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Présocratiques

 Les présocratiques Textes grecs Diels
 CALAME (Claude),« Poèmes “présocratiques” et formes de poésie
didactique, quelle pragmatique ? », La Poésie archaïque comme discours de
savoir, p. 53-72

DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07379-6.p.0053

RÉSUMÉ – La communication et la diffusion des savoirs par les sages qui ont précédé
Platon est assurée par des formes de discours qui sont souvent poétiques, reprenant la
diction épique des poèmes homériques, mais aussi les tournures énonciatives qui
scandent les Travaux d’Hésiode. Il s’agira donc ici de s’interroger sur le “statut-auteur”
et sur la pragmatique des discours diffusés par des sóphoi qui ne sont ni des philosophes,
ni des présocratiques.

ANAXAGORE


DIOGENE DE LAERTE.Vies et doctrines des philosophes illustres
LIVRE II CHAPITRE III. ANAXAGORE. (ΑΝΑΞΑΓΟΡΑΣ)

Anaxagore, de Clazomène, fils d’Hégésibulus, ou d’Eubulus, eut pour maître Anaximène. Il ajouta le premier l’intelligence à la matière Son livre, écrit 65 avec autant de noblesse que d’élégance, commence ainsi : « Tout était confondu ; l’intelligence vint et établit l’harmonie. » C’est là ce qui lui fit donner le surnom d’Intelligence, Timon, dans les Silles, s’exprime ainsi sur son compte :

On a placé Anaxagore au rang des héros les plus illustres ; on l’a surnommé Intelligence, parce que, selon lui, c’est l’inlelligence qui rassembla tout à coup les éléments épars, et au chaos substitua l’harmonie.

[7] Sa naissance et ses richesses lui assignaient un rang élevé ; mais il se distingue surtout par sa grandeur d’âme qui le porta à abandonner à ses proches l’héritage paternel. Comme ils lui reprochaient un jour de négliger ses biens : « Eh quoi ! dit-il, que ne les soignez-vous. » Il finit par les abandonner complétement et se livra tout entier à la contemplation de la nature, sans s’occuper jamais des affaires publiques. Quelqu’un lui ayant dit à ce sujet : « Tu ne t’inquiètes point de ta patrie. — Prends garde, répondit-il, je suis tout entier à ma patrie ; » et en même temps, il montrait le ciel.

On dit qu’il avait vingt ans lorsque Xerxès passa en Grèce, et qu’il vécut soixante-douze ans. Cependant Apollodore assure, dans les Chroniques, qu’il était né dans la soixante-dixième olympiade (1), et qu’il mourut la première année de la soixante-dix-huitième. Il commença à philosopher à Athènes, sous l’archontat de Callias (2), à l’âge de vingt ans, suivant Démétrius de 66 Phalère, dans la Liste des archontes, et il passa trente années dans cette ville.

[8] Il disait que le soleil est une pierre enflammée et qu’il est plus grand que le Péloponèse ; — opinion que l’on attribue aussi à Tantale ; — que la lune est habitée et renferme des montagnes et des vallées. Les principes des choses sont les homéoméries ou particules similaires : de même que l’or est formé de petites paillettes d’or, de même aussi tous les corps sont composés de corpuscules de même nature qu’eux. L’intelligence est le principe du mouvement. Les corps les plus lourds, comme la terre, se portent en bas ; les plus légers, comme le feu, en haut ; l’air et l’eau au milieu. Par suite de cette disposition, la mer s’étendit sur la surface de la terre, lorsque, sous l’influence du soleil, les éléments humides se furent séparés des autres. [9] Les astres, à l’origine, avaient un mouvement circulaire horizontal, l’étoile polaire se trouvant toujours au zénith de la terre ; mais, plus tard, la voûte célestes s’est inclinée tout entière. La voie lactée est produite par la réflexion de la lumière solaire, lorsqu’aucun astre ne vient en éclipser l’éclat. Les comètes sont un assemblage d’étoiles errantes qui jettent des flammes. Les étoiles filantes sont comme des étincelles détachées de l’air. Les vents résultent de la raréfaction de l’air sous l’action du soleil. Le tonnerre est produit par le choc des nuages ; l’éclair par leur frottement. La terre tremble lorsque l’air pénètre dans ses entrailles.

Les animaux ont été produits à l’origine par l’humidité , la chaleur et l’élément terreux ; ils se sont ensuite reproduits eux-mêmes ; le mâle se forme à droite, la femelle à gauche.

