La philosophie dans l’académie de CRETEIL
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Définir l’amitié la morale et le bonheur
Lettres de Descartes à Elisabeth

Ressources

++++Analyses

Pascal Dupont Correspondance avec Elisabeth Philopsis

++++Question : le monde et la morale

En quoi la conception du monde de Descartes influence-t-elle sa pensée ?

Le système de Descartes
Atlas historique et géographique
Claude Buy de Mornas, 1761.
Coll. part, tome I, planche VII
© Bibliothèque nationale de France
Issu de l’observation de satellites autour de Jupiter et Saturne, le système de Descartes, rempli d’une matière fluide universelle, est composé d’un nombre infini de mondes. Chaque étoile est le centre d’un tourbillon de matière qui entraîne avec lui son cortège de planètes.

++++Comparer

Expliquer et représenter le monde dans la Grèce antique
L’empilement des cercles du monde

Cristoforo da Cassano, 1447.
BnF, Manuscrits occidentaux, ITALIEN 81, fol. 170v
© BnF
Dès la période archaïque (du VIIIe au VIe siècle avant J.-C.), la Grèce antique est le foyer d’une pensée scientifique novatrice, qui tente d’expliquer le monde et ses phénomènes de manière rationnelle. Ces avancées décisives, notamment dans l’astronomie et la cartographie, nourriront les savants durant des siècles.
Ces savants cherchent à expliquer le monde et la nature. Pour eux, le monde repose sur les idées d’ordre et d’harmonie : c’est un cosmos dont tous les éléments doivent obéir à des lois physiques et mathématiques. C’est pourquoi la science des Grecs s’efforce de rendre compte le plus rationnellement possible des phénomènes observés dans le ciel, en élaborant des modèles explicatifs qui permettent d’en prévoir le retour. Hérodote dit par exemple que Thalès aurait annoncé l’éclipse de soleil de 585 avant J.-C.
L’idée que le cosmos puisse être en forme de sphère marque un progrès important. On conçoit un ciel sphérique, constitué de sept sphères planétaires emboîtées comme des poupées russes (Lune, Vénus, Mercure, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne, selon les "planètes" alors connues) et enfermées dans la sphère du firmament.
Au centre de cet univers rond, la terre est immobile, en équilibre ; elle ne peut tomber ni dans un sens ni dans l’autre.[bleu]
Quelle est la différence avec Descartes ?[/bleu]

++++Epicure et Sénèque

 

Epicure et Sénèque : deux analyses de l’amitié 

Epicure 

C’est une lettre qu’Epicure (341 av JC) adresse à un jeune disciple. Il ne s’adresse donc pas à un large public, mais à quelqu’un en particulier.à qui il présente la philosophie comme exercice continuel et pas seulement un apprentissage de dogmes. C’est pourquoi philosopher est une pratique singulière qui trouve son fondement dans la science de la nature. La nature rencontrant parfois le hasard (clinamen), l’amitié appartient à ces rencontres qui peuvent ne pas se faire. Il n’y a pas de terme à la pratique. D’autre part le lien que crée l’amitié est plus fort que le lien politique, c’est ce que montre le choix de la lettre. L’amitié n’est pas une vertu.

Philosopher est d’abord une façon d’être qui met à l’écart la crainte.

 Ne pas craindre la mort

 Ne pas craindre les dieux

 Modérer ses désirs

La philosophie est un exercice de libération, un apprentissage de la liberté

Après la présentation de la philosophie comme exercice et posé le bonheur comme but à atteindre, le texte s’articule ainsi :

  1. Les Dieux ne sont pas à craindre. Ils ne s’intéressent pas aux hommes. Poser le contraire c’est être superstitieux et perdre le bonheur.
  2. Refus du hasard et de la fatalité.
  3. Certaines circonstances peuvent nuire à notre liberté mais elles ne sont pas une entrave.
  4. Le plaisir est la quête essentielle de l’homme. Il est fondamentalement absence de douleur.
  5. Le plaisir est dans les limites du besoin, sans exclure le superflu.
  6. La tempérance est une expérience singulière : refus de toute pensée systématique.
  7. Le bonheur s’obtient par une expérience et une pensée pratique. Nécessité de connaître la physique pour comprendre que nous n’échappons pas aux lois de la nature.
  8. le plaisir ultime : la réflexion.
Épicure à Ménécée, salut. (trad Jean Salem avec ses notes en surlignage)

