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QUE FAIRE FACE A L’USAGE PAR DES ELEVES D’AGENTS CONVERSATIONNELS EN LIGNE POUR REDIGER LEURS COPIES DE PHILOSOPHIE ?
Eric Le Coquil, I.A-I.P.R de philosophie des Académies de Créteil et d’Orléans-Tours
Depuis quelques semaines, la mise en ligne par l’entreprise OpenIA, à disposition du grand public, du logiciel ChatGPT (Chat-Generative-Pretrained-Transformer) défraie la chronique. Exploitant les technologies d’Intelligence Artificielle avancées, cet outil numérique est entraîné à produire, sur requête et à partir de la synthèse informationnelle d’un très grand nombre de données récoltées sur l’Internet (antérieurement au 31 décembre 2021) des textes imitant parfaitement la qualité rédactionnelle d’un scripteur humain. Le 6 février 2023, l’entreprise Google annonçait à son tour le lancement prochain de son propre agent conversationnel en ligne, Bard, d’abord dans un cadre expérimental, puis en libre accès dans un second temps, ainsi que l’intégration à terme de ce logiciel à son moteur de recherche (https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/02/06/google-annonce-le-lancement-du-robot-conversationnel-brard-riposte-du-geant-americain-a-chatgpt_6160781_4408996.html).
Dès la parution des premiers articles de presse faisant état de ces événements, des professeurs de philosophie ont fait part à leurs Inspecteurs d’Académie - Inspecteurs Pédagogiques Régionaux de leurs vives inquiétudes concernant l’usage que certains élèves des classes de Première et Terminale pourraient être tentés de faire de ce nouveau type d’outils numériques pour réaliser les travaux en temps libre qui leurs sont demandés dans le cadre des enseignements d’Humanités, Littérature et Philosophie et de Philosophie de tronc commun. D’autres collègues ont fait état des résultats des essais d’usage de ChatGPT qu’ils ont eux-mêmes réalisés, et de leur stupeur au vu de l’excellente qualité rédactionnelle de ses productions, jugées par certains supérieures à cet égard à celles dont est capable un nombre significatif de leurs élèves. D’autres professeurs de philosophie ont en outre d’ores et déjà signalé de premiers cas de devoirs « à la maison » rédigés par les élèves au moyen de ChatGPT, et fait part de leur embarras face à ce phénomène nouveau qui, étant donné les performances rédactionnelles de l’outil, leur pose le double problème du repérage des usages qui en est fait par les élèves et des conséquences possibles, tout à la fois de cet usage et de la difficulté de son repérage, sur l’évaluation et la notation de leurs travaux.
Compte tenu de la nature, de la puissance de ces nouveaux outils numériques et des performances dont ils sont capables, l’irruption des agents conversationnels en ligne est vécue par certains professeurs de philosophie comme venant sérieusement aggraver le problème posé depuis environ vingt-cinq ans par les usages que font les élèves des ressources disponibles sur l’Internet pour la réalisation de leurs travaux en temps libre, et tout particulièrement par la pratique du « copier/coller » de corrigés de dissertation et d’explications de texte proposés notamment par des sites d’aide aux devoirs, gratuits ou payants. Bien plus, certains professeurs expriment le sentiment d’assister, avec l’arrivée des agents conversationnels en ligne, à un changement tout à la fois d’échelle et de nature de ce problème, craignant que les élèves ne disposent désormais, avec ces IA en libre accès, de moyens de faire écrire leurs devoirs dont les professeurs se seraient plus en mesure de déceler l’usage au vu de l’illusion presque parfaite que donnent leurs productions d’avoir été écrites par un rédacteur humain.
De telles craintes sont-elles ou non fondées en l’état actuel de la situation ? Faut-il redouter, avec les agents conversationnels en libre accès sur l’Internet, un changement d’échelle et de nature de l’usage par les élèves des ressources et outils numériques dans leurs copies, en particulier, s’il faut parler net, de leurs usages à des fins de tricherie ou de fraude ? Les professeurs de philosophie sont-ils démunis, dépourvus de réponses pédagogiques efficaces, de sorte qu’il leur faudrait considérer le combat comme perdu d’avance et s’en tenir, tout au plus, à des mesures d’interdiction et de répression, dont on peut soupçonner cependant qu’elles risqueraient de montrer bien vite leurs limites ?
Je soutiendrai dans cet article que cette approche pessimiste du problème est à la fois inexacte et injustifiée, que les professeurs de philosophie disposent de moyens pédagogiques tout à fait appropriés pour faire face très efficacement aux conséquences sur leurs enseignements de l’apparition des IA en libre accès et de leur éventuel usage par des élèves dans le cadre de leur travail scolaire.
Pour le montrer, je tirerai tout d’abord de quelques éléments précis d’information, de connaissance et d’analyse touchant la nature et la puissance réelles de l’outil, un ensemble de réflexions relatives à ce qui constitue la véritable substance d’une copie de philosophie et par conséquent l’objet de son évaluation. De là, je tâcherai de déduire les conséquences qui s’ensuivent touchant le renouvellement supposé du problème de ce que les professeurs de philosophie interprètent et vivent dans leurs classes comme des conduites de tricherie de la part de certains élèves, conséquences dont je m’emploierai à évaluer la portée pédagogique à la lumière de quelques considérations relatives à l’histoire des institutions scolaires et de la pédagogie. De cette reconfiguration du problème, je tirerai enfin quelques recommandations et quelques propositions pédagogiques concrètes, qui permettront aux professeurs de philosophie de prendre en compte l’existence des agents conversationnels dans l’apprentissage et la pratique par les élèves des exercices écrits dans leurs enseignements de philosophie.
On trouvera enfin, en annexe à cet article, un très riche ensemble de ressources numériques rassemblées par notre collègue Maryse Emel, IAN Philosophie de l’académie et Créteil et Webmestre du site Académique de Philosophie de Créteil. La consultation et l’étude de ces ressources permettront aux collègues de philosophie qui souhaiteront s’y plonger, ainsi qu’aux élèves qui consulteraient notre site et voudraient s’y intéresser, de développer une réflexion approfondie relative aux problèmes et aux enjeux philosophiques soulevés par l’Intelligence Artificielle, ainsi que des propositions de mise en oeuvre pédagogique dans les cours et leçons dispensés en classe.