[10] On raconte qu’il avait prédit la chute d’une pierre 67 qui tomba à Aegos-Potamos, en annonçant qu’elle tomberait du soleil ; on dit aussi que c’est pour cela que, dans le Phaéton, Euripide, son disciple, appelle le soleil une masse d’or. Un jour il se présenta à Olympie, par un beau temps, couvert d’une peau, comme s’il allait pleuvoir, et il plut en effet. Quelqu’un lui ayant demandé si la mer couvrirait un jour les montagnes de Lampsaque : « Oui, dit-il, si le temps ne manque pas. » On lui demandait un jour pour quelle fin il était né : « Pour contempler, dit-il, le soleil, la lune et le ciel. » Une autre fois on lui disait qu’il était privé de la société des Athéniens : « Non, reprit-il, ce sont eux qui sont privés de la mienne. »

Ayant vu le tombeau de Mausole (3), il s’écria : « Un tombeau élevé à grands frais est une fortune transformée en pierre. » [11] Comme on le plaignait de mourir sur une terre étrangère : « Partout, dit-il, la route est la même pour descendre aux enfers. »

Il paraît être le premier, s’il faut en croire les Histoires diverses de Phavorinus, qui ait vu une pensée morale dans le poème d’Homère et lui ait assigné pour but la vertu et la justice. Cette opinion fut développée par Métrodore de Lampsaque, son ami, qui le premier aussi fit une étude sérieuse des théories physiques d’Homère. Anaxagore est aussi le premier qui ait écrit un ouvrage (4).

68 Silénus raconte, au premier livre des Histoires, qu’une pierre tomba du ciel sous l’archontat de Dimylus, [12] et à ce sujet il dit que, suivant Anaxagore, le ciel tout entier est formé de pierres, que cette masse est maintenue par la rapidité du mouvement, et que, le mouvement cessant, elle s’écroulerait aussitôt.. Son procès est diversement rapporté (5) : .« Sotion dit, dans la Succession des philosophes, qu’il fut accusé d’impiété par Cléon, pour avoir dit que le soleil était une pierre incandescente, et condamné à une amende de cinq talents et à l’exil, quoique Périclès, son disciple, eût pris sa défense. Satyrus dit au contraire, dans les Vies, que Thucydide, adversaire politique de Périclès, l’accusa tout à la fois d’impiété et de trahison (6), et le fit condamner à mort, en son absence. Comme on lui annonçait en même temps sa condamnation et la mort de ses enfants, il dit sur le premier point : « La nature avait depuis longtemps prononcé cet arrêt contre mes adversaires et contre moi ; » et à l’égard de ses enfants : « Je savais que je les avais engendrés mortels. » D’autres attribuent cette dernière réponse, soit à Solon, soit à Xénophon. Démétrius de Phalère rapporte aussi, dans le traité de la Vieillesse, qu’Anaxagore ensevelit ses enfants de ses propres mains. Hermippe, dans les Vies, rapporte autrement son procès : on l’emprisonna d’abord pour le faire mourir ; mais Périclès, s’étant présenté au peuple, demanda si l’on avait quelque chose à blâmer dans sa propre conduite ; comme on ne répondait rien, il s’écria : « Eh bien ! je suis disciple de cet homme ; gardez-vous de le mettre à mort sur d’in- 69 justes calomnies ; mais suivez mes conseils, et renvoyez-le absous. » On le renvoya en effet ; mais il ne put supporter cet affront et se donna la mort. [14] Hiéronymus dit, au second livre des Mémoires divers, que Périclès l’amena devant les juges amaigri et exténué par la maladie, et qu’il obtint son acquittement plutôt de la pitié que de la justice du tribunal. Tels sont les récits accrédités au sujet de sa condamnation. On croit que son inimitié contre Démocrite avait pour principe le refus qu’avait fait celui-ci de l’admettre à ses entretiens (7). Il se retira à Lampsaque où il mourut. Les magistrats de la ville l’ayant interrogé sur ce qu’il voulait qu’on fît en sa faveur, il demanda que tous les ans, le mois de sa mort fut un mois de repos et de fête pour l’enfance, coutume qui se conserve encore aujourd’hui. [15] Après sa mort, les habitants de Lampsaque lui rendirent les honneurs funèbres et gravèrent sur son tombeau une inscription ainsi conçue :

Ici repose celui des hommes qui dans l’étude des phénomènes célestes approcha le plus de la vérité, Anaxagore.

Voici la mienne :

Anaxagore avait dit que le soleil est une pierre incandescente ; on le condamna à mort. Périclès son ami le sauva ; mais lui-même s’arracha la vie par une faiblesse peu digne d’un philosophe.

Il y a eu trois autres Anaxagore, qu’il ne faut pas confondre entre eux : un rhéteur de l’école d’Isocrate ; un sculpteur cité par Antigone, et un grammairien de l’école de Zénodote

 André Laks, « Les fonctions de l’intellect. »

 Fragments- doxographie

EMPÉDOCLE


DIOGENE DE LAERTE.Vies et doctrines des philosophes de l’Antiquité LIVRE VIII.
172 CHAPITRE II. EMPÉDOCLE.

