FRATERNITÉ

LA DÉFINITION

Comment définir la fraternité ? De la définition du dictionnaire à un éclairage juridique, historique et philosophique, il s’agit ici de comprendre cette valeur. Il apparaît que la fraternité ne peut être décorrélée de l’esprit de justice.

Définition Littré

n. f.

L’amour universel qui unit tous les membres de la famille humaine. Devise de la France républicaine : Liberté, Égalité, Fraternité.

Source : Littre.org

Définition Larousse

n. f. (latin fraternitas, -atis)

  • Lien de solidarité qui devrait unir tous les membres de la famille humaine ; sentiment de ce lien.
  • Lien qui existe entre les personnes appartenant à la même organisation, qui participent au même idéal.

Source : Larousse.fr 

LES TEXTES DE RÉFÉRENCE

Les valeurs de la République ont d’abord été définies par la devise de la République : « Liberté, Égalité, Fraternité », présente en 1848, puis ornant les bâtiments publics à partir de 1880. Depuis une dizaine d’années, des propositions d’ajout de « laïcité » à la devise sont formulées. L’évolution de la démocratie française a mise également en avant de nouvelles valeurs. Le programme du nouvel Enseignement moral et civique donne la liste suivante des valeurs de la République : « Ces valeurs sont la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité, la solidarité, l’esprit de justice, le respect et l’absence de toutes formes de discriminations. » Ces valeurs de la République se sont incarnées dans de grands textes de loi, dans des institutions, et se sont exprimées dans des moments privilégiés de notre histoire.

Jérôme Grondeux.

Le pacte républicain

La nation : la fête de la Fédération. Un an après la prise de la Bastille, une grande fête se tient au Champs de Mars, à Paris. L’initiative est venue de tout le pays, où les gardes nationaux ont commencé à se rassembler. Ces rassemblements culminent à Paris. La Fayette pour les gardes nationaux et Louis XVI prêtent serment. Malgré la présence du roi, c’est bien une nouvelle conception de la nation qui s’affirme : le rassemblement volontaire des citoyens, qui est à l’origine du pacte républicain. On peut citer ici l’historien et résistant Marc Bloch, qui écrit en 1940 : « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération. »

Lire un article sur le site réseau-canope.fr

La nation : le 14 juillet, fête nationale. Au fil du xixe siècle, les républicains sont apparus comme les héritiers les plus conséquents de la Révolution française. Quand ils sont installés au pouvoir, ils font des grands symboles révolutionnaires les symboles de la nation. Le 14 juillet devient véritablement la célébration du pacte républicain.

Lire un article sur le site elysee.fr

La solidarité par l’impôt : Les républicains se sont passionnément divisés entre les années 1880 et 1914 sur la question de l’impôt sur le revenu. Il s’agit de faire prévaloir la solidarité sociale sur le strict respect du droit de propriété. L’impôt sur le revenu est finalement voté en 1914 et sera appliqué en 1917 pour taxer les bénéfices de guerre.

Lire un article sur le site assemblee-nationale.fr

Jérôme Grondeux.

L’État providence

Les congés payés (1936)  : Le Front populaire, malgré ses difficultés, marque un moment important d’intégration du monde ouvrier à la République. La loi sur les congés payés votée à l’unanimité demeure un symbole très fort, aujourd’hui encore.

Lire le texte intégral sur le site sante.gouv.fr

Les grandes réformes de la Libération mettent en place un véritable État providence en France, organisant et unifiant autant que faire se peut la solidarité nationale pour couvrir les principaux « risques sociaux », maladie, maternité, invalidité, vieillesse, accident du travail, maladie professionnelle, décès, charges de famille et chômage. La France s’inscrit ainsi dans un vaste mouvement qui touche tous les pays développés.

Lire un article sur le site vie-publique.fr

Du RMI au RSA (1988-2009)  : Face au nouveau défi de l’exclusion, les gouvernants ont voulu répondre par des dispositifs garantissant un revenu minimum, dans le but de favoriser les possibilités d’un retour à l’emploi pour les victimes du chômage de longue durée : au Revenu minimum d’insertion, mis en place en 1988, a succédé en 2009 le Revenu de solidarité active.

Lire un article sur le site vie-publique.fr

Le développement durable  : La notion de développement durable intègre à la fois l’idée de solidarité sociale et l’idée d’une solidarité avec les générations futures en prenant en compte l’environnement. Le « sommet de la Terre » de Rio, en 1992, tenu sous l’égide des Nations unies, le définit comme « un développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable ». Cette notion a inspiré en France la Charte de l’environnement de 2005.

