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ROUSSEAU Discours sur l’Origine et les Fondements de l’inégalité parmi les hommes

Lire : Jean-Jacques Rousseau
Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes

[bleu]Référence : Jean-Jacques Rousseau, DISCOURS SUR L’ORIGINE ET LES FONDEMENTS DE L’INÉGALITÉ PARMI LES HOMMES, in Collection complète des oeuvres, Genève, 1780-1789, vol. 1, in-4°, édition en ligne www.rousseauonline.ch, version du 7 octobre 2012.
QUESTION PROPOSEE PAR LʼACADEMIE DE DIJON

Cours :

Gaëtan DEMULIER, RousseauDiscours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes S’aider du cours et des textes pour répondre aux questions

APPROFONDIR /

 Henri Guillemin :
Jean-Jacques Rousseau 1. (1712-1778) par Henri Guillemin
Jean-Jacques Rousseau 2.
Dans cette première conférence, en date du 11 novembre 1972, c’est la pensée politique et sociale de Jean-Jacques Rousseau qui est abordée.

**INTRODUCTION : L’état de nature : une hypothèse

Première vidéo :COURS
"La problématique générale" du second Discours de Jean-Jacques ROUSSEAU, expliquée et commentée par Gaëtan DEMULIER dans son cours diffusé en visioconférence au lycée Jean-Pierre Vernant de Sèvres le 02 avril 2015

à la fin de l’exercice faire le point sur les notions au programme rencontrées et les notions repères.

***

I. Le sujet du discours.

Rousseau présente la question de l’Académie de Dijon (voir les circonstances de sa rédaction dans Les Confessions).
Quelle est lʼorigine de lʼinégalité parmi les Hommes, & si elle est autorisée par la loi naturelle ?

§1 C’est de l’homme que j’ai à parler, et la question que j’examine m’apprend que je vais parler des hommes ; car on n’en propose point de semblables quand on craint d’honorer la vérité. Je défendrai donc avec confiance la cause de l’humanité devant les sages qui m’y invitent, et je ne serai pas mécontent de moi-même si je me rends digne de mon sujet et de mes juges.
§2 Je conçois dans l’espèce humaine deux sortes d’inégalité, l’une, que j’appelle naturelle ou
physique, parce qu’elle est établie par la nature, et qui consiste dans la différence d’âges, de la santé, des forces du corps et des qualités de l’esprit, ou de l’âme, l’autre, qu’on peut appeler inégalité morale ou politique, parce qu’elle dépend d’une sorte de convention, et qu’elle est établie, ou du moins autorisée, par le consentement des hommes. Celle-ci consiste dans les différents privilèges, dont quelques-uns jouissent, au préjudice des autres ; comme d’être plus riches, plus honorés, plus puissants qu’eux, ou même de s’en faire obéir.
§3 On ne peut pas demander quelle est la source de l’inégalité naturelle, parce que la réponse se
trouverait énoncée dans la simple définition du mot. On peut encore moins chercher s’il n’y aurait point quelque liaison essentielle entre les deux inégalités ; car ce serait demander, en d’autres termes, si ceux qui commandent valent nécessairement mieux que ceux qui obéissent, et si la force du corps ou de l’esprit, la sagesse ou la vertu, se trouvent toujours dans les mêmes individus, en proportion de la puissance, ou de la richesse : question bonne peut-être à agiter entre des esclaves entendus de leurs maîtres, mais qui ne convient pas à des hommes raisonnables et libres, qui cherchent la vérité.
§4 De quoi s’agit-il donc précisément dans ce Discours ? De marquer dans le progrès des choses le moment où, le droit succédant à la violence, la nature fut soumise à la loi ; d’expliquer par quel enchaînement de prodiges le fort put se résoudre à servir le faible, et le peuple à acheter un repos en idée, au prix d’une félicité réelle
  • Montrer comment ce texte construit une problématique :
  • A quel tribunal s’en remet Rousseau ?
  • Pourquoi ce passage distingue-t-il entre « question » et « problème » ?
  • Qu’est-ce que Rousseau reproche à la question posée par l’Académie de Dijon ? Expliquez : On ne peut pas demander quelle est la source de l’inégalité naturelle, parce que la réponse se trouveroit énoncée dans la simple définition du mot.
  • A partir de là, préciser en quoi consiste un questionnement philosophique. Les évidences sont-elles trompeuses ?
  • A quoi s’oppose ici la « nature » ?
  • Quel sens donne-t-il aux inégalités naturelles ?
  • Quels exemples donne-t-il ?
  • Montrer en quoi la concurrence et la compétitivité expliquent les inégalités politiques et morales ?
  • Quel est le sens du mot privilège ?
  • Pourquoi l’apparition d’une forme de société est le fruit des « circonstances » ? N’y-a-t-il qu’une forme de société ?
  • Peut-on concevoir une égalité entre les hommes malgré leurs différence
  • Si toutes les différences sont naturelles quelle conséquence est soulignée par Rousseau ?
  • Pourquoi le peuple s’achète-t-il un « repos en idée » ?

Rédiger une introduction présentant le problème dont Rousseau va parler. Quelle est la différence entre « question » et « problème » ?

