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Le châtiment selon Dante

L’Enfer de Dante in La Divine Comédie

Travail de recherche :

  • Qui est Dante ?

A partir de l’extrait suivant :

CHANT TROISIÈME (La Divine Comédie, l’Enfer)

1. Par moi l’on va dans la cité des pleurs ; par moi l’on va dans l’éternelle douleur ; par moi l’on va chez la race perdue.

2. La Justice mut mon souverain Auteur : me firent la divine Puissance, la suprême Sagesse et le premier Amour.

3. Avant moi ne furent nulles choses créées, mais éternelles et éternellement je dure : laissez toute espérance, vous qui entrez !

4. Ces paroles vis-je écrites en noir au-dessus d’une porte ; ce pourquoi je dis : — Maître, douloureux m’en est le sens.

5. Et lui à moi, comme personne accorte : « Ici l’on doit laisser toute crainte ; toute faiblesse doit être morte ici.

6. « Nous sommes venus au lieu où je t’ai dit que tu verrais les malheureux qui ont perdu le bien de l’intelligence. »

7. Et ayant posé sa main sur la mienne, d’un visage serein qui me ranima, il m’introduisit au dedans des choses secrètes.

8. Là, dans l’air sans astres, bruissaient des soupirs, des plaintes, de profonds gémissements, tels qu’au commencement j’en pleurai.

9. Des cris divers, d’horribles langages, des paroles de douleur, des accents de colère, des voix hautes et rauques, et avec elles un bruit de mains,

10. Faisaient un fracas qui, dans cet air à jamais ténébreux, sans cesse tournoie, comme le sable roulé par un tourbillon.

11. Et moi, dont la tête était ceinte d’erreur 1, je dis : — Maître, qu’entends-je ? et quels sont ceux-là qui paraissent plongés si avant dans le deuil ?

12. Et lui à moi : « Cet état misérable est celui des tristes âmes qui vécurent sans infamie ni louange.

13. « Mêlées elles sont à la troupe abjecte de ces anges qui ne furent ni rebelles, ni fidèles à Dieu, mais furent pour soi.

14. « Le ciel les rejette, pour qu’ils n’altèrent point sa beauté ; et ne les reçoit pas le profond enfer, parce que les damnés tireraient d’eux quelque gloire 2.

15. Et moi : — Maître, quelle angoisse les fait se lamenter si fort ? Il répondit : « Je te le dirai très-brièvement.

16. « Ceux-ci n’ont point l’espérance de mourir, et leur aveugle vie est si basse 3 qu’ils envient tout autre sort.

17. « Aucune mémoire le monde ne laisse subsister d’eux : la Justice et la Miséricorde les dédaignent. Ne discourons point d’eux, mais regarde et passe ! »

18. Et je regardai, et je vis une bannière qui, en tournant, courait avec une telle vitesse, qu’elle me paraissait condamnée à ne prendre aucun repos.

19. Et derrière elle venait une si longue suite de gens, que je n’aurais pas cru que la mort en eût tant défait.

20. Lorsque je pus en reconnaître quelqu’un, je vis et discernai celui qui par lâcheté fit le grand refus 4.

21. Aussitôt je compris et fus certain que cette bande était celle des lâches, en dégoût à Dieu et à ses ennemis.

22. Ces malheureux, qui ne furent jamais vivants, étaient nus et cruellement piqués par des taons et des guêpes

23. Qui sur leur visage faisaient ruisseler le sang, lequel, tombant à terre mêlé de larmes, était recueilli par des vers immondes.

24. Ayant ensuite regardé au delà, je vis des gens pressés sur le bord d’un grand fleuve ; ce pourquoi je dis : — Maître, je te prie

25. Que je sache qui sont ceux-là, et pour quelle cause ils ont tant de hâte de passer, comme je l’aperçois à cette faible lueur.

26. Et lui à moi : « Ceci te sera dit, quand sur les tristes rives de l’Achéron s’arrêteront nos pas. »

27. Alors, confus et les yeux baissés, craignant que mon dire ne lui eût déplu, je m’abstins de parler jusqu’au fleuve.

28. Et voici venir vers nous, dans une barque, un vieillard blanchi par de longues années, criant : « Malheur à vous, âmes perverses !

29. « N’espérez pas voir jamais le ciel ; je viens pour vous mener à l’autre rive, dans les ténèbres éternelles, dans le feu et la glace.

