26
février
2020
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (UMR8103)
Centre de philosophie contemporaine de la Sorbonne (PhiCo)
Philosopher en Amérique
Nouveaux lieux, nouvelles expériences, nouvelle tradition philosophique ?
Organisateurs : Léa Boman, Baptiste Cornardeau
Présentation
L’acte de recommencer fait partie du geste philosophique lui-même. Qu’il s’agisse de reprendre un questionnement, de reposer en d’autres termes un même problème, ou d’en déplacer les limites pour en éclairer de nouveaux enjeux. Pourtant le recommencement sur le sol américain prend une autre dimension en faisant fond sur une table rase volontaire des philosophies du vieux continent. Comme si la pensée du « nouveau monde » ne se posait plus contre une certaine tradition, mais contre la tradition en tant que telle. Cette revendication participe alors d’une histoire encore à écrire, d’une société à inventer, d’un pays s’étant donné pour tâche d’explorer et de peupler un continent, et pour qui l’Europe et le reste du monde sont loin. Elle participe aussi de la mise en place d’un nouveau système politique démocratique dans lequel l’accès non seulement à la politique mais dans une certaine mesure à la philosophie se désolidarisent d’un ensemble de privilèges, de traditions et du conservatisme qui marquent encore les conditions concrètes de la pensée en Europe à la même époque.
Emerson le premier désavoue la vieille culture européenne et tente de penser le propre d’une philosophie américaine qu’il invoque autant qu’il invente. William James, John Dewey et les autres pragmatistes revendiquent une philosophie originale et propre aux États-Unis, ayant su se détacher de ses tuteurs européens. Mais loin de s’arrêter aux premiers philosophes américains, cette question de la nouveauté ne cesse de ressurgir pour nourrir le questionnement philosophique. La pensée de philosophes immigrant aux États-Unis s’y heurtera sans doute plus frontalement que les autres : Hannah Arendt, Adorno pour ne parler que des plus critiques à l’égard d’une philosophie à laquelle ils vont néanmoins contribuer. Après Tocqueville, Wittgenstein s’interroge sur le problème de cette transmission culturelle et philosophique : « Que pouvons-nous donner aux Américains ? Notre culture à moitié décomposée ? Les Américains n’ont pour l’instant pas de culture. Mais de nous ils n’ont rien à apprendre. » Pourtant, peut-on philosopher sans rien hériter d’une culture philosophique ? Cela a-t-il encore du sens de poser le problème de la tradition pour une philosophie qui se pose avant tout par sa distance avec elle ? Le problème sera repris au sujet de l’éducation par Hannah Arendt, qui pointe le paradoxe, et à ses yeux les dangers, d’une tradition américaine naissante qui serait fondée sur la nouveauté elle-même. Pourtant, une exploration philosophique et américaine du monde se dessine, à partir d’un retour à une forme d’expérience autant qu’à une attention accrue au langage, qui sera déterminante pour la philosophie contemporaine dans son ensemble.
L’ordinaire, objet démocratique par excellence, abordé de différentes manières, reçoit une place philosophique audacieuse qui est la marque de ce refus des traditions. Après la vague du positivisme logique, qui propose une nouvelle langue philosophique, ses critiques, à commencer par W. V. O. Quine, font bientôt ressortir ses insuffisances et ouvrent la voie à une étude des discours ordinaires. Auparavant, les pragmatistes redonnent une place et un sens nouveaux à l’expérience, en en faisant le fondement d’une reconstruction de la philosophie. Plus généralement, de nouveaux lieux de la philosophie apparaissent. « Les arts qui ont aujourd’hui le plus de vitalité pour l’homme du commun, il ne les tient pas pour des arts : films, jazz, bande dessinée » notait déjà John Dewey. Dans la philosophie de Stanley Cavell, le cinéma en vient justement à occuper une place prépondérante, qui pose explicitement le problème d’une philosophie proprement américaine. Cette innovation en termes d’objets philosophiques s’illustre encore par l’essor de divers champs ou domaines spécifiques, qui peuvent être interprétés comme autant d’approfondissements démocratiques de la philosophie. Ainsi par exemple des études de genre, des études féministes ou écoféministes. Nous proposons dans ce séminaire un balayage de ces évolutions de la philosophie américaine sous l’angle de cette nouveauté radicale et de l’ambition démocratique qui la caractérisent.
