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Instituer les libertés

Institution et liberté : chercher des exemples qui montrent la difficulté à tenir ces notions ensemble

  • [bleu marine]
    Qu’est-ce qu’une institution à partir de l’examen des mots ?[/bleu marine]
  1. Étymol. et Hist. 1. Fin xiies. « ce qui est institué, règle » (Sermons St Bernard, 112, 25 ds T.-L.) ; spéc. 1790 institutions « ensemble des structures fondamentales d’organisation sociale » (Moniteur universel, III, 91) ; 2. 1537 institution « action d’instituer quelqu’un en une situation » (Janv., Ste-Chap. de Dij., cart. 13, A. Côte-d’Or ds Gdf. Compl.) ; 3. 1552 « éducation » (Rabelais, Quart Livre, Épître liminaire, éd. R. Marichal, p. 4) ; 1680 (Rich. : Institution. Lieu à Paris où les Pères de l’Oratoire instruisent les novices). Empr. au lat.institutio, -onis « disposition, arrangement », « instruction, éducation », « principe, système » formé sur le supin institutum, v. institut.. [violet]Que nous apprend l’étymologie[/violet] ?
  2. [violet]Que nous apprennent ces synonymes[/violet] :Chercher le sens de ces mots. Qu’est-ce que cela nous apprend sur l’institution ?
    instituteur
    instructeur
    éducateur
    entraîneur
    maître
  • Ecouter ce questionnement de F. Worms
  • Quels sont les trois paradoxes de la question selon F. Worms ?

Etude du texte de J. Rawls : [bleu]le premier principe : les droits et libertés doivent être distribués de manière égale[/bleu]

« À partir du moment où l’on pense que les principes de la justice résultent d’un accord originel conclu dans une situation d’égalité, la question reste posée de savoir si le principe d’utilité serait alors reconnu. À première vue, il semble tout à fait improbable que des personnes se considérant elles-mêmes comme égales, ayant le droit d’exprimer leurs revendications les unes vis-à-vis des autres, consentent à un principe qui puisse exiger une diminution des perspectives de vie de certains, simplement au nom de la plus grande quantité d’avantages dont jouiraient les autres. Puisque chacun désire protéger ses intérêts, sa capacité à favoriser sa conception du bien, personne n’a de raison de consentir à une perte durable de satisfaction pour lui-même afin d’augmenter la somme totale. En l’absence d’instincts altruistes, solides et durables, un être rationnel ne saurait accepter une structure de base simplement parce qu’elle maximise la somme algébrique des avantages, sans tenir compte des effets permanents qu’elle peut avoir sur ses propres droits, ses propres intérêts de base. C’est pourquoi, semble-t-il, le principe d’utilité est incompatible avec une conception de la coopération sociale entre des personnes égales en vue de leur avantage mutuel. (...) Au contraire, donc, je soutiendrai que les personnes placées dans la situation initiale choisiraient deux principes assez différents. Le premier exige l’égalité dans l’attribution des droits et des devoirs de base. Le second, lui, pose que des inégalités socio-économiques, prenons par exemples des inégalités de richesse et d’autorité, sont justes si et seulement si elles produisent, en compensation, des avantages pour chacun et, en particulier, pour les membres les plus désavantagés de la société. Ces principes excluent la justification d’institutions par l’argument selon lequel les épreuves endurées par certains peuvent être contrebalancées par un plus grand bien, au total. (...) Par contre, il n’y a pas d’injustice dans le fait qu’un petit nombre obtienne des avantages supérieurs à la moyenne, à condition que soit par là même améliorée la situation des moins favorisés ». John Rawls, Théorie de la justice, §.3, tr. fr. C. Audard, Paris, Seuil, 1987, p.40-41.

A partir du texte qui suit, dresser les distinctions entre instinct et institution.

