance, parce qu’elle permet le développement de leurs facultés, est très nuisible à ceux qui n’ont pas encore rempli ces deux conditions, et qui ont indispensablement besoin, pour eux-mêmes autant que pour les autres, d’être tenus en tutelle. Il est donc évident qu’on ne saurait s’entendre sur la question absolue du meilleur gouvernement possible.

COMTE

1997TECHN.LA RÉUNIONNORMALECe n’est pas pour tenir l’homme par la crainte et faire qu’il appartienne à un autre, que l’État est institué ; au contraire, c’est pour libérer l’individu de la crainte, pour qu’il vive autant que possible en sécurité, c’est-à-dire conserve aussi bien qu’il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d’exister et d’agir. Non, je le répète, la fin de l’État n’est pas de faire passer les hommes de la condition d’êtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou d’automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s’acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu’eux-mêmes usent d’une raison libre, pour qu’ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu’ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l’État est donc en réalité la liberté.

SPINOZA


QUESTIONS :

1° Quelle est l’idée principale du texte ?
2° Expliquer :
a) “ce n’est pas pour tenir l’homme par la crainte (...) que l’État est institué” ;
b) “son droit naturel d’exister et d’agir” ;
c) “la fin de l’État”.
3° Peut-on concilier le pouvoir de l’État et la liberté individuelle ?

1997SMÉTROPOLEREMPLACEMENTCe qui exigeait un génie vraiment supérieur, c’était de chercher et de découvrir dans les phénomènes les plus vulgaires, dans la chute d’une pierre, dans les balancements d’une lampe suspendue, ce que tant de philosophes, tant de docteurs, tant de raisonneurs sur les choses divines et humaines avaient eu sous les yeux depuis des milliers d’années, sans songer qu’il y eût là quelque chose à chercher et à découvrir. De tout temps le genre humain avait senti le besoin de l’observation et de l’expérience, avait vécu d’observations bien ou mal conduites, rattachées tant bien que mal à des théories plus ou moins aventureuses : mais l’expérience précise, numérique, quantitative, et surtout l’expérience indirecte qui utilise les relations mathématiques pour mesurer, à l’aide de grandeurs sur lesquelles nos sens et nos instruments ont prise, d’autres grandeurs insaisissables directement, à cause de leur extrême grandeur ou de leur extrême petitesse, voilà ce dont les plus doctes n’avaient pas l’idée. On ne songeait pas à diriger systématiquement l’expérience, de manière à forcer la Nature à livrer son secret, à dévoiler la loi mathématique, simple et fondamentale, qui se dérobe à la faiblesse de nos sens ou que masque la complication des phénomènes.

COURNOT

1997SPOLYNÉSIENORMALECette espérance en des temps meilleurs, sans laquelle jamais un réel désir d’accomplir quelque chose qui aille dans le sens du bien général n’aurait enflammé le coeur humain, a aussi toujours eu une influence sur l’activité des bons esprits. (...) Malgré le triste spectacle non pas tant des maux d’origine naturelle qui pèsent sur le genre humain, que de ceux que les hommes s’infligent à eux mêmes les uns les autres, l’esprit s’éclaire pourtant devant la perspective que l’avenir sera peut-être meilleur, et il le fait certes avec une bienveillance désintéressée, étant donné que nous serons depuis longtemps dans la tombe et ne récolterons pas les fruits de ce nous aurons nous-mêmes en partie semé. Les arguments empiriques déployés contre le succès de ces résolutions inspirées par l’espoir sont ici sans effet. Car la proposition selon laquelle ce qui jusqu’à maintenant n’a pas encore réussi ne doit pour cette raison jamais réussir non plus, ne justifie même pas qu’on abandonne une intention pragmatique (1) ou technique (comme par exemple les voyages aériens avec des ballons aérostatiques), mais encore moins qu’on abandonne une intention morale qui, dès que sa réalisation ne peut pas être démontrée impossible, devient un devoir.

KANT

(1) pragmatique est à prendre au sens d’utilitaire

1998ESAMÉRIQUE DU NORDNORMALEIl ne serait pas raisonnable de croire que les peuples se sont d’abord jetés entre les bras d’un maître absolu, sans conditions et sans retour, et que le premier moyen de pourvoir à la sûreté commune, qu’aient imaginé des hommes fiers et indomptés, a été de se précipiter dans l’esclavage. En effet, pourquoi se sont-ils donné des supérieurs, si ce n’est pour les défendre contre l’oppression, et protéger leurs biens, leurs libertés et leurs vies, qui sont, pour ainsi dire, les éléments constitutifs de leur être ? Or, dans les relations d’homme à homme, le pis qui puisse arriver à l’un étant de se voir à la discrétion de l’autre, n’eût-il pas été contre le bon sens de commencer par se dépouiller entre les mains d’un chef des seules choses, pour la conservation desquelles ils avaient besoin de son secours ? Quel équivalent eût-il pu leur offrir pour la concession d’un si beau droit ? et s’il eût osé l’exiger sous le prétexte de les défendre, n’eût-il pas aussitôt reçu la réponse de l’apologue (1) : "Que nous fera de plus l’ennemi ?" Il est donc incontestable, et c’est la maxime fondamentale de tout le droit politique, que les peuples se sont donné des chefs pour défendre leur liberté, et non pour les asservir.

ROUSSEAU

(1) apologue : petite fable visant à illustrer une leçon morale

1998SAMÉRIQUE DU NORDNORMALEQuand se présente un objet ou un événement naturels, toute notre sagacité et toute notre pénétration sont impuissantes à découvrir ou même à conjecturer sans expérience quel événement en résultera ou à porter nos prévisions au-delà de l’objet immédiatement présent à la mémoire et aux sens. Même après un cas ou une expérience unique où nous avons observé qu’un événement en suivait un autre, nous ne sommes pas autorisés à former une règle générale ou à prédire ce qui arrivera dans des cas analogues ; car on tiendrait justement pour une impardonnable témérité de juger du cours entier de la nature par une expérience isolée, même précise ou certaine. Mais quand une espèce particulière d’événements a toujours, dans tous les cas, été conjointe à une autre, nous n’hésitons pas plus longtemps à prédire l’une à l’apparition de l’autre et à employer ce raisonnement qui peut seul nous apporter la certitude sur une question de fait ou d’existence. Nous appelons alors l’un des objets cause et l’autre effet. Nous supposons qu’il y a une connexion entre eux, et un pouvoir dans l’un qui lui fait infailliblement produire l’autre et le fait agir avec la plus grande certitude et la plus puissante nécessité.

HUME

1998ESAMÉRIQUE DU SUDNORMALEL’arithmétique n’est pas plus que la géométrie une promotion naturelle d’une raison immuable. L’arithmétique n’est pas fondée sur la raison. C’est la doctrine de la raison qui est fondée sur l’arithmétique élémentaire. Avant de savoir compter, je ne savais guère ce qu’était la raison. En général, l’esprit doit se plier aux conditions du savoir. Il doit créer en lui une structure correspondant à la structure du savoir. Il doit se mobiliser autour d’articulations qui correspondent aux dialectiques du savoir. Que serait une fonction sans des occasions de fonctionner ? Que serait une raison sans des occasions de raisonner ? La pédagogie de la raison doit donc profiter de toutes les occasions de raisonner. Elle doit chercher la variété des raisonnements, ou mieux du raisonnement [...]. La raison, encore une fois, doit obéir à la science.

BACHELARD

1998LAMÉRIQUE DU SUDNORMALES’il était découvert que l’espèce humaine, considérée dans sa totalité, a avancé et a été en train de progresser même aussi longtemps que l’on voudra, personne ne pourrait pourtant assurer que n’intervienne désormais, à cet instant précis, en raison des dispositions physiques de notre espèce, l’époque de son recul ; et inversement, si l’on marche à reculons et vers le pire en une chute accélérée, on ne doit pas écarter l’espoir de pouvoir rencontrer le point d’inflexion, précisément là où, en raison des dispositions morales de notre espèce, le cours de celle -ci se retournerait vers le mieux. Car nous avons affaire à des êtres agissant librement, auxquels certes se peut à l’avance dicter ce qu’ils doivent faire, mais ne se peut prédire ce qu’ils feront, et qui, du sentiment des maux qu’ils s’infligèrent à eux -mêmes, savent, si cela empire vraiment, retirer un motif renforcé de faire désormais mieux que ce n’était en tout cas avant cette situation.

KANT

1998SANTILLESREMPLACEMENTRien ne peut s’opposer à une impulsion passionnelle, rien ne peut retarder une impulsion passionnelle qu’une impulsion contraire ; si cette impulsion contraire naissait parfois de la raison, cette faculté devrait avoir une influence primitive sur la volonté et elle devrait être capable de produire, aussi bien que d’empêcher, un acte de volition. Mais, si la raison n’a pas d’influence primitive, il est impossible qu’elle puisse contrebalancer un principe qui a ce pouvoir ou qu’elle puisse faire hésiter l’esprit un moment. Il apparaît ainsi que le principe, qui s’oppose à notre passion, ne peut s’identifier à la raison et que c’est improprement qu’on l’appelle de ce nom. Nous ne parlons ni avec rigueur ni philosophiquement lorsque nous parlons du combat de la passion et de la raison.

HUME

1998TECHN.ANTILLESREMPLACEMENTPufendorf (1) dit que, tout de même qu’on transfère son bien à autrui par des conventions et des contrats, on peut aussi se dépouiller de sa liberté en faveur de quelqu’un. C’est là, ce me semble, un fort mauvais raisonnement ; car premièrement le bien que j’aliène (2) me devient une chose tout à fait étrangère, et dont l’abus m’est indifférent, mais il m’importe qu’on n’abuse point de ma liberté, et je ne puis sans me rendre coupable du mal qu’on me forcera de faire, m’exposer à devenir l’instrument du crime. De plus, le droit de propriété n’étant que de convention et d’institution humaine, tout homme peut à son gré disposer de ce qu’il possède : mais il n’en est pas de même des dons essentiels de la nature, tels que la vie et la liberté, dont il est permis à chacun de jouir... En s’ôtant l’une on dégrade son être ; en s’ôtant l’autre on l’anéantit autant qu’il est en soi ; et comme nul bien temporel ne peut dédommager de l’une et de l’autre, ce serait offenser à la fois la nature et la raison que d’y renoncer à quelque prix que ce fût.

ROUSSEAU

(1) Juriste du 17e siècle
(2) aliéner : donner ou vendre


QUESTIONS :

1° Quelle est l’idée générale de ce texte et quelles sont les étapes de l’argumentation ?

a) Expliquez : "le bien que j’aliène me devient une chose tout à fait étrangère et dont l’abus m’est indifférent" ;
b) comment "puis-je me rendre coupable du mal" qu’on me forcerait de faire ?c) qu’est-ce qu’"offenser à la fois la nature et la raison" ?3° La liberté est-elle un bien comme un autre ?