Lire un article sur le site ladocumentationfrancaise.fr

Jérôme Grondeux.

DES QUESTIONS, DES RÉACTIONS ? QUELQUES ÉLÉMENTS DE RÉPONSE

Michel Delattre, professeur de philosophie à Sciences-Po, Saint Germain en Laye.

Poursuivre la réflexion philosophique

La fraternité, une notion ambiguë, que nous avons le sentiment de bien connaître, mais qui est en partie indéfinissable. Paradoxalement, le mot fraternité, dans l’usage que nous lui connaissons aujourd’hui, n’évoque jamais l’idée d’un lien familial. À la limite, c’est le contraire : il désigne un lien qui relie ceux qui ne sont pas de la même famille ; c’est, idéalement, ce qui nous lie à l’ensemble de « la famille humaine ». D’une certaine façon, la fraternité engage à être le frère de n’importe qui, même si cela rencontre des limites. De ce point de vue, elle vient inscrire dans les relations entre personnes à certains égards étrangères les unes aux autres, une dimension affective qu’on ne s’attendrait pas nécessairement à y trouver et dont il n’est pas dit qu’elle soit naturelle.

Loin de renvoyer à un lien biologique, celui qui lie entre eux frères et sœurs d’une même famille, lorsqu’on parle de fraternité, les mots « frère » et « sœur » sont utilisés pour désigner une relation beaucoup plus large. C’est le cas par exemple en religion, ou dans diverses formes d’associations : la fraternité des moines, celle des francs-maçons ; la fraternité du régiment ou la fraternité ouvrière. Et il prend son sens le plus large lorsqu’il évoque un sentiment que l’on est censé éprouver pour les membres de l’humanité tout entière, comme lorsque les philosophes de l’Antiquité, en particulier les stoïciens, ont revendiqué, prenant appui sur le postulat d’une raison partagée, le titre de « citoyens du monde », par-delà les particularismes locaux.

Dans toute société digne de ce nom, il existe une obligation de solidarité. Elle se traduit par l’existence de dispositifs visant, par exemple, à assurer un secours à ceux qui sont dans le besoin ou en danger, à organiser un système de santé publique, à indemniser ceux qui connaissent des situations de chômage contre leur volonté, à assurer l’existence de ceux qui ne sont plus en état de travailler, à offrir un asile à ceux qui ne sont plus capables de gérer seul leur existence – et d’une manière générale à contribuer par l’impôt aux nécessités collectives. Mais cette solidarité, dont l’existence est évidemment essentielle, repose sur des dispositifs impersonnels et qu’on pourrait qualifier de froids.

La fraternité donne à la solidarité une chaleur affective qui en fait autre chose que la simple application mécanique de dispositifs institutionnels. Elle est ce qui vient corriger les insuffisances d’une égalité qui n’est qu’une égalité de droit et d’une liberté qui peut n’être que formelle lorsqu’on n’a pas les moyens réels de l’exercer. Introduite dans la devise de la république en 1848, donc bien après la liberté et l’égalité (même si, au sens politique qu’elle prend alors, elle a déjà été évoquée au moment de la Révolution française), la fraternité est ce qui introduit de l’humanité dans l’espace républicain.

Peut-on alors dire qu’on n’est pas le frère de n’importe qui ? Ce refus de fraterniser peut être interprété comme le revers de la fraternité réellement éprouvée : mon ennemi n’est pas mon frère et c’est précisément contre lui que je fraternise avec d’autres. Inversement, mon frère, même s’il n’est pas un proche, est un allié avec qui je fraternise de façon d’autant plus forte que nos destins sont liés. Mais c’est là une fraternité encore limitée au regard de celle que revendique l’humanisme le plus profond. La fraternité républicaine n’est pas sans ennemis, mais elle ne se nourrit pas fondamentalement d’adversité. La fraternité de l’humanisme en appelle plus encore à un fond commun reposant sur un sentiment universel : « Frères humains qui après nous vivez, n’ayez le cœur contre nous endurci » [note : François Villon, La ballade des pendus]…

L’idée de fraternité universelle revient donc à affirmer qu’au-delà des clivages inévitables qui peuvent séparer les hommes ou les communautés humaines, quelque chose de plus solide invite à reconnaître dans tout autre homme un autre soi-même. La fraternité tend à mettre en avant ce lien proprement humain qui, sans les faire disparaître, transcende toutes les différences, toutes les oppositions et tous les conflits. À tel point qu’on qualifiera d’inhumain ou de barbare celui pour qui ce sentiment serait totalement étranger.