Quand on est jeune il ne faut pas remettre à philosopher, et quand on est vieux il ne faut pas se lasser de philosopher. Car jamais il n’est trop tôt ou trop tard pour travailler à la santé de l’âme. Or celui qui dit que l’heure de philosopher n’est pas encore arrivée ou est passée pour lui, ressemble à un homme qui dirait que l’heure d’être heureux n’est pas encore venue pour lui ou qu’elle n’est plus. Le jeune homme et le vieillard doivent donc philosopher l’un et l’autre, celui-ci pour rajeunir au contact du bien, en se remémorant les jours agréables du passé. Le souvenir du passé n’est pas l’expression d’une nostalgie pour le vieillard, mais la possibilité de redynamiser son existence actuelle et donc de « rajeunir ». ; celui-là afin d’être, quoique jeune, tranquille comme un ancien en face de l’avenir. Par conséquent il faut méditer sur les causes qui peuvent produire le bonheur puisque, lorsqu’il est à nous, nous avons tout, et que, quand il nous manque, nous faisons tout pour l’avoir. Attache-toi donc aux enseignements que je n’ai cessé de te donner et que je vais te répéter ; mets-les en pratique et médite-les, convaincu que ce sont là les principes nécessaires pour bien vivre. Commence par te persuader qu’un dieu est un vivant immortel et bienheureux, te conformant en cela à la notion commune qui en est tracée en nous. N’attribue jamais à un dieu rien qui soit en opposition avec l’immortalité ni en désaccord avec la béatitude ; mais regarde-le toujours comme possédant tout ce que tu trouveras capable d’assurer son immortalité et sa béatitude. Car les dieux existent, attendu que la connaissance qu’on en a est évidente. Mais, quant à leur nature, ils ne sont pas tels que la foule le croit. Et l’impie n’est pas celui qui rejette les dieux de la foule : c’est celui qui attribue aux dieux ce que leur prêtent les opinions de la foule. Car les affirmations de la foule sur les dieux ne sont pas des prénotions, mais bien des présomptions fausses. Et ces présomptions fausses font que les dieux sont censés être pour les méchants la source des plus grands maux comme, d’autre part, pour les bons la source des plus grands biens. Mais la multitude, incapable de se déprendre de ce qui est chez elle et à ses yeux le propre de la vertu, n’accepte que des dieux conformes à cet idéal et regarde comme absurde tout ce qui s’en écarte. Prends l’habitude de penser que la mort n’est rien pour nous. Car tout bien et tout mal résident dans la sensation : or la mort est privation de toute sensibilité. Par conséquent, la connaissance de cette vérité que la mort n’est rien pour nous, nous rend capables de jouir de cette vie mortelle, non pas en y ajoutant la perspective d’une durée infinie, mais en nous enlevant le désir de l’immortalité. Car il ne reste plus rien à redouter dans la vie, pour qui a vraiment compris que hors de la vie il n’y a rien de redoutable. On prononce donc de vaines paroles quand on soutient que la mort est à craindre non pas parce qu’elle sera douloureuse étant réalisée, mais parce qu’à est douloureux de l’attendre. Ce serait en effet une crainte vaine et sans objet que celle qui serait produite par l’attente d’une chose qui ne cause aucun trouble par sa présence. Ainsi celui de tous les maux qui nous donne le plus d’horreur, la mort, n’est rien pour nous, puisque, tant que nous existons nous-mêmes, la mort n’est pas, et que, quand la mort existe, nous ne sommes plus. Donc la mort n’existe ni pour les vivants ni pour les morts, puisqu’elle n’a rien à faire avec les premiers, et que les seconds ne sont plus. Mais la multitude tantôt fuit la mort comme le pire des maux, tantôt l’appelle comme le terme des maux de la vie. Le sage, au contraire, ne fait pas fi de la vie et il n’a pas peur non plus de ne plus vivre : car la vie ne lui est pas à charge, et il n’estime pas non plus qu’il y ait le moindre mal à ne plus vivre. De même que ce n’est pas toujours la nourriture la plus abondante que nous préférons, mais parfois la plus agréable, pareillement ce n’est pas toujours la plus longue durée qu’on vent recueillir, mais la plus agréable. Quant à ceux qui conseillent aux jeunes gens de bien vivre et aux vieillards de bien finir, leur conseil est dépourvu de sens, non seulement parce que la vie a du bon même pour le vieillard, mais parce que le soin de bien vivre et celui de bien mourir ne font qu’un. On fait pis encore quand on dit qu’il est bien de ne pas naître, ou, « une fois né, de franchir au plus vite les portes de l’Hadès ». Car si l’homme qui tient ce langage est convaincu, comment ne sort-il pas de la vie ? C’est là en effet une chose qui est toujours à sa portée, s’il veut sa mort d’une volonté ferme. Que si cet homme plaisante, il montre de la légèreté en un sujet qui n’en comporte pas. Rappelle-toi que l’avenir n’est ni à nous ni pourtant tout à fait hors de nos prises, de telle sorte que nous ne devons ni compter sur lui comme s’il devait sûrement arriver, ni nous interdire toute espérance, comme s’il était sûr qu’il dût ne pas être. Il faut se rendre compte que parmi nos désirs les uns sont naturels, les autres vains, et que, parmi les désirs naturels, les uns sont nécessaires et les autres naturels seulement. Parmi les désirs nécessaires, les uns sont nécessaires pour le bonheur, les autres pour la tranquillité du corps, les autres pour la vie même. Et en effet une théorie non erronée des désirs doit rapporter tout choix et toute aversion à la santé du corps et à l’ataraxie de l’âme, puisque c’est là la perfection même de la vie heureuse. Car nous faisons tout afin d’éviter la douleur physique et le trouble de l’âme. Lorsqu’une fois nous y avons réussi, toute l’agitation de l’âme tombe, l’être vivant n’ayant plus à s’acheminer vers quelque chose qui lui manque, ni à chercher autre chose pour parfaire le bien-être de l’âme et celui du corps. Nous n’avons en effet besoin du plaisir que quand, par suite de son absence, nous éprouvons de la douleur ; et quand nous n’éprouvons pas de douleur nous n’avons plus besoin du plaisir. C’est pourquoi nous disons que le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse. En effet, d’une part, le plaisir est reconnu par nous comme le bien primitif et conforme à notre nature, et c’est de lui que nous partons pour déterminer ce qu’il faut choisir et ce qu’il faut éviter ; d’autre part, c’est toujours à lui que nous aboutissons, puisque ce sont nos affections qui nous servent de règle pour mesurer et apprécier tout bien quelconque si complexe qu’il soit. Mais, précisément parce que le plaisir est le bien primitif et conforme à notre nature, nous ne recherchons pas tout plaisir, et il y a des cas où nous passons par-dessus beaucoup de plaisirs, savoir lorsqu’ils doivent avoir pour suite des peines qui les surpassent ; et, d’autre part, il a des douleurs que nous estimons valoir mieux que des plaisirs, savoir lorsque, après avoir longtemps supporté les douleurs, il doit résulter de là pour nous un plaisir qui les surpasse. Tout plaisir, pris en lui-même et dans sa nature propre, est donc un bien, et cependant tout plaisir n’est pas à rechercher ; pareillement, toute douleur est un mal, et pourtant toute douleur ne doit pas être évitée. En tout cas, chaque plaisir et chaque douleur doivent être appréciés par une comparaison des avantages et des inconvénients à attendre. Car le plaisir est toujours le bien, et la douleur le mal ; seulement il y a des cas où nous traitons le bien comme un mal, et le mal, à son tour, comme un bien. C’est un grand bien à notre avis que de se suffire à soi-même, non qu’il faille toujours vivre de peu, mais afin que si l’abondance nous manque, nous sachions nous contenter du peu que nous aurons, bien persuadés que ceux-là jouissent le plus vivement de l’opulence qui ont le moins besoin d’elle, et que tout ce qui est naturel est aisé à se procurer, tandis que ce qui ne répond pas à un désir naturel est malaisé à se procurer. En effet, des mets simples donnent un plaisir égal à celui d’un régime somptueux si toute la douleur causée par le besoin est supprimée, et, d’autre part, du pain d’orge et de l’eau procurent le plus vif plaisir à celui qui les porte à sa bouche après en avoir senti la privation. L’habitude d’une nourriture simple et non pas celle d’une nourriture luxueuse, convient donc pour donner la pleine santé, pour laisser à l’homme toute liberté de se consacrer aux devoirs nécessaires de la vie, pour nous disposer à mieux goûter les repas luxueux, lorsque nous les faisons après des intervalles de vie frugale, enfin pour nous mettre en état de ne pas craindre la mauvaise fortune. Quand donc nous disons que le plaisir est le but de la vie, nous ne parlons pas des plaisirs voluptueux et inquiets, ni de ceux qui consistent dans les jouissances déréglées, ainsi que l’écrivent des gens qui ignorent notre doctrine, ou qui la combattent et la prennent dans un mauvais sens. Le plaisir dont nous parlons est celui qui consiste, pour le corps, à ne pas souffrir et, pour l’âme, à être sans trouble. Car ce n’est pas une suite ininterrompue de jours passés à boire et à manger, ce n’est pas la jouissance des jeunes garçons et des femmes, ce n’est pas la saveur des poissons et des autres mets que porte une table somptueuse, ce n’est pas tout cela qui engendre la vie heureuse, mais c’est le raisonnement vigilant, capable de trouver en toute circonstance les motifs de ce qu’il faut choisir et de ce qu’il faut éviter, et de rejeter les vaines opinions d’où provient le plus grand trouble des âmes. Or, le principe de tout cela et par conséquent le plus grand des biens, c’est la prudence. Il faut donc la mettre au-dessus de la philosophie même, puisqu’elle est faite pour être la source de toutes les vertus, en nous enseignant qu’il n’y a pas moyen de vivre agréablement si l’on ne vit pas avec prudence, honnêteté et justice, et qu’il est impossible de vivre avec prudence, honnêteté et justice si l’on ne vit pas agréablement. Les vertus en effet, ne sont que des suites naturelles et nécessaires de la vie agréable et, à son tour, la vie agréable ne saurait se réaliser en elle-même et à part des vertus. Et maintenant y a-t-il quelqu’un que tu mettes au-dessus du sage ? Il s’est fait sur les dieux des opinions pieuses ; il est constamment sans crainte en face de la mort ; il a su comprendre quel est le but de la nature ; il s’est rendu compte que ce souverain bien est facile à atteindre et à réaliser dans son intégrité, qu’en revanche le mal le plus extrême est étroitement limité quant à la durée ou quant à l’intensité. Il se moque du destin, dont certains font le maître absolu des choses* ; et certes mieux vaudrait s’incliner devant toutes les opinions mythiques sur les dieux que de se faire les esclaves du destin des physiciens, car la mythologie nous promet que les dieux se laisseront fléchir par les honneurs qui leur seront rendus, tandis que le destin, dans son cours nécessaire, est inflexible ; il n’admet pas, avec la foule, que la fortune soit une divinité — car un dieu ne fait jamais d’actes sans règles —, ni qu’elle soit une cause inefficace : il ne croit pas, en effet, que la fortune distribue aux hommes le bien et le mal, suffisant ainsi à faire leur bonheur et leur malheur, il croit seulement qu’elle leur fournit l’occasion et les éléments de grands biens et de grands maux ; enfin il pense qu’il vaut mieux échouer par mauvaise fortune, après avoir bien raisonné, que réussir par heureuse fortune, après avoir mal raisonné — ce qui petit nous arriver de plus heureux dans nos actions étant d’obtenir le succès par le concours de la fortune lorsque nous avons agi en vertu de jugements sains. Médite donc tous ces enseignements et tous ceux qui s’y rattachent, médite-les jour et nuit, à part toi et aussi en commun avec ton semblable. Si tu le fais, jamais tu n’éprouveras le moindre trouble en songe ou éveillé, et tu vivras comme un dieu parmi les hommes. Car un homme qui vit au milieu de biens impérissables ne ressemble en rien à un être mortel.