APPROFONDIR [violet]Sur l’hypothèse de l’état de nature[/violet]
- Hobbes
- Newton
Par Sir Isaac Newton
- Les sciences naturelles au Museum d’histoire naturelle : partir à la rencontre de quelques grands savants qui se sont succédés au Muséum pendant deux siècles et dont différentes sculptures, statues ou hommages (arbres, plaques de rues...) - visibles dans le Jardin des Plantes - témoignent de leurs riches contributions : Buffon, Lamarck, Cuvier, Linné...
- Buffon (1707 –1788)) découvre le temps comme « grand ouvrier de la Nature » et entrevoit une sorte d’évolution dans la « dégénération des animaux ».
Le site Internet www.buffon.cnrs.fr est consacré à l’œuvre de Georges-Louis Leclerc, Comte de Buffon.
Histoire naturelle générale et particulière
Tome premier :
- Erasmus Darwin, grand père de Charles Darwin : poète, il écrit sur les amours des plantes. Médecin, il classe les maladies selon la classification de Linné. Dans son ouvrage Zoonomia il rompt avec le dogme de la création.
- Jean Baptiste de Lamarck (1744-1829) : naturaliste, d’abord fixiste, auteur de la première flore française (1770). Obtient à 49 ans une chaire au Muséum d’Histoire Naturelle, chargé des mollusques. En étudiant les fossiles du bassin parisien, constate de nombreuses ressemblances avec les mollusques actuels et conclut que les espèces fossiles ne sont pas éteintes mais ont évolué au cours des temps. Dans son ouvrage Philosophie zoologique (1809) il expose sa théorie transformiste : la fonction crée l’organe et l’espèce se modifie sous la contrainte du milieu (le cou de la girafe s’est allongé pour atteindre les branches hautes). Il est l’inventeur des mots biologie et invertébré.
- Cuvier (1769-1832) : royaliste, fils de pasteur, résolument fixiste. Fondateur de la paléontologie et inventeur du principe de la corrélation des formes, qui permet de reconstituer un animal à partir de ses débris. Un des fondateurs de l’anatomie comparée, auteur d’une classification du règne animal en ordre, famille, genre et espèce. Ses travaux ont fourni de la matière à Darwin, mais il l’a toujours résolument combattu.

** I. L’homme de l’état de nature

« je ne suivrai point son organisation à travers ses développements successifs »

  • Pourquoi Rousseau refuse-t-il une explication chronologique ?
  • En quoi le temps historique est-il cause du malheur des hommes ?
  • Pourquoi ce refus de prendre appui sur l’histoire naturelle ?

Expliquer : « Je ne pourrois former sur ce sujet que des conjectures vagues & presque imaginaires"

« En dépouillant cet être, ainsi constitué de tous les dons surnaturels qu’il a pu recevoir, & de toutes les facultés artificielles, qu’il n’a pu acquérir que par de longs progres ; en le considérant, en un mot, tel qu’il a dû sortir des mains de la nature, je vois un animal moins fort que les uns, moins agile que les autres, mais à tout prendre, organisé le plus avantageusement de tous : je le vois se rassasiant sous un chêne, se désaltérant au premier ruisseau, trouvant son lit au pied du même arbre qui lui a fourni son repas, & voilà ses besoins satisfaits.

Questions

  • La nature humaine selon Rousseau est soumise à la transformation par les circonstances. De ce fait elle relève d’une longue histoire. Elle ne se trouve pas par l’observation du "bon sauvage" tel que le définit par exemple Diderot. Quelle est la méthode de Rousseau ?
  • Cette méthode produit "l’homme de l’homme". Expliquer.
  • Pour construire l’hypothèse de l’état de nature, il opère une « soustraction ». Expliquer.
  • En quoi l’histoire est rejetée par Rousseau ?
  • en quoi rejette-t-il le péché originel ?
  • Expliquer à partir de ce texte de Claude Lévi Strauss en quoi Rousseau est et n’est pas un ethnologue :
"Sans crainte d’être démenti, on peut affirmer que cette ethnologie qui n’existait pas encore, il [Rousseau] l’avait, un plein siècle avant qu’elle ne fit son apparition, conçue, voulue et annoncée, la mettant d’emblée à son rang parmi les sciences naturelles et humaines déjà constituées ; et qu’il avait même deviné sous quelle forme pratique – grâce au mécénat individuel ou collectif – il lui serait donné de faire ses premiers pas. Cette prophétie, qui est en même temps un plaidoyer, occupe une longue note du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, (note j). […] Rousseau ne s’est pas borné à prévoir l’ethnologie, il l’a fondée. D’abord de façon pratique, en écrivant ce Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes qui pose le problème des rapports entre la nature et la culture, et où l’on peut voir le premier traité d’ethnologie générale ; et ensuite, sur le plan théorique, en distinguant, avec une clarté et une concision admirables, l’objet propre de l’ethnologue de celui du moraliste et de l’historien : « Quand on veut étudier les hommes, il faut regarder près de soi ; mais pour étudier l’homme, il faut apprendre à porter sa vue au loin ; il faut d’abord observer les différences pour découvrir les propriétés. »

(Essai sur l’origine des langues, chap. VIII.) Claude Levi-Strauss, Jean-Jacques Rousseau, fondateur des sciences de l’homme. In Anthropologie structurale II, Plon
Si ce travail d’ethnologie était la seule intention de Rousseau, on ne comprendrait pas pourquoi il interroge en même temps la question des fondements. Rousseau est aussi philosophe. Il ne cherche pas à construire un quelconque culturalisme qui aboutirait à un relativisme.

