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L’enfant, un être inachevé Aristote

Les représentations de l’enfant dans l’art Dossier BNF

EXERCICE : à partir de cette présentation de l’enfant par Aristote, dégager des arguments afin de justifier l’éducation de l’enfant.
Vous ne négligerez pas à ce propos l’analyse des quatre causes chez Aristote

**Inachèvement et impuissance de l’enfant

Aristote voit dans l’enfant un être inachevé qui n’est pas autarcique et ne connait pas le bonheur :

C’est donc à juste titre que nous n’appelons heureux ni un bœuf, ni un cheval, ni aucun autre animal, car aucun d’eux n’est capable de participer à une activité de cet ordre. Pour ce motif encore, l’enfant non plus ne peut pas être heureux, car il n’est pas encore capable de telles actions, en raison de son âge, et les enfants qu’on appelle heureux ne le sont qu’en espérance, car le bonheur requiert, nous l’avons dit à la fois la vertu parfaite et une vie venant à son terme  ARISTOTE, EN, I, 10, 1100a1-6

L’embryon, et cela s’applique dans certaines limites au bébé, est un animal en puissance

ARISTOTE, Génération des Animaux II, 4, 740a24-27.. L’embryon, et dans une certaine proportion le bébé – le grec embruon servant aussi à désigner le nouveau-né –, sont des êtres imparfaits, inachevés (ateles), dans la mesure où ils reçoivent, chacun à leur manière, leur nourriture de quelqu’un d’autre. Fonctionnellement dépendants, ils ne sont pas encore des animaux au sens strict, parce qu’ils ne sont pas, du moins pas complètement auto-moteurs, c’est-à-dire capables de pourvoir à leurs besoins en se déplaçant suivant les indications fournies par les sensations et leurs prolongements affectifs que sont le plaisir et la peine. Reste que, déterminés d’une façon positive à progressivement actualiser ce qui est en eux à l’état de puissance, l’embryon et le bébé ne sauraient être réduits au statut de plante. Ils ne vivent simplement pas encore de la vie qui leur est propre. Leur état actuel est encore en deçà de ce qu’ils ont à être
L’enfant (paîs) ne vit pas que d’une vie végétative, il est même agité, plein de vivacité, puisqu’il est aussi capable de sentir, partant de désirer et de se mouvoir en conséquence. Sa rationalité encore endormie, il vit toutefois la vie d’un animal, obéissant à ses impulsions, se laissant guider par ses passions et ses emportements  
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, III, 3, 1111a26-27
toujours en quête du plaisir, indifférent à sa valeur
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, VII, 12, 1152b19-20 ; 13, 1153a28-31
incapable de nouer de réels liens d’amitié
ARISTOTE, Ethique à Eudème, VII, 2, 1238a32-33
comme les bêtes et les méchants. Aristote leur refuse même la faculté d’agir à proprement parler : « car, pour nous, le petit enfant ou la bête n’agissent pas et l’on n’agit vraiment que du moment qu’on passe par un raisonnement
ARISTOTE, Ethique à Eudème II, 1224a28-30 : « οὐ γάρ φαμεν τὸ παιδίον… ». Les enfants, comme les bêtes n’ont pas accès à la praxis, parce qu’ils ne raisonnent pas ou pas encore.

