La philosophie dans l’académie de CRETEIL
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[bleu]L’humanité en question[/bleu]Histoire et violence

[fond or]2) Histoire et violence[/fond or]

L’histoire contemporaine a connu des destructions et des massacres sans précédent par leur nature et par leurs dimensions, en particulier mais non exclusivement lors des deux guerres mondiales. Par ailleurs, elle a vu de nombreux peuples soumis jusque-là à diverses formes de domination revendiquer leur dignité et leur indépendance. Jamais sans doute écrivains et philosophes n’auront été autant confrontés à l’histoire et à sa violence, avec la nécessité, selon les uns, d’inventer des formes de langage à la mesure d’épreuves et de situations souvent extrêmes ; et, selon les autres, de soumettre à un nouvel examen critique l’ancienne confiance « humaniste » en un progrès continu de la civilisation.

La violence dont toutes les sociétés humaines ont fait l’expérience est-elle irréductible ? Ou bien l’histoire universelle donne-t-elle les signes d’une marche vers des relations pacifiées dans le cadre d’États de droit et d’institutions internationales ?

Si la violence précède le droit, quel droit pourra la limiter dans la plus grande mesure et de la manière la plus durable ?
Avec les tragédies et les horreurs du XXe siècle, ces questions d’anthropologie, de philosophie de l’histoire et de philosophie politique n’ont fait que gagner en intensité.

En outre, qu’appelle-t-on « violence » ? Toutes les violences sont-elles comparables ?

Il convient de distinguer entre les types de guerre (par exemple, une guerre de conquête n’est pas une guerre de libération)

et entre les régimes politiques (un régime oppressif n’est pas nécessairement une entreprise totalitaire)

comme entre les formes de violence sociale (au sein d’une même société, certaines violences quotidiennes et parfois diffuses, peuvent prendre d’autres formes que celle de l’agression physique).
Pour dire ou tenter de dire les différentes formes de violence, mais aussi pour les soumettre au jugement, la littérature a ses pouvoirs propres, que ce soit sous la forme du témoignage, avec l’effort d’objectivation qu’il implique, ou dans des œuvres d’engagement et de dénonciation qui prétendent agir sur le cours de l’histoire. Mais la littérature dispose d’un autre pouvoir encore, celui d’exprimer dans l’écriture la réalité de la violence jusque dans sa dimension d’inhumanité.

Clarifier les concepts :

Exercices : à partir de ces textes et films, construire le sens du mot "guerre". Quels rapports entretiennent la guerre et le droit ? Il s’agit d’interroger aussi le rapport guerre-sciences
  • Alain, Mars ou la guerre jugée (1921).

ALAIN, Mars ou la guerre jugée (1936) XI.

++++La guerre est incompatible avec la justice.