Ce qu’on appelle un instinct, ce qu’on appelle une institution, désignent essentiellement des procédés de satisfaction. Tantôt en réagissant par nature à des stimuli externes, l’organisme tire du monde extérieur les éléments d’une satisfaction de ses tendances et de ses besoins ; ces éléments forment, pour les différents animaux, des mondes spécifiques. Tantôt en instituant un monde original entre ses tendances et le milieu extérieur, le sujet élabore des moyens de satisfaction artificiels, qui libèrent l’organisme de la nature en le soumettant à autre chose, et qui transforment la tendance elle-même en l’introduisant dans un milieu nouveau ; il est vrai que l’argent libère de la faim, à condition d’en avoir, et que le mariage épargne la recherche d’un partenaire, en soumettant à d’autres tâches. C’est dire que toute expérience individuelle suppose, comme un a priori, la préexistence d’un milieu dans lequel est menée l’expérience, milieu spécifique ou milieu institutionnel. L’instinct et l’institution sont les deux formes organisées d’une satisfaction possible.
Que dans l’institution la tendance se satisfasse, n’est pas douteux : dans le mariage la sexualité, dans la propriété l’avidité. On objectera l’exemple d’institutions comme l’Etat, auxquelles ne correspond nulle tendance. Mais il est clair que de telles institutions sont secondaires, qu’elles supposent déjà des comportements institutionnalisés, qu’elles invoquent une utilité dérivée proprement sociale, laquelle trouve en dernière instance le principe dont elle dérive dans le rapport du social avec les tendances. L’institution se présente toujours comme un système organisé de moyens. C’est bien là, d’ailleurs, la différence d’ailleurs entre l’institution et la loi : celle-ci est une limitation des actions, celle-là, un modèle positif d’action. Contrairement aux théories de la loi qui mettent le positif hors du social (droits naturels), et le social dans le négatif (limitation contractuelle), la théorie de l’institution met le négatif hors du social (besoins), pour présenter la société comme essentiellement positive, inventive (moyens originaux de satisfaction). Une telle théorie nous donnera enfin des critères politiques : la tyrannie est un régime où il y a beaucoup de lois et peu d’institutions, la démocratie, un régime où il y a beaucoup d’institutions, très peu de lois. L’oppression se montre quand les lois portent directement sur les hommes, et non sur des institutions préalables qui garantissent les hommes.
Mais s’il est vrai que la tendance se satisfait dans l’institution, l’institution ne s’explique pas par la tendance. Les mêmes besoins sexuels n’expliqueront jamais les multiples formes possibles du mariage. Ni le négatif n’explique le positif, ni le général, le particulier. Le « désir de s’ouvrir l’appétit » n’explique pas l’apéritif, parce qu’il y a mille autres façons de s’ouvrir l’appétit. La brutalité n’explique en rien la guerre ; pourtant, elle y trouve son meilleur moyen. Voilà le paradoxe de la société : nous parlons d’institutions, quand nous nous trouvons devant des processus de satisfaction que ne déclenche ni ne détermine la tendance en train de se satisfaire – pas plus que ne les expliquent les caractères de l’espèce. La tendance est satisfaite par des moyens qui ne dépendent pas d’elle. Aussi, ne l’est-elle jamais sans être en même temps contrainte ou brimée, et transformée, sublimée. Si bien que la névrose est possible. Bien plus, si le besoin ne trouve dans l’institution qu’une satisfaction tout indirecte, « oblique », il ne suffit pas de dire « l’institution est utile », encore faut-il demander : à qui est-elle utile ? A tous ceux qui en ont besoin ? Ou bien à quelques-uns (classe privilégiée), ou seulement même à ceux qui font marcher l’institution (bureaucratie) ? Le problème sociologique le plus profond consiste donc à chercher quelle est cette autre instance dont dépendent directement les formes sociales de la satisfaction des tendances. Rites d’une civilisation ; moyens de production ? Quoiqu’il en soit, l’utilité humaine est toujours autre chose qu’une utilité. L’institution nous renvoie à une activité sociale constitutive de modèles, dont nous ne sommes pas conscients, et qui ne s’explique pas par la tendance ou par l’utilité, puisque cette dernière, comme utilité humaine, la suppose au contraire. En ce sens, le prêtre, l’homme du rituel, est toujours l’inconscient de l’usager.