1998SÉTRANGER GROUPE 1NORMALEL’homme est un être raisonnable, et comme tel, c’est dans la science qu’il puise l’aliment, la nourriture qui lui conviennent : mais si étroites sont les bornes de l’entendement humain, que, sous ce rapport, il ne peut espérer que peu de satisfaction, soit de l’étendue, soit de la certitude des connaissances qu’il acquiert. L’homme est un être sociable autant qu’un être raisonnable : mais il ne lui est pas toujours donné d’avoir la jouissance d’une compagnie agréable et amusante ou de conserver lui-même son goût pour la société. L’homme est aussi un être actif ; et cette disposition, autant que les diverses nécessités de la vie humaine, fait de lui l’esclave de ses affaires et de ses occupations ; mais l’esprit demande qu’on lui donne un peu de relâche ; il ne peut rester constamment tendu vers les soucis et le travail. Il semble donc que la nature ait indiqué un genre de vie mixte comme le plus convenable à l’espèce humaine, et qu’elle nous ait en secret exhortés à ne laisser aucun de ces penchants tirer par trop de son côté, au point de nous rendre incapables d’autres occupations et d’autres divertissements. Abandonnez-vous à votre passion pour la science, dit-elle, mais que votre science soit humaine, et qu’elle ait un rapport direct avec l’action et la société. La pensée abstruse (1) et les profondes recherches, je les interdis, et leur réserve de sévères punitions : la morne mélancolie qu’elles mènent à leur suite, l’incertitude sans fin où elles vous plongent, et l’accueil glacé qu’on réserve à vos prétendues découvertes, dès que vous les avez communiquées. Soyez philosophe : mais que toute votre philosophie ne vous empêche pas de rester homme. HUME

(1) abstruse : obscure

1998TECHN.ÉTRANGER GROUPE 1NORMALEDéraisonner, est-ce perdre la raison ?
1998ESJAPONNORMALEPeut-il être raisonnable de désobéir à la loi ?
1998LJAPONNORMALELa raison est-elle seulement affaire de logique ?
1998SJAPONNORMALEQuand je m’y suis mis quelquefois, à considérer les diverses agitations des hommes, et les périls et les peines où ils s’exposent, dans la cour, dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, s’il savait demeurer chez soi avec plaisir, n’en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d’une place. On n’achètera une charge (1) à l’armée si cher, que parce qu’on trouverait insupportable de ne bouger de la ville ; et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu’on ne peut demeurer chez soi avec plaisir. Mais quand j’ai pensé de plus près, et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près.

PASCAL

(1) une charge : une fonction (sous l’Ancien Régime, il fallait acheter le droit d’exercer certaines fonctions)

1998TECHN.LA RÉUNIONNORMALEQu’est-ce qu’être raisonnable ?
1998ESMÉTROPOLENORMALEPour parvenir à garder un autre individu en sa puissance, on peut avoir recours à différents procédés. On peut l’avoir immobilisé par des liens, on peut lui avoir enlevé ses armes et toutes possibilités de se défendre ou de s’enfuir. On peut aussi lui avoir inspiré une crainte extrême ou se l’être attaché par des bienfaits, au point qu’il préfère exécuter les consignes de son maître que les siennes propres, et vivre au gré de son maître qu’au sien propre. Lorsqu’on impose sa puissance de la première ou de la seconde manière, on domine le corps seulement et non l’esprit de l’individu soumis. Mais si l’on pratique la troisième ou la quatrième manière, on tient sous sa dépendance l’esprit aussi bien que le corps de celui-ci. Du moins aussi longtemps que dure en lui le sentiment de crainte ou d’espoir. Aussitôt que cet individu cesse de les éprouver, il redevient indépendant. Même la capacité intérieure de juger peut tomber sous la dépendance d’un autre, dans la mesure où un esprit peut être dupé par un autre. Il s’ensuit qu’un esprit ne jouit d’une pleine indépendance, que s’il est capable de raisonnement correct. On ira plus loin. Comme la puissance humaine doit être appréciée d’après la force non tant du corps que de l’esprit, les hommes les plus indépendants sont ceux chez qui la raison s’affirme davantage et qui se laissent davantage guider par la raison. En d’autres termes, je déclare l’homme d’autant plus en possession d’une pleine liberté, qu’il se laisse guider par la raison.

SPINOZA

1998TECHN.MÉTROPOLENORMALEOn pose la question de savoir si l’homme est par nature moralement bon ou mauvais. Il n’est ni l’un ni l’autre, car l’homme par nature n’est pas du tout un être moral ; il ne devient un être moral que lorsque sa raison s’élève jusqu’aux concepts du devoir et de la loi. On peut cependant dire qu’il contient en lui-même à l’origine des impulsions menant à tous les vices, car il possède des penchants et des instincts qui le poussent d’un côté, bien que la raison le pousse du côté opposé. Il ne peut donc devenir moralement bon que par la vertu, c’est-à-dire en exerçant une contrainte sur lui-même, bien qu’il puisse être innocent s’il est sans passion.La plupart des vices naissent de ce que l’état de culture fait violence à la nature et cependant notre destination en tant qu’homme est de sortir du pur état de nature où nous ne sommes que des animaux.

KANT


QUESTIONS :

1° Dégager l’idée principale du texte et les étapes de son argumentation
2° Expliquer ce que signifie :
a) "L’homme par nature n’est pas du tout un être moral" ;
b) “Il possède des penchants et des instincts qui le poussent d’un côté bien que la raison le pousse du côté opposé” ;
c) "L’état de culture fait violence à la nature" ;
d) "Innocent" dans le contexte.
3° Être moral, est-ce contrarier ou suivre sa nature ?

1998SMÉTROPOLEREMPLACEMENTÉtant donné en effet qu’il n’existe pas au monde de République où l’on ait suffisamment établi de règles pour présider à toutes les actions et paroles des hommes (car cela serait impossible), il s’ensuit nécessairement que dans tous les domaines d’activité que les lois ont passés sous silence, les gens ont la liberté de faire ce que leur propre raison leur indique comme leur étant le plus profitable. Car si nous prenons le mot de liberté dans son sens propre de liberté corporelle, c’est-à-dire de n’être ni enchaîné ni emprisonné, il serait tout à fait absurde, de la part des hommes, de crier comme ils le font pour obtenir cette liberté dont ils jouissent si manifestement. D’autre part, si nous entendons par liberté le fait d’être soustrait aux lois, il n’est pas moins absurde, de la part des hommes, de réclamer comme ils le font cette liberté qui permettrait à tous les autres hommes de se rendre maîtres de leurs vies. Et cependant, aussi absurde que ce soit, c’est bien ce qu’ils réclament ; ne sachant pas que les lois sont sans pouvoir pour les protéger s’il n’est pas un glaive entre les mains d’un homme (ou de plusieurs) pour faire exécuter ces lois. La liberté des sujets ne réside par conséquent que dans les choses qu’en réglementant leurs actions le souverain a passées sous silence, par exemple la liberté d’acheter, de vendre, et de conclure d’autres contrats les uns avec les autres ; de choisir leur résidence, leur genre de nourriture, leur métier, d’éduquer leurs enfants comme ils le jugent convenable, et ainsi de suite.

HOBBES

1998TECHN.NOUVELLE-CALÉDONIENORMALEQuand je dis que tous les hommes sont égaux, c’est comme si je disais : il est raisonnable d’agir avec tous pacifiquement, c’est-à-dire de ne point régler ses actions sur leur force, ou sur leur intelligence, ou sur leur science, ou sur leur richesse. Et en somme je décide, quand je dis qu’ils sont égaux, de ne point rompre la paix, de ne point mettre en pratique les règles de la guerre. Par exemple voilà un enfant qui porte une rose ; je désire avoir cette rose. Selon les règles de la guerre, je n’ai qu’à la prendre ; si au contraire l’enfant est entouré de gardes, je n’ai qu’à m’en priver. Mais si j’agis selon le droit, cela veut dire que je ne tiendrai compte ni de sa force ni de la mienne, et que je ne m’y prendrai pas autrement pour avoir cette rose, que si l’enfant était un Goliath (1).

ALAIN

(1) Goliath : personnage de la Bible doué d’une force hors du commun


QUESTIONS :

1° Dégagez la thèse de ce texte et les étapes de son argumentation.

a) Qu’y a-t-il de commun entre "régler ses actions sur (la) force (des hommes), (...) leur intelligence, (...) leur science, (...) leur richesse" ?
b) Quelle différence y a-t-il entre agir "selon les règles de la guerre" et agir "selon le droit" ?
3° Etablir l’égalité des droits, est-ce l’affaire de la raison ?

1998ESPOLYNÉSIENORMALEN’y a-t-il que des passions déraisonnables ?
1998SPOLYNÉSIENORMALEIl est, décidément, indispensable aux hommes de se donner des lois et de vivre conformément à ces lois ; autrement, il n’y aucune différence entre eux et les animaux qui, sous tous les rapports, sont les plus sauvages. Et voici quelle en est la raison : il n’y a absolument pas d’homme qui naisse avec une aptitude naturelle, aussi bien à discerner par la pensée ce qui est avantageux pour l’humanité en vue de l’organisation politique, que, une fois cela discerné, à posséder constamment la possibilité comme la volonté de réaliser dans la pratique ce qui vaut le mieux. En premier lieu, il est difficile en effet de reconnaître la nécessité, pour un art politique vrai, de se préoccuper, non pas de l’intérêt individuel, mais de l’intérêt commun, car l’intérêt commun fait la cohésion des États, tandis que l’intérêt individuel les désagrège brutalement ; difficile en outre de reconnaître que l’avantage, à la fois de l’intérêt commun et de l’intérêt individuel, de tous les deux ensemble, est que l’on mette en belle condition ce qui est d’intérêt commun, plutôt que ce qui est d’intérêt individuel. En second lieu, à supposer que, d’aventure, on ait acquis dans les conditions scientifiques voulues la connaissance de cette nécessité naturelle ; à supposer, en outre de cela, que dans l’État, on soit investi d’une souveraineté absolue et qui n’ait point de comptes à rendre, il ne serait jamais possible que l’on demeurât toujours fidèle à cette conviction, c’est-à-dire que, tout au long de la vie, on entretînt à la place maîtresse l’intérêt commun, et l’intérêt individuel en état de subordination à l’égard de l’intérêt commun.

PLATON

1998SPOLYNÉSIEREMPLACEMENTLe trésor de raison consciente d’elle-même qui nous appartient, qui appartient à l’époque contemporaine, ne s’est pas produit de manière immédiate, n’est pas sorti du sol du temps présent, mais pour lui c’est essentiellement un héritage, plus précisément le résultat du travail et, à vrai dire, du travail de toutes les générations antérieures du genre humain. De même que les arts de la vie extérieure, la quantité de moyens et de procédés habiles, les dispositions et les habitudes de la vie sociale et politique sont un résultat de la réflexion, de l’invention, des besoins, de la nécessité et du malheur, de la volonté et de la réalisation de l’histoire qui précède notre époque, de même ce que nous sommes en fait de sciences et plus particulièrement de philosophie nous le devons à la tradition qui enlace tout ce qui est passager et qui est par suite passé, pareille à une chaîne sacrée, [...] et qui nous a conservé et transmis tout ce qu’a créé le temps passé.Or, cette tradition n’est pas seulement une ménagère qui se contente de garder fidèlement ce qu’elle a reçu et le transmet sans changement aux successeurs ; elle n’est pas une immobile statue de pierre, mais elle est vivante et grossit comme un fleuve puissant qui s’amplifie à mesure qu’il s’éloigne de sa source.

