La philosophie dans l’académie de CRETEIL
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SUJETS HLP Terminales

Exemples de sujets zéro commentés

Sujet zéro n°1 commenté (extrait Les idées et les âges d’Alain)

Sujet zéro n°2 commenté (extrait de la Lettre à Antonin Artaud du 8 juin 1924, Jacques Rivière)

Sujet zéro n°3 commenté (« Le grand combat » d’Henri Michaux)

Sujet zéro n°4 commenté (extrait de Condition de l’homme moderne, Hannah Arendt)


Programme HLP Term. 2023 Métropole 2

Ce qu’on appelle le « moi ». La langue et les préjugés sur lesquels elle est fondée sont souvent des obstacles pour sonder nos processus internes et nos pulsions, notamment parce qu’il n’existe véritablement de mot que pour les degrés superlatifs de ces processus et de ces pulsions. Or, là où les mots nous manquent, nous sommes accoutumés à ne plus faire d’observations précises parce qu’il nous est pénible alors de penser avec précision ; et même autrefois on décidait sans trop réfléchir que là où cesse le royaume des mots cesse également le royaume de l’être. La colère, la haine, l’amour, la pitié, le désir, la connaissance, la joie et la douleur, autant de noms pour des états extrêmes : les degrés intermédiaires et atténués, et même les degrés inférieurs toujours présents, nous échappent, et pourtant ce sont eux justement qui tissent la toile de notre caractère et de notre destin. Ces manifestations extrêmes – et même le moindre plaisir ou déplaisir dont nous sommes conscients, quand nous mangeons, quand nous entendons un son, est peut-être encore, tout bien pesé, une de ces manifestations extrêmes – déchirent fréquemment la toile et constituent alors des exceptions violentes, la plupart du temps sans doute à la suite d’une accumulation, et à quel point elles peuvent, comme telles, égarer l’observateur ! Guère moins qu’elles ne le font pour l’être agissant. Nous sommes tous autre chose que ce que nous paraissons du fait des états pour lesquels seuls nous disposons de conscience et de mots – et par conséquent d’éloge et de blâme. Nous nous méconnaissons à cause de ces manifestations grossières qui seules nous sont connues, nous tirons une conclusion d’un matériau dans lequel les exceptions l’emportent sur la règle, nous lisons de travers cet alphabet apparemment tout à fait lisible de notre moi. Or cette opinion sur nous-mêmes, que nous avons trouvée par cette mauvaise voie, ce qu’on appelle le « moi », ne laisse pas de participer de notre caractère et de notre destin.
Nietzsche, Aurore (1881), trad. Éric Blondel.

Interprétation philosophique :
D’après ce texte pourquoi sommes-nous tous autre chose que ce que nous paraissons être ?
Essai littéraire :
La littérature permet-elle de déchiffrer « l’alphabet […] de notre moi » ?


Dans ce roman paru en 1943, l’auteur imagine une société dans laquelle l’électricité disparait, ce qui plonge le pays dans le chaos.

La foule se serra autour de la voiture à bras. Elle se sentait rassurée par la présence de cet homme qui connaissait les secrets de la nature. Chacun avait l’impression de se retrouver près de la Science elle-même, la Science qui explique tout et peut tout. Un monsieur maigre s’empara d’un seau en fer que portait une ménagère, le posa à terre, renversé, grimpa dessus, et, d’une voix de coq enroué, parla : 5 - Messieurs, mesdames, citoyens ... - Hou... hou..., répondit la foule. - Je ne veux pas vous faire de discours, je me propose seulement de demander en votre nom à l’éminent savant qui se retrouve en ce moment parmi nous de nous donner des éclaircissements sur le phénomène qui vient de bouleverser notre vie. Je ... 10 - Vive Portin ! La parole à Portin. Portin ! Portin ! Portin ! Le savant tremblait d’émotion dans son fauteuil et faisait avec la main des gestes de dénégation. Alors un gigantesque ouvrier fendit les groupes et parvint jusqu’à la charrette. C’était un métallurgiste, un ancien du métier, à la peau recuite, un vieux compagnon qui avait résisté à trente ans d’usine. Sa main droite, avec laquelle, à 15 l’atelier, il donnait toutes les deux secondes le même coup de marteau sur des rivets toujours pareils, restait fermée autour d’un manche imaginaire.- Ecoutez, m’sieur Portin, nous, on est là, on sait pas, et on veut savoir. Vous, vous savez, la Science... Il faut nous dire. Qu’est-ce qui se passe ? Quand est-ce que ça va finir ? 20 Le vieillard, péniblement, se leva de son fauteuil. Il tremblait. - Mes bons amis... dit-il Sa voix aigrelette ne portait pas à plus de dix mètres. - Mes bons amis, je ne peux rien vous dire, je ne sais rien. On n’a jamais vu ça. Notre science est une science expérimentale. Or, le phénomène qui vient de se 25 produire ne correspond à rien de ce que nous savons. C’est en violant toutes les lois de la Nature et la logique que l’électricité a disparu. Et, l’électricité morte, il est encore plus invraisemblable que nous soyons vivants. Tout cela est fou. C’est un cauchemar antiscientifique, antirationnel. Toutes nos théories, toutes nos lois sont renversées. Voir cela au terme de ma vie de savant... 30 Il se laissa retomber lourdement dans son fauteuil. Les premiers rangs de la foule virent de grosses larmes couler de ses yeux dans sa moustache blanche. Mais les gens qui se trouvaient plus loin, inquiets, curieux, voulurent aussi entendre. Les grands se haussaient sur la pointe des pieds, les petits se cramponnaient aux grands. Des gamins grimpaient aux fûts des lampadaires. On se passait de rang à rang des 35 fragments de phrase : - Il a dit que l’électricité était morte. - Ma pauvre, il a dit qu’il y comprenait rien. - Il a dit que c’était la guerre. - Il a dit qu’il allait tout arranger. 40 La multitude voulut en savoir davantage. De partout à la fois elle poussa vers le centre. Dix mille poitrines firent pression. La foule ne fut plus qu’une masse compacte, un seul muscle contracté. Il y eut des remous, des tourbillons, des vêtements arrachés, des côtes fracturées, des caleçons souillés. La voiture de M. Paul Portin fit trois tours sur elle-même, craqua et disparut. Le vieux savant se trouva projeté en l’air et retomba 45 sur des épaules. Il y flotta quelques instants, puis sombra.

René Barjavel, Ravage (1943)

Interprétation littéraire : Quelle image de la science cet extrait propose-t-il ?
Essai philosophique : Doit-on attendre de la science qu’elle réponde à toutes nos questions ?

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