Un journal a raconté l’histoire d’un fantassin, père de famille et deux fois cité pour son courage, qui, revenant à la tranchée avec des vivres, entra dans un abri pour laisser passer un moment dangereux et par malheur s’y endormit ; à la suite de quoi il fut accusé d’avoir abandonné son poste devant l’ennemi, et finalement fusillé. Je, prends le fait pour vrai, car j’en ai entendu conter bien d’autres du même genre. Ce qui m’étonne, c’est que le journaliste qui racontait cette histoire voulait faire entendre que de telles condamnations sont atroces et injustifiables ; en quoi il se trompe, car c’est la guerre qui est atroce et injustifiable ; et, dès que vous acceptez la guerre, vous devez accepter cette méthode de punir.
Le refus d’obéir est rare, surtout dans l’action ; ce qui est plus commun, c’est la disposition à s’écarter des régions les plus dangereuses, en inventant quelque prétexte, comme d’accompagner un blessé ; d’autant qu’il est bien facile aussi de perdre sa route ; quant à la fatigue, il n’est pas nécessaire de l’inventer. D’après de telles raisons, et en supposant même chez le soldat prudent une espèce de bonne foi, par la puissance que la peur exerce naturellement sur les opinions, on verrait bientôt fondre les troupes, et se perdre comme l’eau dans la terre, justement dans les moments où l’on a un pressant besoin de tous les combattants ; j’ajoute que c’est ce que l’on voit si l’on hésite devant des châtiments qui puissent inspirer plus de terreur que le combat lui-même.
Chacun a toujours une bonne excuse à donner, s’il ne se trouve pas où il devrait être. Si ces excuses sont admises, la peine de mort, la seule qui ait puissance contre la peur, est aussitôt sans action ; car, bonne ou mauvaise, l’excuse paraîtra toujours bonne au poltron ; il aura quelque espérance d’échapper au châtiment ; et cette espérance, jointe à la peur, suffit pour détourner imperceptiblement du devoir strict l’homme isolé à chacun de ses pas. Il faut donc que celui qui n’est pas où il doit être ne puisse invoquer ni une défaillance d’un moment, ni une fatigue, ni une erreur, ni même un obstacle insurmontable ; d’où la nécessité de punir sans aucune pitié, d’après le fait, sans tenir compte des raisons.
Le spectateur éloigné ne peut comprendre ces choses, parce qu’il croit, d’après les récits des combattants eux-mêmes, que les hommes n’ont d’autre pensée que de courir à l’ennemi. J’ajoute que les pouvoirs ont un intérêt bien clair à faire croire cela ; car on aurait honte, à l’arrière, de réclamer une paix seulement passable, quand les combattants sont décidés à mourir. Mais, à ceux qui ont la charge de pousser les hommes au combat, l’art militaire a bientôt durement rappelé ses règles séculaires, qui ont pour objet d’enlever au combattant toute espèce d’espérance hors des chances du combat. Au surplus, qu’il s’agisse de faire un exemple ou de chasser l’ennemi de ses tranchées, l’homme est toujours moyen et outil. Et les plus courageux et les plus dévoués étant destinés à la mort, il n’est pas étonnant que l’on sacrifie encore sans hésiter quelques poltrons ou hésitants.
Mais si l’homme a fait ses preuves ? Il n’y a point de preuves, et l’expérience fait voir que tel qui s’est bien conduit quand il était entouré et surveillé. sans compter l’entraînement de l’action, est capable aussi de s’abriter un peu trop vite, s’il est seul. Il faut dire aussi que les épreuves répétées, auxquelles se joint la fatigue, épuisent souvent le courage. Eût-on fait merveilles, il faut souvent recommencer encore et encore ; et c’est un des problèmes de l’art militaire de soutenir l’élan des troupes bien au-delà des limites que chacun des combattants s’est fixées. Il est ordinaire que celui qui a gagné la croix essaie de vivre désormais sur sa réputation sans trop risquer. Ainsi le bon sens vulgaire, qui veut que l’on tienne compte des antécédents, est encore redressé, ici, par l’inflexible expérience et la pressante nécessité. C’est pourquoi des exécutions précipitées, effrayantes et même révoltantes, ne me touchent pas plus que la guerre elle-même, dont elles sont l’inévitable conséquence. Il ne faut jamais laisser entendre, ni se permettre de croire que la guerre soit compatible, en un sens quelconque, avec la justice et l’humanité.

  • Remarque, À l’Ouest, rien de nouveau (1929).
Le sens de l’histoire

**Les grands hommes et leurs passions

 Hegel La philosophie de l’histoire

***La guerre de masse
  • ***La violence de la Grande guerre

    De la nation au nationalisme

    Le patriotisme

    L’image héroïque des soldats en France pendant la guerre de 14x18


    **Auschwitz

    ***
  • **Le totalitarisme

    Rhétoriques du pouvoir en Allemagne au XXe siècle

  • Le fascisme : une jeunesse fasciste face au choix du mysticisme

  • Les masses et la psychologie des foules

  • Paroles totalitaires

    • Giono, Le Grand Troupeau (1931).
    • Faulkner, Le Bruit et la Fureur (1931).
    • Céline, Voyage au bout de la nuit (1932).
    • Malraux, La Condition humaine (1933).
    • Giraudoux,La Guerre de Troie n’aura pas lieu (1935).
    • Mitchell, Autant en emporte le vent (1936).
    • Martin du Gard, Les Thibault (1922-1940) : L’Été 1914 (1936).
    • Malraux, L’Espoir (1937).
    • Romains, Verdun (1938).
    • Éluard, « La Victoire de Guernica » (1938) dans Cours naturel.
    • Nizan, La Conspiration (1938).
    • Boris Vian