30. « Et toi que voilà, âme vivante, sépare-toi de ces morts ! » Et voyant que je ne m’en allais pas :

31. « Par d’autres chemins, dit-il, par d’autres bacs, tu viendras à la plage pour passer ; il convient que te porte une nef plus légère. »

32. Et le Guide à lui : « Caron, ne te courrouce point : il est ainsi voulu, là où se peut ce qui se veut ; ne demande rien de plus. »

33. Alors se dégonflèrent les joues laineuses du nocher du marais livide, qui autour des yeux avait des cercles enflammés.

34. Mais ces âmes tristes, fatiguées et nues, changèrent de couleur, et leurs dents claquèrent sitôt qu’elles ouïrent les sévères paroles.

35. Elles blasphémaient Dieu et leurs parents, la race humaine, le lieu, le temps où elles naquirent, la semence de laquelle elles germèrent.

36. Puis, toutes ensemble, elles se retirèrent près de la rive maudite où vient tout homme qui ne craint pas Dieu.

37. Caron, d’un signe de ses yeux de braise, les rassemble toutes, et frappe de sa rame quiconque s’attarde.

38. Comme, l’une après l’autre, en automne, les feuilles se détachent afin que le rameau rende à la terre toutes ses dépouilles,

39. Pareillement, au signe du nocher, comme l’oiseau à l’appel, se jetaient de la rive, une à une, les âmes mauvaises de la race d’Adam.

40. Ainsi elles s’en vont par l’eau noirâtre, et avant qu’elles soient descendues sur l’autre bord, sur celui-ci se rassemble encore une nouvelle troupe.

41. « Mon fils, dit le Maître courtois, tous ceux qui meurent dans l’ire de Dieu, il faut qu’ici de toute contrée ils viennent :

42. « Et tant de hâte ils ont de passer le fleuve, parce que tellement les point l’aiguillon de la justice divine, que la crainte se change en désir.

43. « Par ici jamais ne passe aucune âme pure : d’où, si Caron se plaint de toi, tu peux maintenant comprendre le sens de ses paroles. »

44. Cela fini, la sombre campagne trembla si fortement que le souvenir de mon épouvante me baigne encore de sueur.

45. De la terre trempée de larmes sortit un tourbillon sillonné d’éclairs d’une lueur rouge, lequel m’ôta tout sentiment,

Et je tombai comme un homme pris de sommeil.

NOTES DU CHANT TROISIÈME

3-1. Erreur a ici le sens de stupeur et d’ignorance.

3-2. Parce que les damnés éprouveraient quelque sentiment d’orgueil, en se comparant à ces misérables.

3-3. « ... Leur obscure vie est si abjecte. »

3-4. L’opinion la plus commune est qu’il s’agit ici de Pierre Morone, ermite, et ensuite pape sous le nom de Célestin V. Circonvenu par des intrigues pleines de mensonge et de fraude, il abdiqua la papauté ; et son successeur Boniface VIII, auteur de ces intrigues, le fit enfermer dans une prison où il mourut.

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CHANT VINGT-SIXIÈME

1. Réjouis-toi, Florence, d’être si grande que, sur terre et sur mer, battent tes ailes, et qu’en Enfer ton nom est répandu !

2. Parmi les larrons, je trouvai cinq de tes citoyens [1] ; j’en ai honte, et à toi peu d’honneur en revient.

3. Mais si, près du matin, vrais sont les songes, tu sentiras d’ici à peu de temps ce que Prato, sans parler des autres, te souhaite [2].

4. Et si déjà c’était, ce ne serait pas de trop bonne heure. Que n’est-ce dès à présent, puisque cela doit être ! Plus je vieillirai, plus le poids m’en sera lourd.

5. Nous partîmes, et, par les pierres saillantes qui nous avaient d’abord servi d’escalier pour descendre, mon Guide remonta, me tirant après lui.

6. Et, suivant la route solitaire à travers les escarpements et les rochers du précipice, le pied sans la main ne se dépêtrait pas.

7. Alors je m’attristai, et maintenant encore je m’attriste, quand je reporte mon souvenir sur ce que je vis, et plus que d’ordinaire, je retiens mon esprit,

8. Afin qu’il ne coure point sans que la vertu le guide, et que si une bonne étoile, ou une autre chose meilleure [3], a mis en moi le bien, je ne me l’envie pas à moi-même.

