La philosophie dans l’académie de CRETEIL
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La peine de mort vue par le cinéma

A partir de ces films expliquer ce qui anime le désir de la peine de mort

  • M le maudit de Fritz Lang
  • Le Schpountz de Marcel Pagnol (1938)

« Tout condamné à mort aura la tête tranchée. » C’est une litanie glaçante, surprenante, dérangeante. Et drôle aussi. Un moment suspendu dans une comédie sur un benêt de province rêvant de devenir acteur et se faisant piéger par une équipe parisienne de cinéma, une bande de snobs riant de sa crédulité. On dit souvent qu’un bon acteur pourrait lire le bottin. Voulant passer des essais, Irénée (Fernandel), commis d’épicerie qui ne rêve que de beaux textes, plutôt que de dire un poème au risque que celui-ci soit bon et « n’apporte aucun mérite au récitant », déclame sur tous les tons cet article du « code civil » (sic, en réalité l’article 12 du code pénal). « Le plus court et le plus net, je dirais presque le plus tranchant », précise-t-il. Cette tirade du nez réinventée, cette phrase lapidaire dite sur le mode de la crainte, de la pitié, sur un ton interrogatif, affirmatif, pensif puis comique, ne dit rien ni pour ni contre son contenu terrible. Mais de l’entendre ainsi, dans un film populaire, au lieu de la banaliser, lui donne une résonance particulière. Marcel Pagnol n’était pas un progressiste en politique, loin s’en faut — on se souvient du discours de Pétain dans La Fille du puisatier —, mais à sa manière un humaniste. Et c’est d’injustice qu’il est question dans Le Schpountz, de jugement a priori, d’idée toute faite. Et d’y réfléchir à deux fois avant de « condamner » un naïf, un pur, bref, un innocent.

Isabelle Danel
source : https://www.bande-a-part.fr/cinema/dossier/magazine-de-cinema-abolition-de-la-peine-de-mort-quarantieme-anniversaire/

  • Monsieur Verdoux de Charles Chaplin (1947)

L’affaire Landru, célèbre tueur en série français du début du XXe siècle, inspire à Orson Welles l’idée d’un film avec Charlie Chaplin dans le rôle du meurtrier. Or Chaplin n’a jamais accepté d’être dirigé par un autre metteur en scène, même Orson Welles, coqueluche d’Hollywood après son coup de maître Citizen Kane. Chaplin lui versera la somme de cinq mille dollars et fera apparaître au générique la mention : “Inspiré d’une idée d’Orson Welles.”

Henri Verdoux, comme Henri Landru, est un marchand de meubles doublé d’un époux protecteur pour sa femme handicapée et leur fils. Victime de la crise de 1929, il devient un assassin méthodique tuant de riches veuves. Verdoux finit par être pris.

Comment défendre un homme que tout accuse ? Chaplin débute le tournage de son septième long-métrage au cours de l’été 1946. La Seconde Guerre mondiale et le massacre des Juifs d’Europe ont considérablement changé l’ordre politique du monde. Le cinéma parlant a toujours reflété chez lui l’expression de la domination de l’homme par l’homme, des Temps modernes (1936) au Dictateur (1940) Face à la justice, accusatrice, et l’Église, compatissante, Chaplin s’exprime par la voix de Verdoux. Comment une société qui a perpétré un crime contre l’humanité peut condamner un homme pour des crimes isolés ? Landru a tué onze personnes durant la Grande Guerre, qui fit plus d’un million trois cent mille morts en France. La Seconde Guerre mondiale fut le temps de la destruction humaine à grande échelle.

La société capitaliste élimine sans effort, dans l’anonymat, où pertes et profits sont quantifiables. Verdoux pousse cette logique à son extrême : tuer est un labeur pour subvenir aux besoins de sa famille. Comment légitimer la peine de mort pour un criminel agissant de la même manière qu’un gouvernement ? Le syllogisme philosophique de Verdoux nous incite à saisir l’inefficacité de ce système fondé sur la vengeance – tuer pour réparer une injustice -, alors que nous assistons à un virage dangereux du populisme n’épargnant aucune démocratie.
Nadia Meflah
Source : https://www.bande-a-part.fr/cinema/dossier/magazine-de-cinema-abolition-de-la-peine-de-mort-quarantieme-anniversaire/

  • Nous sommes tous des assassins d’André Cayatte (1952)

Avocat de formation, André Cayatte, outré par l’injustice dont avait été victime Guillaume Seznec, meurtrier présumé de l’homme d’affaires et conseiller général du Finistère Pierre Quéméneur en 1924, en tira un scénario, mais ne parvint pas à le faire produire. C’est grâce au succès, en 1949, de ses Amants de Vérone qu’il put aborder un genre qui lui tenait à cœur : le film judiciaire. Le premier opus, Justice est faite (1950), remettait en question l’impartialité des jurés d’assises et remporta le Grand Prix International à Venise et l’Ours d’or à Berlin. Il récidiva avec Nous sommes tous des assassins au sujet beaucoup plus audacieux : la remise en question de la peine capitale à une époque où la majorité de la population française lui était favorable, en particulier en cette année 1952 où l’affaire Dominici défrayait la chronique (un fermier était accusé sans preuve réelle du meurtre d’une famille anglaise).

Coécrit avec Charles Spaak, le film faisait cohabiter quatre condamnés à mort, tous des cas réels dont Cayatte avait changé les noms. L’un était un jeune dévoyé, René Le Guen (Marcel Mouloudji), ancien résistant sans vocation patriotique, qui, sous l’emprise de l’alcool, avait tué son chef de réseau, puis des représentants de l’ordre. Comme compagnon, il avait un médecin (Antoine Balpêtré), accusé d’avoir assassiné sa femme pour vivre auprès d’une maîtresse, dont il avait toujours nié l’existence. Auxquels s’ajoutaient un Corse (Raymond Pellegrin), victime d’une vendetta, et un père de famille très primitif (Julien Verdier), qui avait tué sa fillette, ne supportant plus ses cris et ses pleurs. Afin de garantir la crédibilité de son propos, Cayatte les avait fait évoluer, enchaînés et menottés, dans des cellules reconstituées en studio, composées de trois murs en ciment. Un réalisme accentué par l’insupportable rituel pratiqué le matin des exécutions, à savoir l’arrivée surprise des gardiens, les chaussures à la main, le découpage du col des chemises des condamnés… Le film reçut le Prix spécial du jury au Festival de Cannes et attira trois millions de spectateurs.

Si Julien Demay, qui servit de modèle pour Le Guen, fut bien acquitté par le président Vincent Auriol, en revanche le film ne fit pas réagir la magistrature. Il faudra attendre trente ans pour que Robert Badinter réussisse à convaincre les Français que la peine capitale avait toujours fait d’eux des assassins. Quant à André Cayatte, il ne parvint jamais à faire réhabiliter Guillaume Seznec.
Michel Cieutat