    Boris VIAN

    ++++Les Fourmis (1946)

    On est arrivés ce matin et on n’a pas été bien reçus, car il n’y avait personne sur la plage que des tas de types morts ou des tas de morceaux de types, de tanks et de camions démolis. Il venait des balles d’un peu partout et je n’aime pas ce désordre pour le plaisir. On a sauté dans l’eau, mais elle était plus profonde qu’elle n’en avait l’air et j’ai glissé sur une boîte de conserves. Le gars qui était juste derrière moi a eu les trois quarts de la figure emportée par le pruneau qui arrivait, et j’ai gardé la boîte de conserves en souvenir. J’ai mis les morceaux de sa figure dans mon casque et je les lui ai donnés, il est reparti se faire soigner, mais il a l’air d’avoir pris le mauvais chemin parce qu’il est entré dans l’eau jusqu’à ce qu’il n’ait plus pied et je ne crois pas qu’il y voie suffisamment au fond pour ne pas se perdre.
    J’ai couru ensuite dans le bon sens et je suis arrivé juste pour recevoir une jambe en pleine figure. J’ai essayé d’engueuler le type, mais la mine n’en avait laissé que des morceaux pas pratiques à manœuvrer, alors j’ai ignoré son geste, et j’ai continué.
    Dix mètres plus loin, j’ai rejoint trois autres gars qui étaient derrière un bloc de béton et qui tiraient sur un coin de mur, plus haut. Ils étaient en sueur et trempés d’eau et je devais être comme eux, alors je me suis agenouillé et j’ai tiré aussi. Le lieutenant est revenu, il tenait sa tête à deux mains et ça coulait rouge de sa bouche. Il n’avait pas l’air content et il a vite été s’étendre sur le sable, la bouche ouverte et les bras en avant. Il a dû salir le sable pas mal. C’était un des seuls coins qui restaient propres.
    De là notre bateau échoué avait l’air d’abord complètement idiot, et puis il n’a plus même eu l’air d’un bateau quand les deux obus sont tombés dessus. Ça ne m’a pas plu, parce qu’il restait encore deux amis dedans, avec les balles reçues en se levant pour sauter. J’ai tapé sur l’épaule des trois qui tiraient avec moi, et je leur ai dit : « Venez, allons-y. » Bien entendu, je les ai fait passer d’abord et j’ai eu le nez creux parce que le premier et le second ont été descendus par les deux autres qui nous canardaient, et il en restait seulement un devant moi, le pauvre vieux, il n’a pas eu de veine, sitôt qu’il s’est débarrassé du plus mauvais, l’autre a juste eu le temps de le tuer avant que je m’occupe de lui.
    Ces deux salauds, derrière le coin du mur, ils avaient une mitrailleuse et des tas de cartouches. Je l’ai orientée dans l’autre sens et j’ai appuyé, mais j’ai vite arrêté parce que ça me cassait les oreilles et aussi elle venait de s’enrayer. Elles doivent être réglées pour ne pas tirer dans le mauvais sens.
    Là, j’étais à peu près tranquille. Du haut de la plage, on pouvait profiter de la vue. Sur la mer, ça fumait dans tous les coins et l’eau jaillissait très haut. On voyait aussi les éclairs des salves des gros cuirassés et leurs obus passaient au-dessus de la tête avec un drôle de bruit sourd, comme un cylindre de son grave foré dans l’air.
    Le capitaine est arrivé. On restait juste onze. Il a dit que c’était pas beaucoup mais qu’on se débrouillerait comme ça. Plus tard, on a été complétés. Pour l’instant, il nous a fait creuser des trous ; pour dormir, je pensais, mais non, il a fallu qu’on s’y mette et qu’on continue à tirer.
    Heureusement, ça s’éclaircissait. Il en débarquait maintenant de grosses fournées des bateaux, mais les poissons leur filaient entre les jambes pour se venger du remue-ménage et la plupart tombaient dans l’eau et se relevaient en râlant comme des perdus. Certains ne se relevaient pas et partaient en flottant avec les vagues et le capitaine nous a dit aussitôt de neutraliser le nid de mitrailleuses, qui venait de recommencer à taper, en progressant derrière le tank.
    On s’est mis derrière le tank. Moi le dernier parce que je ne me fie pas beaucoup aux freins de ces engins-là. C’est plus commode de marcher derrière un tank tout de même parce qu’on n’a plus besoin de s’empêtrer dans les barbelés et les piquets tombent tout seuls. Mais je n’aimais pas sa façon d’écrabouiller les cadavres avec une sorte de bruit qu’on a du mal à se rappeler - sur le moment, c’est assez caractéristique.

