–Montaigne, le style et la pensée, préparé par Jean-Pierre LANGEVIN, Professeur de Lettres au Lycée J.-P. Vernant, de Sèvres, et Morgane AVELLANEDA, Élève - professeur à l’École Normale Supérieure de Lyon dossier canal Dailymotion du Projet Europe, Éducation, École
Daniel Mesguich, sous la direction de l'historien Antoine Compagnon, prête sa voix à Montaigne. Personnage public engagé et homme de lettres célèbre, il a joué un rôle important dans les négociations entre catholiques et protestants. Épisodes
Sous prétexte que Montaigne s'est volontiers dépeint comme un honnête homme, comme un oisif retiré sur ses terres, réfugié dans sa librairie, on oublie qu'il a aussi été un homme public engagé dans son siècle et qu'il a exercé d'importantes responsabilités politiques durant une époque troublée de notre histoire.
Lui, il se raconte, il dit un homme. D’ailleurs, il se présente comme tout le contraire d’un modèle : il est « bien mal formé », et c’est trop tard pour se réformer. Il ne faudrait pas le prendre en exemple. Et pourtant il cherche la vérité.
En homme de la Renaissance, Montaigne ironise sur la tradition médiévale qui a accumulé les gloses – comparées à des excréments par Rabelais, faeces literarum. Il plaide pour un retour aux auteurs, aux textes originaux de Platon, Plutarque ou Sénèque.
Montaigne est un relativiste. On peut même parler de perspectivisme : à chaque moment, j’ai un point de vue différent sur le monde. Mon identité est instable. Montaigne n’a pas trouvé de « point fixe », mais il n’a jamais cessé de chercher
Le pessimisme de Montaigne est net : au contact du Vieux Monde, le Nouveau Monde se dégradera – c’est même déjà fait –, alors que c’était un monde enfant, innocent.
Comme ses contemporains, Montaigne s’intéresse à ces ’« Histoires mémorables de certaines femmes qui sont dégénérées en hommes », titre d’un chapitre "Des monstres et prodiges", ouvrage du médecin Ambroise Paré.
La mort est l’un des grands sujets sur lesquels Montaigne médite et auxquels il ne cesse de revenir. Il profite de toute expérience qui peut lui en donner le pressentiment, par exemple une chute de cheval, suivie d’un évanouissement qui lui a paru une mort douce, paisible.
Les Essais de Montaigne montrent la manière dont la découverte de l’Amérique, puis les premières expéditions coloniales, ont marqué les esprits en Europe.
Pourquoi Montaigne s’est-il mis à écrire les Essais ? Il en donne l’explication dans un petit chapitre du livre I, « De l’oisiveté », où il décrit les mésaventures qui suivirent sa retraite de 1571.
Au moment de publier les deux premiers livres des Essais , en 1580, Montaigne les a fait précéder, suivant l’usage, d’une importante adresse « Au lecteur ».
La tour de Montaigne est l’une des plus émouvantes maisons d’écrivain à visiter en France – à Saint-Michel-de-Montaigne, en Dordogne, près de Bergerac. Montaigne y passait le plus de temps qu’il pouvait, s’y retirait pour lire, méditer, écrire.
Montaigne a rejeté le latin, la langue savante, celle de la philosophie et de la théologie, au profit de la langue vulgaire, celle de tous les jours. Cependant, il livre ses réflexions dans un parler instable, changeant, périssable, avec le risque de devenir bientôt illisible.
Cette banalité de la guerre apparaît un peu partout dans les Essais, l’ordinaire de la guerre, pour ainsi dire, non pas les combats, mais le reste, comment se comporter, s’arranger de la guerre, quand il faut vivre quand même.
La grande affaire dans la vie de Montaigne a été la rencontre d’Étienne de La Boétie, en 1558, et l’amitié qui s’en est suivie, jusqu’à la mort de La Boétie en 1563. Quelques années d’intimité, puis une perte dont Montaigne ne s’est jamais remis.
Montaigne accumule les exemples – les Turcs, les Goths, les Français sous Charles VIII – montrant que la force d’un État est inversement proportionnelle à sa culture, et qu’un État trop savant est menacé de ruine.
Pour Montaigne, l’Âge d’or est derrière nous, dans les « commencements et principes », et le changement est toujours périlleux. « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras », ou même : « Le pire est toujours certain. »
Si Montaigne se regarde dans les livres, s’il les commente, ce n’est pas pour se faire valoir, mais parce qu’il se reconnaît en eux. La fréquentation de l’autre permet d’aller à la rencontre de soi, et la connaissance de soi permet de revenir à l’autre.
D’une édition à l’autre, les Essais ont beaucoup grossi ; leur volume s’est très amplifié. En se relisant, Montaigne n’a jamais cessé, jusqu’à sa mort, d’ajouter dans les marges de son livre des citations et des développements.
