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Les petites perceptions de Leibniz : métaphore et science

 Métaphore et discours scientifique
[rouge]
à lire :[/rouge]Antoine Ruscio, « Une lecture de Métaphore et concept », Linx [En ligne], 74 | 2017, mis en ligne le 15 avril 2018

D’un côté la science classique, avec sa méthode reposant sur la formalisation, et avec son discours théorique qui sépare drastiquement concept et métaphore (et restreint cette dernière à un rôle subalterne dans le processus d’élaboration de la connaissance). De l’autre la psychanalyse, que Claudine Normand met en avant comme science parfaitement rigoureuse, mais dont la méthode exclut le recours à la formalisation, et qui fait de la métaphore un usage tout autre, puisqu’elle sert ici à constituer le contenu même de la connaissance. Comme la science classique présente des défauts rédhibitoires qui doivent, au moins dans le cadre des sciences humaines, conduire à la récuser, Claudine Normand envisage non pas de renoncer à la science (comme d’autres l’ont préconisé), mais de rechercher une nouvelle théorie de la science, qui s’appuie sur l’apport innovateur de la psychanalyse, et qui puisse être étendu à d’autres sciences humaines. Dès ce premier ouvrage on voit ainsi apparaitre un thème qui s’avèrera constant dans l’œuvre ultérieure, celui d’une science (ici la psychanalyse) tout à la fois rigoureuse et sans formalisation.

*Leibniz : Repenser la métaphore

 [violet]Par l’usage de la métaphore Leibniz repense le statut théorique de la science. C’est le statut de la réalité en cause qui fait problème…une réalité qui, par sa nature même, s’oppose sinon à toute logique, du moins aux prises du concept : fantasmes saisis dans leur constitution, mouvements transférentiels etc. (Pontalis p.130) Dans le texte qui suit, que dit-il de "l’énigme" que constitue l’union de l’âme et du corps ?
 Aristote opposait métaphore et discours scientifique : [noir]« La métaphore est le transport à une chose d’un nom qui en désigne une autre, transport du genre à l’espèce ou de l’espèce au genre ou d’après le rapport d’analogie. » (La poétique)[/noir]
 Cette définition de la métaphore suppose une opposition de celle-ci à l’écriture formelle de la science. En quoi la réflexion de Leibniz opère un déplacement ?[/violet]

  1. Etude de texte : Leibniz Les petites perceptions. La métaphore de la vague Nouveaux Essais sur l’entendement humain.
  2. Nous n’apercevons pas tout. Il y a excès de sens. Les perceptions inconscientes marquent l’individu (s’impriment dans son esprit), elles le constituent. L’homme est donc constitué par ces perceptions insensibles qui l’ont marqué par le passé et qui font qu’elles s’intègrent également dans son état présent. En quoi cette analyse remet en question le statut de la science ?
  3. N’y-a-t-il qu’un mode de discours théorique ?
  4. l’identité de la personne morale ne repose pas seulement sur la conscience de soi ou aperception, mais sur le continuum des petites perceptions . Qu’ils en aient ou non conscience. Selon Luc Foisneau, "on comprend dès lors que Leibniz ait pu considérer comme nécessaire dans certains cas de pallier l’insuffisance pratique du critère cartésien de la conscience compris comme connaissance immédiate de soi-même par un recours au critère hobbesien de la conscience compris comme témoignage concordants de différents points de vue" (p.203, Hobbes la vie inquiète)

Discours de Métaphysique §33

33. ‑ Explication de l’union de l’âme et du corps qui a passé pour inexplicable ou pour miraculeuse, et de l’origine des perceptions confuses.

On voit aussi l’éclaircissement inopiné de ce grand mystère de l’union de l’âme et du corps, c’est-à-dire comment il arrive que les passions et les actions de l’un sont accompagnées des actions et passions ou bien des phénomènes convenables de l’autre. Car il n’y a pas moyen de concevoir que l’un ait de l’influence sur l’autre, et il n’est pas raisonnable de recourir simplement à l’opération extraordinaire de la cause universelle dans une chose ordinaire et particulière. Mais en voici la véritable raison : nous avons dit que tout ce qui arrive à l’âme et à chaque substance est une suite de sa notion, donc l’idée même ou essence de l’âme porte que toutes ses apparences ou perceptions lui doivent naître (sponte) de sa propre nature, et justement en sorte qu’elles répondent d’elles-mêmes à ce qui arrive dans tout l’univers, mais plus particulièrement et plus parfaitement à ce qui arrive dans le corps qui lui est affecté, parce que c’est en quelque façon et pour un temps, suivant le rapport des autres corps au sien, que l’âme exprime l’état de l’univers. Ce qui fait connaître encore comment notre corps nous appartient sans être néanmoins attaché à notre essence. Et je crois que les personnes qui savent méditer jugeront avantageusement de nos principes, pour cela même qu’ils pourront voir aisément en quoi consiste la connexion qu’il y a entre l’âme et le corps qui paraît inexplicable par toute autre voie. On voit aussi que les perceptions de nos sens, lors même qu’elles sont claires, doivent nécessairement contenir quelque sentiment confus, car, comme tous les corps de l’univers sympathisent, le nôtre reçoit l’impression de tous les autres, et quoique nos sens se rapportent à tout, il n’est pas possible que notre âme puisse attendre à tout en particulier ; [fond lavande]c’est pourquoi nos sentiments confus sont le résultat d’une variété de perceptions qui est tout à fait infinie. Et c’est à peu près comme le murmure confus qu’entendent ceux qui approchent du rivage de la mer vient de l’assemblage des répercussions des vagues innumérables.[/fond lavande] Or, si de plusieurs perceptions (qui ne s’accordent point à en faire une) il n’y a aucune qui excelle par-dessus les autres, et si elles font à peu près des impressions également fortes ou également capables de déterminer l’attention de l’âme, elle ne s’en peut apercevoir que confusément.

Mettre en perspective avec ce texte de Freud :

« Tu crois savoir tout ce qui se passe dans ton âme, dès que c’est suffisamment important, parce que ta conscience te l’apprendrais alors. Et quand tu restes sans nouvelles d’une chose qui est dans ton âme, tu admets, avec une parfaite assurance, que cela ne s’y trouve pas. Tu vas même pour tenir « psychique « pour identique à « conscient », c’est-à-dire connu de toi, et cela malgré les preuves les plus évidentes qu’il doit sans cesse se passer dans ta vie psychique bien plus de choses qu’il ne peut d’en révéler à ta conscience. Tu te comportes comme un monarque absolu qui se contente des informations que lui donnent les hauts dignitaires de la cour et qui ne descend pas vers le peuple pour entendre sa voix. Rentre en toi-même profondément et apprends d’abord à te connaître, alors tu comprendras pourquoi tu vas tomber malade, et peut-être éviteras-tu de le devenir.

C’est de cette manière que la psychanalyse voudrait instruire le moi. Mais les deux clartés qu’elle nous apporte : savoir, que la vie instinctive de la sexualité ne saurait complètement être domptée en nous et que les processus psychiques sont en eux-mêmes inconscients, et ne deviennent accessibles et subordonnés au moi que par une perception incomplète et incertaine, équivaut à affirmer que le moi n’est pas maître dans sa propre maison.

Essais de psychanalyse appliquée, « Une difficulté de la psychanalyse », 1917.

Quelle métaphore introduit Freud ? en quoi est-elle problématique ?