    S. Weil, L’Iliade ou le poème de la force (1940).
    McCullers, Le cœur est un chasseur solitaire (1940).
    Éluard, Poésie et Vérité (1942).
    Camus, La Peste (1947).
    Antelme, L’Espèce humaine (1947).
    Klemperer, LTI, La langue du Troisième Reich (1947).
    Sartre, Les Mains sales (1948).
    D. Lessing, Vaincue par la brousse (1950).
    Camus, L’Homme révolté (1951).
    D. Lessing, Les enfants de la violence (1952-1989).
    Pasternak, Docteur Jivago (1957).
    Arendt, Les Origines du totalitarisme (1961).

    Aron, Paix et guerre entre les nations (1962).
     Article du Monde diplomatique 1962 sur Paix et guerre...

    Grossman, Vie et Destin (1962).
    Chalamov, Récits de la Kolyma (1966).
     "Lettre de 1966 : « Je ne partage pas l’idée de la permanence du roman, de la forme romanesque. Le roman est mort. C’est justement pourquoi les écrivains s’acharnent à se justifier, affirmant que tout est pris sur le vif, que noms de famille eux-mêmes sont conservés. Le lecteur qui a vécu Hiroshima, les chambres à gaz d’Auschwitz, les camps de concentration, qui a été témoin de la guerre, verra dans toute fiction une offense. Pour la prose d’aujourd’hui, pour celle de demain, l’important est de dépasser les limites et les formes de la littérature.
    Arendt, « Sur la violence » (1970), in Du mensonge à la violence.
    Gary, Chien blanc (1970).
    Tournier, Le Roi des Aulnes (1970).
    N. Mandelstam, Contre tout espoir (1972).
     Natalia Leclerc,« Nadejda Mandelstam — gardienne de la mémoire », ILCEA [En ligne], 29 | 2017, mis en ligne le 30 juin 2017, consulté le 02 juillet 2020. URL : http://journals.openedition.org/ilcea/4277 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ilcea.4277
     « En Russie, on meurt sans rien dire » écrit Nadejda Mandelstam (2013a : 165). C’est ce problème qu’elle affronte dans Contre tout espoir, ses mémoires publiés d’abord en anglais sous le titre Hope against Hope et Hope Abandoned, dans les années 1970, puis en Russie au moment de la perestroïka.
    Soljenitsyne, L’Archipel du Goulag (1973).
    Morante, La Storia (1974).
    Perec, W ou le souvenir d’enfance (1974).
    Levi, Le Système périodique (1975).
    Lefort, Un Homme en trop. Réflexions sur L’Archipel du Goulag (1976).
    Semprun, L’Écriture ou la vie (1996).

    Deleuze : le cri de Chestov
    https://youtube.com/clip/UgkxJTUlc_rUCER_k9e4zjVReDZPmeyckrgw

    • 1937 : L’Œuvre de Dostoïevski, par Léon Chestov.
      Série de cinq conférences diffusées sur Radio-Paris entre le 3 avril et le 1er mai ; texte publié dans les Cahiers de Radio-Paris, n° 5, 15 mai.

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