ΕΜΠΕΔΟΚΛΗΣ

Empédocle d’Agrigente était, suivant Hippobotus, fils de Méton et petit-fils d’Empédocle. Ce témoignage est confirmé par celui de Timée : il dit au quinzième livre des Histoires qu’Empédocle, l’aïeul du poète, était d’un rang illustre. Hermippus dit la même chose, et Héraclide rapporte dans le traité des Maladies qu’Empédocle était d’une famille distinguée et que son aïeul entretenait des chevaux pour les courses. On lit aussi dans les Vainqueurs olympiques d’Ératosthène que le père de Méton avait, au dire d’Aristote, remporté le prix dans la soixante et onzième olympiade. Enfin Apollodore le grammairien dit, dans les Chroniques, qu’Empédocle était fils de Méton. Glaucus nous apprend qu’il était venu à Thurium peu de temps après la fondation de cette ville ; il ajoute :

« Quant à ceux qui racontent qu’il s’enfuit de sa patrie, et que, s’étant réfugié chez les Syracusains, il combattit avec eux contre Athènes, ils se trompent du tout, selon moi ; car ou bien il était déjà mort à cette époque, ou il était extrêmement âgé, ce qui n’est guère vraisemblable, puisque Aristote et Héraclide le font mourir à soixante ans. »

Celui qui remporta le prix à la course des chevaux, dans la soixante et onzième olympiade portait absolument le même nom, et c’est là ce qui a trompé Apollodore sur l’époque où vécut le philosophe. Satyrus prétend dans les Vies qu’Empédocle était fils d’Exé- 173 nète et qu’il eut lui-même un fils de ce nom ; il ajoute que, dans la même olympiade, Empédocle fut vainqueur à la course des chevaux, et son fils à la lutte, — à la course, suivant l’Abrégé d’Héraclide. J’ai lu moi-même dans les Mémoires de Phavorinus qu’Empédocle à propos de sa victoire offrit aux spectateurs un bœuf composé de miel et de farine1, et qu’il avait un frère nommé Callicratidès. Télauge, le fils de Pythagore , dit dans la lettre à Philolaüs qu’Empédocle était fils d’Archinomus. Au reste, on sait par lui-même qu’il était d’Agrigente, en Sicile, car il dit au commencement des Expiations (1) :

Mes amis, vous qui habitez au sommet de la ville immense, sur les ondes dorées de l’Acragas (2).

Voilà pour son origine. Timée raconte au dixième livre des Histoires qu’il avait été disciple de Pythagore, mais que convaincu, comme plus tard Platon, d’avoir divulgué les dogmes (3), il fut exclu de l’école. Timée croit aussi qu’il a fait allusion à Pythagore dans ces vers ;

Parmi eux était un homme nourri des plus sublimes connaissances ;
Il possédait d’immenses richesses, celles de l’intelligence.

D’autres prétendent que dans ces vers il avait en vue Parménide. Néanthe rapporte que jusqu’à Phi- 174 lolaüs et Empédocle les pythagoriciens ne faisaient aucune difficulté de communiquer leur doctrine ; mais que du moment où Empédocle l’eut divulguée dans ses vers ils se firent une règle de n’admettre aucun poète à leurs entretiens, règle qui fut appliquée à Platon, car on l’exclut de l’école. Du reste, il ne dit pas quel était parmi les pythagoriciens le maître d’Empédocle ; il se contente de remarquer que la lettre prétendue de Télauge, qui lui donne pour maîtres Hippasus et Brontinus, ne mérite aucune créance. Théophraste dit qu’il fut l’émule de Parménide et l’imita dans ses poésies ; car il avait aussi composé un poëme sur la Nature. Hermippus prétend au contraire qu’il avait pris pour modèle non pas Parménide, mais bien Xénophane, qu’il avait fréquenté et dont il imitait la manière poétique ; il ne se serait attaché que plus tard aux pythagoriciens. Alcidamas assure dans la Physique que Zénon et Empédocle avaient suivi en même temps les leçons de Parménide, mais qu’ensuite ils le quittèrent, Zénon pour philosopher en son propre nom, Empédocle pour suivre Anaxagore et Pythagore, empruntant à l’un la gravité de ses mœurs et de son extérieur, à l’autre ses doctrines physiques.