  • Il dit ailleurs que, parmi les événements, les uns relèvent de la nécessité, d’autres de la fortune, les autres enfin de notre propre pouvoir, attendu que la nécessité n’est pas susceptible qu’on lui impute une responsabilité, que la fortune est quelque chose d’instable, tandis que notre pouvoir propre, soustrait à toute domination étrangère, est proprement ce à quoi s’adressent le blâme et son contraire (scholie)
Une philosophie de l’écart.

Toute la philosophie d’Epicure a pour fondement une conception atomistique de l’univers : associé à la nécessité de la course droite des atomes, les déterminant à ne jamais se rencontrer. Cependant il y a place pour un hasard qui introduit une déviation dans cette course, appelée clinamen. Ainsi n’y-a-t-il chez Epicure aucune absolue nécessité, mais une place pour la liberté.

De même, note-t-on que le sage est à l’écart, les Dieux vivent à l’écart des hommes dans une totale félicité. Si "se mettre à l’écart" est souvent vu comme un concept d’exclusion, il n’est pas vu ainsi par Epicure. On n’est à l’écart que de celui qui se prend pour le centre. Si l’écart est un "ailleurs" pour celui qui regarde, il est un "ici" pour celui qui y est. Le sage ne se décentre pas, il se recentre sur son groupe et lui-même.C’est pourquoi le lien social n’est pas le plus important. La cellule mère du principe de clinamen : quelques vers de Lucrèce

De rerum natura, Livre II, à partir de 217...[...] 292|

TRADUCTION COMPLÈTE EN VERS FRANÇAIS AVEC UNE PRÉFACE ET DES SOMMAIRES

de ANDRÉ LEFÈVRE sur le site de : L’antiquité grecque et latine Du moyen âge,de Philippe Remacle, Philippe Renault, François-Dominique Fournier, J. P. Murcia, Thierry Vebr, Caroline Carrat.
[L2, 217sq]Corpora cum deorsum rectum per inane feruntur/ ponderibus propriis,

Les atomes descendent bien en droite ligne dans le vide, /entraînés par leur pesanteur ;

incerto tempore ferme /incertisque locis spatio depellere paulum,

mais il leur arrive, on ne saurait dire où ni quand, de s’écarter un peu de la verticale.

Questions ?
[bleu]Quel est le but d’une lettre ?
La philosophie doit-elle être seulement théorique ?[/bleu] 
Compléter ces réponses avec le texte de Sénèque qui s’adresse à Lucilius.

 

 

Sénèque : LETTRE IX. Pourquoi le sage se fait des amis. 

Épicure a-t-il raison de blâmer, dans une de ses lettres, ceux qui disent que le sage se suffit à lui-même et partant n’a pas besoin d’amis ? voilà ce que tu veux savoir. Épicure s’attaquait à Stilpon et à ceux qui voient le bien suprême dans une âme qui ne souffre de rien. L’ambiguïté est inévitable, si nous voulons rendre άπάθειαν par un seul mot précis et mettre impatientiam : car on pourra comprendre le contraire de ce que nous donnons à entendre. Nous voulons désigner l’homme qui repousse tout sentiment du mal, et on l’entendrait de celui pour qui tout mal est insupportable : vois donc s’il n’est pas mieux de dire une âme invulnérable, ou une âme placée en dehors de toute souffrance. Voici en quoi nous différons des Mégariques : notre sage est invincible à toutes les disgrâces, mais il n’y est pas insensible ; le leur ne les sent même pas. Le point commun entre eux et nous, c’est que le sage se suffit : toutefois il désire en outre les douceurs de l’amitié, du voisinage, du même toit, bien qu’il trouve en soi assez de ressources. Il se suffit si bien à lui-même, que souvent une partie de lui-même lui suffit, s’il perd une main par la maladie ou sous le fer de l’ennemi. Qu’un accident le prive d’un œil, il est satisfait de ce qui lui reste : mutilez, retranchez ses membres, il demeurera aussi serein que quand il les avait intacts. Les choses qui lui manquent, il ne les regrette pas ; mais il préfère n’en pas être privé. Si le sage se suffit, ce n’est pas qu’il ne veuille point d’ami ; c’est qu’il peut s’en passer ; et quand je dis qu’il le peut, j’entends qu’il en souffre patiemment la perte. Il ne sera jamais sans un ami ; il est maître de le remplacer sitôt qu’il le veut. Comme Phidias, s’il perd une statue, en aura bientôt fait une autre ; ainsi le sage, ce grand artiste en amitié, trouve à remplir la place vacante. Comment, dis-tu, peut-il faire si vite un ami ? Je te le dirai si tu veux bien que dès à présent je te paye ma dette, et que pour cette lettre nous soyons quittes. Hécaton a dit : « Voici une recette pour se faire aimer sans drogues, ni herbe, ni paroles magiques de sorcière. Aimez, on vous aimera. » Ce qu’il y a de différence pour l’agriculteur entre moissonner et semer existe entre tel qui s’est fait un ami et tel qui s’en fait un. Le philosophe Attale disait souvent : « Il est plus doux de faire que d’avoir un ami, comme l’artiste jouit plus à peindre son tableau qu’à l’avoir peint. » Occupé qu’il est à son œuvre avec tant de sollicitude, que d’attraits pour lui dans cette occupation même ! L’enchantement n’est plus si vif quand, l’œuvre finie, sa main a quitté la toile ; alors il jouit du fruit de son art : il jouissait de l’art même lorsqu’il tenait le pinceau. Dans nos enfants l’adolescence porte plus de fruits ; mais leurs premiers ans charment davantage.