HEGEL

1998LSPORTIFS HAUT NIVEAUNORMALEPeut-on combattre une croyance par le raisonnement ?
1998LSPORTIFS HAUT NIVEAUNORMALEComment expliquer qu’un pianiste, qui croit mourir de peur en entrant sur la scène, soit immédiatement guéri dès qu’il joue ? On dira qu’il ne pense plus alors à avoir peur, et c’est vrai ; mais j’aime mieux réfléchir plus près de la peur elle-même, et comprendre que l’artiste secoue sa peur et la défait par ces souples mouvements des doigts. Car, comme tout se tient en notre machine, les doigts ne peuvent se délier si la poitrine ne l’est aussi ; la souplesse, comme la raideur, envahit tout ; et, dans ce corps bien gouverné, la peur ne peut plus être. Le vrai chant et la vraie éloquence ne rassurent pas moins, par ce travail mesuré qui est alors imposé à tous les muscles. Chose remarquable et trop peu remarquée, ce n’est point la pensée qui nous délivre des passions, mais c’est plutôt l’action qui nous délivre. On ne pense point comme on veut, mais quand les actions sont assez familières, quand les muscles sont dressés et assouplis par gymnastique, on agit comme on veut. Dans les moments d’anxiété n’essayez point de raisonner, car votre raisonnement se tournera en pointes contre vous-même ; mais plutôt essayez ces élévations et flexions des bras que l’on apprend maintenant dans toutes les écoles ; le résultat vous étonnera. Ainsi le maître de philosophie vous renvoie au maître de gymnastique.

ALAIN

1999LAMÉRIQUE DU SUDNORMALEConcernant la partie des créatures qui est vivante, bien que dépourvue de raison, un traitement violent et en même temps cruel des animaux est opposé au devoir de l’homme envers lui-même, parce qu’ainsi la sympathie à l’égard de leurs souffrances se trouve émoussée en l’homme et que cela affaiblit et peu à peu anéantit une disposition naturelle très profitable à la moralité dans la relation avec les autres hommes. Cela est vrai quand bien même, dans ce qui est permis à l’homme, s’inscrit le fait de tuer rapidement (d’une manière qui évite de les torturer) les animaux, ou encore de les astreindre à un travail (ce à quoi, il est vrai, les hommes eux aussi doivent se soumettre), à condition simplement qu’il n’excède pas leurs forces ; à l’inverse, il faut avoir en horreur les expériences physiques qui les martyrisent pour le simple bénéfice de la spéculation, alors que, même sans elles, le but pourrait être atteint. Même la reconnaissance pour les services longtemps rendus par un vieux cheval ou un vieux chien (comme s’ils étaient des personnes de la maison) appartient indirectement aux devoirs de l’homme, à savoir au devoir conçu en considération de ces animaux, mais cette reconnaissance, envisagée directement, n’est jamais qu’un devoir de l’homme envers lui-même.

KANT

1999LANTILLESREMPLACEMENTMais je croyais avoir déjà donné assez de temps aux langues, et même aussi à la lecture des livres anciens, et à leurs histoires, et à leurs fables. Car c’est quasi le même (1) de converser (2) avec ceux des autres siècles que de voyager. Il est bon de savoir quelque chose des moeurs de divers peuples, afin de juger des nôtres plus sainement, et que nous ne pensions pas que tout ce qui est contre nos modes (3) soit ridicule et contre raison, ainsi qu’ont coutume de faire ceux qui n’ont rien vu. Mais lorsqu’on emploie trop de temps à voyager, on devient enfin étranger en son pays ; et lorsqu’on est trop curieux des choses qui se pratiquaient aux siècles passés, on demeure ordinairement fort ignorant de celles qui se pratiquent en celui-ci. Outre que les fables font imaginer plusieurs événements comme possibles qui ne le sont point ; et que même les histoires les plus fidèles, si elles ne changent ni n’augmentent la valeur des choses pour les rendre plus dignes d’être lues, au moins en omettent-elles presque toujours les plus basses et moins illustres circonstances, d’où vient que le reste ne paraît pas tel qu’il est, et que ceux qui règlent leurs moeurs par les exemples qu’ils en tirent sont sujets à tomber dans les extravagances des paladins de nos romans, et à concevoir des desseins qui passent (4) leurs forces.

DESCARTES

(1) Par "quasi le même", il faut entendre "presque la même chose"
(2) Par "converser", il faut entendre "entrer en relation"
(3) Par "nos modes", il faut entendre "nos habitudes"
(4) Par "passent", il faut entendre "dépassent"

1999SANTILLESREMPLACEMENTA vrai dire, certains de ces êtres (1) n’offrent pas un aspect agréable ; mais la connaissance du plan de la Nature en eux réserve à ceux qui peuvent saisir les causes, ceux qui ont le naturel philosophique, des jouissances inexprimables. En vérité, il serait déraisonnable et absurde que nous trouvions du plaisir à contempler les images de ces êtres, parce que nous y saisissons en même temps le talent du sculpteur et du peintre, et que, les examinant en eux-mêmes, dans leur organisation par la Nature, nous n’éprouvions pas une joie plus grande encore de cette contemplation, au moins si nous pouvons saisir l’enchaînement des causes. Il ne faut donc pas céder à une répugnance enfantine et nous détourner de l’étude du moindre de ces animaux. En toutes les parties de la Nature il y a des merveilles ; on dit qu’Héraclite, à des visiteurs étrangers qui, l’ayant trouvé se chauffant au feu de sa cuisine, hésitaient à entrer, fit cette remarque : "Entrez, il y a des dieux aussi dans la cuisine". Eh bien, de même, entrons sans dégoût dans l’étude de chaque espèce animale : en chacune, il y a de la nature et de la beauté.

ARISTOTE

(1) : il s’agit des êtres vivants

1999ESÉTRANGER GROUPE 1NORMALETant que nous aurons le corps associé à la raison dans notre recherche et que notre âme sera contaminée par un tel mal, nous n’atteindrons jamais complètement ce que nous désirons et nous disons que l’objet de nos désirs, c’est la vérité. Car le corps nous cause mille difficultés par la nécessité où nous sommes de le nourrir ; qu’avec cela des maladies surviennent, nous voilà entravés dans notre chasse au réel. Il nous remplit d’amours, de désirs, de craintes, de chimères de toute sorte, d’innombrables sottises, si bien que, comme on dit, il nous ôte vraiment et réellement toute possibilité de penser. Guerres, dissensions, batailles, c’est le corps seul et ses appétits qui en sont cause ; car on ne fait la guerre que pour amasser des richesses et nous sommes forcés d’en amasser à cause du corps, dont le service nous tient en esclavage. La conséquence de tout cela, c’est que nous n’avons pas de loisir à consacrer à la philosophie. Mais le pire de tout, c’est que, même s’il nous laisse quelque loisir et que nous nous mettions à examiner quelque chose, il intervient sans cesse dans nos recherches, y jette le trouble et la confusion et nous paralyse au point qu’il nous rend incapables de discerner la vérité.

PLATON

1999LÉTRANGER GROUPE 1NORMALEL’invention technique relève-t-elle de la raison ou de l’imagination ?
1999TECHN.ÉTRANGER GROUPE 1NORMALEL’ignorance peut être ou bien savante, scientifique, ou bien vulgaire. Celui qui voit distinctement les limites de la connaissance, par conséquent le champ de l’ignorance, à partir d’où il commence à s’étendre, par exemple le philosophe qui aperçoit et montre à quoi se limite notre capacité de savoir relatif à la structure de l’or, faute de données requises à cet effet, est ignorant de façon technique ou savante. Au contraire, celui qui est ignorant sans apercevoir les raisons des limites de l’ignorance et sans s’en inquiéter est ignorant de façon non savante. Un tel homme ne sait même pas qu’il ne sait rien. Car il est impossible d’avoir la représentation de son ignorance autrement que par la science ; tout comme un aveugle ne peut se représenter l’obscurité avant d’avoir recouvré la vue.Ainsi la connaissance de notre ignorance suppose que nous ayons la science et du même coup nous rend modeste, alors qu’au contraire s’imaginer savoir gonfle la vanité.

KANT


QUESTIONS :

1° Quelle est l’idée principale du texte et quelles sont les étapes de son argumentation&nbsp
2° Expliquez : "II est impossible d’avoir la représentation de son ignorance autrement que par la science".
3° Les limites de la connaissance remettent-elles en cause la possibilité d’atteindre le vrai&nbsp

1999SINDENORMALELa rationalité scientifique satisfait-elle tous les besoins de la raison ?
1999TECHN.INDENORMALELa force semble être l’injustice même ; mais on parlerait mieux en disant que la force est étrangère à la justice ; car on ne dit pas qu’un loup est injuste. Toutefois le loup raisonneur de la fable est injuste, car il veut être approuvé ; ici se montre l’injustice, qui serait donc une prétention d’esprit. Le loup voudrait que le mouton n’ait rien à répondre, ou tout au moins qu’un arbitre permette ; et l’arbitre, c’est le loup lui-même. Ici les mots nous avertissent assez ; il est clair que la justice relève du jugement, et que le succès n’y fait rien. Plaider, c’est argumenter. Rendre justice, c’est juger. Peser des raisons, non des forces. La première justice est donc une investigation d’esprit et un examen des raisons. Le parti pris est par lui-même injustice ; et même celui qui se trouve favorisé, et qui de plus croit avoir raison, ne croira jamais qu’on lui a rendu bonne justice à lui tant qu’on n’a pas fait justice à l’autre, en examinant aussi ses raisons de bonne foi ; de bonne foi, j’entends en leur cherchant toute la force possible, ce que l’institution des avocats réalise passablement.

ALAIN

QUESTIONS :

1° Dégagez l’idée principale du texte et les différentes étapes de l’argumentation.
2° Expliquez :
a) "la force est étrangère à la justice."
b) "le parti pris est par lui-même injustice."
3° Le droit exige-t-il qu’aucun jugement ne soit rendu sans examen des arguments des deux parties ?

1999ESJAPONNORMALECette considération fait encore connaître qu’il y une Lumière née avec nous. Car puisque les sens et les inductions (1) ne nous sauraient jamais apprendre des vérités tout à fait universelles, ni ce qui est absolument nécessaire, mais seulement ce qui est, et ce qui se trouve dans des exemples particuliers, et puisque nous connaissons cependant des vérités nécessaires et universelles des sciences, en quoi nous sommes privilégiés au-dessus des bêtes : il s’ensuit que nous avons tiré ces vérités en partie de ce qui est en nous. Ainsi peut-on y mener un enfant par de simples interrogations à la manière de Socrate, sans lui rien dire, et sans le rien faire expérimenter sur la vérité de ce qu’on lui demande. Et cela se pourrait pratiquer fort aisément dans les nombres, et autres matières approchantes.Je demeure cependant d’accord que, dans le présent état, les sens externes nous sont nécessaires pour penser, et que, si nous n’en avions eu aucun, nous ne penserions pas. Mais ce qui est nécessaire pour quelque chose, n’en fait point l’essence pour cela. L’air nous est nécessaire pour la vie, mais notre vie est autre chose que l’air. Les sens nous fournissent de la matière pour le raisonnement, et nous n’avons jamais des pensées si abstraites, que quelque chose de sensible ne s’y mêle ; mais le raisonnement demande encore autre chose que ce qui est sensible.

LEIBNIZ

(1) induction : passage du particulier au général

1999ESLA RÉUNIONNORMALEIl y a une estime publique attachée aux différents arts (1) en raison inverse de leur utilité réelle. Cette estime se mesure directement sur leur inutilité même, et cela doit être. Les arts les plus utiles sont ceux qui gagnent le moins, parce que le nombre des ouvriers se proportionne au besoin des hommes, et que le travail nécessaire à tout le monde reste forcément à un prix que le pauvre peut payer. Au contraire, ces importants qu’on n’appelle pas artisans, mais artistes, travaillant uniquement pour les oisifs et les riches, mettent un prix arbitraire à leurs babioles ; et, comme le mérite de ces vains travaux n’est que dans l’opinion, leur prix même fait partie de ce mérite, et on les estime à proportion de ce qu’ils coûtent. Le cas qu’en fait le riche ne vient pas de leur usage, mais de ce que le pauvre ne les peut payer.