À l’échelle individuelle, qui est son seul niveau authentique de manifestation, la fraternité se révèle par ce sentiment moral d’empathie qui fait que la souffrance d’autrui, le malheur qui le frappe, l’injustice dont il est victime, peuvent me toucher au plus profond de moi-même, alors qu’ils ne me concernent pas directement. La fraternité est par exemple ce qui se manifeste lorsque je risque ma vie pour secourir un enfant ou un inconnu exposé à un danger, ou toute autre expression concrète et affective de solidarité humaine. Cette forme-là de la fraternité est certainement la plus précieuse, parce qu’elle repose sur des sentiments subjectifs, sur des élans qui ne sont pas des obligations juridiques. Elle est le signe d’un lien moral authentique avec autrui. Elle est le ciment le plus facultatif, et pour cette raison sans doute le plus nécessaire, de la solidarité. Et c’est lorsque ce sentiment tend à se dissoudre qu’on en éprouve le plus la valeur.

Michel Delattre.

Racisme, pauvreté…elle est où la fraternité ?

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Racisme, pauvreté…elle est où la fraternité ?

Olivier Loubes, professeur en classe préparatoire au lycée Saint-Sernin, Historien de la nation et de l’enseignement en France, CNRS Toulouse.

POURSUIVRE LA RÉFLEXION HISTORIQUE : LA DEVISE RÉPUBLICAINE

Devise ? Liberté, Égalité, Fraternité ou les trois ordres de l’imaginaire républicain

La devise Liberté, Égalité, Fraternité, « principe de la République » est l’incarnation des trois ordres de l’imaginaire républicain. Comme pour le suffrage universel (masculin), c’est en 1848 que s’effectue le choix de la devise républicaine. Bien sûr, les trois mots existent dans le vocabulaire politique depuis la Révolution française, mais sans que leur association prenne un caractère officiel. Ainsi, la Fraternité ne figure pas dans les principes de 1789. Or, dans la Constitution de la Deuxième République en 1848, l’article IV fait de la devise Liberté, Égalité, Fraternité un « principe » de la République. Puis, dès que la Troisième République est aux mains des républicains en 1879, elle la reprend officiellement à son compte et, à partir du 14 juillet 1880, elle figure sur les frontons des édifices publics, églises comprises parfois par la suite. Dans cette continuité, l’article 2 de notre Constitution de 1958 – qui reprend celui de la Constitution de 1946 – stipule : « La devise de la République est "Liberté, Égalité, Fraternité." » On ne saurait être plus clair, à condition de bien noter qu’il s’agit dans cette définition officielle de la « devise de la République », pas de celle de la France. La devise de la République est un symbole lorsqu’elle figure aux frontons des mairies, des écoles, des bâtiments publics. Mais, bien plus clairement que les autres symboles, qui sont concrets – Marianne, le drapeau, l’hymne –, elle est l’incarnation des valeurs fondamentales de la République traduites en mots abstraits, d’où les principes découlent, ou dont ils sont armés. Dès lors, cette triple déclinaison des valeurs principielles renvoie à l’imaginaire politique et social de la République. Si on transpose le schéma élaboré par Georges Duby pour comprendre l’imaginaire féodal en trois ordres, on peut dépeindre un imaginaire républicain en trois ordres lui aussi. De façon stimulante, dans cette peinture historique, on pourrait placer l’Égalité en premier… Voyons pourquoi.

La Liberté est l’initiale de la République, sa religion première. À la lettre et dans l’esprit, la Liberté est la première valeur énoncée dans la devise républicaine, la première aussi dans l’ordre du temps. Mais, à dire vrai, la Liberté était là avant Marianne. En effet, avant de songer à la République, les patriotes de 1789 rêvaient à la liberté, comme leurs cousins américains.

Ainsi, dans l’ordre du discours de la définition des droits universels de la DDHC, « Les hommes naissent et demeurent » d’abord « libres » avant d’être « égaux ».