Revenons à notre propos. Le sage, bien qu’il se suffise, n’en désire pas moins un ami, ne fût-ce que pour exercer l’amitié, pour qu’une si belle vertu ne reste pas sans culture, et non, comme Épicure le dit dans sa lettre, pour avoir qui veille à son lit de douleur, qui le secoure dans les fers ou dans le besoin, mais un homme qui malade soit assisté par lui, et qui enveloppé d’ennemis soit sauvé par lui de leurs fers. Ne voir que soi, n’embrasser l’amitié que pour soi, méchant calcul : elle finira comme elle a commencé. On a voulu s’assurer d’un auxiliaire contre la captivité ; mais au premier bruit de chaînes plus d’ami. Ce sont amitiés du moment, comme dit le peuple. Choisi dans votre intérêt, je vous plais, tant que je vous sers. De là cette foule d’amis autour des fortunes florissantes ; abattues, quelle solitude ! les amis fuient les lieux d’épreuve. De là tant de ces déloyaux exemples, de ces lâchetés qui vous abandonnent, de ces lâchetés qui vous trahissent. Il faut bien que le début et le dénouement se répondent. Qui s’est fait ami par intérêt sera séduit par quelque avantage contraire à cette amitié, si, en elle, une autre chose qu’elle l’attirait. Pourquoi est-ce que je prends un ami ? afin d’avoir pour qui mourir, d’avoir qui suivre en exil, de qui sauver les jours, s’il le faut, aux dépens des miens. Cette autre union que tu me dépeins est un trafic, ce n’est pas l’amitié : un profit l’appelle, il y va ; le gain à faire, voila son but. Nul doute qu’il y ait quelque ressemblance entre cette vertu et l’affection des amants : l’amour peut se définir la folie de l’amitié. Eh bien ! éprouve-t-on jamais cette folie dans un but de lucre, par ambition, par vanité ? C’est par son propre feu que l’amour, insoucieux de tout le reste, embrase les âmes pour la beauté physique, non sans espoir d’une mutuelle tendresse. Eh quoi ! un principe plus noble produirait-il une affection honteuse ? « Il ne s’agit pas ici, dis-tu, de savoir si l’amitié est à rechercher pour elle-même ou dans quelque autre vue ; si c’est pour elle-même, celui-là peut s’approcher d’elle qui trouve son contentement en soi. » Et de quelle manière s’en approche-t-il ? comme de la plus belle des vertus, sans que le lucre le séduise, ou que les vicissitudes de fortune l’épouvantent. On dégrade cette majestueuse amitié quand on ne veut d’elle que ses bonnes chances. Cette maxime : le sage se suffit, est mésinterprétée, cher Lucilius, par la plupart des hommes : ils repoussent de partout le sage et l’emprisonnent dans son unique individu. Or il faut bien pénétrer le sens et la portée de ce que cette maxime promet. Le sage se suffit quant au bonheur de la vie, mais non quant à la vie elle-même. Celle-ci a de nombreux besoins ; il ne faut pour le bonheur qu’un esprit sain, élevé et contempteur de la Fortune. Je veux te faire part encore d’une distinction de Chrysippe : « Le sage, dit-il, ne manque de rien, et pourtant beaucoup de choses lui sont nécessaires : rien au contraire n’est nécessaire à l’insensé, qui ne sait faire emploi de rien, et tout lui manque. » Le sage a besoin de mains, d’yeux, de mille choses d’un usage journalier et indispensable, mais rien ne lui fait faute ; autrement il serait esclave de la nécessité : or il n’y a pas de nécessité pour le sage. Voilà comment, bien qu’il se suffise, il faut au sage des amis. Il les souhaite les plus nombreux possible, mais ce n’est pas pour vivre heureusement : il sera heureux même sans amis. Le vrai bonheur ne cherche pas à l’extérieur ses éléments : c’est en nous que nous le cultivons ; c’est de lui-même qu’il sort tout entier. On tombe à la merci de la Fortune, dès qu’on cherche au dehors quelque part de soi. « Quelle sera cependant l’existence du sage sans amis, abandonné, plongé dans les cachots, ou laissé seul chez un peuple barbare, ou retenu sur les mers par une longue traversée, ou exposé sur une plage déserte ? » Il sera comme Jupiter qui, dans la dissolution du monde où se confondent en un seul chaos les dieux et la nature un moment expirante, se recueille absorbé dans ses propres pensées. Ainsi fait en quelque façon le sage : il se replie en soi, il se tient compagnie. Tant qu’il lui est permis de régler son sort à sa guise, il se suffit, et néanmoins prend femme ; il se suffit, et devient père, et il ne vivrait pas, s’il lui fallait vivre seul. Ce qui le porte à l’amitié, ce n’est nullement l’intérêt ; c’est un entraînement de la nature, laquelle ainsi qu’à d’autres choses a attaché un charme à l’amitié. La solitude nous est aussi odieuse que la société de nos semblables nous est attrayante ; et comme la nature rapproche l’homme de l’homme, de même encore un instinct pressant l’invite à se chercher des amis. Mais tout attaché qu’il soit à ceux qu’il s’est faits, bien qu’il les mette sur la même ligne, souvent plus haut que lui, le sage n’en restreindra pas moins sa félicité dans son cœur et dira ce qu’a dit Stilpon qu’Épicure malmène dans une de ses lettres. Stilpon, à la prise de sa ville natale, avait perdu ses enfants, perdu sa femme, et de l’embrasement général il s’échappait seul et heureux pourtant, quand Démétrius, que nombre de villes détruites avaient fait surnommer Poliorcète, lui demanda s’il n’avait rien perdu ? « Tous mes biens, répondit-il, sont avec moi. » Voilà l’homme fort, voilà le héros ! Il a vaincu la victoire même de son ennemi : « Je n’ai rien perdu, » lui dit-il, et il le réduit à douter de sa conquête. « Tous mes biens sont avec moi, » justice, fermeté, prudence et ce principe même qui ne compte comme bien rien de ce que peuvent ravir les hommes. On admire certains animaux qui passent impunément au travers des feux ; combien est plus admirable l’homme qui du milieu des glaives, des écroulements, des incendies, s’échappe sans blessure et sans perte ! Tu vois qu’il en coûte moins de vaincre toute une nation qu’un seul homme. Ce mot de Stilpon est celui du stoïcien : lui aussi emporte ses richesses intactes à travers les villes embrasées ; car il se suffit à lui-même, il borne là sa félicité. Ne crois pas qu’il n’y ait que nous qui ayons à la bouche de fières paroles ; ce même censeur de Stilpon, Épicure a fait entendre un mot semblable que tu peux prendre comme cadeau, bien que ce jour-ci soit soldé. « Celui qui ne se trouve pas amplement riche, fût-il maître du monde, est toujours malheureux. » Ou, si la chose te semble mieux énoncée d’une autre manière, car il faut s’asservir moins aux paroles qu’au sens : « Celui-là est misérable qui ne se juge pas très-heureux, commandât-il à l’univers. » Vérité vulgaire, comme tu vas le voir, dictée qu’elle est par la nature ; tu trouveras dans un poète comique :

N’est pas heureux qui ne pense point l’être.

Qu’importe en effet quelle situation est la tienne, si elle te semble mauvaise ? « Quoi ! vas-tu m’objecter, ce riche engraissé d’infamie, qui a tant d’esclaves, mais bien plus de maîtres, pour être heureux n’a-t-il qu’à se proclamer tel ? » Je réponds qu’il s’agit non de ses dires, mais de son sentiment, non de son sentiment d’un jour, mais de celui de tous les instants. N’ayons peur qu’un aussi rare trésor que le bonheur tombe aux mains d’un indigne. Hormis le sage, nul n’est content de ce qu’il est : toute déraison est travaillée du dégoût d’elle-même.