ROUSSEAU

(1) arts : les arts et les métiers

1999SLIBANNORMALEEn histoire des sciences, il faut nécessairement comprendre, mais juger (1). Là est vraie plus qu’ailleurs cette opinion : "Ce n’est que par la plus grande force du présent que doit être interprété le passé".L’histoire des empires et des peuples a pour idéal, à juste titre, le récit objectif des faits ; elle demande à l’historien de ne pas juger et si l’historien impose les valeurs de son temps à la détermination des valeurs des temps disparus, on l’accuse, avec raison, de suivre le "mythe du progrès".Mais voici une différence évidente : pour la pensée scientifique, le progrès est démontré, il est démontrable, sa démonstration est même un élément pédagogique indispensable pour le développement de la culture scientifique. Autrement dit, le progrès est la dynamique même de la culture scientifique, et c’est cette dynamique que l’histoire des sciences doit écrire. Elle doit décrire en jugeant, en valorisant, en enlevant toute possibilité à un retour vers des notions erronées. L’histoire des sciences ne peut insister sur les erreurs du passé qu’à titre de repoussoir.

BACHELARD

(1) "il faut nécessairement comprendre, mais juger", lire : il faut nécessairement comprendre, mais aussi juger".

1999LMÉTROPOLEREMPLACEMENTIl y a une liaison dans les perceptions des animaux qui a quelque ressemblance avec la raison ; mais elle n’est fondée que dans la mémoire des faits, et nullement dans la connaissance des causes. C’est ainsi qu’un chien fuit le bâton dont il a été frappé parce que la mémoire lui représente la douleur que ce bâton lui a causée. Et les hommes en tant qu’ils sont empiriques, c’est-à-dire dans les trois quarts de leurs actions, n’agissent que comme des bêtes ; par exemple, on s’attend qu’il fera jour demain parce que l’on a toujours expérimenté ainsi. Il n’y a qu’un astronome qui le prévoie par raison ; et même cette prédiction manquera enfin, quand la cause du jour, qui n’est point éternelle, cessera. Mais le raisonnement véritable dépend des vérités nécessaires ou éternelles ; comme sont celles de la logique, des nombres, de la géométrie, qui font la connexion indubitable des idées et les conséquences immanquables. Les animaux où ces conséquences ne se remarquent point sont appelés bêtes ; mais ceux qui connaissent ces vérités nécessaires sont proprement ceux qu’on appelle animaux raisonnables.

LEIBNIZ

1999STI AAMÉTROPOLEREMPLACEMENTLes premiers mouvements naturels de l’homme étant de se mesurer avec tout ce qui l’environne, et d’éprouver dans chaque objet qu’il aperçoit toutes les qualités sensibles qui peuvent se rapporter à lui, sa première étude est une sorte de physique expérimentale relative à sa propre conservation, et dont on le détourne par des études spéculatives (1) avant qu’il ait reconnu sa place ici-bas. Tandis que ses organes délicats et flexibles peuvent s’ajuster aux corps sur lesquels ils doivent agir, tandis que ses sens encore purs sont exempts d’illusion, c’est le temps d’exercer les uns et les autres aux fonctions qui leur sont propres ; c’est le temps d’apprendre à connaître les rapports sensibles que les choses ont avec nous. Comme tout ce qui entre dans l’entendement (2) y vient par les sens, la première raison de l’homme est une raison sensitive ; c’est elle qui sert de base à la raison intellectuelle : nos premiers maîtres de philosophie sont nos pieds, nos mains, nos yeux. Substituer des livres à tout cela, ce n’est pas nous apprendre à raisonner, c’est nous apprendre à nous servir de la raison d’autrui ; c’est nous apprendre à beaucoup croire, et à ne jamais rien savoir.

ROUSSEAU
(1) études spéculatives : qui ne s’appuient sur aucune expérience sensible
(2) entendement : ici, faculté de raisonner


QUESTIONS :

1° Dégager la thèse du texte et son argumentation.

a) Pourquoi la perception de l’enfant constitue-t-elle, selon Rousseau, une forme de "physique expérimentale relative à sa propre conservation" ?
b) Expliquez la distinction entre "raison sensitive" et "raison intellectuelle".
3° La perception suffit-elle à fonder un savoir ?

1999LNOUVELLE-CALÉDONIENORMALEJe change donc sans cesse. Mais ce n’est pas assez dire. Le changement est bien plus radical qu’on ne le croirait d’abord.Je parle en effet de chacun de mes états comme s’il formait un bloc. Je dis bien que je change, mais le changement m’a l’air de résider dans le passage d’un état à l’état suivant : de chaque état, pris à part, J’aime à croire qu’il reste ce qu’il est pendant tout le temps qu’il se produit. Pourtant, un léger effort d’attention me révélerait qu’il n’y a pas d’affection, pas de représentation, pas de volition (1) qui ne se modifie à tout moment ; si un état d’âme cessait de varier, sa durée cesserait de couler. Prenons le plus stable des états internes, la perception visuelle d’un objet extérieur immobile. L’objet a beau rester le même, j’ai beau le regarder du même côté, sous le même angle, au même jour : la vision que j’ai n’en diffère pas moins de celle que je viens d’avoir, quand ce ne serait que parce qu’elle a vieilli d’un instant. Ma mémoire est là, qui pousse quelque chose de ce passé dans ce présent. Mon état d’âme, en avançant sur la route du temps, s’enfle continuellement de la durée qu’il ramasse ; il fait, pour ainsi dire, boule de neige avec lui-même. A plus forte raison en est-il ainsi des états plus profondément intérieurs, sensations, affections, désirs, etc., qui ne correspondent pas, comme une simple perception visuelle, à un objet extérieur invariable. Mais il est commode de ne pas faire attention à ce changement ininterrompu, et de ne le remarquer que lorsqu’il devient assez gros pour imprimer au corps une nouvelle attitude, à l’attention une direction nouvelle. A ce moment précis on trouve qu’on a changé d’état. La vérité est qu’on change sans cesse, et que l’état lui-même est déjà du changement.

BERGSON

(1) volition : acte de vouloir

1999ESPOLYNÉSIENORMALELe problème d’une constitution, fût-ce pour un peuple de démons (qu’on me pardonne ce qu’il y a de choquant dans l’expression) n’est pas impossible à résoudre, pourvu que ce peuple soit doué d’entendement : "une multitude d’êtres raisonnables souhaitent tous pour leur conservation des lois universelles, quoique chacun d’eux ait un penchant secret à s’en excepter soi-même. Il s’agit de leur donner une constitution qui enchaîne tellement leurs passions personnelles l’une par l’autre, que, dans leur conduite extérieure, l’effet en soit aussi insensible que s’ils n’avaient pas du tout ces dispositions hostiles". Pourquoi ce problème serait-il insoluble ? Il n’exige pas qu’on obtienne l’effet désiré d’une réforme morale des hommes. Il demande uniquement comment on pourrait tirer parti du mécanisme de la nature, pour diriger tellement la contrariété des intérêts personnels, que tous les individus, qui composent un peuple, se contraignissent eux-mêmes les uns les autres à se ranger sous le pouvoir coercitif d’une législation, et amenassent ainsi un état pacifique de législation.KANT
1999LPOLYNÉSIENORMALEEn ce moment je cause avec vous, je prononce le mot "causerie". Il est clair que ma conscience se représente ce mot tout d’un coup (1) ; sinon, elle n’y verrait pas un mot unique, elle ne lui attribuerait pas un sens. Pourtant, lorsque j’articule la dernière syllabe du mot, les deux premières ont été articulées déjà ; elles sont du passé par rapport à celle-là, qui devrait alors s’appeler du présent. Mais cette dernière syllabe "rie", je ne l’ai pas prononcée instantanément ; le temps, si court soit-il, pendant lequel je l’ai émise, est décomposable en parties, et ces parties sont du passé par rapport à la dernière d’entre elles, qui serait, elle, du présent définitif si elle n’était décomposable à son tour : de sorte que vous aurez beau faire, vous ne pourrez tracer une ligne de démarcation entre le passé et le présent, ni par conséquent entre la mémoire et la conscience. A vrai dire, quand j’articule le mot "causerie", j’ai présents à l’esprit non seulement le commencement, le milieu et la fin du mot, mais encore les mots qui ont précédé, mais encore tout ce que j’ai déjà prononcé de la phrase ; sinon, j’aurais perdu le fil de mon discours. Maintenant, si la ponctuation du discours eût été différente, ma phrase eût pu commencer plus tôt ; elle eût englobé, par exemple, la phrase précédente, et mon "présent" se fût dilaté encore davantage dans le passé. Poussons ce raisonnement jusqu’au bout : supposons que mon discours dure depuis des années, depuis le premier éveil de ma conscience, qu’il se poursuive en une phrase unique, et que ma conscience soit assez détachée de l’avenir, assez désintéressée de l’action, pour s’employer exclusivement à embrasser le sens de la phrase : je ne chercherais pas plus d’explication, alors, à la conservation intégrale de cette phrase que je n’en cherche à la survivance des deux premières syllabes du mot "causerie" quand je prononce la dernière. Or, je crois bien que notre vie intérieure tout entière est quelque chose comme une phrase unique entamée dès le premier éveil de la conscience, phrase semée de virgules, mais nulle part coupée par des points.BERGSON
(1) "tout d’un coup" : d’un seul coup
1999TECHN.POLYNÉSIENORMALEFaut-il être raisonnable pour être libre ?
1999ESPOLYNÉSIEREMPLACEMENTMais il me semble que la différence qui est entre les plus grandes âmes et celles qui sont basses et vulgaires, consiste, principalement, en ce que les âmes vulgaires se laissent aller à leurs passions, et ne sont heureuses ou malheureuses, que selon que les choses qui leur surviennent sont agréables ou déplaisantes ; au lieu que les autres ont des raisonnements si forts et si puissants que, bien qu’elles aient aussi des passions et même souvent de plus violentes que celles du commun, leur raison demeure néanmoins toujours la maîtresse, et fait que les afflictions même leur servent, et contribuent à la parfaite félicité dont elles jouissent dès cette vie. Car, d’une part, se considérant comme immortelles et capables de recevoir de très grands contentements, puis, d’autre part, considérant qu’elles sont jointes à des corps mortels et fragiles, qui sont sujets à beaucoup d’infirmités, et qui ne peuvent manquer de périr dans peu d’années, elles font bien tout ce qui est en leur pouvoir pour se rendre la fortune (1) favorable en cette vie, mais néanmoins elles l’estiment si peu, au regard de l’éternité, qu’elles n’en considèrent quasi les événements que comme nous faisons ceux des comédies. Et comme les histoires tristes et lamentables, que nous voyons représenter sur un théâtre, nous donnent souvent autant de récréation que les gaies, bien qu’elles tirent des larmes de nos yeux ; ainsi ces plus grandes âmes, dont je parle, ont de la satisfaction en elles-mêmes, de toutes les choses qui leur arrivent, même les plus fâcheuses et insupportables.DESCARTES
(1) la fortune : le sort
1999SPOLYNÉSIEREMPLACEMENTLa persuasion commune du vulgaire semble être différente. La plupart en effet semblent croire qu’ils sont libres dans la mesure où il leur est permis d’obéir à l’appétit sensuel et qu’ils renoncent à leurs droits dans la mesure où ils sont astreints à vivre suivant les prescriptions de la loi divine. La moralité donc et la religion, et absolument parlant tout ce qui se rapporte à la force d’âme, ils croient que ce sont des fardeaux dont ils espèrent être déchargés après la mort pour recevoir le prix de la servitude, c’est-à-dire de la moralité et de la religion, et ce n’est pas seulement cet espoir, c’est aussi et principalement la crainte d’être punis d’affreux supplices après la mort qui les induit à vivre suivant les prescriptions de la loi divine autant que leur petitesse et leur impuissance intérieure le permettent. Et, si les hommes n’avaient pas cet espoir et cette crainte, s’ils croyaient au contraire que les âmes périssent avec le corps et que les malheureux, épuisés par le fardeau de la moralité, n’ont devant eux aucune vie à venir, ils reviendraient à leur complexion (1) et voudraient tout gouverner suivant leur appétit sensuel et obéir à la fortune plutôt qu’à eux-mêmes. Ce qui ne me paraît pas moins absurde que si quelqu’un, parce qu’il ne croit pas pouvoir nourrir son corps de bons aliments dans l’éternité, aimait mieux se saturer de poisons et de substances mortifères, ou parce qu’on croit que l’âme n’est pas éternelle ou immortelle, on aimait mieux être dément et vivre sans raison ; absurdités telles qu’elles méritent à peine d’être relevées.SPINOZA
1999TECHN.POLYNÉSIEREMPLACEMENTLes hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas de leur propre mouvement, ni dans des conditions choisies par eux seuls, mais bien dans les conditions qu’ils trouvent directement et qui leur sont données et transmises. La tradition de toutes les générations mortes pèse comme un cauchemar sur le cerveau des vivants. Et même quand ils semblent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c’est précisément à ces époques de crise révolutionnaire qu’ils appellent craintivement les esprits du passé à leur rescousse, qu’ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d’ordre, leurs costumes, pour jouer une nouvelle scène de l’Histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage d’emprunt. C’est ainsi que la Révolution de 1789 à 1814 se drapa successivement dans le costume de la République romaine, puis dans celui de l’Empire romain. C’est ainsi que le débutant, qui a appris une nouvelle langue la retraduit toujours dans sa langue maternelle, mais il ne se sera approprié l’esprit de cette nouvelle langue et ne sera en mesure de s’en servir pour créer librement, que lorsqu’il saura se mouvoir dans celle-ci en oubliant en elle sa langue d’origine.MARX