Aristote dit, dans le Sophiste, qu’Empédocle inventa la rhétorique, et Zénon la dialectique. Il dit, dans le traité des Poètes, que sa manière était celle d’Homère, sa diction vigoureuse, et qu’il faisait un emploi habile des métaphores et des autres ressources de la poésie. Il cite parmi ses compositions un poème sur l’invasion de Xerxès et un hymne à Apollon, pièces que sa sœur ou sa fille jetèrent au feu, suivant Hiéronymus, la dernière involontairement, l’autre à dessein, parce qu’elle était imparfaite. Aristote dit encore qu’il avait composé des tragédies et un traité 175 de politique ; mais Héraclide, fils de Sarapion, prétend que les tragédies sont d’un autre. Hiéronymus prétend avoir eu entre les mains quarante-trois tragédies d’Empédocle. Néanthe dit qu’Empédocle les avait composées dans sa jeunesse, et il assure également les avoir possédées. Satyrus rapporte dans les Vies qu’il était aussi médecin et excellent rhéteur ; et en effet il eut pour disciple Gorgias de Léontium, auteur d’un traité sur la rhétorique, et l’un des hommes qui se sont le plus distingués dans cet art. Gorgias vécut jusqu’à l’âge de cent neuf ans, d’après les Chroniques d’Apollodore, et il racontait lui-même, au dire de Satyrus, avoir connu Empédocle exerçant la magie. C’est ce qu’on peut du reste inférer des poèmes d’Empédocle, car il y dit entre autres choses :

Tu apprendras de moi les philtres contre les maladies et la vieillesse, car pour toi seul je les préparerai tous. Tu arrêteras la fureur indomptable des vents qui, s’élançant sur la terre, dessèchent les moissons de leur haleine ; puis d’un mot tu lanceras de nouveau l’orage obéissant. Aux noires tempêtes tu feras succéder une bienfaisante sécheresse ; à la sécheresse brûlante les pluies fécondes qu’apportent les vents d’été. Tu évoqueras des enfers les ombres des morts.

Timée rapporte qu’il excita l’admiration à plus d’un titre : Ainsi, les vents étésiens étant venus à souffler avec une violence telle qu’ils anéantissaient les moissons, il ordonna d’écorcher des ânes, fit faire des outres de leur peau, et les envoya placer sur les collines et le sommet des montagnes pour arrêter le vent. Il cessa en effet, et Empédocle fut surnommé le maître des vents. C’est lui, suivant Héraclide, qui suggéra a Pausanias ce qu’il a écrit sur la léthargique. Il était épris de Pausanias, au dire d’Aristippe et de Satyrus, 176 et il lui a dédié son traité de la Nature. Voici ses paroles :

Pausanias, fils du sage Anchitus, prête l’oreille.

Il a aussi composé sur lui l’épigramme suivante :

Géla a donné le jour à Pausanias, fils d’Anchitus. Savant médecin, illustre disciple d’Esculape, il a justifié son nom (4). Combien d’hommes rongés par de cruelles maladies ont été arrachés par lui du sanctuaire même de Proserpine !

Héraclide définit la léthargie : Un état dans lequel le corps peut se conserver trente jours sans respiration et sans pouls. Il donne à Empédocle les titres de médecin et de devin, citant à l’appui les vers suivants :

Salut à vous, mes amis, vous qui habitez le haut de la ville immense, sur les rives dorées de l’Acragas, livrés aux nobles et utiles travaux. Je suis pour vous un dieu immortel ; non ! je ne suis plus mortel lorsque je m’avance au milieu d’universelles acclamations, environné de bandelettes comme il convient, couvert de couronnes et de fleurs. Aussitôt que j’approche de vos cités florissantes, hommes et femmes viennent me saluer à l’envi ; ceux-ci me demandent la route qui conduit à la fortune, ceux-là la révélation de l’avenir ; les autres m’interrogent sur les maladies de tout genre ; tous viennent recueillir mes oracles infaillibles.

Il appelle Agrigente la ville immense, suivant Héraclide , parce qu’elle renfermait huit cent mille habitants. Souvent il s’écriait à propos de leur luxe : « Les Agrigentins s’amusent comme s’ils devaient mourir demain, et ils bâtissent des maisons comme s’ils devaient vivre toujours. »