Eléments pour une analyse technique et une critique des agents conversationnels en ligne : leur nature, leurs possibilités, leurs limites
• Quelques liens :
o Un collègue explique et analyse les principes techniques, les modalités de fonctionnement, les possibilités et les limites de ChatGPT3 : https://www.youtube.com/watch?v=R2fjRbc9Sa0
o Des collègues professeurs de philosophie corrigent des copies produites par ChatGPT : https://etudiant.lefigaro.fr/article/c-est-loin-de-faire-un-devoir-de-qualite-un-prof-corrige-le-bac-dephilo-de-chatgpt_a3cca6d4-8ddd-11ed-a86d-66d30ea5ec0a/ ; https://www.bfmtv.com/tech/on-a-montre-le-travail-de-chat-gpt-a-une-prof-de-philo-voici-son-constat_AV-202301130473.html
o Pour une réflexion philosophique sur l’intelligence artificielle, sa puissance réelle en son état actuel de développement technique, ses limites et ses véritables dangers (qui ne se situent certainement pas là où on le penserait) on peut écouter ce podcast récent, Avec Philosophie, sur France Culture : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/avec-philosophie/l-intelligence-artificielle-estelle-vraiment-intelligente-2059509
o Les créateurs de l’I.A lancent la chasse aux tricheurs : https://www.liberation.fr/economie/economie-numerique/chatgpt-tu-peux-faire-mes-devoirs-les-createurs-de-lia-lancent-la-chasse-aux-tricheurs-20230203_RAQA55N54NFZZHEKSXKS6W5UVE/?at_campaign=NL_Lib%C3%A9_Matin_Samedi&at_email_type=acquisition&at_medium=email&at_creation=NL_Libe_Matin_samedi_2023-02-05&actId=ebwp0YMB8s1_OGEGSsDRkNUcvuQDVN7a57ET3fWtrS841mguA0zYUvG6YFUZoN3h&actCampaignType=CAMPAIGN_MAIL&actSource=522604
• Quelques éléments de commentaire :
Il serait facile, à première lecture des productions « philosophiques » de ChatGPT3, de céder à un animisme ou à un anthropomorphisme irréfléchis, portant à surestimer ses possibilités et ses performances réelles. Comme le montre très bien cette vidéo, il est pourtant parfaitement clair, au regard d’une analyse technologique précise et bien informée, qu’un dispositif numérique tel que ChatGPT ne pense pas, ne réfléchit pas philosophiquement. Il fonctionne selon les principes d’un chatbot ou agent conversationnel, fondé sur un modèle de langage, une description statistique qui modélise la distribution de séquences de mots dans une langue naturelle : il est ainsi capable de prédire des chaînes langagières, selon le degré de probabilité de succession des termes et syntagmes dans le langage ordinaire, dans un contexte rédactionnel et informationnel prescrit (la commande qui lui est adressée) sur la base de quantités très importantes de données, dans les limites posées par des dispositifs de méta-contrôle visant à essayer de « moraliser » les productions de l’outil, mais que l’on peut assez facilement contourner ou prendre en défaut. Un agent conversationnel n’est pas un sujet.
On ne peut donc s’effrayer vraiment de l’irruption des agents conversationnels en ligne que si l’on présuppose la réductibilité de la pensée à des constructions langagières.
Au contraire, si l’on est vraiment attentif à la distinction entre construction langagière et construction de pensée, on doit pouvoir toujours faire la différence entre un texte qui imite simplement un langage philosophique, donc assez convenu sur le fond, et un texte qui réalise un véritable travail de pensée. Si des élèves utilisent une IA de prédiction langagière, cela ne leur garantit nullement de produire un bon devoir de philosophie, ni même un devoir simplement correct sur le fond, et c’est tout ce qu’il nous faut considérer.
L’apparition et l’accès donné aux élèves à des agents conversationnels en ligne réactive ainsi la question de savoir ce qu’il y a lieu d’évaluer dans une copie de philosophie. L’agent conversationnel est capable de produire des textes très bien rédigés. Or la dissertation philosophique ne se réduit en aucun cas à un exercice de rhétorique. Si la qualité de l’expression écrite est expressément requise, la qualité intrinsèquement philosophique de la copie ne s’y réduit pas. Le réflexion philosophique est en effet dans son essence articulation des idées, soit que cette articulation produise entre elles des rapports de tension, dont la mise en évidence constitue la position des problèmes philosophiques, soit qu’elle permette, par un travail de désarticulation qui a nom analyse, et de ré-articulation qui a nom synthèse, des effets de résolution de ces tensions idéelles, mouvement dont le concept de dialectique, dans sa version platonicienne, donne l’une des définitions et des interprétations possibles des principes méthodiques : art "des divisions et des rassemblements" (τῶν διαιρέσεων καὶ συναγωγῶν ; Platon, Phèdre 266b). C’est par la seule maîtrise de cet art - quelque interprétation qu’on en donne, platonicienne ou autre - que penser philosophiquement et parler - ou écrire - peuvent authentiquement coïncider : "j’y vois le moyen d’apprendre à parler et à penser" (ἵνα οἷός τε ὦ λέγειν τε καὶ φρονεῖν ; ibid.) ; le connecteur logique de conjonction "et" (καὶ) doit être ici compris en son sens le plus fort, en ce qu’il enveloppe tout un monde de relations logiques et spéculatives possibles. Or quelques essais montrent très rapidement que l’agent conversationnel s’avère totalement incapable, lorsqu’on lui soumet un intitulé de sujet de dissertation à deux notions, d’en construire la moindre articulation, mais qu’il se contente de juxtaposer des considérations relatives successivement à l’une et à l’autre, sans jamais produire de véritable mise en rapport. C’est que les divisons et les rassemblements dont il s’agit ne sont pas des opérations purement formelles : ils n’ont rien d’artificiel mais constituent les actes d’une intelligence philosophique vivante, raison pour laquelle sans doute une IA rencontre les plus grandes difficultés à les imiter.