Exercice

Rédiger une lettre à un disciple de Sénèque en reprenant les arguments d’Epicure. Construisez aussi les réponses du disciple.

 

On abordera en groupe cette question du rapport de la morale et du bonheur à partir des lettres de Descartes à Elisabeth

 
Présenter la Princesse Elisabeth
Présenter le contexte historique de ces lettres.
Réaliser un ebook sur la maladie et le bonheur. Rechercher dans le texte de Descartes les occurrences de la maladie. Quelles sont selon son analyse de la VIe partie du Discours de la Méthode [archive], les conditions physiques du bonheur ? Pourquoi est-il urgent de développer la technique ?
Repérer les passages où Descartes confronte morale et bonheur. Que reproche-t-il au mot « bonheur » ? A ce propos il parle d’hésitation, de choix sans réflexion. Expliquer en quoi le contentement est le résultat d’un choix volontaire et réfléchi.

Introduction à la problématisation philosophique de la question 

Descartes est pris entre plusieurs traditions :

 la tradition antique des stoïciens et d’Epicure et son Jardin

 la chrétienté qui voit dans la charité, une générosité morale source de bonheur

 le théâtre tragique et ses héros qui défend une autre conception de la générosité - ou tragi-comique comme Le Cid de Corneille

 l’humanisme de Rabelais, Montaigne, La Boétie

Qu’est-ce qui peut rendre l’homme « malheureux » ?

Les fausses conceptions du bonheur 

BONHEUR ET HASARD 

OOjs UI icon helpNotice-ltr-progressive.png Quelle différence introduit Descartes entre les grandes âmes et les âmes vulgaires ?
Mais il me semble que la différence qui est entre les plus grandes âmes et celles qui sont basses et vulgaires, consiste, principalement, en ce que les âmes vulgaires se laissent aller à leurs passions, et ne sont heureuses ou malheureuses, que selon que les choses qui leur surviennent sont agréables ou déplaisantes ; au lieu que les autres ont des raisonnements si forts et si puissants que, bien qu’elles aient aussi des passions, et même souvent de plus violentes que celles du commun, leur raison demeure néanmoins toujours la maîtresse, et fait que les afflictions même leur servent, et contribuent à la parfaite félicité dont elles jouissent dès cette vie. Car, d’une part, se considérant comme immortelles et capables de recevoir de très grands contentements, puis, d’autre part, considérant qu’elles sont jointes à des corps mortels et fragiles, qui sont sujets à beaucoup d’infirmités, et qui ne peuvent manquer de périr dans peu d’années, elles font bien tout ce qui est en leur pouvoir pour se rendre la fortune favorable en cette vie, mais néanmoins elles l’estiment si peu, au regard de l’éternité, qu’elles n’en considèrent quasi les événements que comme nous faisons ceux des comédies. Et comme les histoires tristes et lamentables, que nous voyons représenter sur un théâtre, nous donnent souvent autant de récréation que les gaies, bien qu’elles tirent des larmes de nos yeux ; ainsi ces plus grandes âmes, dont je parle, ont de la satisfaction, en elles-mêmes, de toutes les choses qui leur arrivent, même des plus fâcheuses et insupportables. Ainsi, ressentant de la douleur en leur corps, elles s’exercent à la supporter patiemment, et cette épreuve qu’elles font de leur force leur est agréable ; ainsi, voyant leurs amis en quelque grande affliction, elles compatissent à leur mal, et font tout leur possible pour les en délivrer, et ne craignent pas même de s’exposer à la mort pour ce sujet, s’il en est besoin. Mais, cependant, le témoignage que leur donne leur conscience, de ce qu’elles s’acquittent en cela de leur devoir, et font une action louable et vertueuse, les rend plus heureuses, que toute la tristesse, que leur donne la compassion, ne les afflige. Et enfin, comme les plus grandes prospérités de la fortune ne les enivrent jamais, et ne les rendent point plus insolentes, aussi les plus grandes adversités ne les peuvent abattre ni rendre si tristes, que le corps, auquel elles sont jointes, en devienne malade.
OOjs UI icon helpNotice-ltr-progressive.png Etude en groupe de la lettre du 18 mai 1645 [archive]

LES PLAISIRS DU CORPS 

Madame, Je me suis quelquefois proposé un doute : savoir s’il est mieux d’être gai et content, en imaginant les biens qu’on possède être plus grands et plus estimables qu’ils ne sont, et ignorant ou ne s’arrêtant pas à considérer ceux qui manquent, que d’avoir plus de considération et de savoir, pour connaître la juste valeur des uns et des autres, et qu’on devienne plus triste. Si je pensais que le souverain bien fût la joie, je ne douterais point qu’on ne dût tâcher de se rendre joyeux, à quelque prix que ce pût être, et j’approuverais la brutalité de ceux qui noient leurs déplaisirs dans le vin, ou les étourdissent avec du pétun. 

OOjs UI icon helpNotice-ltr-progressive.png Mieux vaut ne pas connaître la juste valeur des uns et des autres : pourquoi l’imagination se trouve-t-elle ici valorisée ?... Pour être finalement rejetée ?

  • Quelle est la source de nos illusions ?

Mais je distingue entre le souverain bien, qui consiste en l’exercice de la vertu, ou (ce qui est le même), en la possession de tous les biens, dont l’acquisition dépend de notre libre arbitre, et la satisfaction d’esprit qui suit de cette acquisition. C’est pourquoi, voyant que c’est une plus grande perfection de connaître la vérité, encore. Mais lorsqu’on peut avoir diverses considérations également vraies, dont les unes nous portent à être contents, et les autres, au contraire nous en empêchent, il me semble que la prudence veut que nous nous arrêtions principalement à celles qui nous donnent de la satisfaction ; et même, à cause que presque toutes les choses du monde sont telles, qu’on les peut regarder de quelque côté qui les fait paraître bonnes, et de quelque autre qui fait qu’on y remarque des défauts, je crois que, si on doit user de son adresse en quelque chose, c’est principalement à les savoir regarder du biais qui les fait paraître le plus à notre avantage, pourvu que ce soit ...
OOjs UI icon helpNotice-ltr-progressive.png Pourquoi Descartes insiste-t-il sur les excès ? A quelle science appartient la mesure ? La vertu morale est un exercice avant que d’être une théorie : expliquer

Quel est le critère de l’action bonne ?

A quel domaine renvoie « l’adresse » ? Expliquer en quoi la morale est un savoir-faire et que les actions humaines ne sont pas scientifiquement établies.

En quoi la satisfaction personnelle vaut-elle mieux ? Ce n’est pas de l’égoïsme. Pourquoi ? Expliquer cette étonnante conclusion :

la prudence veut que nous nous arrêtions principalement à celles qui nous donnent de la satisfaction ; et même, à cause que presque toutes les choses du monde sont telles, qu’on les peut regarder de quelque côté qui les fait paraître bonnes, et de quelque autre qui fait qu’on y remarque des défauts, je crois que, si on doit user de son adresse en quelque chose, c’est principalement à les savoir regarder du biais qui les fait paraître le plus à notre avantage, pourvu que ce soit ...