Toutefois, bien loin d’en clore l’histoire, cette installation primordiale de la Liberté dans la définition de la démocratie ouvre le cycle des combats pour sa réalisation effective, pour la matérialisation des libertés en droits, souvent arrachés. Sur cette impulsion première, qui la précède mais qu’elle incarne, la République passe son temps à définir sa démocratie politique dans son rapport à la liberté, dans le rapport entre la société telle qu’elle évolue et la liberté. Les réglages sont constants, comme ceux qui concernent la liberté d’expression, posée en principe dès 1789 dans l’article 11 de la DDHC. Elle est traduite dans la grande loi de juillet 1881, consolidée depuis bien sûr mais qui reste appliquée encore de nos jours, car elle repose toujours sur les principes libéraux d’origine. Prenons le cas du blasphème, bon indicateur de l’état de liberté de conscience et d’expression d’une société développée. Il n’est évidemment pas un droit. Mais il n’est plus un délit, encore moins un crime depuis justement l’article 11 de 1789. Par la suite, les régimes antidémocratiques rétabliront le crime de blasphème, qui disparaîtra définitivement de nos lois en juillet 1881.

L’Égalité est la noblesse de la République. Au début du verbe républicain était l’Égalité. Du moins en France. En effet, c’est sur la revendication de l’égalité des droits politiques, la liberté en tête bien sûr, que les républicains ont forgé leur identité politique. Entre 1789 et 1792, la monarchie constitutionnelle n’a pas réussi à incarner cette égalité des droits politiques. Comme l’ordre noble, second ordre privilégié de l’Ancien Régime mais premier ordre social dans la France des rois, l’Égalité est en effet la première valeur dans l’ordre historique et social de la République, même si elle apparaît en second dans l’ordre honorifique de la devise républicaine. Il faut dire que la République elle-même est le régime second de la révolution française. Elle est née de l’échec de la monarchie constitutionnelle à étendre la liberté, les droits politiques, à tous. L’incapacité des constituants à mettre en pratique de façon démocratique la révolution des droits de l’homme, l’exclusion de fait de la très grande majorité des citoyens de l’exercice de la souveraineté nationale, a laissé la place au projet d’un autre régime, fondé sur l’égalité des droits. Ce n’est pas un hasard si jusqu’en 1848 le programme des républicains est d’abord le suffrage universel (masculin). La République des républicains français s’appelle donc Égalité. Cette équivalence est une construction historique propre à notre pays. Ce qui explique certains ressorts majeurs de notre culture politique. Si on traverse l’Atlantique, l’histoire de la République aux États-Unis est celle de la libération de la tutelle de l’État britannique, donc la République y est Liberté, historiquement.

Mais que l’on ne s’y trompe pas, une fois les choix de juin 1848 et des années 1870 opérés (qui répudient la République sociale des quarante-huitards et des communards), cette égalité est bien politique. La démocratisation de la République des Jules, Ferry en tête, est une démocratisation politique, pas sociale. L’objectif, c’est d’étendre les droits politiques à tous pour fabriquer des républicains, contre le césarisme qui dévoie la révolution, contre le monarchisme catholique qui refuse la révolution, contre la révolution sociale aussi. Ainsi, l’école de Jules Ferry ne promeut pas la démocratisation sociale (elle aurait même tendance à s’en méfier), mais œuvre de toutes ses forces à la républicanisation des enfants. Il n’est ainsi pas question de toucher à la séparation socio-scolaire entre lycée bourgeois et école du peuple. En revanche, l’État républicain ferryste fait tout pour cette démocratisation politique, au point d’aller à l’encontre de son libéralisme financier en fournissant un effort budgétaire conséquent pour fonctionnariser les instituteurs. Afin d’enraciner la démocratie politique à son image, l’école est le seul domaine où l’on puisse parler de politique culturelle de l’État républicain jusqu’en 1914. Dans l’entre-deux-guerres, les mots de l’Égalité républicaine changent de sens historique. En effet, à la suite des premières avancées de Jean Jaurès ou de Ferdinand Buisson, la République pense désormais l’Égalité comme sociale. Elle place, et c’est nouveau, la justice sociale au cœur de la démocratisation, au cœur de la réforme. Lorsque Jean Zay parle de réforme démocratique à la fin des années 1930, tout le monde traduit démocratisation sociale. Nous le faisons encore. La question de l’Égalité en République est devenue : comment construire une République sociale ? Et si ce n’est pas par la révolution, comment réformer la société pour la rendre plus juste ?

