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Textes de Lucrece, De Natura Rerum, sur la superstition

Textes de Lucrece, De Natura Rerum, à mettre en perspective sur la critique de la superstition :

Les méfaits de la religion et leur remède [I, 62-126]
Victoire d’Épicure sur la religion [1,62-79]

[1,62] Jadis, quand on voyait les hommes traîner une vie rampante sous le faix honteux de la superstition, et que la tête du monstre leur apparaissant à la cime des nues, les accablait de son regard épouvantable, un Grec, un simple mortel osa enfin lever les yeux, osa enfin lui résister en face. Rien ne l’arrête, ni la renommée des dieux, ni la foudre, ni les menaces du ciel qui gronde ; [1,70] loin d’ébranler son courage, les obstacles l’irritent, et il n’en est que plus ardent à rompre les barrières étroites de la nature. Aussi en vient-il à bout par son infatigable génie : il s’élance loin des bornes enflammées du monde, il parcourt l’infini sur les ailes de la pensée, il triomphe, et revient nous apprendre ce qui peut ou ne peut pas naître, et d’où vient que la puissance des corps est bornée et qu’il y a pour tous un terme infranchissable. La superstition fut donc abattue et foulée aux pieds à son tour, et sa défaite nous égala aux dieux.

Exemple des méfaits de la religion : le sacrifice d’Iphigénie [1,80-101]

[1,80] Mais tu vas croire peut-être que je t’enseigne des doctrines impies, et qui sont un acheminement au crime ; tandis que c’est la superstition, au contraire, qui jadis enfanta souvent des actions criminelles et sacrilèges. Pourquoi l’élite des chefs de la Grèce, la fleur des guerriers, souillèrent-ils en Aulide l’autel de Diane du sang d’Iphigénie ! Quand le bandeau fatal, enveloppant la belle chevelure de la jeune fille, flotta le long de ses joues en deux parties égales ; quand elle vit son père debout et triste devant l’autel, [1,90] et près de lui les ministres du sacrifice qui cachaient encore leur fer, et le peuple qui pleurait en la voyant ; muette d’effroi, elle fléchit le genou, et se laissa aller à terre. Que lui servait alors, l’infortunée, d’être la première qui eût donné le nom de père au roi des Grecs ? Elle fut enlevée par des hommes qui l’emportèrent toute tremblante à l’autel, non pour lui former un cortège solennel après un brillant hymen, mais afin qu’elle tombât chaste victime sous des mains impures, à l’âge des amours, et fût immolée pleurante par son propre père, [1,100] qui achetait ainsi l’heureux départ de sa flotte : tant la superstition a pu inspirer de barbarie aux hommes !

Les sources antiques de ce drame se trouvent essentiellement dans les deux tragédies d’Euripide (480 – 40 av. J-C.) – Iphigénie à Aulis et Iphigénie en Tauride
 
Iphigénie est la fille préférée d’Agamemnon, roi de Mycènes et d’Argos, et de Clytemnestre, fille de Tyndare, roi de Sparte, et de sa femme Léda.
  1. Analyse d’une fresque

    L’histoire du sacrifice d’Iphigénie est illustrée par cette fresque de l’antiquité romaine détachée de la Maison du Poète Tragique à Pompéi et visible au Musée Archéologique de Naples.

  2. Mettre en perspective avec cet opéra
  3. Présentation de l’opéra
  4. Dossier sur l’opéra sur eduthèque
  5. QUESTIONS
    • Montrer comment la superstition inverse les valeurs
    • Comment ne tient-elle pas compte du principe de non contradiction ?
    • En quoi le sacrifice est-il une transaction économique ? Qu’échange-t-on ?
    • La vie a-t-elle un prix ?
    • En quoi le sacrifice est-il un acte barbare et sacrilège ?

La superstition engendre la crainte, obstacle à la vérité (1,102-126)

Toi-même, cher Memmius, ébranlé par ces effrayants récits de tous les apôtres du fanatisme, tu vas sans doute t’éloigner de moi. Pourtant ce sont là de vains songes ; et combien n’en pourrais-je pas forger à mon tour qui bouleverseraient ton plan de vie, et empoisonneraient ton bonheur par la crainte ! Et ce ne serait pas sans raison ; car pour que les hommes eussent quelque moyen de résister à la superstition et aux menaces des fanatiques, il faudrait qu’ils entrevissent le terme de leurs misères : (1,110) et la résistance n’est ni sensée, ni possible, puisqu’ils craignent après la mort des peines éternelles. C’est qu’ils ignorent ce que c’est que l’âme ; si elle naît avec le corps, ou s’y insinue quand il vient de naître ; si elle meurt avec lui, enveloppée dans sa ruine, ou si elle va voir les sombres bords et les vastes marais de l’Orcus ; ou enfin si une loi divine la transmet à un autre corps, ainsi que le chante votre grand Ennius, le premier qu’une couronne du feuillage éternel, apportée du riant Hélicon, immortalisa chez les races italiennes. (1,120) Toutefois il explique dans des vers impérissables qu’il y a un enfer, où ne pénètrent ni des corps ni des âmes, mais seulement des ombres à forme humaine, et d’une pâleur étrange ; et il raconte que le fantôme d’Homère, brillant d’une éternelle jeunesse, lui apparut en ces lieux, se mit à verser des larmes amères, et lui déroula ensuite toute la nature.
Mais tous ces efforts pour montrer que la nature ne fait rien en vain, c’est-à-dire rien d’inutile aux hommes, n’ont abouti qu’à un résultat, c’est de montrer que la nature et les dieux et les hommes sont privés de raison. Et voyez, je vous prie, où les choses en sont venues ! Au milieu de ce grand nombre d’objets utiles que nous fournit la nature, les hommes ont dû rencontrer aussi un assez bon nombre de choses nuisibles, comme les tempêtes, les tremblements de terre, les maladies, etc. Comment les expliquer ? Ils ont pensé que c’étaient là des effets de la colère des dieux, provoquée par les injustices des hommes ou par leur négligence à remplir les devoirs du culte. C’est en vain que l’expérience protestait chaque jour, en leur montrant, par une infinité d’exemples, que les dévots et les impies ont également en partage les bienfaits de la nature et ses rigueurs, rien n’a pu arracher de leurs âmes ce préjugé invétéré. Il leur a été en effet plus facile de mettre tout cela au rang des choses inconnues dont les hommes ignorent la fin et de rester ainsi dans leur état actuel et inné d’ignorance, que de briser tout ce tissu de croyances et de s’en composer un autre. Les hommes ont donc tenu pour certain que les pensées des dieux surpassent de beaucoup la portée de leur intelligence, et cela eût suffi pour que la vérité restât cachée au genre humain, si la science mathématique n’eût appris aux hommes un autre chemin pour découvrir la vérité ; car on sait qu’elle ne procède point par la considération des causes finales, mais qu’elle s’attache uniquement à l’essence et aux propriétés des figures. Ajoutez à cela qu’outre les mathématiques on peut assigner d’autres causes, dont il est inutile de faire ici l’énumération, qui ont pu déterminer les hommes à ouvrir les yeux sur ces préjugés et les conduire à la vraie connaissance des choses.