QUESTIONS :
1° Dégager l’idée directrice du texte et les étapes de son argumentation.a) Expliquer : "pour jouer une nouvelle scène de l’Histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage d’emprunt".b) Que signifie la comparaison finale avec l’apprentissage d’une nouvelle langue, et qu’apporte-t-elle à l’argumentation ?3° Les hommes font-ils librement leur histoire ?
1999LSPORTIFS HAUT NIVEAUNORMALELa différence qui est entre les plus grandes âmes et celles qui sont basses et vulgaires, consiste, principalement, en ce que les âmes vulgaires se laissent aller à leurs passions, et ne sont heureuses ou malheureuses, que selon que les choses qui leur surviennent sont agréables ou déplaisantes ; au lieu que les autres ont des raisonnements si forts et si puissants que, bien qu’elles aient aussi des passions, et même souvent de plus violentes que celles du commun, leur raison demeure néanmoins toujours la maîtresse, et fait que les afflictions (1) même les servent, et contribuent à la parfaite félicité dont elles jouissent dès cette vie. (...). Ainsi, ressentant de la douleur en leur corps, elles s’exercent à la supporter patiemment, et cette épreuve qu’elles font de leur force, leur est agréable ; ainsi, voyant leurs amis en quelque grande affliction, elles compatissent à leur mal, et font tout leur possible pour les en délivrer, et ne craignent pas même de s’exposer à la mort pour ce sujet, s’il en est besoin. Mais, cependant, le témoignage que leur donne leur conscience, de ce qu’elles s’acquittent en cela de leur devoir, et font une action louable et vertueuse, les rend plus heureuses, que toute la tristesse, que leur donne la compassion, ne les afflige.DESCARTES
(1) littéralement ce qui les afflige : événements malheureux qui seraient susceptibles de les plonger dans la tristesse.
1999LTUNISIESECOURSLes animaux peuvent aussi sentir à l’extérieur les objets corporels, grâce à leurs sens, et s’en souvenir après les avoir fixés dans leur mémoire, désirer parmi eux ceux qui leur conviennent et éviter ceux qui leur nuisent. Mais reconnaître ceux-ci, retenir non seulement les souvenirs amassés naturellement, mais aussi ceux confiés volontairement à la mémoire, imprimer à nouveau en elle, par l’évocation et la pensée, ceux qui glissent peu à peu dans l’oubli (car, de même que la pensée se forme sur ce que contient la mémoire, de même ce qui est dans la mémoire est consolidé par la pensée) ; composer des visions imaginaires, en choisissant, et pour ainsi dire en cousant ensemble n’importe quels souvenirs ; voir comment, en ce genre de fictions, on peut distinguer le vraisemblable du vrai, tant dans le domaine spirituel que dans le domaine corporel ; tous ces phénomènes et ceux du même genre, même s’ils concernent et intéressent le sensible, et tout ce que l’âme tire des sens, font quand même appel à la raison, et ne sont pas le partage des bêtes comme le nôtre (1).AUGUSTIN
(1) "ne sont pas le partage des bêtes comme le nôtre" : n’appartiennent pas aux bêtes comme aux hommes.
2000ESAMÉRIQUE DU NORDNORMALEEst-il raisonnable de lutter contre le temps ?
2000SAMÉRIQUE DU SUDNORMALESi la nature humaine était constituée de telle sorte que les hommes désirent au plus haut point ce qui leur est le plus utile, aucune science ne serait nécessaire pour instituer la concorde et la bonne foi ; mais comme on constate qu’il en va tout autrement avec les hommes, l’État doit être nécessairement institué de telle sorte que tous, aussi bien les gouvernants que les gouvernés, qu’ils le veuillent ou ne le veuillent pas, accomplissent pourtant ce qui importe au salut commun, c’est-à-dire que tous, spontanément, ou par la force, ou par la nécessité, soient contraints de vivre selon les prescriptions de la Raison ; si les affaires de l’État sont ainsi agencées, il en résultera que rien de ce qui concerne le salut commun ne sera totalement délégué à la bonne foi d’un individu. Personne en effet n’est assez vigilant pour ne pas dormir parfois, et personne n’eut jamais l’âme assez forte et intègre pour n’être pas parfois brisé ou vaincu, précisément quand la plus grande force d’âme eût été nécessaire. Ce serait la pire sottise que d’exiger d’autrui ce que personne ne peut s’imposer à soi-même, d’exiger que l’autre soit plus soucieux d’autrui que de soi, qu’il ne soit pas cupide, ni envieux, ni envieux, ni ambitieux, lui qui, chaque jour, est sollicité par toutes ces passions.SPINOZA
2000ESANTILLESNORMALEUn vrai ami ne doit jamais approuver les erreurs de son ami. Car enfin nous devrions considérer que nous leur faisons plus de tort que nous ne pensons, lorsque nous défendons leurs opinions sans discernement. Nos applaudissements ne font que leur enfler le coeur et les confirmer dans leurs erreurs ; ils deviennent incorrigibles ; ils agissent et ils décident enfin comme s’ils étaient devenus infaillibles.D’où vient que les plus riches, les plus puissants, les plus proches, et généralement tous ceux qui sont élevés au-dessus des autres, se croient fort souvent infaillibles, et qu’ils se comportent comme s’ils avaient beaucoup plus de raison que ceux qui sont d’une condition vile ou médiocre, si ce n’est parce qu’on approuve indifféremment et lâchement toutes leurs pensées ? Ainsi l’approbation que nous donnons à nos amis, leur fait croire peu à peu qu’ils ont plus d’esprit que les autres : ce qui les rend fiers, hardis, imprudents et capables de tomber dans les erreurs les plus grossières sans s’en apercevoir. C’est pour cela que nos ennemis nous rendent souvent un meilleur service, et nous éclairent beaucoup plus l’esprit par leurs oppositions, que ne font nos amis, par leurs approbations.MALEBRANCHE
2000TECHN.ANTILLESNORMALELes exigences de la vie en une société organisée n’interdisent à personne de penser, de juger et, par suite, de s’exprimer spontanément, à condition que chacun se contente d’exprimer ou d’enseigner sa pensée en ne faisant appel qu’aux ressources du raisonnement et s’abstienne de chercher appui sur la ruse, la colère, la haine ; enfin, à condition qu’il ne se flatte pas d’introduire la moindre mesure nouvelle dans l’État, sous l’unique garantie de son propre vouloir. Par exemple, admettons qu’un sujet ait montré en quoi une loi est déraisonnable et qu’il souhaite la voir abroger. S’il prend soin, en même temps, de soumettre son opinion au jugement de la souveraine Puissance (1) (car celle-ci est seule en position de faire et d’abroger des lois), s’il s’abstient entre-temps de toute manifestation active d’opposition à la loi en question, il est - au titre d’excellent citoyen - digne en tout point de la reconnaissance de la communauté. Au contraire, si son intervention ne vise qu’à accuser les pouvoirs publics d’injustice et à les désigner aux passions de la foule, puis, s’il s’efforce de faire abroger la loi de toute manière, ce sujet est indubitablement un perturbateur et un rebelle.SPINOZA
(1) le pouvoir souverain dans un État
QUESTIONS :
1° Dégagez l’idée générale du texte et les différentes étapes de son argumentation.2° Expliquez les affirmations suivantes : "s’il s’abstient entre-temps de toute manifestation active d’opposition à la loi en question".3° Le citoyen n’a-t-il le droit de s’opposer aux lois qu’en paroles ?
2000LANTILLESREMPLACEMENTSi les hommes étaient ainsi disposés par la nature qu’ils n’eussent de désir que pour ce qu’enseigne la vraie raison, certes la société n’aurait besoin d’aucune loi, il suffirait simplement d’éclairer les hommes par des enseignements moraux pour qu’ils fassent d’eux-mêmes et d’une âme libre ce qui est vraiment utile. Mais tout autre est la disposition de la nature humaine ; tous observent bien leur intérêt, mais ce n’est pas suivant l’enseignement de la droite raison ; c’est le plus souvent entraînés par leur seul appétit de plaisir et les passions de l’âme (qui n’ont aucun égard à l’avenir et ne tiennent compte que d’elles-mêmes) qu’ils désirent quelque objet et le jugent utile. De là vient que nulle société ne peut subsister sans un pouvoir de commandement et une force, et par suite sans des lois qui modèrent et contraignent l’appétit du plaisir et les passions sans frein.SPINOZA
2000LÉTRANGER GROUPE 1NORMALEEst-il raisonnable de donner un sens à tout ?
2000LÉTRANGER GROUPE 1NORMALEBornons-nous (...) à considérer les phénomènes naturels où les causes et les effets s’enchaînent, de l’aveu de tout le monde, d’après une nécessité rigoureuse ; alors il sera certainement vrai de dire que le présent est gros de l’avenir, et de tout l’avenir, en ce sens que toutes les phases subséquentes sont implicitement déterminées par la phase actuelle, sous l’action des lois permanentes ou des décrets éternels auxquels la nature obéit ; mais on ne pourra pas dire sans restriction que le présent est de même gros du passé, car il y a eu dans le passé des phases dont l’état actuel n’offre plus de traces, et auxquelles l’intelligence la plus puissante ne saurait remonter, d’après la connaissance théorique des lois permanentes et l’observation de l’état actuel ; tandis que cela suffirait à une intelligence pourvue de facultés analogues à celles de l’homme, quoique plus puissantes, pour lire dans l’état actuel la série de tous les phénomènes futurs, ou du moins pour embrasser une portion de cette série d’autant plus grande que ses facultés iraient en se perfectionnant davantage. Ainsi, quelque bizarre que l’assertion puisse paraître au premier coup d’oeil, la raison est plus apte à connaître scientifiquement l’avenir que le passé.COURNOT
2000SÉTRANGER GROUPE 1NORMALEPour les Politiques on les croit plus occupés à tendre aux hommes des pièges qu’à les diriger pour le mieux, et on les juge habiles plutôt que sages. L’expérience en effet leur a enseigné qu’il y aura des vices aussi longtemps qu’il y aura des hommes ; ils s’appliquent donc à prévenir la malice humaine, et cela par des moyens dont une longue expérience a fait connaître l’efficacité, et que des hommes mus par la crainte plutôt que guidés par la raison ont coutume d’appliquer ; agissant en cela d’une façon qui paraît contraire à la religion, surtout aux théologiens : selon ces derniers en effet, le souverain devrait conduire les affaires publiques conformément aux règles morales que le particulier est tenu d’observer. Il n’est pas douteux cependant que les Politiques ne traitent dans leurs écrits de la Politique avec beaucoup plus de bonheur que les philosophes : ayant eu l’expérience pour maîtresse, ils n’ont rien enseigné en effet qui fût inapplicable.SPINOZA
2000TECHN.INDENORMALEPeut-on être sûr d’avoir raison ?