** II. L’homme physique

COURS Deuxième vidéo :
Portrait physique de l’homme dans l’état de nature

3§ La terre abandonnée à sa fertilité naturelle (Note 4), et couverte de forêts immenses que la cognée ne mutila jamais, offre à chaque pas des magasins et des retraites aux animaux de toute espèce. Les hommes dispersés parmi eux observent, imitent leur industrie, et s’élèvent ainsi jusqu’à l’instinct des bêtes, avec cet avantage que chaque espèce n’a que le sien propre, et que l’homme n’en ayant peut-être aucun qui lui appartienne, se les approprie tous, se nourrit également de la plupart des aliments divers (Note 5) que les autres animaux se partagent, et trouve par conséquent sa subsistance plus aisément que ne peut faire aucun d’eux.
4§ Accoutumés dès l’enfance aux intempéries de l’air, et à la rigueur des saisons, exercés, à la
fatigue, et forcés de défendre nus et sans armes leur vie et leur proie contre les autres bêtes féroces, ou de leur échapper à la course, les hommes se forment un tempérament robuste et presque inaltérable. Les enfants, apportant au monde l’excellente constitution de leurs pères, et la fortifiant par les mêmes exercices qui l’ont produite, acquièrent ainsi toute la vigueur dont l’espèce humaine est capable. La nature en use précisément avec eux comme la loi de Sparte avec les enfants des citoyens ; elle rend forts et robustes ceux qui sont bien constitués et fait périr tous les autres ; différente en cela de nos sociétés, où l’Etat, en rendant les enfants onéreux aux pères, les tue indistinctement avant leur naissance.
  • Quelle est la différence fondamentale avec le mythe du Protagoras de Platon ?
  • A quoi tient l’harmonie de l’homme et de la nature ?
  • Pourquoi n’-t-il pas besoin de l’outil ?
  • Expliquer pourquoi il n’y a aucune réflexion, ni passé, ni futur, mais un repli sur "l’ici et le maintenant".
TEXTE DE PLATON extrait du Protagoras
« Il fut un temps où les dieux existaient déjà, mais où les races mortelles n’existaient pas. Lorsque [320d] fut venu le temps de leur naissance, fixé par le destin, les dieux les façonnent à l’intérieur de la terre, en réalisant un mélange de terre, de feu et de tout ce qui se mêle au feu et à la terre. Puis, lorsque vint le moment de les produire à la lumière, ils chargèrent Prométhée et Épiméthée de répartir les capacités entre chacune d’entre elles, en bon ordre, comme il convient. Épiméthée demande alors avec insistance à Prométhée de le laisser seul opérer la répartition : « Quand elle sera faite, dit-il, tu viendras la contrôler. »
 
L’ayant convaincu de la sorte, il opère la répartition. Et dans sa répartition, il dotait les uns de force sans vitesse et [320e] donnait la vitesse aux plus faibles ; il armait les uns et, pour ceux qu’il dotait d’une nature sans armes, il leur ménageait une autre capacité de survie. A ceux qu’il revêtait de petitesse, il donnait des ailes pour qu’ils puissent s’enfuir ou bien un repaire souterrain ; ceux dont il augmentait la taille [321a] voyaient par là même leur sauvegarde assurée ; et dans sa répartition, il compensait les autres capacités de la même façon.
 
Il opérait de la sorte pour éviter qu’aucune race ne soit anéantie ; après leur avoir assuré des moyens d’échapper par la fuite aux destructions mutuelles, il s’arrangea pour les prémunir contre les saisons de Zeus : il les recouvrit de pelages denses et de peaux épaisses, protections suffisantes pour l’hiver, mais susceptibles aussi de les protéger des grandes chaleurs, et constituant, lorsqu’ils vont dormir, une couche adaptée et naturelle pour chacun ; il chaussa les uns [321b] de sabots, les autres de peaux épaisses et vides de sang. Ensuite, il leur procura à chacun une nourriture distincte, aux uns l’herbe de la terre, aux autres les fruits des arbres, à d’autres encore les racines ; il y en a à qui il donna pour nourriture la chair d’autres animaux ; à ceux-là, il accorda une progéniture peu nombreuse, alors qu’à leurs proies il accorda une progéniture abondante, assurant par là la sauvegarde de leur espèce.
 
Cependant, comme il n’était pas précisément sage, Épiméthée, [321c] sans y prendre garde, avait dépensé toutes les capacités pour les bêtes, qui ne parlent pas ; il restait encore la race humaine, qui n’avait rien reçu, et il ne savait pas quoi faire.
 
Alors qu’il était dans l’embarras, Prométhée arrive pour inspecter la répartition, et il voit tous les vivants harmonieusement pourvus en tout, mais l’homme nu, sans chaussures, sans couverture, sans armes. Et c’était déjà le jour fixé par le destin, où l’homme devait sortir de terre et paraître à la lumière. Face à cet embarras, ne sachant pas comment il pouvait préserver [321d] l’homme, Prométhée dérobe le savoir technique d’Héphaïstos et d’Athéna, ainsi que le feu - car, sans feu, il n’y avait pas moyen de l’acquérir ni de s’en servir -, et c’est ainsi qu’il en fait présent à l’homme. De cette manière, l’homme était donc en possession du savoir qui concerne la vie, mais il n’avait pas le savoir politique ; en effet, celui-ci se trouvait chez Zeus. Or Prométhée n’avait plus le temps d’entrer dans l’acropole où habite Zeus, et il y avait en plus les gardiens de Zeus, qui étaient redoutables ; mais il parvient à [321e] s’introduire sans être vu dans le logis commun d’Héphaïstos et d’Athéna, où ils aimaient à pratiquer leurs arts, il dérobe l’art du feu, qui appartient à Héphaïstos, ainsi que l’art d’Athéna, et il en fait présent à l’homme. C’est ainsi que l’homme se retrouva bien pourvu pour sa vie, et que, par la suite, à cause d’Épiméthée, [322a] Prométhée, dit-on, fut accusé de vol.
 