Montaigne a été un homme public – je l’ai déjà rappelé –, un homme d’action engagé dans son siècle, mais il a toujours veillé à ne pas trop se prendre au jeu, à garder du recul, à se regarder faire comme s’il était au spectacle.
Dans tout débat sur l’école, on ne tarde pas à convoquer Rabelais et Montaigne : Rabelais qui voulait, suivant la lettre de Pantagruel à son fils Gargantua, que celui-ci devînt un « abîme de science », et Montaigne qui préférait un homme à « la tête bien faite » plutôt que « bien pleine ».
Montaigne se méfiait de l’éducation scolaire. Suivant la grande polarité qui régit toute la pensée des Essais, l’opposition de la nature et de l’art, de la bonne nature et du mauvais artifice, la culture a de bonnes chances d’éloigner de la nature au lieu de la révéler à elle-même.
Durant la révolte contre la gabelle, en Guyenne, après le rétablissement par Henri II de l’impôt sur le sel, Tristan de Moneins, lieutenant du roi de Navarre, envoyé à Bordeaux pour mettre de l’ordre, fut mis à mort par les émeutiers le 21 août 1548.
Dans le chapitre "Des trois commerces", Montaigne compare les trois genres de fréquentation qui ont occupé la plus belle part sa vie : les "belles et honnêtes femmes", les "amitiés rares et exquises", enfin les livres, qu’il juge plus profitables, plus salutaires, que les deux premiers attachements.
Montaigne doit son idée de la reproduction sexuée à la médecine de son temps, inspirée d’Aristote, d’Hippocrate et de Galien. Ceux-ci accordaient les plus grands pouvoirs à la faculté générative du sperme.
La religion de Montaigne reste pour nous une énigme. Bien malin celui qui réussira à démêler ce qu’il croyait vraiment. Fut-il un bon catholique ou un athée masqué ?
Montaigne parle de sa sexualité avec une liberté qui peut déconcerter aujourd’hui. C’est dans le chapitre « Sur des vers de Virgile », au livre III des Essais, pour regretter la vigueur de sa jeunesse.
On se dispute beaucoup pour savoir si la pensée de Montaigne a évolué au cours de la rédaction des Essais, ou bien si elle a toujours été désordonnée, plurielle, en mouvement.
En 1595, dans l’édition posthume des Essais, Montaigne clôt le chapitre « De la présomption », où il vient de se dépeindre, puis de recenser quelques contemporains remarquables, par un vibrant éloge de Marie de Gournay, sa fille d’alliance
Dans le chapitre « Sur des vers de Virgile », Montaigne, l’homme droit, sincère, honnête, celui qui déteste par-dessus tout la dissimulation, redécouvre paradoxalement les prestiges de la voie couverte en matière amoureuse.
Dans les Essais , Montaigne fait preuve d’une étonnante liberté d’écriture. Il rejette les contraintes de l’art d’écrire appris à l’école ; il défend un style nonchalant et désinvolte, qu’il analyse dans le chapitre « De l’institution des enfants ».
Montaigne entretient des rapports très ambigus avec la mémoire. Conformément à la tradition ancienne, il ne cesse d’en faire l’éloge, comme d’une faculté indispensable à l’homme accompli. Mais lui-même est amnésique mais trouve que cela comporte des avantages;
Montaigne s’intéresse dans les livres à des détails qui peuvent nous sembler très accessoires, comme celui-ci, dans le petit chapitre « Des senteurs », au livre I.
L’affaire Martin Guerre est célèbre. Ce paysan du comté de Foix - incarné à l’écran par Gérard Depardieu, dans Le Retour de Martin Guerre, film de Daniel Vigne de 1982 - avait quitté son village à la suite d’un conflit familial. Quand il revint douze ans plus tard, un sosie avait pris sa place.
Chaque fois que Montaigne touche aux choses de la religion, il le fait avec une extrême circonspection, par exemple à l’ouverture du chapitre « Des prières », dans le livre I des Essais, au moment de donner son avis sur cet acte rituel de la vie chrétienne.
Vers la fin du livre I des Essais, au début du chapitre « De Démocrite et Héraclite » – le philosophe qui rit et le philosophe qui pleure, deux manières d’exprimer le ridicule de la condition humaine –, Montaigne fait le point sur sa méthode.
À quoi bon les « Essais » ? Ce qui rend Montaigne si humain, si proche de nous, c’est le doute, y compris sur lui-même. Il hésite toujours, partagé entre le rire et la tristesse...
Le dernier chapitre des Essais, « De l’expérience », expose la sagesse finale de Montaigne, souvent associée à l’épicurisme. Prenons le temps de vivre ; suivons la nature ; jouissons du moment présent ; ne nous précipitons pas pour rien...