2000TECHN.INDENORMALELe dernier progrès que fit la raison, achevant d’élever l’homme tout à fait au-dessus de la société animale, ce fut qu’il comprit (obscurément encore) qu’il était proprement la fin de la nature (1), et que rien de ce qui vit sur terre ne pouvait lui disputer ce droit. La première fois qu’il dit au mouton : "la peau que tu portes, ce n’est pas pour toi, mais pour moi que la nature te l’a donnée", qu’il lui retira et s’en revêtit, il découvrit un privilège, qu’il avait, en raison de sa nature, sur tous les animaux. Et il cessa de les considérer comme ses compagnons dans la création, pour les regarder comme des moyens et des instruments mis à la disposition de sa volonté en vu d’atteindre les desseins (2) qu’il se propose. Cette représentation implique (obscurément sans doute) cette contrepartie, à savoir qu’il n’avait pas le droit de traiter un autre homme de cette façon, mais qu’il devait le considérer comme un associé participant sur un pied d’égalité avec lui aux dons de la nature.KANT
(1) la fin : le but(2) Les dessins : les projets
QUESTIONS
1° Dégagez la thèse de l’auteur et les étapes de son argumentation.2° Expliquez :a) "qu’il était proprement la fin de la nature".b) "qu’il n’avait pas le droit de traiter un autre homme de cette façon".3° Doit-on considérer que, dans la nature, les être vivants ne son que des moyens pour l’homme ?
2000ESLA RÉUNIONNORMALELa langue est un instrument à penser. Les esprits que nous appelons paresseux, somnolents, inertes, sont vraisemblablement surtout incultes, et en ce sens qu’ils n’ont qu’un petit nombre de mots et d’expressions ; et c’est un trait de vulgarité bien frappant que l’emploi d’un mot à tout faire. Cette pauvreté est encore bien riche, comme les bavardages et les querelles le font voir ; toutefois la précipitation du débit et le retour des mêmes mots montrent bien que ce mécanisme n’est nullement dominé. L’expression "ne pas savoir ce qu’on dit" prend alors tout son sens. On observera ce bavardage dans tous les genres d’ivresse et de délire. Et je ne crois même point qu’il arrive à l’homme de déraisonner par d’autres causes : l’emportement dans le discours fait de la folie avec des lieux communs (1). Aussi est-il vrai que le premier éclair de pensée, en tout homme et en tout enfant, est de trouver un sens à ce qu’il dit. Si étrange que cela soit, nous sommes dominés par la nécessité de parler sans savoir ce que nous allons dire ; et cet état [...] est originaire en chacun ; l’enfant parle naturellement avant de penser, et il est compris des autres bien avant qu’il se comprenne lui-même. Penser c’est donc parler à soi.ALAIN
(1) lieux communs : idées reçues, clichés.
2000LLA RÉUNIONNORMALELes philosophes qui ont spéculé sur la signification de la vie et sur la destinée de l’homme n’ont pas assez remarqué que la nature a pris la peine de nous renseigner là-dessus elle-même. Elle nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. Je dis la joie, je ne dis pas le plaisir. Le plaisir n’est qu’un artifice imaginé par la nature pour obtenir de l’être vivant la conservation de la vie ; il n’indique pas la direction où la vie est lancée. Mais la joie annonce toujours que la vie a réussi, qu’elle a gagné du terrain, qu’elle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal. Or, si nous tenons compte de cette indication et si nous suivons cette nouvelle ligne de faits, nous trouvons que partout où il y a joie, il y a création : plus riche, est la création, plus profonde est la joie. La mère qui regarde son enfant est joyeuse, parce qu’elle a conscience de l’avoir créé, physiquement et moralement. Le commerçant qui développe ses affaires, le chef d’usine qui voit prospérer son industrie, est-il joyeux en raison de l’argent qu’il gagne et de la notoriété qu’il acquiert ? Richesse et considération entrent évidemment pour beaucoup dans la satisfaction qu’il ressent, mais elles lui apportent des plaisirs plutôt que de la joie, et ce qu’il goûte de joie vraie est le sentiment d’avoir monté une entreprise qui marche, d’avoir appelé quelque chose à la vie.BERGSON
2000ESLIBANNORMALELes mathématiques offrent ce caractère particulier et bien remarquable, que tout s’y démontre par le raisonnement seul, sans qu’on ait besoin de faire aucun emprunt à l’expérience, et que néanmoins tous les résultats obtenus sont susceptibles d’être confirmés par l’expérience, dans les limites d’exactitude que l’expérience comporte. Par là les mathématiques réunissent au caractère de sciences rationnelles, celui de sciences positives, dans le sens que le langage moderne donne à ce mot. On démontre en arithmétique que le produit de plusieurs nombres ne change pas, dans quelque ordre qu’on les multiplie : or, rien de plus facile que de vérifier en toute rigueur cette proposition générale sur tant d’exemples qu’on voudra, et d’en avoir ainsi une confirmation expérimentale. On démontre en géométrie que la somme des trois angles d’un triangle vaut deux angles droits : c’est ce qu’on peut vérifier en mesurant avec un rapporteur les trois angles d’un triangle tracé sur le papier, en mesurant avec un graphomètre les trois angles d’un triangle tracé sur le terrain, et en faisant la somme. La vérification ne sera pas absolument rigoureuse, parce que la mesure d’une grandeur continue comporte toujours des petites erreurs : mais on s’assurera, en multipliant les vérifications, que les différences sont tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre et qu’elles ont tous les caractères d’erreurs fortuites. On n’établit pas d’une autre manière les lois expérimentales de la physique.COURNOT
2000SLIBANNORMALEQue l’âme ne cherche donc pas à s’atteindre comme une absente, mais qu’elle s’applique à discerner sa présence ! Qu’elle ne cherche pas à se connaître comme si elle était une inconnue pour elle-même, mais qu’elle se distingue de ce qu’elle sait n’être pas elle ! Ce précepte qu’elle reçoit, le Connais-toi toi-même, comment se souciera-t-elle de le mettre en pratique, si elle ne sait ce que signifient le connais et le toi-même ? Dès lors qu’elle comprend ces deux mots, c’est qu’elle se connaît aussi elle-même. Car on ne dit pas à l’âme "Connais-toi toi-même", comme on lui dit "Connais les Chérubins et les Séraphins" (1) : bien qu’ils soient pour nous des absents, nous croyons en eux, parce que la foi nous apprend que ce sont des puissances célestes. On ne lui prescrit pas non plus de se connaître, comme on lui dirait "Connais la volonté de cet homme" : car cette volonté ne nous est pas présente, nous n’en avons ni l’intuition, ni l’intelligence, sinon grâce à la manifestation de signes extérieurs ; encore, ces signes, y croyons-nous plus que nous ne les comprenons ! On ne lui dit pas non plus ces paroles comme on dirait à quelqu’un "Regarde ton visage", ce qui ne se peut faire que dans un miroir. Car notre visage lui aussi échappe à notre vue : il ne se trouve pas là où peut se diriger notre regard. Mais lorsqu’on dit à l’âme "Connais-toi toi-même", dès l’instant qu’elle comprend ces paroles "toi-même" elle se connaît ; cela, pour la simple raison qu’elle est présente à elle-même.AUGUSTIN
(1) Les Chérubins et les Séraphins sont des anges
2000STI AAMÉTROPOLEREMPLACEMENTSocrate : Ainsi donc celui qui pense laisser après lui un art consigné dans un livre, comme celui qui le recueille en pensant qu’il sortira de cette écriture un enseignement clair et durable, fait preuve d’une grande simplicité (1) [...] s’il pense que des discours écrits sont quelque chose de plus qu’un mémento (2) qui rappelle à celui qui les connaît déjà les choses traitées dans le livre.Phèdre (3) : C’est très juste.Socrate : C’est que l’écriture, Phèdre, a un grave inconvénient, tout comme la peinture. Les produits de la peinture sont comme s’ils étaient vivants ; mais pose-leur une question, ils gardent gravement le silence. Il en est de même des discours écrits. On pourrait croire qu’ils parlent en personnes intelligentes, mais demande-leur de t’expliquer ce qu’ils disent, ils ne répondront qu’une chose, toujours la même. Une fois écrit, le discours roule partout et passe indifféremment dans les mains des connaisseurs et dans celles des profanes, et il ne sait pas distinguer à qui il faut, à qui il ne faut pas parler. S’il se voit méprisé ou injurié injustement, il a toujours besoin du secours de son père ; car il n’est pas capable de repousser une attaque et de se défendre lui-même.Phèdre : C’est également très juste.PLATON
(1) simplicité : ici, naïveté.(2) memento : aide-mémoire(3) Phèdre est un interlocuteur masculin de Socrate
QUESTIONS :
a) Quelle est la thèse soutenue par Socrate ?b) Quels sont ses arguments ?a) Quel est le sens de la comparaison de l’écriture avec la peinture ?b) Expliquer : "il ne sait pas distinguer à qui il faut, à qui il ne faut pas parler".c) Pourquoi le discours écrit a-t-il "toujours besoin du secours de son père" ?3° Les discours écrits sont-ils impropres à enseigner la vérité ?
2000TECHN.MÉTROPOLEREMPLACEMENTPeut-on être trop raisonnable ?
2000ESMÉTROPOLE + LA RÉUNIONNORMALELe penchant de l’instinct est indéterminé. Un sexe est attiré vers l’autre, voilà le mouvement de la nature. Le choix, les préférences, l’attachement personnel sont l’ouvrage des lumières, des préjugés, de l’habitude ; il faut du temps et des connaissances pour nous rendre capables d’amour, on n’aime qu’après avoir jugé, on ne préfère qu’après avoir comparé. Ces jugements se font sans qu’on s’en aperçoive, mais ils n’en sont pas moins réels. Le véritable amour, quoi qu’on en dise, sera toujours honoré des hommes ; car, bien que ses comportements nous égarent, bien qu’il n’exclue pas du coeur qui le sent des qualités odieuses et même qu’il en produise, il en suppose pourtant toujours d’estimables sans lesquelles on serait hors d’état de le sentir. Ce choix qu’on met en opposition avec la raison nous vient d’elle ; on a fait l’amour aveugle parce qu’il a de meilleurs yeux que nous, et qu’il voit des rapports que nous ne pouvons apercevoir. Pour qui n’aurait nulle idée de mérite ni de beauté, toute femme serait également bonne, et la première venue serait toujours la plus aimable. Loin que l’amour vienne de la nature, il est la règle et le frein de ses penchants.ROUSSEAU