La logique de l’excès 

OOjs UI icon helpNotice-ltr-progressive.png Les plaisirs tels la beuverie ou la drogue mènent-ils au bonheur ? Regarder : DU MONDE VISIONNAIRE [archive] Fonds Eric Duvivier Un film d’Henri Michaux, réalisé par Eric Duvivier. Musique Gilbert Amy. Ce film se propose de montrer les types d’images, et leurs façons spéciales d’apparaître et de disparaître, qu’un sujet quelconque, soumis à l’action de certaines substances psychotropes, voit défiler en son imagination avec une clarté extrême et sans l’intervention de sa volonté. Deux genres de visions, dont on a ici accusé les différences plutôt que les ressemblances, correspondent donc à deux hallucinogènes. A Noter l’importance de l’imagination et de l’illusion qui jouent contre la vérité pour parvenir à la joie. Il y a là quelque chose de surprenant, du moins du point de vue moral. La joie est excessive, à la recherche de la démesure - d’où l’emploi des superlatifs dans ce début de texte. A titre d’exemple, boire et se droguer sont des chemins faciles pour y parvenir. Qualifiant les adeptes de ce type de plaisirs « d’abrutis », on comprend très vite que Descartes désapprouve ces excès car impropres à l’homme raisonnable.

Du droit civil, je veulx que tu saiches par cueur les beaulx textes et me les confere avecques philosophie. Et, quand à la congnoissance desfaictz de nature, je veulx que tu te y adonne curieusement : qu’il n’y ayt mer, riviere ny fontaine, dont tu ne congnoisse les poissons ; tous les oyseaulx de l’air, tous les arbres, arbustes et fructices des forestz, toutes les herbes de la terre, tous les metaulx cachez au ventre des abysmes, les pierreries de tout Orient et Midy, rien ne te soit incongneu. Puis songeusement revisite les livres des medicins Grecs, Arabes et Latins, sans contemner les Thalmudistes et Cabalistes, et par frequentes anatomies, acquiers toy parfaicte congnoissance de l’aultre monde, qui est l’homme. Et, par lesquelles heures du jour commence à visiter les sainctes lettres : premierement, en Grec, le Nouveau Testament et Epistres des Apostres, et puis, en Hebrieu, le Vieulx Testament. Somme, que je voy un abysme de science. Car, doresnavant que tu deviens homme et te fais grand, il te fauldra yssir de ceste tranquillité et repos d’estude, et apprendre la chevalerie et les armes pour defendre ma maison, et nos amys secourir en tous leurs affaires contre les assaulx des malfaisans. Et veux que, de brief tu essaye combien tu as proffité, ce que tu ne pourras mieulx faire que tenent conclusions en tout sçavoir, publiquement, envers tous et contre tous, et hantant les gens lettrez qui sont tant à Paris comme ailleurs. Mais parce que, selon le saige Salomon, sapience n’entre poinct en ame malivole et science sans conscience n’est que ruine de l’ame, il te convient servir, aymer et craindre Dieu, et en luy mettre toutes tes pensées et tout ton espoir, et par foy formée de charité, estre à luy adjoinct, en sorte que jamais n’en soys désamparé par peché. Aye suspectz les abus du monde. Ne metz ton cueur à vanité, car ceste vie est transitoire, mais la parolle de Dieu demeure eternellement. Soys serviable à tous tes prochains et les ayme comme toy mesmes. Revere tes precepteurs ; fuis les compaignies des gens esquelz tu ne veulx point resembler, et, les graces que Dieu te a données, icelles ne reçoipz en vain. Et, quand tu congnoistras que auras tout le sçavoir de par delà acquis, retourne vers moy, affin que je te voye et donne ma benediction devant que mourir. Mon filz, la paix et grace de Nostre Seigneur soit avecques toy. Amen. De Utopie. ce dix septiesme jour du moys de mars.Ton père, GARGANTUA "

OOjs UI icon helpNotice-ltr-progressive.png Il y a d’autres excès. L’érudition par exemple. Lire La lettre à Elisabeth du 3 novembre 1647 et comparer avec le texte ci-dessus de Rabelais : Pantagruel 8 [archive]. Quel est le risque avec l’érudition ? Constituer un dossier sur cette thématique

La juste mesure 

OOjs UI icon helpNotice-ltr-progressive.png La juste mesure : en quoi les mathématiques sont-elles un modèle pour la morale ? Même si on ne possède pas toutes les connaissances du fait d’un entendement fini, que propose Descartes dans ce texte ? La connaissance peut-elle tout ? Expliquer la différence entre action et connaissance à partir de cette phrase dans le texte suivant : Mais on devrait plutôt se repentir, si on avait fait quelque chose contre sa conscience, encore qu’on reconnût, par après, avoir mieux fait qu’on n’avait pensé : car nous n’avons à répondre que de nos pensées ; et la nature de l’homme n’est pas de tout savoir, ni de juger toujours si bien sur-le-champ que lorsqu’on a beaucoup de temps à délibérer

Lire ce passage de la lettre de Descartes du 6 octobre 1645

Ainsi, lorsque Votre Altesse remarque les causes pour lesquelles elle peut avoir eu plus de loisir, pour cultiver sa raison, que beaucoup d’autres de son âge, s’il lui plaît aussi considérer combien elle a plus profité que ces autres, je m’assure qu’elle aura de quoi se contenter. Et je ne vois pas pourquoi elle aime mieux se comparer à elles, en ce dont elle prend sujet de se plaindre, qu’en ce qui lui pourrait donner de la satisfaction. Car la constitution de notre nature étant telle, que notre esprit a besoin de beaucoup de relâche, afin qu’il puisse employer utilement quelques moments en la recherche de la vérité, et qu’il s’assoupirait, au lieu de se polir, s’il s’appliquait trop à l’étude, nous ne devons pas mesurer le temps que nous avons pu employer à nous instruire, par le nombre des heures que nous avons eues a nous, mais plutôt, ce me semble, par l’exemple de ce que nous voyons communément arriver aux autres, comme étant une marque de la portée ordinaire de l’esprit humain. Il me semble aussi qu’on n’a point sujet de se repentir, lorsqu’on a fait ce qu’on a jugé être le meilleur au temps qu’on a dû se résoudre à l’exécution, encore que, par après, y repensant avec plus de loisir, on juge avoir failli. Mais on devrait plutôt se repentir, si on avait fait quelque chose contre sa conscience, encore qu’on reconnût, par après, avoir mieux fait qu’on n’avait pensé : car

nous n’avons à répondre que de nos pensées ; et la nature de l’homme n’est pas de tout savoir, ni de juger toujours si bien sur-le-champ que lorsqu’on a beaucoup de temps à délibérer.


OOjs UI icon helpNotice-ltr-progressive.png Quelles sont les limites de la constitution humaine ? En quoi l’observation construit-elle un savoir ? A quelle science renvoie ici Descartes ? Pourquoi le regret est inutile ? Expliquer les difficultés de la liberté face au choix. Pourquoi la morale ne peut-elle prendre appui sur la connaissance ? (.à ce propos voir ce qu’écrit Descartes dans Le discours de la Méthode à propos de l’âne de Buridan)

Comment faire le bon choix ? Satisfaction et contentement. 