Les Expiations d’Empédocle furent, dit-on, chantées 177 à Olympie par le rapsode Cléomène, ainsi que l’atteste Phavorinus dans les Commentaires. Aristote dit qu’il était libéral et étranger à tout esprit de domination. Xantus prétend, à l’article Empédocle, qu’il refusa la royauté qu’on lui offrait, et préféra sa condition privée à l’éclat du pouvoir. Timée confirme ce témoignage et donne les raisons de sa popularité. Dans un repas auquel il avait été invité chez un des magistrats, on apporta à boire sans servir le diner ; personne n’osait se plaindre ; Empédocle impatienté demanda qu’on servît ; mais le maître de la maison répondit qu’on attendait le ministre du sénat. Celui-ci fut à son arrivée nommé roi du festin, grâce à l’intervention de l’hôte, et manifesta assez clairement ses dispositions à la tyrannie, en ordonnant que si les convives ne buvaient pas on leur versât le vin sur la tête. Empédocle ne dit rien pour le moment ; mais le lendemain il cita au tribunal l’hôte et le roi du festin, et les fit tous deux condamner à mort. Tel fut son début dans la carrière politique. Une autre fois le médecin Acron ayant demandé un emplacement au sénat pour y construire un tombeau de famille, sous prétexte qu’il était le plus grand des médecins, Empédocle s’y opposa au nom de l’égalité ; il lui adressa en même temps cette question ironique : « Quel distique y gravera-t-on ? Sera-ce celui-ci :

Le grand médecin Acron, d’Agrigente , issu d’un père non moins grand, Repose ici sous un grand tombeau, dans une grande patrie.

Il y a une variante pour le second vers :

Repose ici sous un grand monument, dans un grand tombeau.

D’autres attribuent ces vers à Simonide.

178 Enfin Empédocle abolit le conseil des Mille, et établit à la place une magistrature trisannuelle dans laquelle il fit entrer non-seulement les riches, mais aussi les hommes dévoués à la cause populaire. Toutefois Timée, qui parle souvent de lui, dit au premier et au second livre qu’il ne paraît pas avoir eu une grande aptitude pour les affaires. En effet, ses vers témoignent beaucoup de jactance et d’amour propre, celui-ci par exemple :

Salut, je suis pour vous un dieu immortel ; non, je ne suis plus mortel ;

et les suivants.

Lorsqu’il se rendit aux jeux olympiques, tous les regards se tournèrent vers lui et dans toutes les conversations on n’entendait guère que le nom d’Empédocle. Cependant, lors du rétablissement d’Agrigente les descendants de ses ennemis s’opposèrent à ce qu’il y rentrât, et il alla s’établir dans le Péloponnèse où il mourut. Timon ne l’a pas oublié ; il le prend à partie dans ces vers :

Voici venir Empédocle, cet enchanteur, cet orateur de carrefour ; il s’est approprié toutes les charges qu’il a pu, en créant des magistrats qui avaient besoin de seconds.

Sa mort est diversement racontée : Héraclide après avoir raconté l’histoire de la léthargique et la gloire dont se couvrit Empédocle pour avoir rappelé à la vie une femme morte, ajoute qu’il fit à cette occasion un sacrifice dans le champ de Pisianax et y invita quelques-uns de ses amis, entre autres Pausanias. Après le repas on se dispersa pour se livrer au repos ; les uns allèrent sous les arbres, dans un champ voisin, les autres où ils voulurent ; Empédocle seul resta à sa 179 place. Au jour, chacun s’étant levé, il n’y eut qu’Empédocle qui ne se trouva pas. On le chercha, on interrogea ses serviteurs ; mais tous assurèrent ne l’avoir pas vu. L’un d’eux cependant déclara qu’au milieu de la nuit il avait entendu une voix surhumaine appeler Empédocle, qu’il s’était levé et n’avait rien aperçu qu’une lumière céleste et des lueurs comme celles des flambeaux. Au milieu de l’étonnement que causait ce récit, Pausanias arriva et envoya de nouveau à la découverte ; mais ensuite il fit cesser les recherches, en déclarant que le sort d’Empédocle était digne d’envie, et qu’élevé au rang des dieux il devait être honoré désormais par des sacrifices.

Suivant Hermippus le sacrifice en question aurait été offert à l’occasion d’une femme d’Agrigente du nom de Panthée, abandonnée des médecins, et qu’Empédocle avait guérie ; le nombre des invités était d’environ quatre-vingts. Hippobotus prétend que s’étant levé il se dirigea vers l’Etna et se précipita dans le cratère enflammé, afin de confirmer par sa disparition la croyance à son apothéose ; mais que la fraude fut découverte ensuite, le volcan ayant rejeté une sandale d’airain semblable à celles qu’il avait coutume de porter. Pausanias, de son côté, dément formellement ce récit. Diodore d’Éphèse dit, à propos d’Anaximandre, qu’Empédocle le prenait pour modèle, affectant d’imiter la pompe de son langage théâtral et la grave simplicité de ses vêtements. On lit dans le même auteur que les émanations du fleuve qui coule près de Sélinonte, ayant causé dans cette ville une maladie pestilentielle qui faisait périr les habitants et avorter les femmes, Empédocle eut l’idée de conduire à ses frais deux autres rivières peu éloignées dans le fleuve corrompu, purifia ses eaux par ce mélange et fit cesser 180 le fléau. Quelque temps après les habitants de Sélinonte l’ayant vu arriver au moment où ils célébraient un festin sur les bords du fleuve, se levèrent à son aspect, se jetèrent à ses pieds et l’adorèrent comme un dieu. Ce fut pour les confirmer dans cette opinion qu’il se jeta dans les flammes.