La Fraternité est l’enfant naturelle de la République, tardivement venue, son tiers état. La Liberté et l’Égalité, les grandes aînées, se mettent en droits, font leur lit dans la Loi, sont les compagnes légales des républicains, la garantie de leur Constitution. La Fraternité, valeur morale mais non juridique, ne vient ni de robe ni d’épée, mais de ce qui relie les hommes, elle est religion en somme (religere, « ce qui relie »). Religion civique, la Fraternité est la morale de l’histoire républicaine, celle qui, allant vers les autres, permet de dire que notre société a réussi sa composition française. À l’âge des nations – devenues corps social et politique de l’État –, c’est par elle que l’on mesure la qualité de cohésion de la communauté nationale. À l’aune de l’histoire française de la constitution de l’État et de la nation en République, le cadre de cette cohésion fraternelle, émancipatrice, a pris le nom de laïcité, depuis l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 jusqu’aux réglages de 1905 ou 2004.

Et l’école dans tout ça ? Elle convoque un passé historique où se déploient les valeurs de la République, particulièrement celle de l’Égalité à travers l’importance du mérite reconnu à tous, quelle que soit la condition sociale. Ouvrons un manuel d’histoire de la Belle Époque destiné aux écoliers, à la page consacrée à Charlemagne. On y trouve, ancrée dans ce si lointain haut Moyen Âge, la trace de la place primordiale de l’Égalité sociale grâce à l’école. Car dans cette rétroprojection, Charlemagne n’est pas seulement l’inventeur de l’école, mais le père de la méritocratie, c’est-à-dire celui de l’école des valeurs républicaines d’Égalité. En effet, dans les petits Lavisse par exemple, on trouve cette gravure si célèbre, ce cliché éducatif, montrant l’empereur en train de réprimander les enfants riches qui travaillent mal et de féliciter les enfants pauvres qui travaillent bien : quel que soit votre rang social, l’école républicaine reconnaîtra vos mérites nous dit le Charlemagne des républicains !

Olivier Loubes

DES FILMS POUR DÉBATTRE

Par les valeurs qu’ils expriment, de nombreux films peuvent permettre aux élèves de s’approprier les valeurs de la République et de débattre de l’exercice de la citoyenneté. Un travail autour de la fraternité pourra par exemple être fait à travers les films La Grande Illusion de Jean Renoir, Les Glaneurs et la Glaneuse d’Agnès Varda et Le Havre d’Aki Kaurismäki disponibles en téléchargement et en lecture sur le site Aux films, citoyens ! (accès réservé à la communauté éducative).

La Grande Illusion de Jean Renoir (1937)

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Extrait de La Grande Illusion de Jean Renoir (1937)

Extrait de 03 min 42 s.

Extrait (de 1 h 00 min 31 s à 1 h 04 min 12 s)

Situé dans la deuxième partie du film, cet extrait s’articule en deux séquences que tout ou presque oppose. Nous sommes en 1916. Suite à de nombreuses tentatives d’évasion, les officiers français prisonniers Maréchal (Jean Gabin) et de Boeldieu (Pierre Fresnay) ont été transférés dans une forteresse dans le sud de l’Allemagne, réputée inexpugnable, commandée par von Rauffenstein (Erich von Stroheim) où ils retrouvent le lieutenant français, Rosenthal (Marcel Dalio).

Une conversation s’engage entre von Rauffenstein et de Boeldieu. En quelques minutes, on comprend qu’ils appartiennent à l’aristocratie et partagent les mêmes idéaux et pratiques inhérents à la vieille noblesse. Ainsi, ils s’expriment en français, qui demeure la langue diplomatique, et en anglais, qui s’impose à l’aube du xxe siècle comme la langue des échanges internationaux. On observe par ailleurs une quasi-symétrie dans la plupart de leurs attitudes et gestes. Mais ce mimétisme a des limites : ils ne partagent pas les mêmes opinions. De Boeldieu est réaliste et pragmatique. Il est beaucoup plus sensible et perméable aux idées républicaines et à l’évolution de la société et de son temps alors que von Rauffenstein dresse un constat amer et pessimiste sur le devenir de leur classe sociale. Il est nostalgique et pathétique : il n’accepte pas la démocratisation de la société fondée sur le principe de l’égalité.

La seconde séquence s’articule autour de la conversation entre Maréchal et Rosenthal avant leur évasion. Cette séquence consacre la naissance d’une complicité fraternelle entre les deux personnages. Ils se font des confidences, notamment Maréchal sur de Boeldieu. Même en prison, les différences sociales ne s’effacent pas, les barrières subsistent. La scène reflète parfaitement leur conscience de classe : ils savent que, sans la guerre et la promiscuité de la détention, ils ne se seraient jamais fréquentés. Leurs rapports amicaux reposent sur la sincérité et la simplicité.