L’enfance est pourtant, comme les infortunes, inéluctable, puisque préalable nécessaire à lla maturité, seule période de la vie propice au bonheur, si l’on en croit le triste tableau proposé de la vieillesse au livre II de la Rhétorique à partir de la mentalité ordinaire des vieillards ARISTOTE, Rhétorique, II, 13
Le processus de croissance a aussi des effets directement psychologiques, puisqu’il produit des effets sur la mémoire   ARISTOTE, De la mémoire et de la réminiscence, 2, 453a31-b7. Aristote distingue deux causes à même d’expliquer les défaillances de la mémoire qui affectent l’enfant : (1) la disproportion de la partie supérieure par rapport aux parties inférieures comprime le siège de la sensibilité, déformant, voire dispersant les images conservées par la mémoire sensitive. Or la généalogie hiérarchisée des savoirs proposée au tout début de la Métaphysique nous montre que c’est la persistance de l’acte de sensation qui, en autorisant d’abord le souvenir, permet la constitution d’un savoir allant par-delà l’acte singulier de percevoir. La mémoire étant ni plus ni moins la condition de tout apprentissage ; (2) en tant que processus, l’enfance et la vieillesse sont des périodes de la vie au moins physiologiquement mouvementées, ce qui affecte là encore la mémoire. Les extrêmes qu’ils constituent par rapport à la maturité, îlot de stabilité dans notre existence  ont, par-delà leurs différences manifestes, ceci en commun qu’ils sont, selon les modalités de la croissance pour les premiers et du déclin pour les seconds, des phases où la matière n’est respectivement pas encore, pour les enfants, ou déjà plus, pour les vieillards, sous la complète domination de la forme, du moins dans la mesure où cette dernière peut en assurer la maîtrise. L’actualisation progressive des puissances possédées par l’enfant se confond en effet avec une mise en forme de la matière, tandis que la vieillesse voit la matière se déliter peu à peu, selon un processus de corruption où les causes passives (le sec et l’humide) finissent par dominer les causes actives (le chaud et le froid) ARISTOTE, Météorologiques, IV, 1, 378b12-20 : La vieillesse est un processus de corruption naturelle (kata phusin) menant à une forme de décomposition qui, chez le vivant, se fait putréfaction   ARISTOTE, Météorologiques, IV, 1, 379a1-5. ARISTOTE, GA, V, 3, 783b6-8.. Si la vieillesse correspond à un processus où la matière prend le dessus sur la forme, l’enfance se confond, de son côté, avec une hulè encore insuffisamment informée. L’enfant ressemble donc à un homme prématuré. Dans ces conditions, on comprend bien que l’épanouissement « biologique » est une condition de possibilité presque indispensable au murissement de nos facultés psychiques, intellectuelles et morales, certains actes proprement humains ne pouvant se produire sans l’appareil physique adéquat. Il existe bien un lien intime entre le corps et l’intelligence. Un mauvais développement biologique ou un développement biologique inachevé (comme c’est le cas chez l’enfant) marque l’intelligence d’une déficience éventuellement insurmontable ARISTOTE, PA, IV, 10, 686b24-27.. Reste que les défaillances de l’enfant qui lui font tant ressembler à l’animal convergent toutes vers cette rationalité inopérante, non fonctionnelle, c’est-à-dire encore en puissance. Ce qui distingue l’enfant de l’homme mature n’est pas seulement décrit comme autre, mais est encore apprécié comme en défaut. Ce qui invite à une relecture des rapports de ce qui est en puissance à ce qui est en acte Les facultés ou puissances (dunameis) possédées par l’enfant renvoient à un ensemble de possibilités dont ils disposent par nature ARISTOTE, EN, II, 5, 1106a9.. À la naissance, celles-ci sont plus ou moins développées. Le nombre, les caractéristiques et l’étendue des puissances sont de façon générale déterminés par la complexité de l’âme. Même si, dans ses comportements actuels, l’enfant est comparable à l’animal, en puissance, il est bien plus que l’animal. Ce qui lui fait néanmoins encore défaut ce sont les facultés qui supposent, pour être déployées, un exercice ou un apprentissage ARISTOTE, Métaphysique, Θ, 5, 1047b31-33 Rapportées au schéma mis en place dans le traité De l’âme, les défaillances enfantines peuvent aussi être lues comme des puissances natives ou premières attribuées à un étant, en tant qu’il est capable d’acquérir telle ou telle aptitude, mais qui ne sont pas spontanément opérationnelles. La puissance première n’est cependant pas une virtualité complète, une indétermination totale, c’est une possibilité à déployer balisée par deux extrêmes contraires. Selon les puissances, le passage de la puissance à son exercice effectif peut requérir un processus de formation, l’entéléchie première, ou passage de la puissance première à la puissance seconde. La puissance au sens second est la possession (ekhein/hexis) d’une capacité que l’on peut exercer. C’est donc une capacité, mais déjà travaillée. Le passage de la puissance première à la possession précisera les contours de la puissance en question. La puissance première est en effet comparée au « genre et à la matière ARISTOTE, DA, II, 5, 417a26-27. ». Or genre et matière ont ceci en commun qu’ils ne sont pas complètement déterminés  [ ARISTOTE, Métaphysique, Δ, 28, 1024b8-9. Cette incomplétude permet la contradiction (passage d’un contraire à l’autre) et le changement. En puissance, les contraires coexistent au sein d’un même sujet ARISTOTE, Catégories, 11, 14a15-18.. Les contraires délimitent les deux termes extrêmes d’un genre entre lesquels peut exister toute une série de possibilités. La puissance première est elle aussi puissance des contraires (la puissance de savoir a également en elle la possibilité de l’ignorance) et est susceptible de changement. Mais son actualisation n’est pas forcément déterminée de façon normative. Les possibilités contenues dans l’enfant sont ambigües, rien ne nous dit qu’il en fera quelque chose de bien. Bien que les « manques » manifestés par la nature de l’enfant ne soient pas en droit de vrais manquements à ce qui devrait être, l’impuissance de l’enfant à vivre « comme un homme » étant due à l’inaboutissement de sa nature, Aristote ne peut s’empêcher d’en fustiger les défaillances. L’ineffectivité de ce qui est seulement à l’état de dunamis est appréciée de façon restrictive, comme une absence, certes non définitive, mais absence de ce qui a à être. Si le néant est préférable à la vie dont on vit durant l’enfance, c’est qu’il serait absolument insoutenable pour Aristote de vivre toute sa vie comme un enfant. Car l’enfant passe à côté de ce qui fait l’intérêt de la vie d’un homme.
À la fragilité quasi maladive d’une nature inaboutie, l’enfance associe paradoxalement la violence et la virulence d’une propension effrénée aux excès. À la suite de Platon, Aristote pense que c’est le plaisir qui guide unilatéralement l’enfant. L’enfant est sans cesse mis sur le même pied que l’animal, quand ce n’est pas sur le même plan que l’ivrogne ou que le fou :
Il est bien sûr superflu de considérer toutes les opinions émises par tout un chacun sur le bonheur. Souvent, en effet, les jeunes enfants, les malades et les déments ont des avis qui ne font que difficulté pour aucun homme sensé. Point n’est besoin d’argumenter : ils ont seulement besoin, pour les premiers de grandir pour changer d’avis, pour les autres d’une correction médicale ou politique  