Mais ces divers récits sont contredits par Timée : il dit positivement qu’Empédocle se retira dans le Péloponnèse, d’où il ne revint jamais, ce qui fait qu’on ignore les circonstances de sa mort. Dans le quatrième livre il réfute expressément Héraclide ; ainsi il dit que Pisianax était de Syracuse et ne possédait aucune propriété à Agrigente ; que Pausanias, qui était riche, profita des bruits répandus sur le compte de son ami pour lui élever, comme à un dieu, une statue ou une petite chapelle ; puis il ajoute : « Comment se serait-il jeté dans le cratère de l’Etna, lui qui n’en a jamais fait mention, quoiqu’il en fût peu éloigné ? Le fait est qu’il mourut dans le Péloponnèse. Il n’est pas étonnant du reste que l’on ne connaisse pas l’emplacement de son tombeau ; cela lui est commun avec beaucoup d’autres. » Il termine par ces mots : « Mais en toutes choses Héraclide aime le merveilleux ; n’est-ce pas lui qui nous apprend qu’il est tombé un homme de la lune ? » Hippobotus rapporte qu’on voyait à Agrigente une statue drapée représentant Empédocle, et que plus tard cette même statue fut placée, mais sans draperie, devant le sénat de Rome, transportée là, évidemment, par les Romains. Aujourd’hui encore on rencontre quelques dessins de cette statue.

Voici maintenant le récit de Néanthe de Cyzique, celui qui a écrit sur les Pythagoriciens : « Après la mort de Méton, la tyrannie commença à se montrer à Agrigente, jusqu’au moment où Empédocle persuada 181 à ses concitoyens de mettre fin à leurs dissensions et d’établir l’égalité politique. Empédocle avait doté, grâce à ses richesses, un grand nombre déjeunes filles pauvres ; on ne le voyait jamais que vêtu de pourpre avec un ceinturon d’or, ainsi que l’atteste Phavorinus, au premier livre des Commentaires. Il portait aussi des sandales d’airain et la couronne delphique. Il avait une longue chevelure, un nombreux cortège de serviteurs, et se faisait remarquer par la constante gravité de son extérieur. Aussi lorsqu’il sortait, ceux qui le rencontraient se plaisaient à admirer sa démarche presque royale. Un jour que, monté sur un char, il se rendait à Mégare pour une solennité, il tomba et se cassa la cuisse ; il mourut des suites de cet accident à l’âge de soixante-dix-sept ans et fut enseveli à Mégare. »

L’assertion relative à son âge est contredite par Aristote qui ne le fait vivre que soixante ans ; d’autres disent cent neuf ans. Il florissait vers la quatre-vingt-quatrième olympiade. Démétrius de Trézène, dans le traité Contre les Sophistes, lui applique ces vers d’Homère :

Il attacha une longue corde à un haut cornouiller,
La passa à son col et s’y pendit. Son âme descendit au fond des enfers.

Enfin on lit dans la lettre de Télauge, citée plus haut, qu’étant vieux et débile, il se laissa choir dans la mer et s’y noya. Tels sont les divers récits accrédités sur sa mort.

Voici sur son compté quelques vers satiriques que j’emprunte à mon recueil de toute mesure :

182 Et toi aussi, Empédocle, tu as purifié ton corps dans les flammes liquides (5) ;
Tu as bu le feu à la coupe éternelle (6) ;
Je ne dirai pas cependant que tu t’es jeté volontairement dans les flots embrasés de l’Etna ;
Tu cherchais à t’y cacher et tu es tombé sans le vouloir.

En voici d’autres :

Empédocle mourut, dit-on, pour s’être cassé la cuisse en tombant de son char. Je le crois ; car s’il avait bu la vie (7) à la coupe embrasée (8), comment montrerait-on aujourd’hui encore son tombeau à Mégare ?

Il admettait l’existence de quatre éléments : feu, eau, terre et air, auxquels il ajoutait l’amitié qui réunit et la discorde qui divise. Voici ses paroles :

Le rapide Jupiter, Junon qui porte la vie, Édonée et Nestis qui remplit de larmes amères les yeux des mortels.