Pour Maréchal, peu importe les religions, les signes de richesse. L’essentiel pour lui est la générosité dont Rosenthal a fait preuve en captivité, ce dont lui est profondément reconnaissant. Cette amitié fraternelle faite d’entraide, de solidarité et de loyauté durera tout au long de leur évasion et, on l’imagine, bien au-delà.

Les Glaneurs et la Glaneuse d’Agnès Varda (2000)

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Extrait de Les Glaneurs et la Glaneuse d’Agnès Varda (2000)

Extrait de 02 min 46 s.

Extrait (de 28 min 42 s à 31 min 34 s).

Ce documentaire dresse un état des lieux de l’activité multiséculaire et protéiforme qu’est le glanage. Derrière ce synopsis, que d’aucuns pourraient trouver rébarbatif, se cache une création personnelle, drôle et fraternelle d’Agnès Varda, qui nous parle surtout de nous et de notre société.

Glaner signifie « ramasser après la moisson ». À partir de cette définition du dictionnaire, qui constitue le premier plan du film, Varda dresse une typologie des glanages. On glane les plantes qui montent – le grain, les choux –, tandis qu’on grappille les fruits qui tombent – les amandes, les figues –, comme l’expliquent avec beaucoup de sérieux Huguette, la tenancière du café, et ses clients. Mais on glane aussi, au sens figuré, des faits, des impressions, des émotions, des souvenirs, ou même, pourquoi pas, un mari à la mise improbable qu’on ne quittera plus…

Comme l’explique dans cet extrait l’avocat qu’Agnès Varda place en robe au milieu des choux, le glanage est une très vieille tradition, une attention portée aux pauvres gens qui peinaient à se nourrir. La loi l’a toujours autorisé pour ceux qui étaient dans le besoin et, par extension, pour tous.

Cependant, le glanage rencontre des résistances, dues à la mesquinerie des gens « chiches » qui n’ont « pas envie d’être gentils ». À la faveur d’un montage facétieux, à l’aide d’un faux raccord plein de sens, Varda propose le témoignage d’un producteur de figues « pas gentil », qui préfère laisser pourrir ses figues dans l’arbre plutôt que de les laisser glaner.

Le Havre d’Aki Kaurismäki (2011)

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Extrait de Le Havre d’Aki Kaurismäki (2011)

Extrait de 02 min 57 s.

Extrait (de 32 min 11 s à 35 min 09 s).

Marcel Marx (André Wilms), cireur de chaussures, vivote en laissant des ardoises un peu partout. Il vit avec sa femme Arletty (Kati Outinen) qui s’occupe de son intérieur. Un jour, l’équilibre de Marcel vacille. Arletty, gravement malade, est hospitalisée. Au même moment, sur le port, la police découvre un groupe de migrants africains enfermés dans un conteneur. Un jeune garçon, Idrissa (Blondin Miguel), échappe à la police. Marcel, qui l’a repéré, le nourrit discrètement et finit par le recueillir. Mais le mystérieux commissaire Monet (Jean-Pierre Darroussin), qui s’intéresse de près à l’enfant, rôde autour de Marcel. Cet extrait permet de réaffirmer la pauvreté et la générosité de Marcel. Cette scène fait écho à celle où il se dépouille de tout ce qu’il a pour laisser un sandwich et un billet dans un escalier. La scène est également l’occasion d’une joute entre Marcel et le commissaire, décidément troublant. Que veut Monet, avec tous ses sous-entendus ? Marcel est décontenancé. En réalité, il s’inscrit déjà dans le réseau fraternel et solidaire qui se met en place autour d’Idrissa, mais Marcel l’ignore.

C’est dans la scène suivante que la solidarité devient collective. Marcel passe devant la boulangerie d’Yvette et l’épicerie. On l’avait vu faire ce même trajet au début du film et se faire houspiller au sujet de ses dettes. Cette fois, les commerçants lui offrent, gracieusement, de quoi nourrir l’enfant. Et ce, sans un mot, sans que soit évoquée la véritable raison de ces dons soudains. C’est un réseau généreux et pudique. Chacun veut aider, à sa mesure.

De retour chez lui, Marcel trouve le garçon occupé à faire la vaisselle. Lui aussi veut aider, en remplaçant à sa manière Arletty. Marcel l’interroge sur ses origines, pour retrouver sa famille. Mais le spectateur n’aura jamais la réponse. Aki Kaurismäki, le réalisateur, signifie ainsi qu’il est inutile de connaître les raisons qui ont poussé Idrissa à quitter son pays. Il n’y a pas, pour le cinéaste, des « bons » et des « mauvais » migrants : il n’y a que des frères humains en détresse.