2000STI AAMÉTROPOLE + LA RÉUNIONNORMALETelle est la nature de l’équitable, qui est un correctif de la loi là où elle se montre insuffisante en raison de son caractère général. Tout ne peut être réglé par la loi. En voici la raison : pour certaines choses, on ne peut établir de loi, par conséquent, il faut un décret. En effet, pour tout ce qui est indéterminé, la règle ne peut donner de détermination précise, au contraire de ce qui se passe dans l’architecture à Lesbos (1), avec la règle de plomb ; cette règle, qui ne reste pas rigide, peut épouser les formes de la pierre ; de même les décrets s’adaptent aux circonstances particulières. On voit ainsi clairement ce qu’est l’équitable, que l’équitable est juste et qu’il est supérieur à une certaine sorte de juste. On voit par là avec évidence ce qu’est aussi l’homme équitable : celui qui choisit délibérément une telle attitude et la pratique ; celui qui n’est pas trop pointilleux, au sens péjoratif, sur le juste, mais qui prend moins que son dû tout en ayant la loi de son côté, est un homme équitable, et cette disposition est l’équité, qui est une forme de justice et non une disposition différente.ARISTOTE
(1) la "règle de Lesbos" sert à mesurer les courbes.
QUESTIONS :
a) Quelle est la thèse retenue par Aristote ?b) Comment l’établit-il ?a) En quoi le "caractère général" de la loi appelle-t-il un "correctif" ? Qu’apporte à l’analyse l’image de la règle de plomb ?b) Expliquer : "l’équitable est juste et (...) il est supérieur à une certaine sorte de juste".c) En quoi consiste la pratique de l’homme équitable ?3° Peut-on appliquer la loi de manière injuste ?
2000SNOUVELLE-CALÉDONIENORMALEUne doctrine inconciliable avec la société civile, c’est que chaque fois qu’un homme agit contre sa conscience, c’est une faute. Cette doctrine repose sur la présomption par laquelle on se fait soi-même juge du bien et du mal. En effet, la conscience d’un homme et son jugement, c’est tout un. Et la conscience, comme le jugement, peut être erronée. En conséquence, encore que celui qui n’est pas assujetti à la loi civile commette une faute chaque fois qu’il agit contre sa conscience (puisqu’il n’a pas d’autre règle à suivre que sa propre raison), il n’en va pas de même de celui qui vit dans une République, car la loi est alors la conscience publique, par laquelle il a antérieurement accepté d’être guidé. S’il n’en est pas ainsi, étant donné la diversité des consciences privées, qui ne sont rien d’autre que des opinions privées, la République sera nécessairement divisée, et nul ne s’aventurera à obéir au pouvoir souverain au-delà de ce qui aura trouvé grâce à ses propres yeux.HOBBES
2000LNOUVELLE-CALÉDONIEREMPLACEMENTL’existence du mal met-elle en échec la raison ?
2000LNOUVELLE-CALÉDONIEREMPLACEMENTLes bêtes sont purement empiriques et ne font que se régler sur les exemples, car elles n’arrivent jamais à former des propositions nécessaires, autant qu’on en peut juger ; au lieu que les hommes sont capables des sciences démonstratives. C’est encore pour cela que la faculté que les bêtes ont de faire des consécutions est quelque chose d’inférieur à la raison qui est dans les hommes. Les consécutions des bêtes sont purement comme celles des simples empiriques, qui prétendent que ce qui est arrivé quelquefois arrivera encore dans un cas où ce qui les frappe est pareil, sans être capables de juger si les mêmes raisons subsistent. C’est par là qu’il est si aisé aux hommes d’attraper les bêtes, et qu’il est si facile aux simples empiriques de faire des fautes. C’est de quoi les personnes devenues habiles par l’âge et par l’expérience ne sont pas exemptes lorsqu’elles se fient trop à leur expérience passée, comme il est arrivé à plusieurs dans les affaires civiles et militaires, parce qu’on ne considère point assez que le monde change et que les hommes deviennent plus habiles en trouvant mille adresses nouvelles, au lieu que les cerfs ou les lièvres de ce temps ne deviennent point plus rusés que ceux du temps passé. Les consécutions des bêtes ne sont qu’une ombre du raisonnement, c’est-à-dire ce ne sont que connexions d’imagination, et que passages d’une image à une autre.LEIBNIZ
2000ESPOLYNÉSIENORMALEDes lois bien faites doivent, à la vérité, déterminer elles-mêmes autant de cas qu’il se peut, en laisser le moins possible à la décision des juges, d’abord parce qu’un ou quelques hommes de saine intelligence et aptes à légiférer ou juger sont plus faciles à trouver qu’un grand nombre ; ensuite parce que les lois ne se font qu’après un long examen, tandis que les jugements se prononcent séance tenante ; aussi est-il difficile que ceux qui sont appelés à juger décident comme il faudrait du juste et de l’utile. Mais de toutes les raisons la plus importante est que le jugement du législateur ne porte pas sur le particulier, mais sur le futur et le général, tandis que le membre de l’assemblée et le juge ont à prononcer immédiatement sur des cas actuels et déterminés. Dans leur appréciation interviennent souvent amitié, haine, intérêt personnel ; aussi ne sont-ils plus en état de se faire une idée adéquate de la vérité et leur jugement est-il obnubilé par un sentiment égoïste de plaisir ou de peine. Il faut, nous le répétons, abandonner le moins de questions possible à la décision souveraine du juge ; mais la nécessité veut qu’on lui laisse à décider si la chose s’est produite ou ne s’est pas produite, si elle sera possible ou impossible ; si elle a ou n’a pas le caractère prétendu ; car il ne se peut que le législateur prévoie ces choses.ARISTOTE
2000ESPOLYNÉSIEREMPLACEMENTParce que le corps de l’État doit être conduit comme par une seule âme et [parce] que la volonté de la Cité doit être prise pour la volonté de tous, on doit estimer que ce que la Cité a décrété est juste et bon comme si chaque citoyen l’avait décidé. Et c’est pourquoi, même si un sujet considère que les lois de la Cité sont injustes, il est tenu cependant de s’y soumettre. Mais on peut objecter : n’est-il par contraire à la loi de la raison de se soumettre entièrement au jugement d’autrui ? Par conséquent, l’état de société n’est-il pas contraire à la raison ? D’où il suivrait que l’état de société est un état irrationnel et qu’il ne peut être institué que par des hommes privés de raison et pas du tout par ceux qui vivent sous la conduite de la raison. Mais parce que la raison n’enseigne rien qui soit contraire à la nature, une saine raison ne peut commander que chacun relève de son propre droit aussi longtemps que les hommes sont soumis à leur passions Ajoutons que la raison enseigne sans réserve de chercher la paix qu’on ne peut certes obtenir que si les lois communes de la Cité ne sont pas transgressées. C’est pourquoi plus un homme est conduit par la raison, c’est-à-dire, plus il est libre, plus il observera constamment les lois de la cité et suivra les prescriptions des Puissances souveraines dont il est le sujet.SPINOZA
2001ESAMÉRIQUE DU NORDNORMALEEst-il raisonnable de se quereller pour des mots ?
2001ESAMÉRIQUE DU NORDNORMALEOn a coutume cependant de demander si le souverain est lié par les lois et si en conséquence il peut commettre des fautes. Puisque cependant les mots de loi et de faute ne s’appliquent pas seulement à la législation de la Cité mais aux lois communes de toute la nature, et qu’il y a lieu d’avoir égard avant tout aux règles que pose la raison, nous ne pouvons dire, absolument parlant, que la Cité n’est liée par aucune loi et ne peut commettre de faute. Si, en effet, la Cité n’avait ni lois ni règles, non pas même celles sans lesquelles elle ne serait pas une Cité, il faudrait voir en elle non une chose appartenant à la nature, mais une chimère. La Cité commet donc une faute quand elle agit ou permet d’agir de telle façon que sa propre ruine puisse être la conséquence des actes accomplis : nous dirons alors qu’elle commet une faute dans le sens où les philosophes et aussi les médecins disent que la nature peut fauter, ce qui signifie que la Cité commet une faute quand elle agit contrairement au commandement de la raison. C’est surtout en effet quand elle se conforme au commandement de la raison, que la Cité est maîtresse d’elle-même. Lors donc qu’elle agit contrairement à la raison, et dans la mesure où elle le fait, elle se manque à elle-même et on peut dire qu’elle faute.SPINOZA
2001SAMÉRIQUE DU SUDNORMALELes hommes sont la proie d’une si aveugle curiosité qu’ils conduisent souvent leur esprit par des chemins inconnus, et sans aucune raison d’espérer, mais seulement pour courir leur chance d’y trouver par hasard ce qu’ils cherchent ; comme quelqu’un qui brûlerait d’un désir si brutal de découvrir un trésor, qu’il ne cesserait de courir les rues çà et là, cherchant si par hasard il n’en trouverait pas un qu’un voyageur aurait perdu. C’est ainsi que travaillent presque tous les chimistes, la plupart des géomètres, et plus d’un philosophe ; et certes je ne nie point que parfois ils ne vagabondent avec assez de bonne fortune pour trouver quelque vérité ; je n’admets pas pour autant qu’ils en soient plus habiles, mais seulement plus chanceux. Il vaut cependant bien mieux ne jamais songer à chercher la vérité sur quelque objet que ce soit, que le faire sans méthode : car il est très certain que ces recherches désordonnées et ces méditations obscures troublent la lumière naturelle et aveuglent l’esprit ; et tous ceux qui s’habituent ainsi à marcher dans les ténèbres affaiblissent tant leur vue que par la suite ils ne peuvent plus supporter la lumière du jour : l’expérience aussi le confirme, puisque nous voyons très souvent ceux qui ne se sont jamais souciés d’étudier porter des jugements bien plus solides et bien plus clairs sur ce qui se présente à eux, que ceux qui ont passé tout leur temps dans les écoles.DESCARTES
2001SANTILLESNORMALEQuand on a cru, sans connaître l’art de raisonner, qu’un raisonnement est vrai, il peut se faire que peu après on le trouve faux, alors qu’il l’est parfois et parfois ne l’est pas, et l’expérience peut se renouveler sur un autre et un autre encore. II arrive notamment, tu le sais, que ceux qui ont passé leur temps à controverser finissent par s’imaginer qu’ils sont devenus très sages et que, seuls, ils ont découvert qu’il n’y a rien de sain ni de sûr ni dans aucune chose ni dans aucun raisonnement, mais que tout est dans un flux et un reflux continuels, absolument comme dans l’Euripe (1) et que rien ne demeure un moment dans le même état.- C’est parfaitement vrai, dis-je.- Alors, Phédon, reprit-il, s’il est vrai qu’il y ait des raisonnements vrais, solides et susceptibles d’être compris, ne serait-ce pas une triste chose de voir un homme qui, pour avoir entendu des raisonnements qui, tout en restant les mêmes, paraissent tantôt vrais, tantôt faux, au lieu de s’accuser lui-même et son incapacité, en viendrait par dépit à rejeter la faute sur les raisonnements, au lieu de s’en prendre à lui-même, et dès lors continuerait toute sa vie à haïr et ravaler les raisonnements et serait ainsi privé de la vérité et de la connaissance de la réalité ?- Oui, par Zeus, dis-je, ce serait une triste chose.