ARISTOTE, EE, I, 3, 1214b28-33

L’enfant n’est pas un interlocuteur à la hauteur, il ne mérite pas qu’on prête attention à ce qu’il dit, ni même qu’on lui donne une réponse rationnelle, mais seulement qu’on le rabroue ou qu’on laisse le temps faire son œuvre. Comme en témoigne aussi Les Politiques en refusant encore le bonheur à l’enfant :
Nul, en effet, ne saurait dire bienheureux celui qui n’a aucune parcelle de courage, de tempérance, de justice, de prudence, mais qui prend peur des mouches qui volètent alentour, qui n’évite aucun des excès pour peu qu’il ait le désir de manger ou de boire, qui pour un quart d’obole fait périr ses meilleurs amis, et aussi qui, dans le domaine intellectuel, déraisonne et se trompe comme le premier bambin ou le premier fou venu  

ARISTOTE, Les Politiques, VII, 1, 1323a27-34 : L’enfance est littéralement amorale, elle est lâche et intempérante, on ne saurait trouver en elle la moindre trace de réelle vertu  
Aristote accorde parfois (EN, VI, 13, 1144b1-17) aux enfants…. L’enfant peut non seulement être comparé au fou et à la bête, mais aussi au vicieux (ARISTOTE, EE, III, 1, 1228b19-22). C’est que l’enfant est sans cesse égaré par la perspective du plaisir immédiat. Vivant sous l’empire du désir et du goût du plaisir, l’enfant ignore tout, semble-t-il, de la réalité des choses. La caractérisation aristotélicienne de l’adulte que l’on reconnaît à sa capacité de «  plutôt selon la réalité » (ARISTOTE, Rhétorique, II, 14, 1390a32.), à bonne distance de la confiance puérile et de la défiance excessive de ceux que l’âge et l’expérience ont aigris, a des accents quasi freudiens, l’enfant étant parfaitement étranger au « principe de réalité » tout attaché qu’il est au « principe de plaisir ». Certes, l’enfance a ses plaisirs, mais ce sont de faux plaisirs, pour lesquels on n’abandonnerait pas ce que la maturité nous a fait gagner en échange de leur abandon : « En outre, nul homme ne choisirait de vivre en conservant durant toute son existence l’intelligence d’un petit enfant, même s’il continuait à jouir le plus possible des plaisirs de l’enfance  ARISTOTE, EN, X, 2, 1174a2-4
L’enfant n’a rien d’innocent, bien au contraire. Comme le méchant ou le vicieux, il n’a pas en lui le « principe du bien », ce par quoi on peut désirer une fin bonne. Il ne peut donc discriminer avec pertinence les bons plaisirs des mauvais, le bien apparent du véritable bien. Mais si, chez le vicieux, ce principe est absent parce que détruit, chez l’enfant il est encore à venir.