Le fait que des élèves puissent envisager d’utiliser un agent conversationnel en ligne pour écrire leurs devoirs à leur place témoigne ainsi d’un contresens radical concernant ce qui se joue véritablement pour eux dans l’enseignement de philosophie qu’ils suivent. Et ce qui s’y joue, ce n’est pas la production, à destination du professeur, d’un savoir philosophique extériorisé, qui ne serait qu’un savoir mort. Tout au contraire, c’est la possibilité pour eux de mettre à l’épreuve leur propre pensée, de la constituer véritablement comme la leur, une pensée en première personne : c’est l’institution même de l’élève comme sujet véritablement pensant, l’auto-institution du sujet philosophant par lui-même, et avec lui de la pensée comme exercice de la liberté. C’est en quoi la dissertation et l’explication de texte (l’essai et la question d’interprétation pour l’enseignement de spécialité HLP) sont des exercices, au sens le plus fort du terme.
Sur la philosophie comme exercice spirituel, voir : Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, Albin Michel, 2002.
Le savoir philosophique ne saurait en effet être conçu comme une substance préexistante que l’on pourrait produire extérieurement au sujet et qu’il s’agirait simplement de faire entrer dans son esprit, comme l’on verse un liquide d’un vase dans un autre, ni comme une faculté dont il s’agirait, de l’extérieur, de doter un organe qui en serait dépourvu. Il est tout au contraire l’exercice vivant d’une faculté qu’un chacun possède, celle de réfléchir ou de juger, qui a pour nom la raison, à laquelle il s’agit seulement de donner l’occasion de s’apprendre à elle-même comment se conduire et s’orienter dans de meilleures directions. Platon, au livre VII de la République (518b-d ; trad. V. Cousin) l’avait déjà souligné dans ce célèbre passage :
"(...) la science ne s’apprend pas de la manière dont certaines gens le prétendent. Ils se vantent de pouvoir la faire entrer dans (518c) l’âme où elle n’est point, à peu près comme on donnerait la vue à des yeux aveugles.
Tel est leur langage.
Ce que nous avons dit suppose au contraire que chacun possède la faculté d’apprendre, un organe de la science ; et que, semblable à des yeux qui ne pourraient se tourner des ténèbres vers la lumière qu’avec le corps tout entier, l’organe de l’intelligence doit se tourner, avec l’âme tout entière, de la vue de ce qui naît vers la contemplation de ce qui est et de ce qu’il y a de plus lumineux dans l’être ; et cela nous l’avons appelé (518d) le bien, n’est-ce pas ?
Oui.
Tout l’art consiste donc à chercher la manière la plus aisée et la plus avantageuse dont l’âme puisse exécuter l’évolution qu’elle doit faire : il ne s’agit pas de lui donner la faculté de voir ; elle l’a déjà : mais son organe n’est pas dans une bonne direction, il ne regarde point où il faudrait : c’est ce qu’il s’agit de corriger.
En effet."
A bien suivre Platon, un organe d’intelligence qui serait artificiel, c’est-à-dire sans âme, n’aurait sans doute la faculté de se tourner vers rien : ce que saisirait cet organe, tout formellement, il n’y aurait personne pour le connaître et pour en être transformé.
Il y a véritablement lieu d’expliquer cela aux élèves.
Si au contraire l’exercice de la philosophie est bien de cet ordre, alors à supposer même que des agents conversationnels en ligne encore plus perfectionnés soient capables un jour de produire des textes auxquels on serait un peu plus tentés de prêter le nom de dissertations de philosophie, leur activité et leurs productions demeureraient insubstituables aux effets d’institution de soi produits par l’activité de réflexion d’un sujet philosophant en première personne, en tant que celle-ci l’institue précisément comme sujet pensant et libre : ces produits, désertés de tout esprit, seraient par conséquent philosophiquement stériles. L’existence d’Intelligence Artificielles capables de produire des textes philosophiques ne saurait dispenser quiconque d’écrire de la philosophie par lui-même et pour son propre compte, ni d’avoir à apprendre à le faire. Aussi un professeur de philosophie qui se croirait destitué par l’Intelligence Artificielle et par l’usage que les élèves pourraient faire dans leurs copies des outils qui en dérivent n’aurait-il strictement rien compris à la véritable nature de sa mission.
Une copie très bien écrite peut être entièrement vide de philosophie. Tous les professeurs de philosophie le savent d’expérience. Une dissertation philosophique ne saurait être corrigée et évaluée exclusivement ni même principalement du point de vue de ses qualités d’expression et d’argumentation : ce serait là justement agir comme si elle pouvait n’être que la production d’un agent conversationnel. Des professeurs de philosophie tentés d’attribuer une excellente note à une copie produite par un agent conversationnel devraient par conséquent interroger très sérieusement la nature et la validité des critères d’évaluation qu’ils appliquent en réalité aux copies qu’ils corrigent. Ce serait en effet assurément le signe que leurs exigences intellectuelles et philosophiques pour la formation de leurs élèves ne seraient pas, dans cette hypothèse, suffisamment élevées, ou à tout le moins qu’elles ne seraient pas correctement ajustées. A l’inverse, si une bonne dissertation de philosophie est précisément celle qu’en l’état actuel de la technologie une IA n’aurait pas pu écrire, alors les professeurs de philosophie disposent, avec cette observation, d’un critère ou d’un ensemble de critères d’évaluation possibles des productions de leurs élèves.
Tout l’enjeu est donc pour le correcteur de se mettre toujours en mesure de distinguer qualité de l’expression et qualité de l’articulation des idées, de façon à ne jamais tomber dans l’écueil qui consisterait à ne corriger, à n’évaluer et à ne noter les copies qu’en fonction de critères relevant exclusivement de leurs qualités formelles, tant sur le plan de l’expression française que sur celui de l’argumentation.
L’évaluation des travaux des élèves en philosophie face à l’irruption des Intelligences Artificielles : repenser l’articulation entre devoirs surveillés et devoirs en temps libre (« à la maison »)
Après l’irruption de l’Internet dans le champ pédagogique à la fin des années 1990 et le développement du phénomène du « copier/coller » de corrigés de dissertations de philosophie dans les copies des élèves, l’avènement des IA en libre accès pose à nouveaux frais le problème plus général de la tricherie et de ses outils. Ce problème n’a rien de nouveau : seule l’est la puissance inégalée des moyens mis aujourd’hui à la disposition d’élèves qui auraient l‘idée les utiliser pour tricher.