Puisque l’homme avait sa part du lot divin, il fut tout d’abord, du fait de sa parenté avec le dieu, le seul de tous les vivants à reconnaître des dieux, et il entreprit d’ériger des autels et des statues de dieux ; ensuite, grâce à l’art , il ne tarda pas à émettre des sons articulés et des mots, et il inventa les habitations, les vêtements, les chaussures, les couvertures et les aliments qui viennent de la terre. Ainsi équipés, les hommes vivaient à l’origine dispersés, et [322b] il n’y avait pas de cités ; ils succombaient donc sous les coups des bêtes féroces, car ils étaient en tout plus faibles qu’elles, et leur art d’artisans, qui constituait une aide suffisante pour assurer leur nourriture, s’avérait insuffisant dans la guerre qu’ils menaient contre les bêtes sauvages. En effet, ils ne possédaient pas encore l’art politique, dont l’art de la guerre est une partie. Ils cherchaient bien sûr à se rassembler pour assurer leur sauvegarde en fondant des cités. Mais à chaque fois qu’ils étaient rassemblés, ils se comportaient d’une manière injuste les uns envers les autres, parce qu’ils ne possédaient pas l’art politique, de sorte que, toujours, ils se dispersaient à nouveau et périssaient. Aussi Zeus, de peur que [322c] notre espèce n’en vînt à périr tout entière, envoie Hermès apporter à l’humanité la Vergogne et la Justice, pour constituer l’ordre des cités et les liens d’amitié qui rassemblent les hommes. Hermès demande alors à Zeus de quelle façon il doit faire don aux hommes de la Justice et de la Vergogne : « Dois-je les répartir de la manière dont les arts l’ont été ? Leur répartition a été opérée comme suit : un seul homme qui possède l’art de la médecine suffit pour un grand nombre de profanes, et il en est de même pour les autres artisans. Dois-je répartir ainsi la Justice et la Vergogne entre les hommes, ou dois-je les répartir entre tous ? » Zeus répondit : [322d] « Répartis-les entre tous, et que tous y prennent part ; car il ne pourrait y avoir de cités, si seul un petit nombre d’hommes y prenaient part, comme c’est le cas pour les autres arts ; et instaure en mon nom la loi suivante : qu’on mette à mort, comme un fléau de la cité, l’homme qui se montre incapable de prendre part à la Vergogne et à la justice. »
 
C’est ainsi, Socrate, et c’est pour ces raisons, que les Athéniens comme tous les autres hommes, lorsque la discussion porte sur l’excellence en matière d’architecture ou dans n’importe quel autre métier, ne reconnaissent qu’à peu de gens le droit de participer au conseil, et ne [322e] tolèrent pas, comme tu le dis, que quelqu’un tente d’y participer sans faire partie de ce petit nombre ; ce qui est tout à fait normal, comme je le dis, moi ; lorsqu’en revanche, il s’agit de [323a] chercher conseil en matière d’excellence politique, chose qui exige toujours sagesse et justice, il est tout à fait normal qu’ils acceptent que tout homme prenne la parole, puisqu’il convient à chacun de prendre part à cette excellence - sinon, il n’y aurait pas de cités. Voilà donc, Socrate, la cause de ce fait. »

Platon, Protagoras, 320c-323a Trad. Frédérique Ildefonsse, GF p.84-87

**III. L’homme métaphysique

COURS Troisième vidéo :
Portrait métaphysique de l’homme dans l’état de nature

***Liberté et perfectibilité

La différence anthropologique. Qu’est-ce que l’homme a de plus que l’animal ?
Dans la vision traditionnelle ce serait la raison et le langage. L’homme animal rationnel doué de raison, telle est la définition d’Aristote. Selon Rousseau l’homme a développé ces qualités par contingence et non par nécessité.
Rousseau va déplacer la différence du côté de la liberté. A cela, il va ajouter la perfectibilité.
 
Si la raison est puissance productrice des idées, l’originalité de Rousseau va être de montrer que toutes les idées découlent des sensations. La raison est juste un plus qualitatif mais pas une différence fondamentale entre l’homme et l’animal, ce dernier étant capable de produire aussi des idées à partir de l’impression sensible.
 
l’animal est gouverné par l’instinct : il ne peut pas prendre de recul vis à vis de ses besoins. L’homme au contraire peut décider de la suite qu’il donnera aux désirs et besoins.
 
A cette liberté Rousseau ajoute la capacité pour l’homme de s’inventer. La nature humaine n’est ainsi qu’une destination. L’homme a inventé la raison, le langage...par ce principe de perfectibilité.

Dégager les arguments de Rousseau dans le texte :