PLATON

(1) L’Euripe : détroit qui sépare l’Eubée de la Béotie, où se produisent un flux et un reflux perpétuels.

2001ESANTILLESREMPLACEMENTCette idée de la personnalité qui éveille le respect, qui nous met devant les yeux la sublimité de notre nature (d’après sa détermination), en nous faisant remarquer en même temps le défaut d’accord de notre conduite avec elle, et en abaissant par cela même la présomption, est naturelle, même à la raison humaine la plus commune, et aisément remarquée. Tout homme, même médiocrement honorable, n’a-t-il pas trouvé quelquefois qu’il s’est abstenu d’un mensonge, d’ailleurs inoffensif, par lequel il pouvait ou se tirer lui-même d’une affaire désagréable ou procurer quelque avantage à un ami cher et plein de mérite, pour avoir le droit de ne pas se mépriser en secret à ses propres yeux ? Dans les grands malheurs de la vie, qu’il aurait pu éviter en se mettant au-dessus du devoir, un honnête homme n’est-il pas soutenu par la conscience d’avoir en sa personne maintenu l’humanité dans sa dignité, de l’avoir honorée, de n’avoir pas de raison de rougir de lui-même à ses propres yeux et de craindre le spectacle intérieur de l’examen de conscience ?

KANT

2001SANTILLESREMPLACEMENTSi la constitution naturelle des hommes leur faisait désirer avec le plus d’ardeur ce qui tend à leur plus haut intérêt, toute intervention expresse, en vue de faire régner la concorde et la bonne foi, serait superflue. Mais telle n’est pas la pente habituelle de la nature humaine, on le sait. L’État doit donc être organisé nécessairement de manière que tous, gouvernants et gouvernés - qu’ils agissent de bon ou de mauvais gré - n’en mettent pas moins leur conduite au service du salut général. En d’autres termes, il faut que tous, par force et par nécessité si ce n’est spontanément, soient contraints de vivre selon la discipline de la raison. Pour que soit atteint ce résultat, le fonctionnement de l’État sera réglé de telle sorte, qu’aucune affaire important au salut général ne soit jamais confiée à un seul individu, présumé de bonne foi. Car l’homme le plus vigilant est cependant assujetti au sommeil, par intervalles, le plus fort et le plus inébranlable est sujet à faiblir ou à se laisser vaincre, aux moments précis où il aurait besoin de la plus grande énergie.

SPINOZA

2001SÉTRANGER GROUPE 1NORMALEMais quand nous supposerions l’homme maître absolu de son esprit et de ses idées, il serait encore nécessairement sujet à l’erreur par sa nature. Car l’esprit de l’homme est limité, et tout esprit limité est par sa nature sujet à l’erreur. La raison en est, que les moindres choses ont entre elles une infinité de rapports, et qu’il faut un esprit infini pour les comprendre. Ainsi un esprit limité ne pouvant embrasser ni comprendre tous ces rapports quelque effort qu’il fasse, il est porté à croire que ceux qu’il n’aperçoit pas n’existent point, principalement lorsqu’il ne fait pas d’attention à la faiblesse et à la limitation de son esprit, ce qui lui est fort ordinaire. Ainsi la limitation de l’esprit toute seule, emporte avec soi la capacité de tomber dans l’erreur.Toutefois si les hommes, dans l’état même où ils sont de faiblesse (...), faisaient toujours bon usage de leur liberté, ils ne se tromperaient jamais. Et c’est pour cela que tout homme qui tombe dans l’erreur est blâmé avec justice, et mérite même d’être puni : car il suffit pour ne se point tromper de ne juger que de ce qu’on voit, et de ne faire jamais des jugements entiers, que des choses que l’on est assuré d’avoir examinées dans toutes leurs parties, ce que les hommes peuvent faire. Mais ils aiment mieux s’assujettir à l’erreur, que de s’assujettir à la règle de la vérité : ils veulent décider sans peine et sans examen. Ainsi il ne faut pas s’étonner, s’ils tombent dans un nombre infini d’erreurs, et s’ils font souvent des jugements assez incertains.

MALEBRANCHE

2001LJAPONNORMALED’un côté, la destination de chacun dans la société n’étant plus déterminée par aucune maxime généralement respectée, et les institutions pratiques ayant dû se conformer à cette situation des esprits, l’essor des ambitions particulières n’est plus contenu réellement que par la puissance irrégulière et fortuite des circonstances extérieures propres aux divers individus. D’un autre côté, le sentiment social cherchant vainement, soit dans la raison privée, soit dans les préjugés publics, des notions exactes et fixes sur ce qui constitue le bien général dans chaque cas qui se présente, il finit par dégénérer peu à peu en une vague intention philanthropique, incapable d’exercer aucune action réelle sur la conduite de la vie. Par cette double influence, chacun, dans les grands rapports sociaux, est graduellement conduit à se faire centre, et la notion de l’intérêt particulier restant seule bien claire au milieu de tout ce chaos moral, l’égoïsme pur devient naturellement le seul mobile assez énergique pour diriger l’existence active.

COMTE

2001LLIBANNORMALESuffit-il d’être dans son droit pour avoir raison ?
2001TECHN.MÉTROPOLE + LA RÉUNIONNORMALELe projet de maîtriser la nature est-il raisonnable ?
2001SMÉTROPOLE + LA RÉUNIONREMPLACEMENTSi une génération humaine quittait la scène d’un seul coup et qu’une autre lui succédât, comme c’est le cas chez les vers à soie et les papillons, la nouvelle race, à supposer qu’elle ait assez de bon sens pour choisir son gouvernement, ce qui assurément n’est jamais le cas chez les hommes, pourrait bien établir ses propres institutions volontairement et par un consentement général, sans aucun égard envers les lois ou les précédents qui prévalurent parmi ses ancêtres. Mais comme la société humaine est dans un flux perpétuel, puisqu’à chaque heure un homme quitte ce monde et qu’un autre y pénètre, il est nécessaire au maintien de la stabilité du gouvernement que les nouveaux rejetons se conforment à la constitution établie et qu’ils suivent pas à pas le sentier que leurs pères, marchant sur les traces des leurs, ont jalonné pour eux. Certes, toute institution humaine doit nécessairement faire place à certaines innovations, et l’on doit se réjouir quand les lumières du génie orientent les innovations d’une époque du côté de la raison, de la liberté et de la justice ; mais des innovations violentes, aucun individu n’est fondé à en introduire : elles sont dangereuses même lorsque c’est le législateur qui s’y essaye ; en règle générale, on doit en attendre plus de mal que de bien ; et si l’histoire offre des exemples du contraire, il ne faut pas les transformer en autant de précédents, mais les considérer seulement comme prouvant que la science politique offre peu de règles dépourvues d’exceptions et qui ne soient parfois soumises à la fortune et à la contingence.

HUME

2001STI AAMÉTROPOLE + LA RÉUNIONREMPLACEMENTIl est impossible de persévérer dans la pratique de la contemplation de quelque ordre de beauté que ce soit, sans être fréquemment obligé de faire des comparaisons entre les divers degrés et genres de perfection, et sans estimer l’importance relative des uns par rapport aux autres. Un homme qui n’a eu aucune possibilité de comparer les différentes sortes de beauté n’a absolument aucune qualification pour donner son opinion sur un objet qui lui est présenté. C’est seulement par comparaison que nous fixons les épithètes de louange, ou de blâme, et apprenons à assigner le juste degré de l’un ou de l’autre. Le plus grossier des barbouillages comporte un certain lustre de couleurs, et une exactitude d’imagination, qui sont en tant que tels, des beautés, et affecteraient de la plus grande admiration l’esprit d’un paysan ou d’un Indien. Les ballades (1) les plus vulgaires ne sont pas entièrement dépourvues d’harmonie, ni de naturel, et personne, si ce n’est un homme familiarisé avec des beautés supérieures, n’énoncerait que leurs rythmes sont désagréables, ou que les histoires qu’elles content sont sans intérêt. Une grande infériorité de beauté donne du déplaisir à une personne accoutumée aux plus grandes perfections dans ce genre, et elle est considérée pour cette raison comme une laideur, de même que nous supposons naturellement que l’objet le plus fini que nous connaissions atteint le summum de la perfection, et qu’il mérite les plus grands applaudissements. Quelqu’un d’accoutumé à voir, à examiner et à peser la valeur des réalisations de diverses sortes qui ont été admirées dans des époques et des nations différentes, est seul habilité à juger des mérites d’une oeuvre qu’on lui présente, et à lui assigner le rang qui lui revient parmi les productions du génie.

HUME
(1) La ballade : ici, genre littéraire populaire issu de la chanson à danser.


QUESTIONS :

1° Dégagez la thèse de ce texte et analysez la manière dont il est construit.
a) Expliquez : "C’est seulement par comparaison que nous fixons les épithètes de louange, ou de blâme, et apprenons à assigner le juste degré de l’un de l’autre".
b) Pourquoi reconnaître de la beauté dans "le plus grossier des barbouillages" ou "les ballades les plus vulgaires" n’exclut-il pas qu’il y ait des "beautés supérieures" ?
3° Le goût s’éduque-t-il ?

2001LNOUVELLE-CALÉDONIENORMALEUn commandement ordonnant à chacun de chercher à se rendre heureux serait une sottise ; car on n’ordonne jamais à quelqu’un ce qu’il veut déjà inévitablement de lui-même. II ne faudrait que lui ordonner les lignes de conduite ou, plutôt, les lui proposer, parce qu’il ne peut pas tout ce qu’il veut. Au contraire, ordonner la moralité sous le nom de devoir est tout à fait raisonnable, car tout le monde ne consent pas volontiers à obéir à ses préceptes, quand elle est en conflit avec des inclinations ; et, quant aux mesures à prendre sur la façon dont on peut obéir à cette loi, on n’a pas à les enseigner ici, car ce qu’un homme veut à cet égard, il le peut aussi.Celui qui a perdu au jeu peut bien s’en vouloir à lui-même ainsi qu’en vouloir à son imprudence, mais, s’il a conscience d’avoir triché (encore qu’il ait ainsi gagné), il doit se mépriser lui-même nécessairement dès qu’il se compare avec la loi morale. Il faut donc bien que celle-ci soit autre chose que le principe du bonheur personnel. Car, être contraint de se dire à soi-même : "Je suis un misérable, bien que j’aie rempli ma Bourse", exige un autre critère de jugement que s’il s’agissait de s’approuver soi-même et de se dire : "Je suis un homme prudent, car j’ai enrichi ma caisse."