Les soupçons de tricherie et le principe de charité
Le principe de charité commande cependant de rappeler et de souligner tout d’abord avec force que le recours aux ressources disponibles sur l’Internet, y compris sur le mode du plagiat, ne procède pas nécessairement chez les élèves d’une volonté malveillante de frauder ou de se dispenser à bon compte du travail qui leur est prescrit. Bien souvent il procède tout aussi bien et bien plutôt d’un désarroi face à la nouveauté des exercices de dissertation et d’explication de texte, d’un vertige devant une tâche vécue à tort comme insurmontable. La maladresse qui bien souvent dénonce ce recours révèle en outre la très grande naïveté des usages spontanés qui sont faits de ces ressources, l’insuffisance ou l’absence d’une véritable éducation à leurs usages pertinents et légitimes ainsi qu’aux manières à la fois intelligentes, créatives et personnelles dont les élèves pourraient les exploiter. Ces constats appellent incontestablement un accompagnement attentif et renforcés de l’apprentissage des deux exercices canoniques de la discipline philosophie, apprentissage qui gagne beaucoup à prendre en compte et à intégrer radicalement le facteur numérique, mais aussi à viser corrélativement un apprentissage des usages légitimes des ressources disponibles, qu’il n’est pas interdit au professeur de sélectionner lui-même et de prescrire à ses élèves.
La "plagiat" est-il une catégorie pédagogique ?
Il convient en second lieu d’interroger la pertinence d’appliquer au recopiage par les élèves de ressources externes dans leurs devoirs la notion de plagiat. Bien des professeurs de philosophie trouvent en effet en elle un argument dissuasif, consistant à souligner que le copier/coller de ressources en ligne pourrait être assimilé à un délit au regard du droit de la propriété intellectuelle. Il est incontestable que cet argument montre dans la pratique une certaine efficacité.
De fait, l’usage par les élèves d’agents conversationnels en ligne pour rédiger leurs devoirs pose un problème juridique de cette nature. Comme l’ont souligné dans la presse plusieurs juristes ou chercheurs spécialistes du traitement numérique des textes depuis le lancement du logiciel au mois de décembre 2022, celui-ci a été entraîné à partir d’un très grand nombre de textes en ligne, dont il est très difficile de savoir si tous sont ou non libres de droits. En outre, les productions de ChatGPT ne contiennent pas à ce jour la mention des sources à partir desquelles elles ont été élaborées, ce qui implique qu’elles ne satisfont pas non plus aux règles d’usage dont l’application est requise pour certaines sources libres de droit (celles de Wikipédia, par exemple). Ainsi, on pourrait faire valoir, en conséquence de ces prémisses, qu’un élève faisant usage d’un agent conversationnel en ligne pour rédiger une copie serait susceptible de se rendre coupable de plagiat par Intelligence Artificielle interposée. On pourrait en effet craindre, en suivant ce raisonnement, que la remise à un professeur d’une copie rédigée ce moyen puisse être constitutive d’un acte de diffusion à tiers excédant les limites du droit de copie privée. A ce titre, il est vraisemblable que l’acte consistant pour un élève à recopier une source trouvée ou constituée sur l’Internet ne tombe pas dans le périmètre du droit d’exception pédagogique accordée à notre institution pour l’usage des ressources publiées dans le cadre des activités d’enseignement, mais continue de relever du champ de droit de copie privée.
Sur le droit d’auteur et le droit d’exception pédagogique : Code de la propriété intellectuelle, Légifrance ; Protocole d’accord sur l’utilisation et la reproduction des livres, des œuvres musicales éditées, des publications périodiques et des œuvres des arts visuels à des fins d’illustration des activités d’enseignement et de recherche, NOR : MENE1600684X - Protocole d’accord du 22-7-2016 - MENESR - DGESCO B1-1 - DGESCO B1-2, Bulletin officiel n°35 du 29 septembre 2016 ; Mise en œuvre du contrat du 2 juin 2014 concernant la reproduction par reprographie d’œuvres protégées dans les établissements d’enseignement du premier degré public et privé sous contrat, NOR : MENE1416581C - Circulaire n° 2014-094 du 18-7-2014 - MENESR - DGESCO B1-1,Bulletin officiel n° 31 du 28 août 2014.
Il peut paraître très utile d’aborder ces questions avec les élèves, ce qui est aussi une façon de les sensibiliser aux enjeux juridiques des usages du numérique et ainsi de contribuer, pour la discipline philosophie, à leur éducation sur ce plan.
L’usage d’un agent conversationnel transforme cependant les termes du problème tel qu’il a été posé jusqu’ici, du fait qu’il ne s’agit pas seulement d’un logiciel de tri de données mais précisément d’une Intelligence Artificielle, capable de réagencer, de transformer, de réécrire un texte original à partir des données dans lesquelles elle trouve ses sources. Il est possible, comme cela a été souligné par certains, qu’une partie de ces données provienne des réseaux sociaux, et par voie de conséquence des conversations ordinaires qui s’y déploient. En ce sens, même à supposer qu’un agent conversationnel puisse comporter, en raison du mode de récolte de ses données, une dimension de plagiat, on pourrait légitimement considérer que, du fait qu’il les réarrange et les réécrit, il ne plagie personne en particulier. Ou plutôt, on pourrait considérer qu’un agent conversationnel ainsi configuré plagie un peu tout le monde, qu’il plagie le sens commun ; or le sens commun, appartenant à tous, n’appartient en particulier à personne. Le sens commun n’a pas d’auteur ; un agent conversationnel, étant non un sujet de droit (une personne morale ou une personne physique) mais un système automatique, n’est pas un auteur. Ces deux points doivent être considérés avec la plus grande attention parce qu’ils engagent deux conséquences décisives.
Premièrement, ils conduisent à relativiser l’applicabilité de la catégorie de plagiat dans le cas de productions issues d’un agent conversationnel, l’application de cette catégorie semblant dépendre en dernier ressort exclusivement de la nature, de l’origine et du statut juridique des données à partir desquelles travaille la machine, non de l’outil qui les agence, à supposer que la personne morale (une entreprise par exemple) propriétaire du logiciel et à ce titre également de ses productions ait autorisé le libre usage et la diffusion de ces dernières en opensource.