Quelle différence avec l’instinct ? Là rien ne dépasse l’utilité, sauf la beauté. La tendance était satisfaite indirectement par l’institution, elle l’est directement par l’instinct. Il n’y a pas d’interdictions, de coercitions instinctives, il n’y a d’instinctives que des répugnances. Cette fois, c’est la tendance elle-même, sous forme d’un facteur physiologique interne, qui déclenche un comportement qualifié. Et sans doute, le facteur interne n’expliquera pas que, même identique à soi, il déclenche pourtant des comportements différents dans les différentes espèces. Mais c’est dire que l’instinct se trouve à la croisée d’une double causalité, celle des facteurs physiologiques individuels et celle de l’espèce elle-même – hormone et spécificité. Donc, on se demandera seulement dans quelle mesure l’instinct peut se ramener au simple intérêt de l’individu : auquel cas, à la limite, il ne faudrait plus parler d’instinct, mais de réflexe, de tropisme, d’habitude et d’intelligence. Ou bien l’instinct ne peut-il se comprendre que dans le cadre d’une utilité de l’espèce, d’un bien de l’espèce, d’une finalité biologique première ? « A qui est-ce utile ? » est une question qu’on retrouve ici, mais son sens a changé. Sous son double aspect, l’instinct se présente comme une tendance lancée dans un organisme aux réactions spécifiques.
Le problème commun à l’instinct et à l’institution, est toujours celui-ci : comment se fait la synthèse de la tendance et de l’objet qui la satisfait ? L’eau que je bois, en effet, ne ressemble pas aux hydrates dont mon organisme manque. Plus l’instinct est parfait dans son domaine, plus il appartient à l’espèce, plus il semble constituer une puissance de synthèse originale, irréductible. Mais plus il est perfectible, et donc imparfait, plus il est soumis à la variation, à l’indécision, plus il se laisse réduire au seul jeu des facteurs individuels internes et des circonstances extérieures, – plus il fait place à l’intelligence. Or, à la limite, comment une telle synthèse donnant à la tendance un objet qui lui convient pourrait-elle être intelligente, alors qu’elle implique pour être faite un temps que l’individu ne vit pas, des essais auxquels il ne survivrait pas ?
Il faut bien retrouver l’idée que l’intelligence est chose sociale plus qu’individuelle, et qu’elle trouve dans le social le milieu intermédiaire, le tiers milieu qui la rend possible. Quel est le sens du social par rapport aux tendances ? Intégrer les circonstances dans un système d’anticipation, et les facteurs internes, dans un système qui règle leur apparition, remplaçant l’espèce. C’est bien le cas de l’institution. Il fait nuit parce qu’on se couche ; on mange parce qu’il est midi. Il n’y a pas de tendances sociales, mais seulement des moyens sociaux de satisfaire les tendances, moyens qui sont originaux parce qu’ils sont sociaux. Toute institution impose à notre corps, même dans ses structures involontaires, une série de modèles, et donne à notre intelligence un savoir, une possibilité de prévision comme de projet. Nous retrouvons la conclusion suivante : L’homme n’a pas d’instincts, il fait des institutions. L’homme est un animal en train de dépouiller l’espèce. Aussi, l’instinct traduirait-il les urgences de l’animal, et l’institution, les exigences de l’homme : l’urgence de la faim devient chez l’homme revendication d’avoir du pain. Finalement, le problème de l’instinct et de l’institution sera saisi, à son point le plus aigu, non pas dans les « sociétés » animales, mais dans les rapports de l’animal et de l’homme, quand les exigences de l’homme portent sur l’animal en intégrant celui-ci dans des institutions (totémisme et domestication), quand les urgences de l’animal rencontrent l’homme, soit pour le fuir ou l’attaquer, soit pour en attendre nourriture et protection.
« Introduction » dans G. Deleuze, Instincts et institutions, Paris, Hachette, 1955