§15 Tout animal a des idées puisqu’il a des sens, il combine même ses idées jusqu’à un certain point, et l’homme ne diffère à cet égard de la bête que du plus au moins. Quelques philosophes ont même avancé qu’il y a plus de différence de tel homme à tel homme que de tel homme à telle bête ; ce n’est donc pas tant l’entendement qui fait parmi les animaux la distinction spécifique de l’homme que sa qualité d’agent libre. La nature commande à tout animal, et la bête obéit. L’homme éprouve la même impression, mais il se reconnaît libre d’acquiescer, ou de résister ; et c’est surtout dans la conscience de cette liberté que se montre la spiritualité de son âme : car la physique explique en quelque manière le mécanisme des sens et la formation des idées ; mais dans la puissance de vouloir ou plutôt de choisir, et dans le sentiment de cette puissance on ne trouve que des actes purement spirituels, dont on n’explique rien par les lois de la mécanique.
§16 Mais, quand les difficultés qui environnent toutes ces questions, laisseraient quelque lieu de
disputer sur cette différence de l’homme et de l’animal, il y a une autre qualité très spécifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation, c’est la faculté de se perfectionner ; faculté qui, à l’aide des circonstances, développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l’espèce que dans l’individu, au lieu qu’un animal est, au bout des quelques mois, ce qu’il sera toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce qu’elle était la première année de ces mille ans. Pourquoi l’homme seul est-il sujet à devenir imbécile ? N’est-ce point qu’il retourne ainsi dans son état primitif, et que, tandis que la bête, qui n’a rien acquis et qui n’a rien non plus à perdre, reste toujours avec son instinct, l’homme reperdant par la vieillesse ou d’autres accidents tout ce que sa perfectibilité lui avait fait acquérir, retombe ainsi plus bas que la bête même ? Il serait triste pour nous d’être forcés de convenir, que cette faculté distinctive, et presque illimitée, est la source de tous les malheurs de l’homme ; que c’est elle qui le tire, à force de temps, de cette condition originaire, dans laquelle il coulerait des jours tranquilles et innocents ; que c’est elle, qui faisait éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses vices et ses vertus, le rend à la longue le tyran de lui-même et de la nature. Il serait affreux d’être obligés de louer comme un être bienfaisant celui qui le premier suggéra à l’habitant des rives de l’Orénoque l’usage de ces ais qu’il applique sur les tempes des enfants, et qui leur assurent du moins une partie de leur imbécillité, et de leur bonheur originel.
  1. Pourquoi la perfectibilité n’est-elle pas la perfection ?
  2. Pourquoi notre nature n’est-elle jamais achevée ?
  3. expliquer ce paradoxe : la nature humaine ne s’enferme dans aucune nature.

***Les idées générales

§27 On doit juger que les premiers mots, dont les hommes firent usage, eurent dans leur esprit une signification beaucoup plus étendue que n’ont ceux qu’on emploie dans les langues déjà formées, et qu’ignorant la division du discours en ses parties constitutives, ils donnèrent d’abord à chaque mot le sens d’une proposition entière. Quand ils commencèrent à distinguer le sujet d’avec l’attribut, et le verbe d’avec le nom, ce qui ne fut pas un médiocre effort de génie, les substantifs ne furent d’abord qu’autant de noms propres, l’infinitif fut le seul temps des verbes, et à l’égard des adjectifs la notion ne s’en dut développer que fort difficilement, parce que tout adjectif est un mot abstrait, et que les abstractions sont des opérations pénibles, et peu naturelles.
§28 Chaque objet reçut d’abord un nom particulier, sans égard aux genres, et aux espèces, que
ces premiers instituteurs n’étaient pas en état de distinguer ; et tous les individus se présentèrent isolés à leur esprit, comme ils le sont dans le tableau de la nature. Si un chêne s’appelait A, un autre chêne s’appelait B : de sorte que plus les connaissances étaient bornées, et plus le dictionnaire devint étendu. L’embarras de toute cette nomenclature ne put être levé facilement : car pour ranger les êtres sous des dénominations communes, et génériques, il en fallait connaître les propriétés et les différences ; il fallait des observations, et des définitions, c’est-à-dire, de l’histoire naturelle et de la métaphysique, beaucoup plus que les hommes de ce temps-là n’en pouvaient avoir.
§29 D’ailleurs, les idées générales ne peuvent s’introduire dans l’esprit qu’à l’aide des mots, et
l’entendement ne les saisit que par des propositions. C’est une des raisons pour quoi les animaux ne
sauraient se former de telles idées, ni jamais acquérir la perfectibilité qui en dépend. Quand un singe va sans hésiter d’une noix de l’autre, pense-t-on qu’il ait l’idée générale de cette sorte de fruit, et qu’il compare son archétype à ces deux individus ? Non sans doute ; mais la vue de l’une de ces noix rappelle à sa mémoire les sensations qu’il a reçues de l’autre, et ses yeux, modifiés d’une certaine manière, annoncent à son goût la modification qu’il va recevoir. Toute idée générale est purement intellectuelle ; pour peu que l’imagination s’en mêle, l’idée devient aussitôt particulière. Essayez de vous tracer l’image d’un arbre en général, jamais vous n’en viendrez à bout, malgré vous il faudra le voir petit ou grand, rare ou touffu, clair ou foncé, et s’il dépendait de vous de n’y voir que ce qui se trouve en tout arbre, cette image ne ressemblerait plus à un arbre. Les êtres purement abstraits se voient de même, ou ne se conçoivent que par le discours. La définition seule du triangle vous en donne la véritable idée : sitôt que vous en figurez un dans votre esprit, c’est un tel triangle et non pas un autre, et vous ne pouvez éviter d’en rendre les lignes sensibles ou le plan coloré. Il faut donc énoncer des propositions, il faut donc parler pour avoir des idées générales ; car sitôt que l’imagination s’arrête, l’esprit ne marche plus qu’à l’aide du discours. Si donc les premiers inventeurs n’ont pu donner des noms qu’aux idées qu’ils avaient déjà, il s’ensuit que les premiers substantifs n’ont pu jamais être que des noms propres

**IV. L’homme moral

Quatrième vidéo :
Portrait moral de l’homme dans l’état de nature

***La bonté naturelle

  1. De quoi l’abondance naturelle dispense les hommes de former société ? Comparer avec La République II de Platon.
  2. En quoi la solitude est-elle ici harmonieuse ?
  3. Comment penser une vie sans institution familiale ? Expliquer la distinction entre la rencontre en vue de la reproduction et l’amour. Qu’est-ce qui manque à l’homme naturel pour aimer ? Voir à ce propos Contrat Social, II, 1
  4. Hobbes dépeint l’état de nature comme hostilité et lutte à mort : désir d’appropriation et orgueil. Pour Rousseau l’état de nature est indifférence. Expliquer.
  5. Pourquoi n’y-a-t-il aucune notion de sa valeur ?
  6. Quelle est l’erreur logique de Hobbes ?