Deuxièmement, si le texte que produit un agent conversationnel est le reflet du sens commun, alors les professeurs de philosophie verront aisément que la démarche des élèves utilisateurs ne saurait faire illusion un seul instant, s’il est vrai que la réflexion philosophique consiste précisément à mettre en question la pensée de sens commun et non à l’entériner simplement, et qu’un enseignement de philosophie véritable ne peut rien faire d’autre qu’apprendre aux élèves à exercer et à construire cette réflexion critique.
Tout bien considéré, il n’en reste pas moins que l’application de la notion de plagiat en contexte scolaire fait, par un autre côté, fondamentalement difficulté. Le plagiat est une catégorie juridique, il n’est pas une catégorie philosophique et l’on peut sérieusement se demander s’il peut réellement constituer une catégorie pédagogique. Il est en effet incontestable que la copie ou le recopiage des grandes oeuvres a, dans bien des domaines, une authentique puissance pédagogique et des vertus avérées pour l’apprentissage. Pour apprendre leur métier, les élèves des écoles de Beaux-Arts vont au musée copier les oeuvres des grands maîtres : nul ne songerait à les accuser de plagiat, même s’ils montrent à leurs maîtres les copies qu’ils ont réalisées. De même les élèves des conservatoires apprennent l’harmonie et le contrepoint dans des exercices contraints dans lesquels ils doivent écrire extraits de quatuors à cordes, chorals ou doubles choeurs dans le style de tel ou tel grand compositeur, ce qui les conduit la plupart du temps à leur emprunter leurs formules harmoniques ou mélodiques. Pour un compositeur des âges baroque et classique, être plagié ce n’était pas être pillé : c’était la consécration et la gloire. Bach plagiait allègrement les concerti de Vivaldi, les premiers concerti de Mozart pour piano ne sont que des sonates de ses aînés qu’il a orchestrées et un peu aménagées, l’air du catalogue du Don Giovanni est un plagiat manifeste.
Sur ce point voir : Françoise Escal, Le compositeur et ses modèles, Paris, PUF, 1984.
Du côté de la philosophie, n’oublions pas l’étrange ressemblance entre l’article Autorité politique de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert et le second chapitre du livre I du Contrat social de Rousseau, ou les pages des Manuscrits de 1844 dans lesquelles Marx recopie sans sourciller des paragraphes entiers des grandes oeuvres de l’économie politique. Qui oserait prétendre que ces emprunts furent stériles ? Allez faire, après cela, la leçon aux élèves...
Il n’est donc pas du tout certain que les élèves n’apprennent rien en recopiant des sources extérieures. Tout ce qu’on peut leur reprocher, c’est de s’y prendre fort mal, de mal choisir leurs sources lorsqu’ils en choisissent de médiocres ou de mal ajustées aux sujets qu’ils ont à traiter, de ne pas les citer, de leur emprunter trop largement et de ne rien en tirer de personnel.
Les réponses institutionnelles et leur histoire
Au XIXe siècle, l’enseignement secondaire en général et l’enseignement de philosophie en particulier connaissaient déjà parfaitement le problème du recours que pouvaient avoir les élèves à des aides extérieures, en un temps où les élèves disposaient de ressources et d’outils bien moins nombreux et bien moins performants, mais en disposaient tout de même. Nos prédécesseurs avaient résolu ce problème de la façon suivante : les résultats annuels des élèves n’intégraient pas de travaux donnés à faire à la maison ou à l’étude, ils excluaient les exercices et devoirs courants ; ils prenaient en compte uniquement les résultats de compositions trimestrielles faites sur table. Un bon travail de surveillance, scrupuleusement attentif pendant ces épreuves, permettait aux professeurs de faire efficacement la chasse aux tentatives de triche et de surprendre la plupart du temps les petits téméraires en flagrant délit.
Alors que de nos jours l’introduction récente du contrôle continu et l’intégration des résultats trimestriels des élèves dans les procédures d’examen et d’orientation font de l’évaluation un enjeu majeur décisif aux yeux des élèves et par voie de conséquence une source potentielle de conflit dans les classes, est-ce à dire qu’il faille renoncer aux « devoirs à la maison », propices, lorsqu’ils sont faits avec raison et probité, à des recherches intelligentes, à d’enrichissantes lectures, à des essais et erreurs ? Il faut réaffirmer qu’il n’en est rien.
Les questions pédagogiques soulevées par les "devoirs à la maison"
Les devoirs à la maison, faits pour apprendre, pour s’entraîner, pour faire des recherches personnelles, pour retravailler ses erreurs tranquillement, sur le mode d’une répétition au sens théâtral ou musical du terme, relèvent naturellement de la dimension d’évaluation que l’on dit aujourd’hui « formative ». Même s’il faut, bien entendu, les noter pour que l’élève puisse bénéficier de repères relatifs à ses progrès et à l’évolution de ses besoins pédagogiques, on pourrait juger que ces travaux ne devraient pas, en toute rigueur, entrer dans le calcul des résultats trimestriels des élèves.
Sur le principe d’exclusion des évaluations dites « formatives » des résultats des élèves cf. les travaux de Benjamin S. Bloom, fondateur du concept (behavioriste) d’évaluation formative : Learning for mastery (1968) UCLA - CSEIP - Evaluation Comment. Vol. 1. ; trad. franç. : Apprendre pour maîtriser, Payot,1972.) ; Benjamin S. Bloom, George F. Madaus, and J. Thomas Hastings, Evaluation to Improve Learning, New York : McGraw-Hill, Inc., 1981.