Pour lui Jupiter est le feu, Junon la terre, Édonée l’air et Nestis l’eau. Il prétend que les éléments ont un mouvement continuel de transformation, et que ce mouvement ne doit jamais s’arrêter, l’organisation du monde étant éternelle. Il infère de là que

Tantôt l’amitié réunit toutes choses et fait dominer l’unité,
Tantôt au contraire la discorde divise et sépare les éléments.

Il croit que le soleil est un immense amas de feu et qu’il est plus grand que la lune ; que la lune a la forme d’un disque, et que la voûte du ciel est semblable au cristal. Il admet également que l’âme revêt diverses 183 formes et passe dans toute espèce d’êtres, animaux ou plantes ; ainsi il dit :

J’ai été autrefois jeune homme, jeune fille, plante, oiseau ; poisson brûlant (9), j’ai habité les mers.

Son traité de la Nature et ses Expiations comprennent cinq mille vers, et le traité sur la Médecine six cents. Nous avons parlé précédemment de ses tragédies.

(1) Athénée dit au livre premier : « Empédocle en sa qualité de pythagoricien s’abstenait de tout ce qui avait eu vie ; lorsqu’il remporta le prix à la course de chevaux, il fit faire avec de la myrrhe, de l’encens et des parfums précieux un bœuf qu’il partagea aux spectateurs. »

(2) II n’y a rien là qui prouve qu’il fût d’Agrigente.

(3) Le texte dit : « Volé les dogmes, » ce qui, pris littéralement, n’aurait pas de sens. On volait l’école en publiant sous son nom personnel ce qui était la propriété de l’école.

(4) Παυσανίας signifie : « celui qui fait cesser la maladie. » De παύειν ἀνίαν.

(5) La lave.

(6) Κρητήp signifie en même temps coupe et cratère du volcan.

(7) L’immortalité.

(8) L’Etna.

(9) Empédocle croyait (voyez Arist., de Respir. ) que les animaux les plus chauds sont ceux qui habitent l’eau, la nature les portant à tempérer par le séjour de l’eau leur chaleur excessive.

 FRAGMENTS

HERACLITE

DIOGENE DE LAERTE.
LIVRE V. CHAPITRE VI.HÉRACLIDE.

ΗΡΑΚΛΕΙΔΗΣ
Héraclide, fils d’Eutyphron, naquit à Héraclée dans le Pont, d’une famille riche. A Athènes il fut d’abord disciple de Speusippe ; il s’attacha ensuite aux pythagoriciens, et prit Platon pour modèle ; en dernier lieu il suivit les leçons d’Aristote, au dire de Sotion dans les Successions. Il était toujours vêtu avec recherche, et comme il avait beaucoup d’embonpoint, les Athéniens, au lieu de l’appeler Pontique, lui avaient donné le surnom de Pompique, que justifiait d’ailleurs sa démarche grave et majestueuse. On a de lui des ouvrages d’une grande beauté et d’un rare mérite, des dialogues que l’on peut classer ainsi :

Dialogues moraux : de la Justice, III livres ; de la Tempérance et de la Piété, V ; du Courage, I ; de la Vertu en général, I ; du Bonheur, I ; [87] de l’Autorité, I ; des Lois et des questions qui s’y rattachent, I ; des Noms, I ; Traités, I ; l’Amoureux malgré lui et Clinias, I.

Dialogues physiques : de l’Intelligence, I ; de l’Ame ; un autre traité particulier sur l’Ame, la Nature et les Images ; contre Démocrite ; sur les Choses célestes, I ; sur les Enfers ; Vies, II ; Causes des maladies, I ; du Bien, I ; contre la doctrine de Zénon, I ; contre la doctrine de Métron, I.

Dialogues sur la grammaire : sur l’Époque d’Homère et d’Hésiode, II ; sur Archiloque et Homère, II.

250 Sur la musique : d’Euripide et de Sophocle, III ; de la Musique, II.

[88] Solutions des difficultés d’Homère, II ; Spéculations, I ; des trois Tragiques, I ; Caractères, I ; de la Poétique et des poëtes, I ; des Conjectures, I ; de la Prévoyance, I ; Exposition d’Héraclite, IV ; Expositions, contre Démocrite, I ; Solutions de controverses, II ; Propositions, I ; des Espèces, I ; Solutions, I ; suppositions, I ; à Denys, I.

Sur la rhétorique ; un traité intitulé l’Art oratoire ou Protagoras.

Il a laissé aussi des ouvrages historiques sur les Pythagoriciens et sur les découvertes. Dans ses ouvrages, il adopte tantôt la manière comique, comme dans les traités de la Volupté et de la Tempérance, tantôt le genre tragique, par exemple dans ceux sur les Enfers, la Piété, la Volonté. [89] Il sait aussi rencontrer le style simple qui convient aux entretiens des philosophes, des hommes de guerre et des politiques. Il a laissé également des traités sur la géométrie et la dialectique. Son style est varié, sa diction élevée, pleine de séduction et de charme.