9. Alors que celui qui éclaire le monde tient le moins de temps sa face cachée [4], autant le villageois qui, lorsque la mouche cède l’air au cousin [5],

10. Se repose sur le tertre, voit de lucioles dans la vallée, là peut-être où il vendange et laboure ;

11. D’autant de flammes resplendissait toute la huitième bolge, comme je l’aperçus quand je fus là d’où l’on découvrait le fond.

12. Et tel qu’à celui qui se vengea par les ours [6] apparut, au partir, le char d’Élie, quand se dressant vers le ciel les chevaux s’élevèrent,

13. Et que, le suivant de l’œil, il ne pouvait discerner que la flamme seule qui, comme une petite nue, montait,

14. Telle chacune de celles-là se mouvait à la bouche de la fosse : nulle ne montre le larcin [7] ; et chaque flamme enveloppe un pécheur [8].

15. Debout sur le pont, je m’étais si avancé pour voir, que si à une saillie je ne me fusse retenu, je serais tombé sans qu’on me heurtât.

16. Et le Guide, qui me vit si attentif, dit : « Au dedans des feux sont les esprits ; chacun se revêt de ce qui le brûle. »

17. — Maître, répondis-je, l’ouïr de toi m’en rend plus certain ; mais déjà je m’étais aperçu qu’ainsi en était-il, et je voulais te demander

18. Qui est dans ce feu, si divisé à son sommet qu’on dirait qu’il s’élève du bûcher sur lequel Étéocle fut mis avec son frère [9] ?

19. Il me répondit : « Là dedans sont tourmentés Ulysse et Diomède [10] ; ils sont ensemble emportés par la vengeance, comme ils le furent par la colère.

20. « Au dedans de leur flamme se pleure l’embûche du cheval qui fut la porte d’où sortit des Romains la noble semence [11] ;

21. « Et s’y pleure aussi l’artifice par lequel Déidamie morte déplore encore le destin d’Achille [12], et du Palladium s’y porte la peine [13]. »

22. — Si, au milieu de ces étincelles, ils peuvent parler, dis-je, je t’en prie, Maître, et t’en prie encore, et que ma prière en vaille mille !

23. Ne me refuse point d’arrêter jusqu’à ce qu’ici vienne la flamme double ; vois, de désir je me ploie vers elle.

24. Et lui à moi : « De beaucoup de louange ta prière est digne, et ainsi je l’accepte. Mais fais qu’en repos ta langue se tienne !

25. « Laisse-moi parler : j’ai compris ce que tu veux, et peut-être, ayant été Grecs, auraient-ils à dédain ton langage. »

26. Lorsque la flamme fut venue près de nous, et qu’à mon Guide il parut que c’était le moment et le lieu, je l’entendis parler de la sorte :

27. « O vous qui êtes deux dans un seul feu, si je méritai de vous pendant que je vivais, si beaucoup ou peu je méritai de vous

28. « Lorsque dans le monde j’écrivis mes hauts vers [14], arrêtez-vous ! et que l’un de vous dise où, par lui-même perdu, il alla mourir. »

29. La plus grande corne de l’antique flamme, pareille à celle que fatigue le vent, commença de s’agiter, murmurant ;

30. Puis ça et là mouvant sa cime, comme si ce fût la langue qui parlât, au dehors émit une voix, et dit : « Quand

31. « Je quittai Circé, qui me retint caché plus d’un an, là, près de Gaëte [15], avant qu’ainsi Énée la nommât [16],

32. « Ni la douce pensée de mon fils, ni la piété envers mon vieux père, ni l’amour qui devait être la joie de Pénélope,

33. « Ne purent vaincre en moi l’ardeur d’acquérir la connaissance du monde, et des vices des hommes, et de leurs vertus [17].

34. « Mais, sur la haute mer de toutes parts ouverte, je me lançai avec un seul vaisseau, et ce petit nombre de compagnons qui jamais ne m’abandonnèrent.

35. « L’un et l’autre rivage je vis jusqu’à l’Espagne et jusqu’au Maroc, et l’île de Sardaigne, et les autres que baigne cette mer.

36. « Moi et mes compagnons nous étions vieux et appesantis, quand nous arrivâmes à ce détroit resserré où Hercule posa ses bornes,

37. « Pour avertir l’homme de ne pas aller plus avant : je laissai Séville à main droite ; à l’autre déjà Septa [18] m’avait laissé.