Néanmoins il paraît légitime de valoriser, dans les résultats trimestriels, des travaux en temps libre réussis, pourvu que l’on ait pu s’assurer qu’ils soient le fruit d’un travail véritablement personnel, quand bien même s’appuieraient-ils sur des sources découvertes à l’occasion de recherches effectuées hors la classe mais exploitées judicieusement. On peut penser du reste que même un dispositif qui serait plus fortement axé sur la pratique de la composition sur table (3 devoirs surveillés ou épreuves blanches sont préconisés dans les recommandations de l’Inspection de Philosophie : cf. document d’accompagnement intitulé L’évaluation des travaux en classe de philosophie : https://eduscol.education.fr/1702/programmes-et-ressources-en-philosophie-voie-gt) n’exclurait nullement l’usage de formules mixtes, dont on sait qu’elles permettent un accompagnement resserré de la préparation des devoirs limitant considérablement les risques de copier/coller et qu’elles peuvent offrir l’occasion d’intégrer des ressources numériques dans le travail des élèves, le cas échéant à titre de repoussoir, qu’elle n’exclurait pas non plus la pédagogie de la seconde chance (faire refaire les copies ratées ou en réécrire des parties), ni même des formes de notations partielles, provisoires, intermédiaires, préparatoires à celle du devoir achevé, qu’il le soit « à la maison » ou sur table.
Pour garantir le rendu de devoirs à la maison non pris en compte dans la moyenne trimestrielle (le risque que les élèves ne les rendent pas s’ils ne « comptent » pas constitue très évidemment une objection sérieuse) on pourrait très simplement lui conditionner l’accès aux dispositifs de seconde chance post-devoirs surveillés : pas de DM d’entraînement rendus en amont, purs, bien entendu, de tout plagiat ou de tout contenu issu de ChatGPT, pas de seconde chance.
Quelques éléments de stratégie pédagogique pour faire face à l’usage par les élèves d’agents conversationnels en ligne dans le cadre d’un enseignement de philosophie
Les professeurs de philosophie n’ont pas à se sentir menacés par l’apparition de nouveaux moyens grâce auxquels certains élèves pourraient se dispenser de réaliser par eux-mêmes les exercices et devoirs qui leur sont prescrits. Des moyens de cette nature ont en réalité toujours existé. Le véritable enjeu pédagogique est de convaincre les élèves qu’il est préférable pour eux, pour leur bonne formation intellectuelle et philosophique, de ne pas recourir à ces moyens et de faire leur travail scolaire par eux-mêmes, partant de trouver des moyens ou des méthodes efficaces de les en convaincre.
Il convient par conséquent d’éviter toute posture obsidionale ou l’adoption d’un dispositif de lutte exclusivement constitué de mesures répressives, au profit de stratégies pédagogiques intégrant résolument l’existence des agents conversationnels en ligne dans l’accompagnement de l’apprentissage de la dissertation.
• Occuper le terrain : éduquer les élèves aux outils numériques et les prendre en compte dans l’enseignement de philosophie
- Montrer des extraits bien choisis de la vidéo aux élèves permettra de leur expliquer précisément les mécanismes et les principes techniques sur la base desquels fonctionnent les agents conversationnels en ligne, en vue de les convaincre que le résultat, s’ils les utilisent, sera bien loin de ce qu’ils pouvaient en espérer.
- Les agents conversationnels constituent aussi un excellent exemple à exploiter et à travailler en classe avec les élèves, à la lumière de cette vidéo, dans une leçon qui entreprendrait de poser le problème de la réductibilité ou non de la pensée à des structures de langage.
• Exploiter un agent conversationnel dans le cadre de l’apprentissage de la dissertation : passer de la simulation à l’émulation
- Premier exercice : comparer avec les élèves des exemples de "dissertations" écrites par un agent conversationnel et de bonnes dissertations écrites par des élèves ou construites en classe avec le professeur (l’exercice peut être réalisé « en aveugle », en mélangeant des copies d’élèves et des copies produites par l’IA sans dire aux élèves de quelle source elles proviennent) ; procéder à leur analyse et à leur évaluation, sous la forme de commissions d’entente comparables à celles auxquelles participent les correcteurs de l’épreuve du baccalauréat (demander aux élèves de les lire, de les évaluer et de les noter).
- Deuxième exercice : utiliser des matériaux produits par ChatGPT pour entraîner les élèves à la dissertation (par analogie avec l’entraînement des joueurs d’échecs au moyen d’Intelligences Artificielles) :
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- mettre un sujet de dissertation (avec consignes rédactionnelles précise permettant d’obtenir un texte ressemblant fortement à une dissertation de philosophie) donné aux élèves dans ChatGPT ;
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- donner le résultat obtenu aux élèves et leur faire analyser les défauts de la copie ;
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- leur demander de rédiger chacun une copie qui n’ait pas les défauts constatés : il s’agit de les mettre en concurrence avec la machine, en leur demandant de faire mieux qu’elle ; on pourrait voir là une façon originale de moderniser le vieux principe (d’origine jésuite) de l’émulation.
- Troisième exercice : utiliser des matériaux produits par ChatGPT pour amener les élèves à s’approprier les méthodes d’élaboration d’une dissertation et à perfectionner leur mise en oeuvre :
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- répartir les élèves par groupes de trois au quatre ;
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- leur demander de commander une dissertation dans ChatGPT sur un sujet donné (chaque groupe peut travailler sur un sujet différent, ou bien tous les groupes peuvent travailler sur un seul et même sujet) ;
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- demander ensuite à chaque groupe de procéder à une amélioration du texte produit par l’IA à partir de son analyse critique.
Lien vers un exemple d’exercice proposé par Maryse Emel :
- Demandons au chatbot de réaliser une dissertation :
« Prosperity doth best discover vice, but adversity doth best discover virtue » : « la prospérité découvre nos vices, l’adversité nos vertus » écrivait Francis Bacon dans son Essai intitulé Sur l’adversité. Il est incontestable que l’irruption des agents conversationnels et plus généralement des ressources et outils numériques dans le champ pédagogique mettent l’enseignement de philosophie à l’épreuve. Elle lui offre cependant par cette adversité l’occasion de démontrer une fois de plus l’irréductibilité de ses vertus éducatrices. La responsabilité incombe à tous les professeurs de philosophie de réfléchir philosophiquement, de façon très précise et très informée, à la nature, à la puissance, aux limites et aux enjeux des outils que le développement de l’Intelligence Artificielle et de ses applications sous forme d’agents conversationnels en ligne mettent désormais à la disposition des élèves, parce qu’ils constituent l’un des visages de la réalité du monde contemporain, de saisir les difficultés d’évaluation que leur usage par les élèves impliquent, ainsi que les déplacements et les transformations profondes que le souci de leur trouver des solutions efficaces appelle dans leurs propres pratiques pédagogiques et dans leurs méthodes d’enseignement, d’inventer enfin, par l’intégration bien informée et résolue du facteur numérique dans leur pédagogie, des exercices et travaux à proposer aux élèves pour les accompagner dans leur apprentissage de la dissertation et de l’explication de texte. Ce dernier point ouvre incontestablement à la discipline philosophie un horizon d’avenir, une voie de progrès et de renouvellement de ses méthodes d’enseignement. Les Inspectrices et Inspecteurs Pédagogiques Régionaux de Philosophie répondront toujours présents pour contribuer à cette œuvre aux côtés de leurs collègues professeurs de philosophie : qu’elles et qu’ils sachent pouvoir compter sur leur aide et sur leur soutien.