Démétrius de Magnésie prétend, dans les Homonymes, qu’il délivra sa patrie de la tyrannie en tuant le tyran. Il dit aussi qu’Héraclide, ayant apprivoisé un jeune serpent, pria un ami dévoué, lorsqu’il se sentit près de mourir, de cacher son corps, afin de laisser croire qu’il avait été enlevé aux cieux, et de mettre le serpent dans le lit à sa place. [90] On exécuta ses ordres ; mais pendant les funérailles, au moment où tous les citoyens célébraient à l’envi le nom d’Héraclide, le serpent effrayé par le bruit sortit des vêtements qui le couvraient, et effraya la multitude. On découvrit ensuite le corps d’Héraclide, et il parut non point 251 tel qu’il avait voulu, mais tel qu’il était réellement. J’ai fait à ce sujet les vers suivants :

Tu as voulu persuader aux hommes, Héraclide, qu’après ta mort tu avais recouvré la vie en passant dans le corps d’un serpen t ; mais tu fus trompé, grand philosophe ! La bête était bien un serpent, mais toi tu as montré que tu étais une bête et non un sage.

Hippobotus confirme le récit de Démétrius. [91] La version d’Hermippus est différente : suivant lui, une maladie pestilentielle s’étant déclarée dans le pays, les habitants d’Héraclée envoyèrent à Delphes consulter l’oracle ; Héraclide corrompit à force d’argent les envoyés et la prêtresse, et celle-ci répondit que le fléau cesserait si l’on voulait donner à Héraclide fils d’Eutyphron une couronne d’or, et l’honorer comme un demi-dieu après sa mort. La réponse fut rapportée aux habitants d’Héraclée ; mais ceux qui l’avaient arrangée n’y gagnèrent rien. Héraclide mourut frappé d’apoplexie sur le théâtre même, au moment où on le couronnait ; les envoyés furent lapidés, et à la même heure la pythonisse, mordue par un des serpents sacrés au moment où elle entrait dans le sanctuaire, rendit l’âme à l’instant.

Tels sont les récits accrédités sur sa mort. [92] Aristoxène le musicien prétend qu’il avait composé des tragédies qu’il fit passer sous le nom de Thespis. Cha- méléon l’accuse de plagiat à son égard, à propos de l’ouvrage sur Hésiode et Homère. Autodorus l’épicurien l’attaque vertement et réfute ses idées sur la justice. On dit aussi que Denys le Transfuge, ou suivant d’autres Spintharus, ayant mis sa tragédie intitulée Parthénopée sous le nom de Sophocle, Héraclide se laissa prendre à l’imposture, et en cita des passages dans un de ses traités comme étant réellement de So- 252 phocle. [93] Denys s’en étant aperçu l’avertit de son erreur, et comme il refusait de se rendre, il lui écrivit de faire attention aux premiers vers qui formaient un acrostiche et renfermaient le nom de Pancalus, jeune homme dont Denys était épris. Héraclide s’obstina et prétendit que c’était là un effet du hasard : alors Denys lui écrivit de nouveau en ces termes :

« Tu y trouveras aussi ces vers :

« Un vieux singe ne se laisse pas prendre au lacet ;
On en vient à bout cependant ; mais il faut du temps. »

Il ajoutait : « Héraclide est un ignorant, et il n’en rougit pas. »

Il y a eu quatorze Héraclide : le premier est celui dont il est ici question ; le second est un de ses compatriotes , auteur de pyrrhiques et d’ouvrages légers ; le troisième, de Cumes, a écrit des Persiques en cinq livres ; [94] le quatrième, également de Cumes, a traité de l’Art oratoire ; le cinquième, de Calatia ou d’Alexandrie, est auteur d’un traité intitulé Successions, en six livres, et d’un ouvrage sur les Vaisseaux, qui lui a fait donner le surnom de Lembus ; le sixième était d’Alexandrie et a écrit sur les Particularités de la Perse ; le septième, dialecticien de Bargylé, a écrit contre Épicure ; le huitième est un médecin de l’école d’Hicésias ; le neuvième, un médecin empirique, de Tarente ; le dixième a composé un traité de l’Art poëtique ; le onzième est un sculpteur, de Phocée ; le douzième un épigrammatiste très-mordant ; le treizième, originaire de Magnésie, a laissé une histoire de Mithridate ; le quatorzième a écrit sur l’astronomie.

 Fragments

PARMENIDE

 Sur la nature


[violet]Commentaires[/violet]

 G. Steiner Les présocratiques et Lucrèce2011, ENS