Au reste, encore que la vanité qui fait qu’on a meilleure opinion de soi qu’on ne doit, soit un vice qui n’appartient qu’aux âmes faibles et basses, ce n’est pas à dire que les plus fortes et généreuses se doivent mépriser ; mais il se faut faire justice à soi-même, en reconnaissant ses perfections aussi bien que ses défauts ; et si la bienséance empêche qu’on ne les publie, elle n’empêche pas pour cela qu’on ne les ressente. Enfin, encore qu’on n’ait pas une science infinie, pour connaître parfaitement tous les biens dont il arrive qu’on doit faire choix dans les diverses rencontres de la vie, on doit, ce me semble, se contenter d’en avoir une médiocre des choses plus nécessaires, comme sont celles que j’ai dénombrées en ma dernière lettre. En laquelle j’ai déjà déclaré mon opinion, touchant la difficulté que Votre Altesse propose : savoir si ceux qui rapportent tout à eux-mêmes ont plus de raison que ceux qui se tourmentent pour les autres. Car si nous ne pensions qu’à nous seuls, nous ne pourrions jouir que des biens qui nous sont particuliers ; au lieu que, si nous nous considérons comme parties de quelque autre corps, nous participons aussi aux biens qui lui sont communs, sans être privés pour cela d’aucun de ceux qui nous sont propres. Et il n’en est pas de même des maux ; car, selon la philosophie, le mal n’est rien de réel, mais seulement une privation ; et lorsque nous nous attristons, à cause de quelque mal qui arrive à nos amis, nous ne participons point pour cela au défaut dans lequel consiste ce mal ; et quelque tristesse ou quelque peine que nous ayons en telle occasion, elle ne saurait être si grande qu’est la satisfaction intérieure qui accompagne toujours les bonnes actions, et principalement celles qui procèdent d’une pure affection pour autrui qu’on ne rapporte point à soi-même, c’est-à-dire de la vertu chrétienne qu’on nomme charité. Ainsi on peut, même en pleurant et prenant beaucoup de peine, avoir plus de plaisir que lorsqu’on rit et se repose. Et il est aisé de prouver que le plaisir de l’âme auquel consiste la béatitude, n’est pas inséparable de la gaieté et de l’aise du corps, tant par l’exemple des tragédies qui nous plaisent d’autant plus qu’elles excitent en nous plus de tristesse, que par celui des exercices du corps, comme la chasse, le jeu de la paume et autres semblables, qui ne laissent pas d’être agréables, encore qu’ils soient fort pénibles ; et même on voit que souvent c’est la fatigue et la peine qui en augmente le plaisir. Et la cause du contentement que l’âme reçoit en ces exercices, consiste en ce qu’ils lui font remarquer la force, ou l’adresse, ou quelque autre perfection du corps auquel elle est jointe ; mais le contentement qu’elle a de pleurer, en voyant représenter quelque action pitoyable et funeste sur un théâtre, vient principalement de ce qu’il lui semble qu’elle fait une action vertueuse, ayant compassion des affligés ; et généralement elle se plaît à sentir émouvoir en soi des passions, de quelque nature qu’elles soient, pourvu qu’elle en demeure maîtresse.

Questions
Si les représentations, au sens de préjugés n’ont pas leur place dans la connaissance - Descartes déploie le doute à ce propos- le philosophe justifie les représentations en un autre sens. Lequel ?
" le contentement qu’elle a de pleurer, en voyant représenter quelque action pitoyable et funeste sur un théâtre, vient principalement de ce qu’il lui semble qu’elle fait une action vertueuse". A quelle analyse d’Aristote s’oppose ici Descartes
" au lieu que, si nous nous considérons comme parties de quelque autre corps, nous participons aussi aux biens qui lui sont communs, sans être privés pour cela d’aucun de ceux qui nous sont propres." Quelles conséquences politiques se dégage de la position morale de Descartes ?
Quel rapport entretiennent la morale et le contentement ?

OOjs UI icon helpNotice-ltr-progressive.png Dans cet extrait du 3 novembre 1645, Descartes rattache le contentement à l’estime d’autrui et à l’ami qui est unique :
Il m’arrive si peu souvent de rencontrer de bons raisonnements, non seulement dans les discours de ceux que je fréquente en ce désert, mais aussi dans les livres que je consulte, que je ne puis lire ceux qui sont dans les lettres de Votre Altesse, sans en avoir un ressentiment de joie extraordinaire ; et je les trouve si forts, que j’aime mieux avouer d’en être vaincu, que d’entreprendre de leur résister. Car, encore que la comparaison que Votre Altesse refuse de faire à son avantage, puisse assez être vérifiée par l’expérience, c’est toutefois une vertu si louable de juger favorablement des autres, et elle s’accorde si bien avec la générosité qui vous empêche de vouloir mesurer la portée de l’esprit humain par l’exemple du commun des hommes, que je ne puis manquer d’estimer extrêmement l’une et l’autre

La passion de générosité 

OOjs UI icon helpNotice-ltr-progressive.png Pour approfondir expliquer ce paragraphe : en quoi la générosité est-elle la condition du contentement de n’importe qui quelque soit sa condition sociale ? Comparer avec la générosité selon Corneille. Le terme de "noble" a-t-il le même sens ? Construire une problématique de la "générosité" à partir de la définition du Littré [archive]

Gerard Philipe Warsaw National Theatre 1954.jpg

Comment la générosité peut être acquise 

Et il faut remarquer que ce qu’on nomme communément des vertus sont des habitudes en l’âme qui la disposent à certaines pensées, en sorte qu’elles sont différentes de ces pensées, mais qu’elles les peuvent produire, et réciproquement être produites par elles. Il faut remarquer aussi que ces pensées peuvent être produites par l’âme seule, mais qu’il arrive souvent que quelques mouvements des esprits (1 les fortifient, et que pour lors elles sont des actions de vertu et ensemble des passions de l’âme ainsi, encore qu’il n’y ait point de vertu à laquelle il semble que la bonne naissance contribue tant qu’à celle qui fait qu’on ne s’estime que selon sa juste valeur, et qu’il soit aisé à croire que toutes les âmes que Dieu met en nos corps ne sont pas également nobles et fortes (ce qui est cause que j’ai nommé cette vertu générosité, suivant l’usage de notre langue, plutôt que magnanimité, suivant l’usage de l’École (2 où elle n’est pas fort connue) ; il est certain néanmoins que la bonne institution sert beaucoup pour corriger les défauts de la naissance, et que si on s’occupe souvent à considérer ce que c’est que le libre arbitre, et combien sont grands les avantages qui viennent de ce qu’on a une ferme résolution d’en bien user, comme aussi, d’autre côté, combien sont vains et inutiles tous les soins qui travaillent les ambitieux, on peut exciter en soi la passion et ensuite acquérir la vertu de générosité, laquelle étant comme la clef de toutes les autres vertus et le remède général contre tous les dérèglements des passions, il me semble que cette considération mérite bien d’être remarquée".René Descartes, Traité des passions (1649), Éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1953, pp. 773 et 795.