Cette nouveauté, comme fait ou revendication intellectuelle et philosophique partagée par les divers courants philosophiques américains, n’empêche qu’ils ne se soient constitués en partie également les uns contre les autres – « sauter d’une poêle à frire dans le feu, puis du feu dans une autre poêle à frire », et ainsi de suite, comme le notait avec humour Hilary Putnam. La nouveauté ne serait-elle alors que sérielle et devrait-elle se nier toujours, laissant problématique la question de l’unité de la philosophie américaine ? En réalité, son hétérogénéité ne doit pas décourager de penser l’expérience d’une pensée philosophique américaine ayant une méthode et une langue philosophiques propres. Il semble en effet difficile de postuler une philosophie américaine en perpétuel recommencement sans perdre une dimension de la philosophie elle-même. L’enjeu de ce séminaire sera d’interroger, à l’aune de différentes philosophies, ce geste du recommencement qui laisse toujours une place précaire, parfois ouvertement problématisée, et souvent encore problématique à la tradition philosophique.
26 février 2020
- Ivory Day, doctorante rattachée à l’Institut des Sciences Juridiques et Philosophiques de la Sorbonne (ISJPS).
"W. V. O. Quine : du naturalisme et du pragmatisme à la modalité"
25 mars 2020
- Magali Cecchet (Paris 1, ISJPS) : De l’« Amérique » à Abya Yala : les problématiques ouvertes par les écoféminismes d’Amérique du Sud et d’Amérique du Nord
22 avril 2020
- Thomas Mercier-Bellevue (Paris-Sorbonne) : La dernière nouveauté : refondation et historicité dans la philosophie américaine de l’art (Greenberg, Danto, Shusterman)
27 mai 2020
- Pauline Blisthène (Paris 1, ISJPS) : Le réalisme ordinaire des séries télévisées
Inscription préalable obligatoire à l’adresse : Philo-Recherche@univ-paris1.fr
Site : EXeCO
Facebook : Séminaire doctoral de philosophie américaine
26
février
2020
CIPH
Laura CREMONESI
Figures de l’altération (I). La transfiguration
Inscription obligatoire au lien ci-dessous
https://form.jotformeu.com/CIPhFormulaires/inscriptions_usic
Mer 26 fév, Jeu 12 mars, Jeu 26 mars, Jeu 23 avr, Jeu 30 avr, Jeu 28 mai, Jeu 4 juin
La philosophie contemporaine s’est souvent interrogée sur la capacité de la pensée philosophique d’offrir une description du réel qui soit en même temps une pratique critique de transformation. Dans un passage des Minima moralia, Th. Adorno souligne la nécessité et la contemporaine impossibilité d’accomplir cette tâche : établir des « perspectives dans lesquelles le monde soit déplacé, étranger, révélant ses fissures et ses crevasses » est ce qu’il y a de plus urgent, mais aussi de plus difficile, parce que ça requiert un point de vu soustrait « au cercle magique de l’existence ». La philosophie se trouve en effet prise dans une « machine », un dispositif de savoir et de pouvoir dont l’existence est presque invisible, puisqu’il produit l’horizon qui délimite la philosophie elle-même et organise ses catégories conceptuelles. Comment, donc, acquérir la perspective nécessaire à voir, décrire et critiquer
cet horizon ?
Une des voies possibles est celle qui conduit la philosophie à faire recours à des figures de pensée provenant d’autres domaines et expériences, comme celle, esthétique, de l’altération.
Cela lui permet de se situer aux limites du dispositif et de gagner donc la distance nécessaire à offrir une description altérante du réel, dans laquelle le dispositif apparaîtra « déplacé, étranger », altéré : capté dans son être présent et dans son actualisation possible.
Trois figures de l’altération semblent être particulièrement fécondes pour produire cette description altérante : la transfiguration, l’estrangement et le dépaysement. Cette année, le séminaire analysera la transfiguration, à partir des considérations de M. Foucault sur Baudelaire et sur son illustration du travail transfigurant du peintre C. Guys, capable de capturer la réalité de son temps et, simultanément, d’en faire surgir l’altérité possible.
Le séminaire explorera les potentialités critiques de cette figure et montrera comment elle peut permettre à la pensée philosophique d’accomplir la tâche, impossible et nécessaire, d’établir des perspectives déplaçantes sur elle même et sur l’existant.