TEXTES A METTRE EN PERSPECTIVE :

ARISTOTE, Politiques, I
Dans l’origine, en effet, toutes les familles isolées se gouvernaient ainsi. De là encore cette opinion commune qui soumet les dieux à un roi ; car tous les peuples ont eux-mêmes jadis reconnu ou reconnaissent encore l’autorité royale, et les hommes n’ont jamais manqué de donner leurs habitudes aux dieux, de même qu’ils les représentent à leur image.
 
L’association de plusieurs villages forme un état complet, arrivé, l’on peut dire, à ce point de se suffire absolument à lui-même, né d’abord des besoins de la vie, et subsistant parce qu’il les satisfait tous.
 
Ainsi l’État vient toujours de la nature, aussi bien que les premières associations, dont il est la fin dernière ; car la nature de chaque chose est précisément sa fin ; et ce qu’est chacun des êtres quand il est parvenu à son entier développement, on dit que c’est là sa nature propre, qu’il s’agisse d’un homme, d’un cheval, ou d’une famille. On peut ajouter que cette destination et cette fin des êtres est pour eux le premier des biens ; [1253a] et se suffire à soi-même est à la fois un but et un bonheur.
 
De là cette conclusion évidente, que l’état est un fait de nature, que naturellement l’homme est un être sociable, et que celui qui reste sauvage par organisation, et non par l’effet du hasard, est certainement, ou un être dégradé, ou un être supérieur à l’espèce humaine. C’est bien à lui qu’on pourrait adresser ce reproche d’Homère :
 
Sans famille, sans lois, sans foyer…
 
L’homme qui serait par nature tel que celui du poète ne respirerait que la guerre ; car il serait alors incapable de toute union, comme les oiseaux de proie.
 
Si l’homme est infiniment plus sociable que les abeilles et tous les autres animaux qui vivent en troupe, c’est évidemment, comme je l’ai dit souvent, que la nature ne fait rien en vain. Or, elle accorde la parole à l’homme exclusivement. La voix peut bien exprimer la joie et la douleur ; aussi ne manque-t-elle pas aux autres animaux, parce que leur organisation va jusqu’à ressentir ces deux affections et à se les communiquer. Mais la parole est faite pour exprimer le bien et le mal, et, par suite aussi, le juste et l’injuste ; et l’homme a ceci de spécial, parmi tous les animaux, que seul il conçoit le bien et le mal, le juste et l’injuste, et tous les sentiments de même ordre, qui en s’associant constituent précisément la famille et l’État.
 
On ne peut douter que l’État ne soit naturellement au-dessus de la famille et de chaque individu ; car le tout l’emporte nécessairement sur la partie, puisque, le tout une fois détruit, il n’y a plus de parties, plus de pieds, plus de mains, si ce n’est par une pure analogie de mots, comme on dit une main de pierre ; car la main, séparée du corps, est tout aussi peu une main réelle. Les choses se définissent en général par les actes qu’elles accomplissent et ceux qu’elles peuvent accomplir ; dès que leur aptitude antérieure vient à cesser, on ne peut plus dire qu’elles sont les mêmes ; elles sont seulement comprises sous un même nom.
 
Ce qui prouve bien la nécessité naturelle de l’état et sa supériorité sur l’individu, c’est que, si on ne l’admet pas, l’individu peut alors se suffire à lui-même dans l’isolement du tout, ainsi que du reste des parties ; or, celui qui ne peut vivre en société, et dont l’indépendance n’a pas de besoins, celui-là ne saurait jamais être membre de l’état. C’est une brute ou un dieu.
 
Donc, la nature pousse instinctivement tous les hommes à l’association politique. Le premier qui l’institua rendit un immense service ; car, si l’homme, parvenu à toute sa perfection, est le premier des animaux, il en est bien aussi le dernier quand il vit sans lois et sans justice. Il n’est rien de plus monstrueux, en effet, que l’injustice armée. Mais l’homme a reçu de la nature les armes de la sagesse et de la vertu, qu’il doit surtout employer contre ses passions mauvaises. Sans la vertu, c’est l’être le plus pervers et le plus féroce ; il n’a que les emportements brutaux de l’amour et de la faim. La justice est une nécessité sociale ; car le droit est la règle de l’association politique, et la décision du juste est ce qui constitue le droit.
Extrait de La République de Platon (Livre II, 369b-370a)
SOCRATE – Ce qui donne naissance à une cité, repris-je, c’est, je crois, l’impuissance où se trouve chaque individu de se suffire à lui-même, et le besoin qu’il éprouve d’une foule de choses ; ou bien penses-tu qu’il y ait quelque autre cause à l’origine d’une cité ?
 
ADIMANTE – Aucune, répondit-il.
 