1. Il s’agit des « esprits animaux », particules très subtiles qui circulent dans nos nerfs.

2. I’enseignement de la philosophie scolastique, étudiée au Moyen Âge à l’université.

 

Le Cid Acte I sc 8

Percé jusques au fond du cœur D’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle, Misérable vengeur d’une juste querelle, Et malheureux objet d’une injuste rigueur, Je demeure immobile, et mon âme abattue Cède au coup qui me tue. Si près de voir mon feu récompensé, Ô Dieu, l’étrange peine ! En cet affront mon père est l’offensé, Et l’offenseur le père de Chimène ! Que je sens de rudes combats ! Contre mon propre honneur mon amour s’intéresse : Il faut venger un père, et perdre une maîtresse : L’un m’anime le cœur, l’autre retient mon bras. Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme, Ou de vivre en infâme, Des deux côtés mon mal est infini. Ô Dieu, l’étrange peine ! Faut-il laisser un affront impuni ? Faut-il punir le père de Chimène ? Père, maîtresse, honneur, amour, Noble et dure contrainte, aimable tyrannie, Tous mes plaisirs sont morts, ou ma gloire ternie. L’un me rend malheureux, l’autre indigne du jour. Cher et cruel espoir d’une âme généreuse, Mais ensemble amoureuse, Digne ennemi de mon plus grand bonheur, Fer qui causes ma peine, M’es-tu donné pour venger mon honneur ? M’es-tu donné pour perdre ma Chimène ? Il vaut mieux courir au trépas. Je dois à ma maîtresse aussi bien qu’à mon père : J’attire en me vengeant sa haine et sa colère ; J’attire ses mépris en ne me vengeant pas. À mon plus doux espoir l’un me rend infidèle, Et l’autre indigne d’elle. Mon mal augmente à le vouloir guérir ; Tout redouble ma peine. Allons, mon âme ; et puisqu’il faut mourir, Mourons du moins sans offenser Chimène. Mourir sans tirer ma raison ! Rechercher un trépas si mortel à ma gloire ! Endurer que l’Espagne impute à ma mémoire D’avoir mal soutenu l’honneur de ma maison ! Respecter un amour dont mon âme égarée Voit la perte assurée ! N’écoutons plus ce penser suborneur, Qui ne sert qu’à ma peine. Allons, mon bras, sauvons du moins l’honneur, Puisqu’après tout il faut perdre Chimène. Oui, mon esprit s’était déçu. Je dois tout à mon père avant qu’à ma maîtresse : Que je meure au combat, ou meure de tristesse, Je rendrai mon sang pur comme je l’ai reçu. Je m’accuse déjà de trop de négligence : Courons à la vengeance ; Et tout honteux d’avoir tant balancé, Ne soyons plus en peine, Puisqu’aujourd’hui mon père est l’offensé, Si l’offenseur est père de Chimène [2]

Le bon usage de la liberté condition morale du contentement

 

L’amitié pour Descartes est un exemple de contentement moral

Vous trouverez dans ce Dossier sur l’amitié  de quoi compléter la recherche

Que permet la correspondance épistolaire ?

En quoi est-ce différent d’un livre ?

Comment s’y exprime la Princesse ? Met-elle en avant sa position sociale ?

Quel est le rapport que La Princesse veut établir avec le philosophe ? Expliquer "et particulièrement pour moi".

Quel est le sens du "je" dans la lettre d’Elisabeth ? Est-ce le même que celui de Descartes ?

Pour vous aider lire la Réponse de Descartes à Elisabeth :

J’ai quasi peur que Votre Altesse ne pense que je ne parle pas ici sérieusement ; mais cela serait contraire au respect que je lui dois, et que je ne manquerai jamais de lui rendre. Et je puis dire, avec vérité, que la principale règle que j’ai toujours observée en mes études et celle que je crois m’avoir le plus servi pour acquérir quelque connaissance, a été que je n’ai jamais employé que fort peu d’heures, par jour, aux pensées qui occupent l’imagination, et fort peu d’heures, par an, à celles qui occupent l’entendement seul, et que j’ai donné tout le reste de mon temps au relâche des sens et au repos de l’esprit ; même je compte, entre les exercices de l’imagination, toutes les conversations sérieuses, et tout ce à quoi il faut avoir de l’attention. C’est ce qui m’a fait retirer aux champs ; car encore que, dans la ville la plus occupée du monde, je pourrais avoir autant d’heures à moi, que j’en emploie maintenant à l’étude, je ne pourrais pas toutefois les y employer si utilement, lorsque mon esprit serait lassé par l’attention que requiert le tracas de la vie. Ce que je prends la liberté d’écrire ici à Votre Altesse, pour lui témoigner que j’admire véritablement que, parmi les affaires et les soins qui ne manquent jamais aux personnes qui sont ensemble de grand esprit et de grande naissance, elle ait pu vaquer aux méditations qui sont requises pour bien connaître la distinction qui est entre l’âme et le corps
OOjs UI icon helpNotice-ltr-progressive.png *Quel lien Descartes établit-il entre l’amitié et la morale ?

  • Quelle différence ce texte fait-il entre l’amitié et le copinage ?

Comparer avec le texte de Madame de Sévigné extrait d’un ensemble de Lettres choisies [archive] puis Les trois Discours de Pascal sur la condition des Grands [archive]

Mme de Sévigné : À Paris, lundi 15 décembre 1670.Je m’en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu’à aujourd’hui, la plus brillante, la plus digne d’envie ; enfin une chose dont on ne trouve qu’un exemple dans les siècles passés : encore cet exemple n’est-il pas juste [1] ; une chose que nous ne saurions croire à Paris, comment la pourrait-on croire à Lyon ? une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde ; une chose qui comble de joie madame de Rohan et madame d’Hauterive[2] ; une chose enfin qui se fera dimanche, où ceux qui la verront croiront avoir la berlue ; une chose qui se fera dimanche, et qui ne sera peut-être pas faite lundi. Je ne puis me résoudre à la dire, devinez-la, je vous le donne en trois ; jetez-vous votre langue aux chiens ? Hé bien ! il faut donc vous la dire : M. de Lauzun épouse dimanche au Louvre, devinez qui ? Je vous le donne en quatre, je vous le donne en dix, je vous le donne en cent. Madame de Coulanges dit : Voilà qui est bien difficile à deviner ! c’est madame de la Vallière. Point du tout, madame. C’est donc mademoiselle de Retz ? Point du tout ; vous êtes bien provinciale. Ah ! vraiment, nous sommes bien bêtes, dites-vous : c’est mademoiselle Colbert. Encore moins. C’est assurément mademoiselle de Créqui. Vous n’y êtes pas. Il faut donc à la fin vous le dire : il épouse, dimanche, au Louvre, avec la permission du roi, mademoiselle, mademoiselle de mademoiselle, devinez le nom ; il épouse Mademoiselle, ma foi ! par ma foi ! ma foi jurée ! Mademoiselle, la grande Mademoiselle, Mademoiselle, fille de feu Monsieur[3], Mademoiselle, petite-fille de Henri IV, mademoiselle d’Eu, mademoiselle de Dombes, mademoiselle de Montpensier, mademoiselle d’Orléans, Mademoiselle, cousine germaine du roi ; Mademoiselle, destinée au trône ; Mademoiselle, le seul parti de France qui fût digne de Monsieur. Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-mêmes, si vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu’on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer ; si enfin vous nous dites des injures,nous trouverons que vous avez raison ; nous en avons fait autant que vous. Adieu ; les lettres qui seront portées par cet ordinaire vous feront voir si nous disons vrai ou non.

DE Mme DE SÉVIGNÉ À M. DE COULANGES.
1 Anquetil croit que madame de Sévigné veut parler ici de Marie, sœur de Henri VII, roi d’Angleterre, et veuve de Louis XII, qui se remaria, trois mois après la mort du roi, au duc de Suffolk, qu’elle avait aimé avant d’être reine de France.

2 Marguerite, duchesse de Rohan, princesse de Léon, fille unique du duc de Rohan, célèbre dans l’histoire de nos guerres de religion, se maria par inclination, en 1645, avec Henri Chabot, simple gentilhomme sans fortune. Madame d’Hauterive, fille du duc de Villeroi, veuve du comte de Tournon et du duc de Chaulnes, se maria en troisièmes noces à Jean Vignier, marquis d’Hauterive, et depuis ce mariage son père ne voulut plus la voir.

3 Gaston de France, duc d’Orléans, frère de louis XIII.

 organiser une correspondance philosophique entre deux classes