Le présent article n’a pas été écrit au moyen d’un agent conversationnel en ligne...
Eric Le Coquil, Inspecteur d’Académie - Inspecteur Pédagogique Régional de Philosophie
RESSOURCES
par Maryse Emel
- Introduction : Her, le film de Spike Jonze
Spike Jonze aborde à travers son film, la question de la séparation (homme-machine ; âme-corps).
Quelle anthropologie se dégage du film ?
Dossier Transmettre le cinéma
Pour l’essayiste Ariane Nicolas, le film Her montre le piège de l’idéal transhumaniste. L’humain peut croire échapper à son humanité par la technologie, mais c’est une impasse. « En tombant amoureux d’un logiciel, le héros pensait s’épargner la souffrance à laquelle une relation avec une personne humaine l’aurait exposé. Le réalisateur du film […] suggère que la souffrance au contraire est l’expérience indispensable qui atteste de notre singularité en tant qu’êtres humains. Seul un être véritablement incarné est capable d’éprouver des émotions sincères et donc, in fine, de prendre conscience qu’il existe. »
Les philosophes et l’Intelligence artificielle
- Travailler ces questions à la lumière des oeuvres de Gilbert Simondon peut s’avérer utile pour clarifier le rapport de l’homme à la machine
ARTICLES sur l’intelligence artificielle
HUMANITE HUMANISME TRANSHUMANISME
- L’esprit dans une machine : le transfert de l’humain vers la machine
- Des humanités numériques à la singularité technologique : que reste-t-il de l’humanisme ? Jean-Gabriel Ganascia, professeur à l’université Pierre-et-Marie-Curie et président du comité d’éthique du CNRS (Comets)
- Le droit des data Marie-Anne Frison-Roche, professeure à Sciences-Po Paris
- L’être humain algorithmé, dépassement ou perte de soi
Isabelle Falque-Pierrotin, présidente du CNIL - Penser le sujet de droit comme puissance : contingence et potentialité à l’ère du calcul intensif Antoinette Rouvroy, chercheure qualifiée du FNRS, Centre de recherche information, droit et société de l’université de Namur.
- Le téléchargement de l’esprit : plus qu’une expérience de pensée ? Denis Forest, professeur de philosophie, université Paris X - Nanterre.
- L’économie de l’éternité ?Pierre-Yves Geoffard, directeur de l’Ecole d’économie de Paris.
Table-ronde - L’esprit dans une machine : le transfert de l’humain vers la machine
Il est proposé à la fin de La Lettre un panorama radiophonique des questions relatives au chatGPT qui peut être l’occasion de dégager les arguments et les opinions à propos de l’intelligence artificielle.
EXERCICES
- Exercices sur la distinction outil-instrument et la technique
- Peut-on déléguer, piloter, contrôler ou collaborer avec ChatGPT ? Qu’en est-il sinon de la liberté humaine ?
- La fonction fabulatrice peut-elle être appliquée à la machine ?
Bergson ou encore Bachelard peuvent apporter une contribution à une réflexion sur la fonction scientifique et philosophique de l’imagination.
Mettre en oeuvre des exercices avec le chatbot est une façon de rencontrer cet instrument de travail :
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- L’enseignant pose un problème à l’élève qui doit le résoudre avec ChatGPT selon plusieurs scénarios. L’élève peut être le professeur du ChatGPT et le pousser à améliorer ses réponses en ajoutant des consignes.
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- Ou alors l’élève peut être dans une posture d’évaluation de la réponse du chat en recherchant des biais ou des omissions.
Quel que soit le scénario, l’idée est de mettre l’élève dans un rôle actif et de considérer chatGPT comme un partenaire.
- Le chatGPT c’est d’abord un langage dont il convient d’interroger la pertinence.
ChatGPT est un « modèle de langage étendu, un type d’intelligence artificielle qui utilise l’apprentissage profond (une forme d’apprentissage automatique) pour traiter et générer des textes en langage naturel (…) [Ce type de modèle est] formé sur des quantités massives de données textuelles, lui permettant d’apprendre les nuances et les complexités du langage humain" D’après Susnjak, 2022 [traduction]).
- Le ChatGPT peut-il "doubler" l’homme ?. Voir à ce propos Gorgias de Platon
- Travailler avec les élèves les notions d’original, originel, origine.
Si le chatGPT est en mesure de se servir d’une langue "naturelle", cela en fait-il un être humain, et de surcroît pensant ? Même si la réflexion philosophique s’enracine dans un travail sur et avec le langage, réfléchir philosophiquement de façon authentique ne consiste jamais seulement à produire du discours ou du texte, imitant le langage ou les langages des philosophes.
Cela renvoie à un travail d’élucidation du formalisme à l’oeuvre dans les articles de vulgarisation à propos de l’IA, rapprochant ces discours d’une façon de dire propre à la rhétorique
- Exercice sur un texte de Kant sur l’art de la conversation
- Le dialogue selon Platon
Peut-on attribuer à la machine le statut de “sujet” ?
Elle procède par distinction, se donnant l’apparence d’exercer un jugement.
Cela permettra de mesurer les limites de cette démarche ;
Elle fonde son pouvoir sur la capacité à répondre, et répondre vite en l’occurrence.
Deux attitudes qui ne relèvent pas d’une attitude philosophique.
On examinera à partir d’exemples, la conception du “dialogue”, nommé “conversation” que le chatbot défend.
- Un modèle cumulatif et continu du savoir qui instaure un temps de la continuité et du progrès.