38. « O frères, dis-je, qui, à travers mille périls, êtes parvenus à l’Occident, suivez, le soleil, et à vos sens

39. « A qui reste si peu de veille, ne refusez l’expérience du monde sans habitants [19].

40. « Pensez à ce que vous êtes : point n’avez été faits pour vivre comme des brutes, mais pour rechercher la vertu et la connaissance.

41. « Par ces brèves paroles j’excitai tellement mes compagnons à continuer leur route, qu’à peine ensuite aurais-je pu les retenir.

42. « La poupe tournée vers le levant, des rames nous fîmes des ailes pour follement voler, gagnant toujours à gauche.

43. « Déjà, la nuit, je voyais toutes les étoiles de l’autre pôle, et le nôtre si bas, que point il ne s’élevait au-dessus de l’onde marine.

44. « Cinq fois la lune avait rallumé son flambeau, et autant de fois elle l’avait éteint, depuis que nous étions entrés dans la haute mer,

45. « Quand nous apparut une montagne, obscure à cause de la distance, et qui me sembla plus élevée qu’aucune autre que j’eusse vue.

46. « Nous nous réjouîmes, et bientôt notre joie se changea en pleurs, de la nouvelle terre un tourbillon étant venu, qui par devant frappa le vaisseau.

47. « Trois fois il le fit tournoyer avec toutes les eaux ; à la quatrième, il dressa la poupe en haut, et en bas il enfonça la proue, comme il plut à un autre,

« Jusqu’à ce que la mer se refermât sur nous. »

NOTES DU CHANT VINGT-SIXIÈME

26-1. Cianfa, Agnello Brunelleschi, Buoso degli Abati, Puccio Sciancato et Francesco Guercio Cavalcante, nommés dans le chant précédent.

26-2. Dante est supposé accomplir son voyage en 1300, et ce fut plus tard qu’arrivèrent les malheurs dont il feint d’avoir eu la vision prophétique, et qui furent la chute du pont de la Carraia, l’incendie de dix-sept cents maisons, et les cruelles discordes entre les Blancs et les Noirs, lesquelles eurent lieu dans l’année 1304.

26-3. La grâce divine.

26-4. Dans les plus longs jours.

26-5. Quand vient le soir.

26-6. Le prophète Élisée, de qui la Bible raconte, que des enfants s’étant moqués de lui, il les maudit, et qu’à sa malédiction deux ours sortirent d’un bois voisin, et mirent en pièces quarante-deux de ces malheureux enfants.

26-7. « Ne laisse voir le pécheur que la flamme enveloppe. » Nous dirions dans le même sens : qu’elle dérobe à la vue.

26-8. Conseiller frauduleux.

26-9. Stace raconte, dans son poème, que les corps des deux frères ayant été mis sur un même bûcher, la flamme se divisa, comme si leur haine avait encore duré après la mort (Thébaïde, XII, 430 et 431.)

26-10. Tous deux grands artisans de fraude.

26-11. Le cheval de bois, introduit par les Grecs dans Troie, et qui fut cause de sa perte, fut aussi celle de la venue d’Énée en Italie, et ainsi les Romains lui durent leur origine.

26-12. Un oracle ayant déclaré que jamais Troie ne serait prise sans Achille, Ulysse parvint à le séparer de Déidamie, en lui cachant que le même oracle annonçait qu’il mourrait devant cette ville.

26-13. Le Palladium était, comme on sait, une statue de Minerve, à laquelle étaient attachées les destinées de Troie. Ulysse et Diomède ayant pénétré de nuit dans le temple où elle était gardée, l’enlevèrent, après avoir tué les gardiens.

26-14. L’Énéide.

26-15. Près du mont Circio ou Circello, situé entre Gaëte et le cap d’Antium.

26-16. Du nom de sa nourrice, qui y fut ensevelie.

26-17. Il y a ici un souvenir d’Horace.

Qui… multorum providus urbes…...
Et mores hominum inspexit ; latumque per aequor,
Dum sibi, dum sociis reditum parat, aspera multa
Pertulit,

dit le poète latin, en parlant d’Ulysse. (Épîtres, liv. I, ép. 2.)

26-18. Aujourd’hui Ceuta.

26-19. « Vous, à qui désormais il reste si peu de temps à vivre, ne refusez pas de voir et de connaître cette partie du monde que le soleil éclaire après s’être couché pour nous. » Les anciens la croyaient inhabitée.