S – Ainsi donc, un homme prend avec lui un autre homme pour tel emploi, un autre encore pour tel autre emploi, et la multiplicité des besoins assemble en une même résidence un grand nombre d’associés et d’auxiliaires ; à cet établissement commun nous avons donné le nom de cité, n’est-ce pas ?
 
A – Parfaitement.
 
S – Mais quand un homme donne et reçoit, il agit dans la pensée que l’échange se fait à son avantage.
 
A – Sans doute.
 
S – Eh bien donc ! repris-je, jetons par la pensée les fondements d’une cité ; ces fondements seront apparemment, nos besoins.
 
A – Sans contredit.
 
S – Le premier et le plus important de tous est celui de la nourriture, d’où dépend la conservation de notre être et de notre vie.
 
A – Assurément.
 
S – Le second est celui du logement ; le troisième celui du vêtement et de tout ce qui s’y rapporte.
 
A – C’est cela.
 
S – Mais voyons ! dis-je, comment une cité suffira-t-elle à fournir tant de choses ? Ne faudra-t-il pas que l’un soit agriculteur, l’autre maçon, l’autre tisserand ? Ajouterons-nous encore un cordonnier ou quelque autre artisan pour les besoins du corps ? – Certainement. – Donc, dans sa plus stricte nécessité, la cité sera composée de quatre ou cinq hommes.
 
A – Il le semble.
 
S – Mais quoi ? faut-il que chacun remplisse sa propre fonction pour toute la communauté, que l’agriculteur, par exemple, assure à lui seul la nourriture de quatre, dépense à faire provision de blé quatre fois plus de temps et de peine, et partage avec les autres, ou bien, ne s’occupant que de lui seul, faut-il qu’il produise le quart de cette nourriture dans le quart de temps des trois autres quarts, emploie l’un à se pourvoir d’habitation, l’autre de vêtements, l’autre de chaussures, et, sans se donner du tracas pour la communauté, fasse lui-même ses propres affaires ? […]
 
A – Peut-être, Socrate, la première manière serait-elle plus commode.
 
S – Par Zeus, repris-je, ce n’est point étonnant. Tes paroles, en effet, me suggérent cette réflexion que, tout d’abord, la nature n’a pas fait chacun de nous semblable à chacun, mais différent d’aptitudes, et propre à telle ou telle fonction. Ne le penses-tu pas ?
 
A – Si.
 
S – Mais quoi ? dans quel cas travaille-t-on mieux, quand on exerce plusieurs métiers ou un seul ?
 
A – Quand, dit-il, on n’en exerce qu’un seul.
 
S – Il est encore évident, ce me semble, que, si on laisse passer l’occasion de faire une chose, cette chose est manquée.
 
A – C’est évident, en effet.
 
S – Car l’ouvrage, je pense, n’attend pas le loisir de l’ouvrier, mais c’est l’ouvrier qui, nécessairement, doit régler son temps sur l’ouvrage au lieu de le remettre à ses moments perdus.
 
A – Nécessairement.
 
S – Par conséquent on produit toutes choses en plus grand nombre, mieux et plus facilement, lorsque chacun, selon ses aptitudes et dans le temps convenable, se livre à un seul travail étant dispensé de tous les autres.

 Quels arguments oppose Adam Smith, ci-dessous, à Rousseau ?

Il n’est pas de notre sujet d’examiner si ce penchant est un de ces premiers principes de, la nature humaine dont on ne peut pas rendre compte, ou bien, comme cela paraît plus probable, s’il est une conséquence nécessaire de l’usage de la raison et de la parole. Il est commun à tous les hommes, et on ne l’aperçoit dans aucune autre espèce d’animaux, pour lesquels ce genre de contrat est aussi inconnu que tous les autres. Deux lévriers qui courent le même lièvre ont quelquefois l’air d’agir de concert. Chacun d’eux renvoie le gibier vers son compagnon ou bien tâche de le saisir au passage quand il le lui renvoie. Ce n’est toutefois l’effet d’aucune convention entre ces animaux, mais seulement celui du concours accidentel de leurs passions vers un même objet. On n’a jamais vu de chien faire de propos délibéré l’échange d’un os avec un autre chien. On n’a jamais vu d’animal chercher à faire entendre à un autre par sa voix ou ses gestes : Ceci est à moi, cela est à toi ; je te donnerai l’un pour l’autre. Quand un animal veut obtenir quelque chose d’un autre animal ou d’un homme, il n’a pas d’autre moyen que de chercher à gagner la faveur de celui dont il a besoin. Le petit caresse sa mère, et le chien qui assiste au dîner de son maître s’efforce par mille manières d’attirer son attention pour en obtenir à manger. L’homme en agit quelquefois de même avec ses semblables, et quand il n’a pas d’autre voie pour les engager à faire ce qu’il souhaite, il tâche de gagner leurs bonnes grâces par des flatteries et des attentions serviles. Il n’a cependant pas toujours le temps de mettre ce moyen en œuvre. Dans une société civilisée, il a besoin à tout moment de l’assistance et du concours d’une multitude d’hommes, tandis que toute sa vie suffirait à peine pour lui gagner l’amitié de quelques personnes. Dans presque toutes les espèces d’animaux, chaque individu, quand il est parvenu à sa pleine croissance, est tout à fait indépendant et, tant qu’il reste dans son état naturel, il peut se passer de l’aide de toute autre créature vivante. Mais l’homme a presque continuellement besoin du secours de ses semblables, et c’est en vain qu’il l’attendrait de leur seule bienveillance. Il sera bien plus sûr de réussir, s’il s’adresse à leur intérêt personnel et s’il leur persuade que leur propre avantage leur commande de faire ce qu’il souhaite d’eux. C’est ce que fait celui qui propose à un autre un marché quelconque ; le sens de sa proposition est ceci : Donnez-moi ce dont j’ai besoin, et vous aurez de moi ce dont vous avez besoin vous-mêmes ; et la plus grande partie de ces bons offices qui nous sont nécessaires s’obtiennent de cette façon. Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ; et ce n’est jamais de nos besoins que 13 nous leur parlons, c’est toujours de leur avantage. Il n’y a qu’un mendiant qui puisse se résoudre à dépendre de la bienveillance d’autrui ; encore ce mendiant n’en dépend-il pas en tout ; c’est bien la bonne volonté des personnes charitables qui lui fournit le fonds entier de sa subsistance ; mais quoique ce soit là en dernière analyse le principe d’où il tire de quoi satisfaire aux besoins de sa vie, cependant ce n’est pas celui-là qui peut y pourvoir a mesure qu’ils se font sentir. La plus grande partie de ces besoins du moment se trouvent satisfaits, comme ceux des autres hommes, par traité, par échange et par achat. Avec l’argent que l’un lui donne, il achète du pain. Les vieux habits qu’il reçoit d’un autre, il les troque contre d’autres vieux habits qui l’accommodent mieux, ou bien contre un logement, contre des aliments, ou enfin contre de l’argent qui lui servira à se procurer un logement, des aliments ou des habits quand il en aura besoin.