Dans la métaphore inouïe Ernesto Grassi écrit : “ c’est la puissance métaphorique de la réalité qui dévoile sa duplicité en opposition avec l’univocité du monde rationnel, qui aspire sans cesse à atteindre en vain, par un processus dialectique, la signification des étants abstraits, fossilisés”(p.176)
La philosophie naît de l’étonnement, c’est-à-dire d’un problème, d’une opacité
Conclusion provisoire
Rien de plus facile que de craindre. Texte Alain, Libres Propos, (1927).
Il y a croire et croire, et cette différence paraît dans les mots croyance et foi. La différence va même jusqu’à l’opposition ; car selon le commun langage, et pour l’ordinaire de la vie, quand on dit qu’un homme est crédule, on exprime par là qu’il se laisse penser n’importe quoi, qu’il subit l’apparence, qu’il subit l’opinion, qu’il est sans ressort. Mais quand on dit d’un homme d’entreprise qu’il a la foi, on veut dire justement le contraire. [...] Dans le fait ceux qui refusent de croire sont des hommes de foi ; on dit encore mieux de bonne foi, car c’est la marque de la foi qu’elle est bonne. Croire à la paix, c’est foi ; il faut ici vouloir ; il faut se rassembler, tout comme un homme qui verrait un spectre, et qui se jurerait à luimême de vaincre cette apparence. Ici il faut croire d’abord, et contre l’apparence ; la foi va devant ; la foi est courage. Au contraire croire à la guerre, c’est croyance ; c’est pensée agenouillée et bientôt couchée. C’est avaler tout ce qui se dit ; c’est répéter ce qui a été dit et redit ; c’est penser mécaniquement. Remarquez qu’il n’y a aucun effort à faire pour être prophète de malheur ; toutes les raisons sont prêtes ; tous les lieux communs nous attendent. Il est presque inutile de lire un discours qui suit cette pente ; on sait d’avance ce qui sera dit, et c’est toujours la même chose. Quoi de plus facile que de craindre ?
Fascinant et effrayant, ce robot conversationnel est capable d’écrire des textes et de dialoguer avec un langage humain presque troublant. À peine cinq jours après son lancement, l’intelligence artificielle a franchi le million d’utilisateurs gratuits dans le monde. Mais que se passe-t-il quand elle tombe entre de mauvaises mains ?
Une intelligence artificielle peut-elle créer ? Rodolphe Gelin, expert en intelligence artificielle nous explique comment fonctionnent les IA créatives.
Deux mois à peine après son lancement, ChatGPT fait beaucoup parler. Cette intelligence artificielle, sorte de robot accessible en ligne, répond à la plupart des questions. A tel point qu’elle peut même écrire une dissertation correcte, de quoi faire naître un certain intérêt chez les étudiants.
Sur des dizaines de milliers d’amendes contestées aux Etats-Unis et en Angleterre, l’intelligence artificielle a un taux de réussite de 60 %.
ChatGPT, Dall-E : ces algorithmes semblent capables de créer des chansons, des tableaux, de rédiger du texte. Mais il est impossible de leur donner le statut d’auteur... en tout cas pour le moment. Leur utilisation pose des enjeux majeurs en termes de droit d’auteur.
Alors que ChatGPT est au cœur de l’actualité depuis début décembre, Le Meilleur des mondes se penche sur cet outil accessible au grand public qui a déjà attiré un million d’utilisateurs. Qu’est-ce que ChatGPT, peut-on réellement parler d’innovation de rupture ?
L’armée israélienne vient de mettre en place à Hébron, ville occupée en Cisjordanie du sud, une nouvelle technologie : une arme automatique, installée sur un checkpoint en pleine rue, qui peut être contrôlée à distance.
Avec les progressions de l’intelligence artificielle, c’est toute l’économie de l’emploi et les compétences humaines qui sont amenées à être remises en question. Va-t-on pour autant vers un monde sans travail ?
Le grand remplacement par les intelligences artificielles
FRANCEINFO JUNIOR
franceinfo junior. Qu’est-ce qu’est « ChatGPT » ?
« franceinfo junior » se penche ce lundi sur ce modèle d’intelligence artificielle avec Anis Ayari, ingénieur en intelligence artificielle.
A LA SOURCE
Autobiographie de ChatGPT
Cette semaine, nous avons demandé à ChatGPT d’écrire sa propre chronique pour « A la source ». Le résultat est troublant... !
LE BILLET DE MATTHIEU NOËL
Chat-GPT à la rescousse... des politiques !
Matthieu Noel… Fort de votre connaissance assez poussée du Web3, vous avez décidé ce matin de nous décrypter le phénomène “ChatGPT”, cette intelligence artificielle capable de prouesses presque “inquiétantes” ?
LA QUESTION DU JOUR
Pourquoi ChatGPT, la nouvelle intelligence artificielle, fascine-t-elle tant ?
Plus d’un million d’utilisateurs ont déjà posé leurs questions à ChatGPT, la nouvelle intelligence artificielle en libre accès depuis le 30 novembre dernier. Créée par l’entreprise américaine, OpenAI, sa capacité à parler comme un être humain ne cesse de surprendre les internautes.
L’ÉTOILE DU JOUR
« Cette chanson est merdique » : Nick Cave vent debout contre ChatGPT, l’intelligence artificielle qui rédige tout, y compris des chansons
Le chanteur post-punk a répondu à l’un des ses fans qui lui a envoyé une chanson composée par ChatGPT sur son blog pour connaitre son point de vue.
LES NOUVELLES DU MEILLEUR DES MONDES
83 ans après, le général de Gaulle se fait entendre grâce à l’I.A
Cette semaine plusieurs médias se sont amusés avec des technologies d’intelligence artificielle. La radio France Inter a interrogé ChatGPT en direct, le média social Brut a façonné son coup médiatique et le journal Le Monde a réalisé, avec l’Ircam, un clonage vocal du général de Gaulle.
NET PLUS ULTRA
La révolution « ChatGPT-3 » prend les enseignants de court
La nouvelle version de « Chat GPT3 » qui fait fureur chez les étudiants, va plus loin que le simple copier-coller et génère des textes « uniques » bien difficiles à repérer par les enseignants.
Propositions d’exercices
- Faire une analyse critique des émissions radiophoniques (voir supra)