La richesse des nations, II Adam Smith

***l’amour de soi et la pitié

  • Qu’entend Rousseau par le concept de "bonté" ?
  • Quelle distinction fait-il entre la vertu et la bonté ?
  • Pourquoi l’homme naturel est hors morale ?
  • définir "l’amour de soi" en le distinguant de l’amour-propre.
§36 Il est donc certain que la pitié est un sentiment naturel, qui, modérant dans chaque individu
l’activité de l’amour de soi-même, concourt à la conversation mutuelle de toute l’espèce. C’est elle qui nous porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir : c’est elle qui, dans l’état de nature, tient lieu de lois, de moeurs, de vertu, avec cet avantage que nul n’est tenté de désobéir à sa douce voix : c’est elle qui détournera tout sauvage robuste d’enlever à un faible enfant, ou à un vieillard infirme, sa subsistance acquise avec peine, si lui-même espère pouvoir trouver la sienne ailleurs ; c’est elle qui, au lieu de cette maxime sublime de justice raisonnée : Fais à autrui comme tu veux qu’on te fasse, inspire à tous les hommes cette autre maxime de bonté naturelle bien moins parfaite, mais plus utile peut-être que la précédente : Fais ton bien avec le moindre mal d’autrui qu’il est possible. C’est, en un mot, dans ce sentiment naturel, plutôt que dans des arguments subtils, qu’il faut chercher la cause de la répugnance que tout homme éprouverait à mal faire, même indépendamment des maximes de l’éducation. Quoiqu’il puisse appartenir à Socrate, et aux esprits de sa trempe, d’acquérir de la vertu par raison, il y a longtemps que le genre humain ne serait plus, si sa conservation n’eût dépendu que des raisonnements de ceux qui le composent.
  • En quoi le mal n’est-il pas une aptitude naturelle ?

** V. La véritable jeunesse du monde

COURS Cinquième vidéo : L’âge des cabanes et des regards
La sortie de l’état de nature.

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  • Une série de circonstances est à l’origine de l’entrée dans l’histoire.
    La première étape : ce qui brise l’équilibre interne de la nature et va conduire les hommes à s’entr’aider, c’est l’augmentation des besoins.
    Expliquer les conséquences pour l’homme
  • En quoi consiste la véritable jeunesse du monde ?
  • Quelle différence y-a-t-il entre émulation et concurrence ?
  • La solitude est-elle vraiment la destination humaine ?
Mais il faut remarquer que la société commencée et les relations déjà établies entre les hommes exigeaient en eux des qualités différentes de celles qu’ils tenaient de leur constitution primitive ; que la moralité commençant à s’introduire dans les actions humaines, et chacun avant les lois étant seul juge et vengeur des offenses qu’il avait reçues, la bonté convenable au pur état de nature n’était plus celle qui convenait à la société naissante ; qu’il fallait que les punitions devinssent plus sévères à mesure que les occasions d’offenser devenaient plus fréquentes, et que c’était à la terreur des vengeances de tenir lieu du frein des lois. Ainsi quoique les hommes fussent devenus moins endurants, et que la pitié naturelle eût déjà souffert quelque altération, cette période du développement des facultés humaines, tenant un juste milieu entre l’indolence de l’état primitif et la pétulante activité de notre amour-propre, dut être l’époque la plus heureuse et la plus durable. Plus on y réfléchit, plus on trouve que cet état était le moins sujet aux révolutions, le meilleur à l’homme, et qu’il n’en a dû sortir que par quelque funeste hasard qui pour l’utilité commune e ne jamais arriver. L’exemple des sauvages qu’on a presque tous trouvés à ce point semble confirmer que le genre humain était fait pour y rester toujours, que cet état est la véritable jeunesse du monde, et que tous les progrès ultérieurs ont été en apparence autant de pas vers la perfection de l’individu, et en effet vers la décrépitude de l’espèce.

**VI. La propriété et le propre

COURS Sixième vidéo : Propriété et amour propre

  • En quoi consiste la propriété privée ?
  • Définir l’amour-propre.
  • Quel problème soulève l’assimilation de l’amour propre et de la propriété ?
  • Quelles sont les effets funestes produits ?